Votre Majesté, je ne puis me libérer moi-même.

Notes de l’auteur : Non, cette histoire n'a aucun sens.

« Votre Majesté, je vous ai juré allégeance et jamais je ne trahirai mon serment. Toutefois, je ne pourrai pas accomplir la mission que vous me proposez. En effet, je ne puis me libérer moi-même. »

Le roi Alphonse lança à son plus fidèle chevalier un regard d'incompréhension. Messire Laurent était la meilleure épée du royaume. Il avait fait ses débuts dans la guerre de la Lagune ; il s'était ensuite illustré en prenant, avec une poignée de soldats seulement, la forteresse du comte Dracula. Il avait traversé le désert du Sud, s'était libéré des prisons de l'Impératrice des Elfes Gris, avait trouvé le Graal et combattu le Golem du Mont des Embruns. Mais il refusait d'aller libérer une princesse captive d'un dragon ?

Le duc Léopold des Îles du Levant et la princesse Isabelle ne comprenaient pas, eux non plus. Ils menaient une vie tranquille dans leur château à l'autre bout du royaume... jusqu'à ce que leur fille unique, la princesse Lorelei, ne disparaisse subitement. Quinze ans. Ils avaient passé quinze ans à la rechercher. Le Dragon Lapis-Lazuli était leur seule piste. Lorelei ne serait pas la première à passer des années et des années en captivité dans la caverne d'une de ces créatures du mal... Alors pourquoi le meilleur chevalier du royaume refusait-il de les aider ?

Toujours agenouillé devant son roi, Messire Laurent paraissait hésiter. Après une vingtaine de secondes à chercher ses mots, il se lança finalement.

« Votre Grâce Léopold, Votre Altesse Isabelle. Il y a vingt-six ans de cela, vous avez donné naissance à une petite fille. Vous l'avez élevée de la manière qui vous semblait la meilleure, en lui apprenant à bien se tenir, à broder, à danser, à monter à cheval et à se battre à l'épée. Lorelei était en apparence sage et obéissante, mais elle brûlait d'un feu intérieur qui la consumait sans qu'elle ne sache pourquoi.

- Mais que prétendez-vous, Messire, et d'où tirez-vous pareilles histoires ?

- Lorelei ne vous a jamais rien dit, évidemment. Elle craignait trop de vous décevoir. Elle n'en parlait qu'à sa femme de chambre, Lisa. Celle-ci ne prit d'abord pas au sérieux les plaintes de la petite princesse, mais elle finit par se montrer compatissante envers Lorelei. Cependant, lorsque Lorelei eut onze ans, Lisa prit sa retraite et fut remplacée par Madame Ludmilla. Lorelei, dévastée par la perte de sa seule confidente, décida de fuir. Fuir ce monde ? ou bien simplement fuir le château ? Elle ne le savait pas. Mais toujours est-il qu'elle se jeta par la fenêtre de sa chambre dans l'océan. »

Léopold et Isabelle échangèrent un regard étonné. Il était vrai que leur petite Lorelei avait disparu peu de temps après le départ en retraite de sa femme de chambre. D'ailleurs, leur première piste avait été une négligence de la part de la nouvelle venue - avant que le majordome ne leur assure que Madame Ludmilla n'avait commis aucune faute.

« Ce furent des pirates qui repêchèrent Lorelei. Celle-ci, au départ leur captive, ne tarda pas à tomber sous le charme de ce mode de vie rebelle et finit par devenir une des leurs. Elle prit alors le pseudonyme de Lapis-Lazuli et, en raison de la fougue et du feu intérieur qui l'animait, fut surnommée "dragon". Les matelots étaient nombreux à descendre boire un coup à terre, c'est probablement à cette occasion que l'un d'eux laissa entendre que le dragon Lapis-Lazuli avait enlevé la princesse Lorelei. »

Alphonse, Léopold et Isabelle écoutaient à présent avec attention le récit du chevalier Laurent.

« Lapis-Lazuli, je dois le confesser, n'était pas un enfant de chœur. Fidèle à sa réputation de dragon, il attaquait, pourfendait, brûlait. Les pirates décidèrent alors de maquiller leurs pillages en attaques de dragon. Cependant, ils finirent par se faire attraper par les garde-côtes. Leur navire, l'Espadon, fut coulé et seuls une poignée d'entre eux réussirent à s'échapper à la nage. Lapis-Lazuli en faisait partie. Il avait dix-sept ans.

- Dix-sept ans... C'était il y a neuf ans, à l'époque de la guerre de la Lagune ?

- Oui, Votre Majesté. Lapis-Lazuli, désemparé et perdu, se rendit compte que la vie de hors-la-loi ne lui avait apporté aucune satisfaction. Alors il se porta volontaire pour rejoindre l'armée. Sous le nom de Laurent, il combattit pour son pays et comprit que là était sa réelle vocation. Se rendre utile. Votre Altesse Isabelle, Votre Grâce Léopold, Votre Majesté. Je suis la princesse Lorelei et je suis le dragon Lapis-Lazuli.

« Je vous demande pardon, Votre Majesté, de vous avoir caché mes origines. J'avoue m'être rendu coupable de pillage, vandalisme et meurtre. J'accepterai tout châtiment que vous jugerez approprié.

« Votre Altesse, Votre Grâce. Je suis désolé de vous avoir laissés avec vos inquiétudes concernant votre fille. Je ne puis plus prétendre à la succession des Îles du Levant, et je n'oserai même plus vous appeler mes parents. J'espère cependant avoir pu dissiper vos craintes en vous apprenant ce qui est arrivé à la princesse Lorelei. »

Léopold et Isabelle avaient les larmes aux yeux. Discrètement, ils se prirent la main et Léopold posa la tête sur l'épaule de sa femme. Derrière eux, les courtisans murmuraient, cachés derrière leurs éventails. Enfin, le roi Alphonse se leva.

« Voici ma décision. Le dragon Lapis-Lazuli a kidnappé la princesse Lorelei, mais le chevalier Laurent a vaincu Lapis-Lazuli. En vertu du code de chevalerie, Laurent a le droit d'épouser Lorelei. Dans ce cas précis, étant donné que Laurent et Lorelei ne sont en fait qu'une seule et même personne, il ne lui sera pas défendu d'épouser ultérieurement une autre dame. Cependant, en vertu de cette union, il pourra prétendre au titre de gendre et héritier du duc des Îles du Levant. Si cela vous convient, Duc Léopold, chère cousine... »

Le duc et la chère cousine, trop émus pour parler, approuvèrent d'un hochement de tête.

« Quant à votre punition pour vous être livré à la piraterie pendant vos jeunes années, elle sera la suivante. Pour réparer vos crimes envers le Royaume, vous devrez servir deux ans dans l'armée sans toucher de butin autre que votre solde. Pour réparer vos crimes envers les peuples côtiers, vous devrez les libérer d'un tyran qui les asservit à des fins hérétiques. Vous effectuerez ensuite une pénitence dans le désert du Sud, et vous rembourserez ce que vous avez pris au peuple à la hauteur de quarante mille pièces d'or -- par chance, c'est exactement le montant du trésor du Golem du Mont des Embruns. Il se trouve donc que vous avez entièrement purgé votre peine, et vous êtes libre d'épouser la princesse Lorelei. »

Laurent releva la tête et adressa un regard incrédule au roi. Celui-ci souriait discrètement sous sa moustache.

« Allons, chevalier ! Relevez-vous, et allez retrouver vos beaux-parents. Quant à vous, courtisans, une fête sera donnée en ce même lieu dans quatre jours. Une mission achevée sans encombre, la condamnation d'un criminel, la libération d'un héros national, les noces d'une princesse... Ne sont-ce pas là de très bonnes raisons de célébrer ? »

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez