Caroline rangea son mouchoir. Il n'y avait rien à faire : les larmes ne sortaient pas. Elle n'arrivait même plus à pleurer. À quoi bon ?
Les larmes avaient-elles attendri sa mère, la reine Blanche, quand elle la corrigeait à coups de sceptre sur les doigts ? Avaient-elles adouci son fiancé, le chevalier Gontran, lorsqu'il la pressait de lui accorder quelques faveurs en attendant le mariage ? Avaient-elles convaincu son père, le roi Dagobert, de revenir sur son engagement et de donner sa main à un autre ? Non, bien sûr que non. Les larmes n'étaient qu'un stupide écoulement de fluides corporels qui rougissaient les yeux, gâtaient le fard et prouvaient à tout le monde qu'on n'était qu'une enfant capricieuse et irresponsable.
Sa mère.
Tu n'as pas le droit d'en vouloir à ta mère, elle fait ça pour ton bien, et puis elle est stressée et elle a beaucoup de travail, parce qu'elle, contrairement à toi, elle gère le royaume...
Son fiancé.
Tu n'as pas le droit d'en vouloir à ton fiancé, il ne pouvait pas savoir, tu n'avais qu'à lui dire plus clairement que tu ne voulais pas...
Son père.
Tu n'as pas le droit d'en vouloir à ton père, ce n'est pas sa faute, il est distrait, il n'arrive déjà pas à mettre sa culotte à l'endroit...
Elle ne pouvait en vouloir qu'à elle-même.
Elle soupira et se leva. Elle n'allait pas rester là attendre le déluge. Lâcheté de renoncer ? Courage de libérer enfin ses proches d'un fardeau ? Elle ne le savait pas et ne voulait pas le savoir. Elle ouvrit la fenêtre. Regarda les pavés de la cour. Loin, très loin en dessous d'elle. Après tout, elle se trouvait tout en haut du donjon. Trois jours à l'isolement, avait décrété sa mère. Elle n'en ferait qu'un seul.
Caroline inspira profondément l'air frais du printemps. Bientôt, elle rejoindrait cet air parfumé qui l'envelopperait pendant la fraction de seconde que durerait sa délivrance. Elle retroussa sa jupe, posa un pied sur le rebord de la fenêtre, passa la tête de l'autre côté, puis les épaules, puis poussa avec sa jambe pour basculer.
Quelque chose lui saisit la taille. Elle ne put tomber. Au lieu de cela, elle s'éleva dans les airs. Des serres. Des serres de dragon. Un dragon l'avait attrapée en vol. Après tout, pourquoi pas. La délivrance serait un peu plus longue, peut-être un peu plus douloureuse, mais il était bien plus honorable de perdre une princesse suite à un enlèvement qu'à cause d'une défenestration. Et puis, il fallait bien que les dragons mangent. Alors autant que cela tombe sur elle.
Après de longues minutes de vol, au-dessus d'une forêt fournie, le dragon amorça sa descente. Il déposa délicatement Caroline sur l'herbe d'une clairière. Elle ne s'attendait pas à ce que l'on prenne tant de précautions pour une proie qui allait de toute façon finir en barbecue. À vrai dire, ni sa mère, ni son fiancé n'avaient jamais fait preuve d'une telle délicatesse. Allait-on être gentil avec elle, au moins une fois dans sa vie ?
Elle se retourna vers le dragon - mais il n'y avait plus de dragon. À sa place, une grande dame en robe violette la regardait avec bienveillance. Elle avait à la main une fine baguette d'or et dans le dos, une paire d'ailes arc-en-ciel. La fée écarta les bras ; et alors arrivèrent de derrière les arbres une ribambelle de demoiselles, des princesses, des nymphes, des chevaleresses, et même quelques princes parmi elles.
« Bienvenue, Caroline. N'aie pas peur, je ne vais pas te manger. Tu es ici au refuge des survivantes.
- Nous avons toutes failli mourir d'une façon ou d'une autre. Dame Violette nous a sauvées, et à présent, nous prenons soin les unes des autres.
- Sois la bienvenue parmi nous. Viens, on va te faire visiter ! »
Caroline n'osait pas y croire. Un refuge ? Des survivantes ? Prendre soin les unes des autres ? Une nymphe des bois qui lui tendait la main, avec un sourire sincère, et toutes les autres qui la regardaient sans jugement ni animosité ?
Alors seulement, elle fondit en larmes.