« Salut moi c'est le caporal Arnaud, bienvenue à Sarajevo, venez caporal-chef, je vais vous montrer notre zone! » me dit-il « Salut! Moi, c'est le caporal-chef Peyrous, je te suis »
Nous avancions dans un dédale de couloirs, fait de murs de sacs de sable, je regardais autour de moi je pouvais apercevoir la tour de contrôle, très abîmée par les tirs incessants que l'aéroport a dû subir pendant tous ces mois de conflit. Je suivais sagement le caporal , qui n'avait pas d'équipement particulier, pas de casque, ni de gilet pare-balles sur lui, ce qui était rassurant pour le coup.
Nous arrivions sous les passerelles de l'aéroport, certaines étaient effondrées, d'autres étaient complètement écrasées . Puis, enfin, il poussa une porte qui deviendra ma maison pour ces 6 prochains mois.
C'est donc ma première mission loin du camp, où j'ai atterri quelques jours auparavant. L'adjudant est sur le chemin pour le poste avancé, suivi comme son ombre , par son acolyte le caporal chef Tulélé, son alcoolique pouvait-on dire sans mauvais jeu de mots, alcoolisé matin midi et soir, une véritable distillerie à lui tout seul.
Les deux compères, originaires de Wallis, consommaient plus d'alcool qu'une compagnie de légionnaires.
Je range mon matériel et prépare mes documents pour le lendemain matin, afin d'être opérationnel rapidement, coup d'œil rapide sur mon poste radio, mon manipulateur, mes feuilles de compte rendu, tout est soigneusement à sa place.
Mon sac de couchage déjà déroulé sur mon lit de camp, il ne me reste plus qu'à attendre le départ de mon lieutenant ,en grillant une dernière cigarette devant l'entrée du poste de commandement.
Nos baraquements sont faits de sacs de sable et de troncs d'arbre, qui leur donnent un air massif et impénétrable.
Un poste de commandement, qui nous sert de salle de réunion, de réfectoire et de couchage pour le personnel de commandement. Deux autres baraquements identiques, abritent la troupe et les chefs de groupe, puis autour de nous des postes de défense en cas d'attaques Bosniaques ou Serbes, les hommes y montent la garde 24/24h.
C'est dans un de ces postes de défense que nos deux compères doivent se rendre, sûrement pour finir la soirée loin des yeux de notre lieutenant.
Une rafale d'armes légère déchire le silence de la nuit, puis une seconde et une troisième.
« On nous attaque, on nous attaque ! » hurle l'adjudant dans sa radio depuis le poste avancé.
Le lieutenant toujours présent, s'empare du combiné
« Tango 1 ici Papa 1, position! »
« Position Zoulou 3......Une dizaine de tango avancent sur notre position.....nous essuyons un feu nourri » hurle-il pour se faire entendre, tellement le bruit autour de lui est assourdissant.
Les rafales s'intensifient dans un vacarme incroyable, la nuit s'éclaire subitement avec la lueur des balles traçantes.
« Appelez le commandement, faites un point de situation, je descends sur place » me dit le lieutenant en s'équipant, puis disparaissant aussitôt me laissant seul , ne réalisant pas ce qui arrivait.
J'envoie immédiatement un message à la base, la réaction est rapide, ils attendent de plus amples informations que je ne peux donner pour le moment.
Je suis attentivement les conversations du Lieutenant avec le reste de la troupe sur mon poste radio, et note scrupuleusement toutes les informations, pouvant être utiles à notre base.
Je comprends vite que la situation devient incontrôlable.
Le Lieutenant a pris le commandement du canon antiaérien de 20 mm.
« Envoyez une première sommation ! » dit-il au tireur par radio.
Le tireur s'exécute, une rafale déchire le ciel, un premier tir en l'air histoire de prévenir nos assaillants que nous avons de quoi les recevoir s'ils ne font pas demi tour.
Mais contrairement à ce qui est recherché, la situation dégénère aussitôt, les tirs Serbes s'intensifient, c'est une pluie de projectiles déferlant sur nos positions, s'écrasant sur les sacs de sable, éventrant et déchiquetant les arbres qui nous entourent. Les Bosniaques, positionnés derrière nos lignes et plus en hauteur, profitent de la situation, en improvisant une contre attaque providentielle faisant cracher à leur tour tout le feu qu'ils avaient à disposition. Ce qui ajoute un second problème à celui que nous avions depuis plusieurs minutes avec l'armée Serbe. Les balles nous arrivent devant et derrière. Il nous faut maintenant échapper aux deux tirs.
Les ordres du lieutenant s'enchaînent rapidement, après avoir tiré la seconde sommation dans les airs, il décide de concentrer toute la puissance de feu sur nos assaillants.
Je suis concentré, retransmettant les ordres de la base, ainsi que la situation minute par minute, rien ne peut me faire dévier de mon job, les tirs ne faiblissent pas, au contraire.
Les Serbes ont décidé de sortir les grands moyens en tirant avec la 14,5 mm en batterie sur nos positions et arrosant les Bosniaques au passage.
2 soldats déboulent dans le baraquement, me faisant sursauter. « Je ne peux pas, j'ai des gosses, je ne veux pas crever ici ! » dit l'un d'eux complètement paniqué.
Je me lève et m'approche d'eux, ils sont en panique, cherchant par tous les moyens à échapper à la mort. Cherchant à les rassurer je leur balance :
« Restez ici, vous ne risquez rien! »
Un des types avait eu une formation de radio, je lui propose alors de me remplacer.
« Continue à suivre la situation avec ton collègue, n'oublie pas de tout noter! »
« reçu, caporal chef » me répond-il .
Je laisse donc ma place, sans savoir pourquoi je fais ça,... il a des gosses bordel..., je ne peux pas le laisser prendre de risques, moi aussi j'en ai, mais je ne réfléchis plus, je n'ai plus aucune notion du danger, il ne peut rien m'arriver.
Toutes peurs, toutes appréhensions ont totalement disparu. J'ai été formé pour ça, c'est mon devoir de soldat et je ne peux faillir.
Me voilà donc équipé, le casque vissé sur le crâne, le gilet par balles, un véritable pare balles celui-ci, mon Famas et tout mon équipement. Sans hésitation, je m'engage dans la nuit éclairée par les innombrables projectiles, pour rejoindre le premier baraquement à 20 mètres de ma position. Un soldat y est également présent à cet endroit, le dos vissé au mur de sacs de sable. Il tremble comme une feuille, tenant son arme contre lui. J'ai tout de suite compris qu'il ne pourrait pas bouger, cloué ici par la peur.
« Ne t'inquiète pas , ça va bien se passer ! »
Il ne peut pas me répondre, il est complètement tétanisé. Je ne sais pas quoi faire pour le rassurer ni même si je dois le faire, c'est un soldat comme moi, pourquoi réagit-il comme ça? Ou alors cette réaction est normale et c'est donc moi qui débloque. Je lui lance :
« Regarde comme c'est joli, on dirait un feu d'artifice ! »
Ce type a surement pensé que j'étais complètement cinglé, moi même j'ai pensé ça au moment où je sortais cette connerie. Un feu d'artifice, n'importe quoi! Le type n'a même pas bronché, il est possible qu'il ait eu plus peur de moi que des balles pour le coup.
J'abandonne mon poste sans savoir où je dois me rendre, je suis là, mais pour faire quoi? Je ne me suis même pas posé la question. Je laisse le pauvre bougre, que j'avais rassuré, enfin que je pense avoir rassuré et je jette rapidement un oeil dans l'angle du baraquement, pour essayer d'analyser la situation.
Les balles se fracassent sur les sacs de sable, ricochant sur les troncs d'arbres. Un peu plus loin, un poste de combat attire à lui seul une concentration importante de balles de par sa position, position prévue pour faire face aux lignes Bosniaques dont les balles s'écrasent sur ses murs, mais qui n'a aucune protection en cas de tirs Serbes qui rentrent dans le poste .
Je ne peux pas voir si la sentinelle a évacué cette position, je suis beaucoup trop éloigné. Si ce n'est pas le cas, il doit sûrement être mort au vu du nombre impressionnant de balles traçantes arrivant sur ce poste de 2 mètres sur 2.
Je veux m'en assurer, il est peut-être blessé, je ne peux pas le laisser à son triste sort.
La peur m'a totalement abandonné. Je bondis à proximité du poste de combat, acculé par les tir et ,dans la pénombre, j'aperçois l'ombre d'un homme en position fœtale, il est au sol, recroquevillé sur lui la tête entre les genoux. Il n'a pas l'air blessé. Les balles passent à quelques centimètres de lui. C'est un miracle d'être encore entier après ce déferlement d'acier qui le frôle depuis de longues minutes déjà.
Il m'est impossible de le laisser ainsi , la chance lui sourit pour le moment mais combien de temps encore, avant que la roue ne tourne en sa défaveur? Pour le rejoindre je n'ai pas d'autre choix que de me mettre à ramper, ce que je fais, péniblement avec mon équipement. Les balles sifflent au-dessus de ma tête, arrêtées dans leur course par un arbre, un véhicule, mais rien ne peut me détourner de cet objectif que je me suis fixé: Il faut que j'aille chercher cet homme, avant qu'il ne soit trop tard. J'arrive enfin à sa hauteur. Il ne bouge pas. Il attend, espérant être épargné. A quoi peut-il penser ?
« Il faut que tu dégages bordel! Vite, donne ta main! »
Il ne bouge toujours pas et je sais que plus de temps je resterai là plus je risque de moi aussi prendre une balle.
« Viens ici bordel, tu vas crever, si tu restes ici, tu veux crever comme un con ? » Je lui lance ,de désespoir, espérant le faire réagir .
Il m'agrippe la main, sans réfléchir je le tire de toutes mes forces. Mais, dans l'action nous nous retrouvons debout encore plus exposés, nous avons alors détalé vers mon point de départ. Il se met immédiatement à l'abri. Nous sommes encore vivants, pas même une égratignure : un véritable miracle!
Pour le coup, je n'ai pas avancé d'un iota, je me retrouve donc à mon point de départ. Je décide donc de repartir et d'emprunter le chemin qu'a pris l'adjudant auparavant. Les tirs sont toujours aussi intenses et il m'est impossible d'avancer sans courber l'échine, rendant ma progression plus difficile que d'accoutumé. Je repère rapidement, à quelques mètres,le véhicule équipé du canon de 20 mm, grâce aux flashs lumineux sortant de ses deux tubes et crachant des dizaines d'ogives à une cadence infernale. Plus à droite, face aux lignes Serbes, le poste avancé, où je m'engouffre sans problème. Je me retrouve avec 3 autres camarades, un caporal, un première classe ainsi qu'un marsouin.
Pas un seul chef de groupe n'est présent, ce qui m'a surpris.
« Salut les gars ! » je leur dis, décontracté
« Caporal chef ! » me répond le caporal
Les deux autres ne m'ont même pas calculé, trop occupés à tirer devant eux avec toute la puissance de feux à disposition, dans un vacarme impressionnant
Moi : « Vous voyez l'ennemi ? »
Le Caporal : « Non »
Moi : « vous tirez sur quoi ? »
« ..... »
Encore moi : « Cessez le feu, nous allons être à court de munitions si vous continuez à tout balancer dans le vide »
Ils cessent immédiatement les tirs, j'en profite pour scruter l'horizon, avec notre dispositif de vision nocturne.
Je leur lance: « Je ne vois rien, pas la peine de continuer à tirer. »
Dans la radio nous entendons notre lieutenant hurler « cessez le feu, cessez le feu !» Les Serbes, malgré l'arrêt brutal de nos tirs, continuent de plus belle à arroser nos positions, puis commencent à faiblir doucement jusqu'à finalement s'estomper.
Les forces Bosniaques, espérant une reprise du combat, continueront les tirs pendant quelques minutes, puis à leur tour, abandonneront.