Alors que le jour touchait à sa fin, les portes et les fenêtres ouvertes de la boulangerie de Pélanges-sur-l'Albane laissaient passer la poussière d’un soleil en fin de course.
La boulangère n’était pas seule. Ce jour-là, une vive apprentie de dix ans saupoudrait la boutique d’une gaieté supplémentaire. Dans ses cheveux fauves, la lumière s’accrochait comme des barrettes. Son envie d’aider la faisait traverser l’espace à pas chassés.
Laëtitia veillait à ce que cette attention soit toujours sollicitée, parce que l’enfant, tout espiègle et pétillante qu’elle était, ne pouvait s’empêcher de tomber dans un profond abattement dès qu’elle était inoccupée. Au moindre instant de calme, on la voyait à la porte, appuyée contre le cadre en bois, fixant la rue d’un regard vide, comme un oiseau en cage qui se prend à penser. Alors la boulangère chantonnait dans sa robe orangée, tout en nettoyant les étagères. Ce jour-là, elle avait l’air d’un soleil qui se serait habillé en femme pour le plaisir d’essayer la vie humaine. Et l’enfant, l’entendant chanter, retrouvait le sourire.
C’est à un de ces instants de tristesse momentanée que l’oiseau s’engouffra dans la boutique, annonçant sa venue de ce rire sans joie par lequel les pies communiquent. Le corvidé ralentit dans un froufrou d’ailes avant de se percher sur un des comptoirs vidés par la gourmandise des villageois.
― Regarde, Elena. On a des nouvelles de Bell !
L’enfant eut un soubresaut, et bondit vers Laëtitia.
La femme mit le doigt devant sa bouche et se pencha vers l’oiseau pour mieux l’entendre. D’impatience, Elena bondissait sur place, sans décoller la pointe des pieds, prête à s’envoler.
― Alors, alors ? chuchota-t-elle, très bas, luttant entre l’envie de savoir et la peur de l’interrompre.
Les yeux de Laëtitia étaient fixes et son expression indéchiffrable, tandis que la pie à son oreille déroulait son récit d’une voix basse et précipitée. Quand la pie eut fini, elle rétablit son équilibre d’un battement d’ailes et se mit à jeter sur les lieux des coups d’œil rapides et intéressés.
― On dirait que ça ne s’est pas passé tout à fait comme prévu…
― Comment ça ?
― La bonne nouvelle, c’est que Bell a réussi à se débarrasser du crabe.
Elena sauta de joie et virevolta dans la boutique, enchaînant pirouettes et galopades. Laëtitia la laissa faire en riant.
― Donc elle va revenir bientôt ?
― Alors, c’est là que ça se complique. Bell a été métamorphosée en louve, et envoyée quelque part à l’Est de la montagne. La pie n’en sait pas plus pour l’instant.
L’effet de cette annonce fut spectaculaire. Bras ballants, la fillette n’était plus que désespoir et consternation.
― Elle est toute seule ?
― Oui. Mais elle a des amis qui la cherchent. Crapouille et un jeune homme.
― Crapouille…
― Une de mes petites chattes. Elle s’est entichée de Bell. Je lui ai proposé de la suivre et de veiller sur elle.
Elena resta d’abord muette, puis éclata :
― Il faut aller la chercher ! Je t’avais dit qu’il fallait aller la chercher. La pie, elle suffit pas à la protéger !
― Du calme, du calme, Elena, Bell va s’en sortir, elle a de la ressource et des amis. Et puis, ce n’est pas à toi de protéger ta grande sœur.
Laëtitia était parvenue à la convaincre qu’il fallait laisser Bell aller au bout de sa quête, et que la suivre jusqu’au Pic Chevelu ne l’aiderait pas. Dire à Elena qu’elle était trop jeune et que c’était dangereux ne servait à rien. Alors Laëtitia avait argué qu’Elena risquait d’avoir toujours une longueur de retard, de ne jamais la retrouver et d’être en plus prise au piège d’un sortilège de la sorcière.
― Mais qu’est-ce que nous on peut faire pour l’aider ? Elle peut pas rester comme ça !
Laëtitia prit un temps pour réfléchir, ce qui exaspéra Elena, qui fixait tour à tour la femme et la pie. Aucune des deux ne semblait s’affoler.
― Courir après n’apportera rien. On va faire mieux que ça. Venez avec moi. J’ai une idée, assura Laëtitia plus lumineuse que jamais. Et après, je te ramène chez toi, reprit-elle en adressant un clin d’œil à Elena.
― Comment ça, chez moi ? s’écria Elena, soudain alarmée.
― Ah, ma puce, tu ne vas pas dormir ici ! À quoi tu rêves ? Tes parents vont s’inquiéter.
― Mais ils s’en fichent, ils ont pas remarqué, répliqua Elena.
― Ça, c’est ce que tu crois ! Non, mais ! À dix ans, se promener toute seule dans les rues de Pélanges ! Et je te conseille de vite expliquer ta conduite et te faire pardonner, sinon tu ne pourras pas revenir demain, et c’est Flappy qui sera triste.
― Bell a eu le droit de dormir chez toi ! tenta la fillette, en dernier recours.
― Bell n’a pas le même âge, compléta Laëtitia.
― Tu vas leur dire d’envoyer quelqu’un chercher Bell ?
― Surtout pas ! réagit Laëtitia. Non, non, je vais leur dire que c’est bien, qu’ils laissent un peu Bell vivre sa vie.
La pie bondit sur l’épaule de Laëtitia, et Elena se laissa emmener hors de la boutique, dans la rue baignée de soleil couchant.
Oh des nouvelles de Laëtitia et d'Elena ! : )
Un petit chapitre qui fait chaud au cœur. C'est drôle, Laëtitia essaye de rassurer Elena et cela fonctionne aussi sur les lecteurices, je me dis "bon, elle n'a pas l'air si inquiète, ça devrait aller pour Bell alors" xD.
A très bientôt !
Cette sorcière est très déplaisante, mais je lui suis cependant reconnaissante d'avoir arraché à Loup l'horrible crabe, c'était une grande satisfaction de le voir brûler.
C'est aussi la première fois que je me demande si le surnom de Bell est une référence à la Belle et la Bête.
Mon espoir et mon attente à ce point de l'histoire : Bell a aidé Loup à se raccrocher à son humanité et à la retrouver, j'espère qu'il en fera autant pour elle (et qu'ils auront beaucoup d'enfants, etc... ;) ).
Merci encore pour tes lectures et tes commentaires.
Le personnage de Bell s'est présenté à moi en s'appelant Bell (sans -e) et je me suis longtemps demandé si ce nom était bien justifié. Il y a un côté Belle et la Bête dans cette histoire, un côté petit chaperon rouge aussi. Et puis dans Bell il y a quand même un truc qui cloche, aussi ^^ Je ne sais pas si c'est ton cas, mais de mon côté j'ai des personnages qui arrivent avec un nom, et qui ne veulent pas en changer !
Je te laisse lire la suite pour voir si Loup parvient à ramener Bell à son humanité. Sinon, les loups, c'est bien aussi ;)
A bientôt !
Je trouve que ce nom se justifie dès le premier chapitre, avec cette réflexion autour des stéréotypes de beauté, et il ne fait qu'ouvrir ensuite des portes vers des références littéraires (j'aime beaucoup ce petit jeu de mot élégant que tu soulève aussi ^^)
Oui, les loups c'est bien aussi, mais la perte de mémoire c'est effrayant (encore un des pires maux du siècle que Bell va expérimenter?)
Hâte de voir comment l'histoire va tourner en tout cas !
Pendant un instant, j'ai eu très peur que Loup avait mangé le chat, mais tout va bien c'était juste le crabe.
L'enchaînement de la transformation de Bell en loup et la transformation de Loup en homme est vraiment bien ! Si on avait eu l'un sans l'autre, ça aurait été étrange mais là c'est bien orchestré ! Egalement, nous gardons le point de vue sur "l'humain" et je trouve ça également intéressant comme concept.
Ca parle beaucoup de vomi dans ce chapitre, je ne sais pas si c'était vraiment primordial de l'avoir en focus et la phrase "la sorcière cracha dans le tas de vomi" me parait un peu violente en description pour la démographie visée (12 ans).
En tout cas, la sorcière me semble être un personnage vraiment horrible, ça me donne envie de lire la suite pour espérer voir lui arriver des horreurs pour la vengeance. Loup fait très enfant sous le contrôle d'un parent abusif.
A très bientôt !
Ah mais tu sais, Crapouille rôdait quelque part pendant toute cette scène, c'est un chat libre et sauvage (dans la mesure où il n'y a pas un bon canapé au coin du feu ou dormir, une caresse à réclamer, ou un casse-croûte à se mettre sous les crocs, bien sûr).
C'est vrai qu'on garde le point de vue sur l'humain. Tiens, ça me donne envie d'écrire à hauteur de renard ou d'écureuil, cette remarque :D.
Pour le lectorat, et vu ce que je réserve pour la suite, je pense de plus en plus qu'un jeune de 12 ans peut lire, mais que c'est un livre plutôt adressé à des ados un peu plus âgés. Je ne dis pas ça qu'à cause du vomi ;)
A vite vite !