Au bout d’un temps, alors qu’il était à mi-chemin entre la ville et le bosquet auquel il pensait, Loup entendit un battement d’ailes, suivi d’un croassement sinistre.
― Loup.
Alfrid ne parlait jamais que sur un ton digne et autoritaire. Il ne s’abaissait pas à interpeller quelqu’un, mais signalait qu’il allait s’adresser à lui. Il manœuvra afin se percher sur l’épaule du jeune homme, plantant ses griffes dans les mailles de sa cape.
― Des nouvelles ? demanda-t-il, d’une voix éteinte qui fit pencher la tête d’Alfrid sur le côté.
Mais Alfrid ne s’embarrassait pas de psychologie, et répondit :
― Tous les oiseaux parlent de Bell. On dirait qu’ils veillent sur elle.
Loup ne put se retenir de sourire en entendant cela. Bell se faisait des amis partout où elle passait.
― Où elle est ?
― Par là.
Et Alfrid désigna du bec une direction vague au fond de la vallée.
― Tu n’en sais pas plus ?
― C’est que les oiseaux assurent tous qu’ils savent où elle est, mais indiquent des endroits différents à chaque fois. C’est par là, affirma-t-il.
― D’accord, mais c’est dangereux qu’elle reste ici. Elle risque d’attirer l’attention.
― Oui. Surtout que les chasseurs sont sortis.
― Qu’est-ce que tu dis ?
Loup se retourna. Ils étaient deux. Leurs fusils sur le dos pointaient de biais vers le ciel de pierre.
― On va avoir besoin d’aide, Alfrid.
― J’y vais.
Il contracta ses serres pour se donner de l’élan, et s’envola dans un froissement d’ailes vers les bosquets, dans la direction opposée aux chasseurs. Loup ne comprenait pas toujours ce qu’Alfrid avait en tête.
― Ils sont partis, Crapouille et Loup ?
C’était calme sur la Fée Follette, ils n’étaient plus que trois, et cela faisait comme des trous d’air dans les endroits où le jeune homme était passé avec sa petite chatte folâtre. Le bateau languissait sur l’eau plate. Mila avait été la première à mettre des mots sur cette absence. Pourtant, ils n’étaient restés qu’une nuit chez eux.
― Ils vont revenir ?
― J’espère, ma chérie.
Cora faisait semblant de lire, mais les signes n’étaient plus que ce qu’ils étaient pour des oiseaux : des traces noires sur le papier blanc. Elle caressa les cheveux de Mila appuyée contre elle, entrelaçant ses longs doigts au milieu des boucles de la fillette comme un bigoudi. Pat regardait l’eau du canal, insipide et paresseuse.
― T’as vu comment ils sont, tous les deux, ils attirent l’attention sans faire exprès. On n’aurait pas dû lui parler de ces chasseurs, maintenant, il va aller les voir et…
Cora ne chercha pas à finir sa phrase. Pat ne se retourna pas. De dos, on aurait cru qu’il n’avait pas entendu. Il se contenta en vérité de froncer les sourcils.
― Je vais y aller, finit par dire Cora, en refermant son livre d'un coup sec.
Elle se leva. Pat demeura quelques secondes perdu dans l’eau trouble, puis il se leva aussi, lourdement. Le bateau eut un sursaut que Mila imita, bondissant sur ses jambes. Pat la souleva comme on ferait d’un paquet de linge et fit mine de dévorer son ventre rond. La fillette éclata de rire et se tordait encore quand il la reposa à terre.
― Bouge pas, c’est ma bourde. Je prends un parapluie, je vais faire un tour, fit-il, de la voix bourrue qu’il avait quand il était contrarié.
― Prends-en deux, c’est pas une petite averse qui va nous arriver, conseilla Cora.
Quand il sauta par-dessus le bastingage, le bateau se trémoussa en laissant échapper des trémolos de joie.
Bell bâillait tout en se léchant les babines. Du sang tachait la mousse et les feuilles mangées par l’hiver passé. Elle savait qu’une autre elle-même se sentirait coupable pour le lapin, mais elle n’aurait pu dire qui était cette autre.
Cette autre était comme un gouffre qui ne cessait de se creuser et dans lequel elle risquait de glisser à tout instant. La seule chose qu’elle pouvait faire contre cela, c’était de ne pas y penser, ce qui n’arrangeait rien. Les oiseaux s’étaient remis à piailler. Certains se faisaient la cour, d’autres commentaient l’état du ciel, d’autres encore se plaignaient de ne pas trouver suffisamment d’arbres où se poser, ou qu’aucun n’était à leur goût. Et puis, ils parlaient de Bell :
― Mais si, Bell, tu te rappelles, c’est le pinson qu’a dit qu’il fallait pas la perdre de vue, dit l’un.
― Tu crois ce que disent les pinsons, toi ? Moi, je pensais que c’était une pie, répondit un rouge-gorge, en se tournant vers la première pie qui passait par là.
― N’importe quoi, c’était un rouge-queue noir, répliqua celle-ci d’un air savant. D’ailleurs, je l’ai pas écouté, leur voix m’insupporte.
― Quiak quiak quiak, toi, de toute façon, tu critiques tout le monde, fit le pouillot véloce.
― C’est qui, Bell ? interrogea le merle.
― Là, le loup, tu vois bien ! répondit un moineau en bombant la poitrine.
― Bah les loups, moi je dis, c’est pas beau, ils ont pas de plumes, pas de couleurs, ils sont trop gros, siffla la mésange d’un air futé. Pourquoi on l’appelle Belle ?
― Oh, celle-là, faites-la taire, supplia le moineau, toujours un peu jaloux.
― Si vous parlez tous en même temps, on s’en sortira pas, se plaignit le choucas, mais personne ne l’écouta.
― Eh ! il y a un vieux corbeau qui m’a posé des questions, aussi ! reprit le pouillot véloce.
― Qu’est-ce que tu lui as répondu ?
― J’ai oublié. Il m’a fait peur, alors j’ai dit n’importe quoi, et je suis parti.
― Bell, tu vas où ? chanta le coucou, en recouvrant de sa voix profonde le vacarme des autres.
― Nulle part, je regarde, se défendit Bell, tâchant de masquer à quel point cette bande de nourrices bruyantes et volatiles l’exaspérait.
La nuit tombait à peine, pourtant le ciel se couvrait de nuages si sombres qu’on aurait cru le soir plus avancé. À l’intérieur de la ferme, des lueurs de lampes et de bougies se multipliaient à tous les étages. Vacillantes, illuminant les fenêtres, elles témoignaient de la tiédeur du foyer qui se dissimulait derrière les murs, à la manière des photophores qui, sous prétexte de maintenir la flamme d’une bougie, la dérobent en partie au regard. Bell fut longtemps captivée par ce foyer. La vue de toute maison illuminée lui plaisait toujours, et elle était tentée de s’approcher dans l’espoir vague d’être happée par un de ces rayons de chaleur et d’amour. Ceci n’était pourtant pas envisageable à ce moment, et les oiseaux veillaient à le lui rappeler. Elle détourna son regard pour scruter ce qui descendait la vallée depuis la ville. Parce qu’il y avait bien quelque chose.
Était-ce parce qu’ils brûlaient d’un éclat inhabituel, ou parce que la vue de Bell était particulièrement perçante ? Il lui sembla que deux lueurs, comme des lucioles qui volettent à l’unisson, dans un léger mouvement de balancier, s’avançaient vers elle. Parfois, elles disparaissaient, puis reparaissaient quelque temps plus tard, plus vives, plus dansantes, balayant l’horizon à la manière des phares qui scrutent la mer. À un moment, le feu passa sur elle sans s’arrêter. Bell se leva et fit quelques pas sous les frondaisons. C’était un homme qui marchait, vêtu d’une cape. Elle n’en percevait que la silhouette brune et les yeux d’or.
Les oiseaux pouvaient bien s’égosiller, Bell ne les entendait plus. Tout la poussait à s’avancer. Tout était gris, à l’exception de la maison et des yeux qui dansaient dans la pénombre. Sans faire de bruit, Bell se glissa hors du bosquet aux oiseaux et s’avança, non pas tout droit, mais de biais, afin de ne pas être vue. L’homme arriva à hauteur de la ferme, elle y était aussi, derrière un angle, et respirait à peine. Un grand oiseau tournoya autour de lui, se posa un instant sur son épaule, puis s’envola à nouveau, vers le massif. Elle attendit qu’il disparaisse, puis s’immobilisa. L’homme tenait dans ses bras un paquet qu’il semblait chérir comme s’il s’agissait d’un tout petit enfant. Bell l’observa, puis elle eut un sursaut. Les deux lueurs s’éteignirent. Elle se demanda soudain ce qu’elle faisait là, si près des humains, de leurs habitations, des rôdeurs. Il valait mieux partir.
Pourquoi serait-elle restée ? C’étaient les lumières qui l’avaient attirée. Il n’y en avait plus. Les oiseaux s’approchaient. Tous les oiseaux, ceux qui avaient été dans le bosquet, et d’autres, encore. Ils étaient plus nombreux, cinq ou six corbeaux volaient devant, criant à qui mieux mieux des messages contradictoires, certains lui conseillaient de s’en aller, d’autres de ne pas bouger. Ils commençaient à la fatiguer. L’inconnu avait relevé la tête et semblait écouter, comme s’il pouvait comprendre ce que les oiseaux répétaient. Au comble de l’exaspération, Bell fit demi-tour et s’élança par où elle était venue. Mais une détonation couvrit les cris et retentit dans l’espace. Les oiseaux se dispersèrent. Elle se figea. L’homme tomba à genoux, mais ne lâcha pas le paquet qu’il avait dans les mains. Il fallait partir.
― Bell !
― T’es bête, pourquoi t’as fait ça ? demanda Vik, d’une voix plate.
Morice avait tiré. Il avait tiré vite, mal, et sans prévenir. C’était ainsi que Morice agissait : par impulsion et sans consulter personne. Il avait toujours cru qu’être le plus âgé, c’était être celui qui parlait le plus fort, attirait le plus l’attention, passait à l’action avant les autres. Il se flattait d’être le premier en tout, sans s’inquiéter du fait que personne n’avait accepté de concourir contre lui. Vik ne jouait pas au plus fort, mais il ne pouvait s’empêcher de ressentir une légère irritation chaque fois que Morice se donnait des airs de chef.
― Je lui fais peur, je le tue pas.
― Tu vois bien qu’il est touché. À cette distance-là, tu peux pas savoir.
― Je fais pas exprès, j’arrive pas à tirer à côté, même quand je me force.
Un mouvement d’impatience déforma un instant le visage de Vik. Il supportait mal cette manière qu’avait Morice de se vanter à toute occasion. S’il avait manqué sa cible, il aurait affirmé qu’il l’avait fait en toute conscience. Morice, insensible aux états d’âme de son frère, prit un air spirituel et poursuivit :
― Zia nous a pas tout dit.
― C’est pas une raison. S’il meurt, on pourrait avoir des problèmes.
Morice balaya l’idée d’une moue moqueuse.
― Tu parles, un vagabond ! Personne demandera où il est, tu peux être sûr ! Et puis, tu vas voir, il s’est enfui tout à l’heure. C’est un froussard, il va tout avouer dès qu’il se sentira en danger.
― J’y crois pas trop, moi, qu’il est lié aux disparitions. C’est juste un type bizarre qui passe, marmonna Vik.
― Si tu crois ça, pourquoi t’es venu, alors ?
Vik haussa les épaules d’un air maussade et murmura :
― Moi, je traque les bêtes, pas les hommes.
― Un faux bigleux qui se balade avec une peau de loup, continua Morice, sans l’écouter, qui entre tout seul dans la taverne pour poser des questions sur nous, sans boire, et vend sa peau pour donner tout l’argent à des mendiants. Je te dis qu’il a parlé au corbeau, tout à l’heure. C’est un sorcier.
― C’est le corbeau apprivoisé qu’il a racheté au gamin. Il connait sûrement un truc pour le faire venir. Et ton plan, si c’est de le menacer pour le faire parler, je pense pas que ça marche. Zia s’y est prise comme ça, elle a pas réussi…
― Zia, c’est qu’une enfant de quinze ans, coupa Morice d’une voix mordante. Elle fait peur à personne, elle fait juste pitié.
― Si c’est un sorcier, faudrait éviter de le mettre en colère, continua Vik sans relever la raillerie.
― Si je te connaissais pas, je te prendrais pour une mauviette, grimaça Morice.
― T’es vache, répartit Vik d’une voix plate.
Humilier les gens était la manière qu’avait Morice de les forcer à faire ce qu’il attendait d’eux. Vik n’était plus dupe, et Morice avait perdu l’intérêt de jouer avec lui. Il s’amusait avec d’autres souris.
― Regarde, plutôt !
Bell ralentit d’abord, avant de s’immobiliser. Elle avait déjà entendu cette voix. Elle se retourna et ne vit que des yeux. Deux lampes couleur d’ambre qui la fixaient sans ciller.
― Je te connais, affirma Bell, mais c’était un peu dit sur le ton d’une question.
Bell n’était plus sûre de rien. Si elle se souvenait de son propre nom, c’était seulement parce que les oiseaux n’arrêtaient pas de le répéter. Ils continuaient, d’ailleurs, tournant tout autour d’eux en criaillant si fort que Bell se rapprocha du jeune homme pour mieux l’entendre.
― Je suis Loup. Tu me connais. Bell, mets-toi à l’abri, il y a des chasseurs. Dépêche-toi.
Mais Bell n’avait peur de rien. Ce n’était pas toujours une qualité. Elle ne bougea pas.
― Tu es blessé, constata-t-elle, se lêchant les babines à l’odeur du sang.
Le jeune homme jeta un regard rapide sur son bras. La balle était passée tout près en ne faisant que l’érafler. Un nouveau coup de feu pouvait éclater à tout moment. Mais si Bell restait, il resterait aussi. S’il s’éloignait à ce moment-là sans avoir suffisamment parlé à Bell, il risquait de ne jamais la retrouver.
― C’est rien. Une égratignure. Il faut que tu t’en ailles, Bell, retourne te cacher. Je reviendrai dans la nuit.
― Si je pars tout de suite, je vais oublier de t’attendre, répliqua Bell sur un ton pragmatique qui ne la quittait pas.
Il se passa un temps que le silence ne put occuper. Le vacarme des oiseaux grandissait. Ils décrivaient des cercles autour d’eux et commençaient à former une sorte de cloche. Seul Loup s’en étonna. Bell n’y prêta pas attention. Elle se décida à se confier, même s’il était encore un inconnu. Ou plutôt parce qu’il était un inconnu, parce qu’il avait l’air d’attendre qu’elle lui dise quelque chose.
― Loup, j’oublie tout.
― C’est normal, ne t’en fais pas, dit Loup pour la rassurer, mais il ne pouvait cacher qu’il avait peur aussi.
Bell ne s’y trompa pas, et resta face à lui, sans reculer, sans s’approcher non plus. Le nom de « Loup » lui rappela son échange avec la pie, ainsi que quelques souvenirs épars. Ces yeux aussi, elle les avait déjà vus, mais elle ne savait plus où ni quand. Ce corps inconnu l’intimidait. Comment pouvait-on être la même personne dans un corps différent ? Elle n’était plus la même depuis qu’elle était louve, alors, si la pie disait vrai, pouvait-il être celui qu’il prétendait être ? À qui parlait-elle ? Si l’attachement qu’on avait pour quelqu’un n’était fait que des souvenirs des émotions ressenties avec cet être, ajoutés les uns après les autres sur le fil de la mémoire, ces souvenirs existaient-ils indépendamment du corps qui les avait vécus ? Si notre corps changeait trop, qu’en était-il de nos souvenirs ? Et si notre mémoire faisait défaut, que restait-il ? Des impressions perlées qui roulent dans l’esprit, et qu’on retrouve au hasard sans plus savoir d’où elles viennent ni qu’en faire ?
De ces yeux-là lui venait le souvenir d’un rire un peu rauque qui l’avait surprise, d’une fourrure épaisse aux reflets argentés, de paroles chuchotées dont ne demeuraient que des vestiges de tendresse sur un cœur qui s’effrite.
― Je peux pas partir, conclut-elle.
― Je te retrouverai.
― Peut-être pas. Qu’est-ce que tu as dans les bras ? demanda-t-elle, sans transition, voyant qu’il lui dérobait son regard pour s’occuper du paquet qu’il tenait bien serré.
― C’est Crapouille. Elle a eu un accident.
― Crapouille, répéta Bell, pour le plaisir de dire.
Elle s’approcha, cette fois, sans réfléchir. Crapouille, c’était un petit nom d’amour qui lui faisait du bien. Dès qu’elle vit ces pattes blanches, ce museau rose sous la fourrure satinée, elle eut un mouvement d’affection qu’elle ne put réprimer, posa ses deux pattes avant sur les bras de Loup et se mit à lécher la tête close de la chatte endormie. Il y avait du sang dans ses poils. Bell décida de laver ce sang. Crapouille se retrouva bientôt tout humide. Elle détestait être trempée, et son visage se ferma davantage. Au dernier coup de langue, elle s’était retournée pour cacher sa tête dans le coude de Loup et échapper aux assauts de Bell. Sentant Crapouille bouger, Loup posa la main sur la joue duveteuse de la louve pour lui signifier d’arrêter. Un sourire s’était allumé en lui comme la flamme timide d’un briquet, et commençait d’illuminer tout son être. Bell s’immobilisa.
― Bah ! je suis toute mouillée, c’est horrible…
Vik remarqua d’abord les oiseaux regroupés comme une nuée d’insectes encerclant l’étranger. Ce n’est qu’après, à travers le rideau sombre qu’ils formaient en volant, qu’il s’aperçut qu’ils étaient deux. Il y avait un loup face à l’inconnu agenouillé. Vik saisit son fusil et s’appliqua à bien viser. Il était un peu loin et les oiseaux pouvaient l’empêcher d’atteindre sa cible, mais si la bête restait immobile, il avait une chance de l’avoir. C’était ce qu’il se disait quand la main de Morice se posa sur son arme, avec cette douceur charmante qu’il adoptait parfois.
― Tu vas le rater, et il va s’échapper par ta faute, laisse-moi faire, chuchota-t-il, d’un ton protecteur.
Vik n’eut pas le temps de protester, car Morice s’était déjà avancé. Vik hésita avant de se résoudre à suivre son frère. Quand il le rejoignit, Morice avait mis l’animal en joue. Presque rien n’avait bougé. La cible s’était rapprochée de l’étranger. Ils se touchaient.
― Attends, Morice, je le sens pas. C’est pas un loup.
― La poisse, il commence à pleuvoir, pesta Morice, sans l’écouter. Tais-toi, Vik, je me concentre.
Morice était un expert, il savourait déjà le moment où il montrerait aux autres le corps de ce loup si calme, si docile, qu’il paraissait offert sur un plateau. Vik n’aurait pas dû le laisser prendre sa proie. Morice savait bien que son frère tirait aussi bien que lui, mais il s’agissait de faire croire à tous, Vik y compris, que Morice était le meilleur. Là où il était certain que ce dernier surpassait tout le monde, c’était dans l’aplomb.
Il s’apprêtait à faire feu quand il fut surpris par un déplacement d’air qui le glaça. Le froissement d’ailes vint plus tard. Une ombre tomba sur lui, et se matérialisa sous la forme d’un vieux corbeau immense, au plumage ébouriffé. Il se posa avec dignité sur le canon et tourna la tête pour jauger Morice d’un œil sombre et énigmatique. Morice avisa l’oiseau, ahuri. Depuis quand les corbeaux agissaient-ils ainsi ? Quand il l’eut bien observé, le volatile bondit sur l’arme, comme pour jouer. Morice essaya de secouer le fusil pour l’effrayer, mais il s’accrochait.
― Vik, qu’est-ce que tu fous ? Aide-moi à me débarrasser de ce piaf !
Vik eut la présence d’esprit de ne pas obéir, et se contenta de reculer d’un pas. Alfrid choisit son moment, quand la stupeur fut à son comble et que Morice, excédé par la passivité de son frère et la persistance du corbeau, ne sut plus quoi dire, ni quoi faire.
― Bonjour, articula l’oiseau d’une voix monocorde et veloutée.
C'est un vrai bonheur de retrouver Bell et Loup dans ce chapitre qui les rassemble enfin. La scène est très touchante et très tendue en même temps, avec ces deux chasseurs qui les tiennent en joue. A ce propos, ce duo de chasseur est excellent : drôle mais sans tomber dans le ridicule ou le caricatural. On sent bien que l'aîné est pris dans un rôle qui entrave son bon sens, le plus jeune a l'air plus mesuré.
J'admire toujours la manière dont tu traite le sujet de la métamorphose : la mémoire des émotions qui reste forte tandis qu'il ne reste des autres que des bribes, mais aussi la réflexion sur le lien entre corps et identité.
Et pour finir : c'est un grand soulagement d'entendre la voix de Crapouille !
Voici les trois phrases que j'ai relevée :
"― Nulle part, je regarde, se défendit Bell, tâchant de masquer à quel point par cette bande de nourrices bruyantes et volatiles l’exaspérait." -> un "par" en trop
"La vue de toute maison qui illuminée lui plaisait toujours, et elle était tentée de s’approcher par l’espoir vague d’être happée par un de ces rayons de chaleur et d’amour." -> un "qui" en trop et répétition de "par"
"J’y crois pas trop, moi, qu’il est lié aux disparitions." -> qu'il soit lié ?
Je pars découvrir la suite (difficile de rester là-dessus)
A très vite
Merci beaucoup pour ce retour, je suis ravie que ce chapitre t'ait plu. Merci aussi pour les coquilles, ça m'a donné l'occasion de relire attentivement cette partie-là, et en effet, il y avait quelques modifications à apporter ^^ Je me suis beaucoup amusée avec Vik et Morice, mais je commence à avoir un peu d'affection pour Vik ^^ Je pense le reprendre pour la suite.
A tout de suite !