Loup était près d’étouffer lorsque Pat, relâchant brutalement son étreinte, le laissa retomber, hébété et pantelant comme une poupée de chiffon.
― Tu m’expliques ? Qu’est-ce que tu faisais à te pavaner avec un loup devant un acharné comme Morice ?
― Je me pavanais pas… se défendit Loup, en reprenant son souffle.
― Quand même ! insista Pat. Heureusement qu’il faisait presque nuit et qu’il pleuvait. Personne n’a bien vu, mais c’était quoi, ces oiseaux ? Tu sais que tu pourrais avoir des ennuis ?
― C’est le printemps. Les oiseaux sont un peu fous, au printemps…
Pat lui jeta un regard sévère et soupçonneux, qui lui fit entendre qu’il était inutile de dissimuler.
― J’ai suggéré à un corbeau qu’on avait besoin d’aide, lâcha-t-il.
― T’aurais pas pu t’adresser à un moineau ? répliqua Pat, d’une voix caverneuse.
Déconfit, Loup se contenta de détourner le regard et de hausser les épaules. Il ne perçut pas le demi-sourire qui, comme un éclair, tordit la lèvre de Pat. Seule Bell s’en aperçut. Pat reprit d’un air bougon :
― Morice va t’accuser. Heureusement, tout le monde ne croit pas ce que dit Morice, et Zia et moi, on dira pas tout. Il faut pas qu’on te revoie par ici pendant un certain temps, compris ? Ça va se tasser, j’espère. Si tu pouvais éviter de te promener avec un corbeau bavard et sanguinaire, aussi, ça aiderait…
Il se tourna vers Bell, avec un sourire crispé, où la tension de la soirée avait laissé des traces d’inquiétude, aux coins des lèvres :
― Bonjour, Bell, ravi de te rencontrer sur deux pattes.
Il essayait de faire de l’humour. Bell ne se sentit pas obligée d’imiter cette bonne humeur qui lui semblait fausse. Elle leur aurait fait mal, à tous les deux. Alors elle décida de se lever et prit la grosse main de Pat dans la sienne, pendant un temps suffisamment long pour que la tension s’atténue.
― Merci. Pour ce que vous avez fait, tout à l’heure. Comment vont-ils ?
Une convulsion courut dans le bras de Pat, et il serra plus fort la main de Bell dans la sienne, d’un geste rapide, presque timide. Il croisa un instant le regard bleu de la jeune fille et grommela quelque chose, qui se finit en phrase.
―… pour Vik, surtout. La balle n’a pas touché d’organe vital, mais…
Le regard de Pat se perdit dans la flamme de la lampe. Il lâcha la main de Bell, qui retomba. Loup la rattrapa et la serra dans la sienne.
― Il a perdu beaucoup de sang. Morice va perdre un œil et peut-être une jambe, mais il va s’en remettre… ajouta-t-il, plus vite, plus durement aussi.
Bell tressaillit. Pat ne le vit pas. Il haussa les épaules et ajouta de sa voix bourrue d’ours des cavernes :
― Je l’ai vu pointer son fusil sur vous. Il l’a cherché. Honnêtement, celui-là, je veux bien l’emmener chez le médecin, mais de là à avoir pitié de lui…
― Je peux…
Bell s’interrompit parce que sa voix était redevenue anormalement aigüe. Loup tourna vers elle un regard interrogateur. Elle rougit. Elle avait lu tous les livres de médecine qui lui étaient tombés sous la main. Elle déglutit, mais oublia de respirer.
― Je peux aider le médecin. Vraiment. Il peut pas tout faire tout seul.
― Tu restes ici.
Pat avait froncé les sourcils et écarté l’idée d’un mouvement brusque de la tête. Sa voix craqua comme une branche morte.
― Bell, c’est pas ta faute, murmura Loup.
― Bien sûr que si ! protesta Bell.
Loup serra sa main dans la sienne, soucieux. Pat culpabilisait. Lui aussi. Zia aussi. Et maintenant Bell. Peut-être Vik pouvait-il de la même manière s’inventer une manière de culpabiliser, et Morice avait bien sûr des raisons de s’en vouloir. S’en voulait-il ? Pour être entré dans une telle rage après avoir tiré sur son frère, sans doute. En fin de compte, ne pouvait-on réserver la culpabilité qu’au mal commis volontairement ?
Il restait que Morice avait bien eu l’intention de s’en prendre à Loup. Et Bell à Morice. Et elle s’en souvenait. Il faillit passer la main dans ses cheveux encore humides, mais se retint.
― Si tu n’étais pas intervenue…
Il ne termina pas sa phrase.
― Morice aurait tué Loup, acheva Pat d’une voix sombre. Il en est capable, tu sais. Pour lui, il y a des êtres qui comptent moins que d’autres.
Bell ne répondit pas. Elle sentit la fatigue la submerger. Les voix n’étaient plus qu’un bruit mat et distant. Pat continuait de parler, mais elle ne comprenait plus ce qu’il disait. Loup passa sur son front une main légère et fraîche, et elle entendit à nouveau clairement la voix de Pat, lourde et puissante à faire trembler le navire.
―… n’a besoin de personne et gère la situation. Je passerai demain matin pour prendre des nouvelles des garçons. Je veux que vous vous reposiez, ce soir. Vous mangez, et puis au lit. Même heure que Mila. Pas de discussion.
Loup tenta d’étouffer un rire qui jaillit sans crier gare, à la façon d’une seule grosse pierre, qui tomba d’un coup et se perdit dans la pénombre.
Pat ne fit pas attention à ce drôle de rire qu’avait Loup, même si c’était la première fois qu’il l’entendait. Sa voix reprit soudain un ton lumineux, ses yeux d’enfant refirent surface, ses gestes devinrent tendres et câlins :
― Oh ! Mais c’est Crapouille ? s’exclama-t-il en prenant la petite chatte dans ses grosses mains. Comment elle va, ma crapouille toute douce, ma fripouille, ma crapule, viens là que je t’embrasse, ma pauvre. Dire qu’on te fait sortir par un temps pareil. C’est pas une vie de chat, ça devrait être interdit. C’est le grand méchant Loup qui te fait des misères ! fit-il, en adressant un clin d’œil à Loup, content de son bon mot.
Bell sourit en voyant Pat plaquer un baiser sur le flanc de Crapouille et la caler juste sous son menton. Celle-ci ronronnait de satisfaction.
― Bah quand même. Depuis tout à l’heure, personne s’occupe de moi…
― Bon, c’est pas le tout, reprit Pat, mais il est pas question de rester debout le ventre vide. Allez rejoindre les deux femmes de ma vie, j’arrive.
Et, tenant Crapouille contre sa joue, il les envoya sur le pont.
La soirée se termina dans une ambiance joyeuse et bon enfant. Mila adopta aussitôt Bell. Elle vint se lover contre elle et lui posa tellement de questions à la suite qu’elle en oublia d’attendre les réponses. Bell s’émerveillait de la vie que menaient Pat et Cora sur la Fée Follette, autant que du fait qu’ils étaient des amis de Laëtitia. Crapouille eut son lot de caresses, et le bateau se joignit à la bonne humeur générale en se dandinant sur le canal.
Au bout d’un certain temps, Cora quitta le navire, en emportant le reste de la tarte et en souhaitant bonne nuit à tout le monde. Elle tenait à voir Zia avant qu’il soit tard. Mila commençait à s’endormir au milieu des coussins. Pat la hissa dans ses bras et l’emmena dans sa chambre, roulée en boule sur son épaule. Bell et Loup débarrassèrent la table et revinrent sur le pont pour discuter. Bell voulait savoir tout ce qu’il s’était passé depuis qu’ils s’étaient séparés, sur la montagne. Elle luttait contre l’envie de dormir pour ne rien perdre de cette soirée. Mais la fatigue pesait lourdement sur ses paupières, et elle commençait à ressentir des courbatures dans tous ses membres. Les bougies se noyaient dans leur cire. Un écran de fumée voilait l’intérieur des lampes-tempête. Un vent vif et moqueur s’infiltrait par les interstices de l’auvent. Et pourtant, pire que Mila, elle continuait de poser des questions. Loup répondait. À un moment, il eut l’idée de rabattre la capuche du tricot rouge de Laëtitia sur la tête de Bell, pour s’amuser. Elle lui retombait sur les yeux. Le sommeil faillit la vaincre à cet instant. Elle enfouit le bout de son nez glacé dans le creux du cou de Loup, qu’un joyeux frisson parcourut. Il l’étreignit doucement.
― Je suis content que tu aies décidé de redevenir humaine, chuchota-t-il.
Bell n’eut pas le temps de répondre, parce que c’est à ce moment-là que Pat s’approcha, faisant danser le navire à chaque pas.
― Il n’y a de la place que pour une personne, sur la banquette. On peut mettre un matelas par terre, dans la pièce de vie. Ce sera un peu étroit, mais ça ira, annonça Pat de sa voix à réveiller les morts. Vous m’aidez ?
― Oui, répondit Bell, se libérant à regret des bras du garçon.
Sa bonne humeur semblait n’avoir pas de fin, ce soir-là. Le navire possédait des coins de rangement improbables d’où chacun tirait joyeusement un matelas, des couvertures et des oreillers.
Loup aurait aimé dormir avec Crapouille, mais Crapouille l’ignora et, par fantaisie, s’en alla d’un pas léger gratter à la porte de la chambre de Mila, jusqu’à ce que la fillette lui ouvre. Bell étouffa un rire sous sa couverture en entendant Loup traiter la petite chatte d’ingrate.
Les flammes des lampes avaient été soufflées, pourtant toutes les lumières n’étaient pas éteintes. Deux lueurs aux tons de miel dansaient encore au milieu de la pièce. Bell ne pouvait se sentir perdue tant que Loup était près d’elle avec ses yeux d’or, même si lui-même ne savait pas où il allait, et s’en remettait à elle. Cette pensée la fit sourire.
― Bonne nuit, souffla-t-elle, et ce souffle descendit vers Loup, et l’enveloppa.
― Bonne nuit.
Le lendemain fut lumineux. Les rideaux avaient été tirés, mais ils étaient fins et jaunes. On y voyait comme en plein jour. Mila avait été la première à se réveiller. Pat l’emmena rapidement sur le pont du bateau, en marchant sur la pointe des pieds, ce qui fit bruyamment craquer le plancher. Cora était rentrée tard. Elle dormait encore. Loup aussi.
Un loup ne dort jamais vraiment, il reste aux aguets, même quand il est au repos, même quand rien ne semble donner l’alerte. Bell avait été louve pendant trois jours, et elle sentait encore comme ses muscles se tendaient au moindre souffle de vent. Loup avait été loup pendant des années. Il goûtait ses premières nuits paisibles depuis longtemps. Le bateau les berçait, prévenant. Il n’était qu’à quelques pas. Toujours au chaud sur sa banquette, Bell l’observa. Ses cheveux bruns retombaient sur ses yeux. Quelques mèches argentées frisottaient au milieu des autres. Deux rides traçaient un délicat sillon sur la peau fine de son front. Pour autant, l’enfance jouait encore sur ses traits. Quel âge avait Loup ? N’avait-il pas vieilli aussi bien qu’un loup, durant ces années qu’il ne pouvait pas compter ? Voyait-elle son visage tel qu’il l’était pour les autres, quand il dormait, ainsi ? Mais cette question ne pouvait pas trouver de réponse. La veille, son visage avait été à demi voilé par la pénombre, elle avait surtout perçu ses yeux, ses yeux qu’elle connaissait déjà. Ce matin, elle voyait le visage, sans les yeux. Une drôle de curiosité monta en elle, comme un doigt levé, de savoir comment était Loup sans le don de vision qu’il lui avait offert. Mais cela n’avait pas de sens, de se poser cette question. Sans le cil du loup, elle serait myope. Tout de même, avec des lunettes, s’aventura-t-elle à penser, avant de balayer l’idée d’un battement de paupières. Après tout, ça n’avait pas d’importance.
Elle se leva en faisant le moins de bruit possible, et rejoignit Pat et Mila sur le pont.
Ce fut Mila qui réveilla Loup. Elle entra en coup de vent dans la pièce à vivre et sauta brutalement sur lui, s’enroulant sous les couvertures.
― Moi aussi, je veux dormir par terre ! Maman, cette nuit, est-ce que je peux dormir par terre ?
― Tu as ta chambre, ma chérie, répondit Cora au milieu d’un bâillement. Laisse-le tranquille, il dort !
Bell et Cora s’appliquaient à retirer l’auvent, tandis que Loup, à l’intérieur de la cabine, se cachait encore sous les couvertures, tentant de faire abstraction de Mila et de Crapouille qui bondissaient sur lui. La lumière du matin jaillit, haute et claire, par la porte grande ouverte. Bell et Cora allaient en venaient dans la cuisine. Il dut abandonner tout espoir de repos prolongé quand Pat fit une entrée tonitruante, les bras chargés de pain frais pour le petit déjeuner. Le bateau se trémoussa en grinçant.
― Loup, viens vite. Sinon on va tout manger.
― J’arrive, répondit Loup d’une voix pâteuse.
Il rejoignit les autres sur le pont. Ils étaient tous assis autour de la table basse.
― Alors ? demanda Bell à l’adresse de Pat.
Pat avait l’air de bonne humeur. Bell était moins inquiète.
― Vik est hors de danger. Beaucoup de repos, et ça ira bien. Morice va boiter et ne pourra plus tirer sur rien. C’est pas plus mal comme ça. La faute à ton corbac, ajouta-t-il, à l’adresse de Loup. Il arrête pas de pester contre les corbeaux, maintenant…
Bell vit que Pat faillit ajouter quelque chose, mais se mordit la lèvre. Soulagée, Cora reprit :
― Bon. Tant mieux. Au fait, Loup, j’ai rencontré Joey, chantonna-t-elle, en versant du thé dans la tasse que Loup tenait paresseusement entre ses mains.
― Comment va-t-il ?
― On dirait que sa mère, lui et Zia ont décidé de vivre ensemble.
À cette annonce, Loup faillit avaler son thé de travers et Bell, à qui Loup avait tout raconté de sa mésaventure avec Zia, pouffa de rire.
― C’est bien, commenta-t-il après une quinte de toux, de sa voix la plus neutre possible.
― C’est un amour, surtout. Joey, je veux dire, ajouta Cora en souriant de la mine déconcertée de Loup. Par contre, Pat, il faut qu’on les aide. Ils n’ont rien.
― Comment ça ?
― Apparemment, le père de Zia avait des dettes… Elle a été obligée de vendre les meubles. La chasse ne lui rapporte pas assez.
― Des dettes ? interrogea Pat en fronçant les sourcils.
― Les dettes, c’est facile à inventer une fois que les parents ne sont plus là, déclara Cora. On vérifiera ça avec elle.
― Hmm. T’as récupéré le parapluie ?
― Tu penses, elle a dit qu’elle l’avait perdu, j’ai laissé couler, répondit Cora dans un éclat de rire.
Pat roula des yeux vers le ciel.
Dans l’après-midi, un vieux corbeau se percha sur le toit de la cabine en croassant pour signaler sa présence. Il n’aimait pas attendre, mais il patienta quand même. Il y avait certains humains pour qui cela valait la peine. Il fit quelques pas sur le toit. On entendait ses griffes claquer contre le bois.
― Alfrid !
Le corbeau s’approcha du bord et vit l’ami qu’il attendait. Il se laissa tomber du toit et atterrit sur le bras de Loup en ne battant qu’une fois des ailes. Alfrid savait économiser les efforts.
― Merci pour ton aide, Alfrid.
Le corbeau, en guise de réponse, croassa, redressa la tête et bomba le torse. Toute parole lui semblait dégradante, à ce propos.
― Est-ce que je peux te demander encore quelque chose ?
― Dis-moi.
Loup tira de sa poche un objet. Une dent de loup montée en pendentif.
― Je voudrais que tu donnes ceci à Zia. Tu peux faire ça ?
― Qui ?
― La fille qui m’a attaqué dans la ruelle.
L’oiseau se pencha pour observer le talisman en tournant la tête à droite et à gauche, pour le voir de ses deux yeux. Avec une délicatesse inaccoutumée, ne faisant qu’effleurer la paume de Loup, il saisit la lanière entre ses doigts griffus.
― Est-ce que tu peux veiller sur Joey ? Il a besoin de toi.
― De loin, concéda le corbeau, d’une voix que la simple évocation de l’enfant avait rendue plus lente, moins râpeuse.
À la manière de Joey, Loup caressa l’oiseau avec le dos de sa main, pour que sa sueur et son odeur ne l’incommodent pas. Alfrid se laissa faire dignement, resserrant par à-coups sa patte sur la lanière du pendentif.
― De loin, répéta Loup. C’est parfait. Zia aussi ?
― Je peux faire un effort.
― Merci pour eux.
Alfrid prit son envol sans répondre. Si ce corbeau imitait facilement les paroles humaines, sans y être insensible, il méprisait leurs politesses, et ne pouvait se résoudre à les contrefaire. Il battit des ailes dans le ciel, vers la ville dont le navire, glissant sur la rivière, s’éloignait tranquillement. On ne le vit bientôt plus.
Le port fluvial de Pélanges-sur-l’Albane était minimaliste. Les bateliers se contentaient d’amarrer leurs bateaux près de la berge qui avait été aménagée à cet effet. Bell n’avait pas vu ce lieu, la première fois qu’elle était passée par ce village. La forêt où elle avait rencontré Loup était tout près. Les toits lointains de hautes tours dépassaient la cime des arbres, et elle imaginait que leurs milliers de fenêtres jetaient alentour des regards curieux et altiers. Un long soupir traversa Bell. Elle examina l’espace du port, dans l’espoir d’apercevoir Laëtitia, mais celle-ci n’était pas encore arrivée. La pie s’était posée sur son épaule, tard dans la matinée, pour lui dire qu’elle allait prévenir Laëtitia. Bell, préoccupée à l’idée de rentrer, n’avait pas répondu, mais l’oiseau s’en était retournée d’un battement d’ailes.
Cora s’occupait d’amarrer le bateau, Mila en profitait pour grimper sur son dos, et Pat refermait la porte de la cabine. Bell n’avait pas spécialement envie de redescendre sur terre. L’existence qui l’y attendait était loin d’être un enchantement. Qu’elle le veuille ou non, Bell était une princesse, elle était l’aînée, et elle était vivante. Problèmes qu’elle n’avait jusque là jamais envisagés comme tels, parce que sa maladie l’avait mise hors jeu dès le plus jeune âge. Elle voulait revoir Elena. Mais ce n’était pas qu’Elena, qu’elle allait retrouver, en remontant le chemin qui menait au palais. Elle n’avait encore rien dit à Loup. Il avait compris que quelque chose la tracassait, à mesure qu’ils s’approchaient de Pélanges. Ses mots s’étaient faits rares, ses regards plus insistants. Perché comme un oiseau sur le bastingage, avec ses yeux perçants, à quelques pas d’elle, il l’interrogeait. Elle allait s’avancer vers lui, mais c’est Cora qui se posta entre eux, avec un sourire ravi.
― Peut-être, je peux rester ici ? suggéra Loup à Cora, d’une voix un peu éteinte. Je garde le bateau.
La Fée Follette était l’un des rares endroits où il se sentait complètement en sécurité. Cora se retourna vers lui, le sourcil légèrement froncé.
― Loup, un jour ou l’autre, il faudra mettre le pied à terre. Viens, on va voir Laëtitia. Tu ne vas quand même pas rester tout seul ici. Tu connais Laëtitia. Elle nous a parlé de toi.
― Elle me connait à peine. Si ça se trouve…
Il ne put achever sa pensée. La main de Cora jaillit dans le ciel et s’agita comme un drapeau. Au loin, une femme replète en robe rose leur faisait de grands signes pour les saluer. C’était Laëtitia.
Aussitôt, Cora bondit à terre et fila rejoindre son amie. Bell en profita pour s’approcher de Loup. Il déplia ses longs bras et les enroula autour de Bell, posant timidement un baiser dans la rondeur de ses joues, sur ses tempes. C’était étrange, leurs corps humains qui semblaient se connaître, s’appelaient, se rappelaient l’un à l’autre. Des nuages roses passèrent sur le visage de Bell, et elle sourit. C’était la première fois qu’il l’embrassait.
― Dis-moi, dit-il simplement.
― Je ne veux pas rentrer chez moi.
― Alors reste avec moi, fit-il aussitôt, comme s’il avait préparé sa réplique.
Bell cligna des yeux. Elle n’était plus une louve. Elle voulait bien partir. Mais où ? Loup déroula ses bras, secoua la tête et sourit dans le soleil, comme pour s’excuser d’avoir eu là une idée saugrenue. Ils contemplèrent le quai, vaguement animé en cette après-midi baignée de lumière. Pat et Cora échangeaient au loin avec Laëtitia. Il fallait descendre, l’embrasser, la remercier.
― On descend ? reprit Bell, en se forçant à l’enthousiasme.
Loup acquiesça. Il était à court de paroles et la laissa prendre sa main et le guider vers la terre ferme. Mais pendant ce temps-là, une boule d’énergie, scintillante et chevelue, avait filé entre les ruelles, traversé le port à une vitesse ahurissante, grimpé sur le pont. Elle percuta Bell de plein fouet. Le bateau émit un hoquet de surprise et bascula fortement vers l’arrière. Bell lâcha la main de Loup, et se retrouva par terre, resserrant ses bras autour du corps anguleux et passionné d’Elena.
― Pourquoi t’es partie sans me le dire ? T’avais pas le droit de faire ça !
Sans doute, un messager ailé l’avait prévenue du retour de Bell. Elena parlait d’une voix étouffée, enfouissant son visage dans le ventre de sa sœur. Bell prit la fillette dans ses bras, s’assit avec elle près du bastingage et la berça, le temps que ses pleurs et ses peurs s’écoulent dans la rivière.
Bell fit signe à Loup de partir devant. Loup hocha la tête, en forçant un sourire qui lui fit un peu mal, et descendit sans Bell.
Oh, était-ce vraiment un dernier chapitre ? Je ne pense pas, j'ai l'impression qu'il en manque encore un bout.
Mais tu es en réécriture désormais, j'espère avoir l'occasion de lire la toute fin un jour : D
J'ai beaucoup aimé ma lecture, du début à la fin.
Si je devais pinailler, je dirais qu'il manque peut-être une structure globale qui tienne les deux arcs entre eux, plutôt que cette succession inattendue de deux intrigues (celle du crabe, puis celle de Loup en humain).
Mais ce n'est pas non plus un vrai problème, c'était agréable de se laisser surprendre aussi.
Donc c'est vraiment à toi de voir : )
En tout cas j'ai énormément apprécié cette lecture, merci beaucoup de nous l'avoir partagée sur PA. Je te souhaite de trouver ce qu'il te manque en réécriture et je souhaite aussi un bel avenir à ce si joli texte ! ♥
À plus Baladine : D