Quand j’éteignis les lumières, il dormait déjà d’un sommeil de plomb. Profitant d’un peu de solitude, je quittais l’appartement pour retourner à l’accueil de notre bâtiment. Au rez-de-chaussé se trouvait des téléphones utilisable par tous pourvu d’avoir la bonne pièce. J’en insérai une dans la fente puis attendis quelques secondes avant que la tonalité s’arrête.
« Allo, papa ? »
Je n’appelais ni ne voyais mon père souvent. Mais parfois, quand je me sentais perdu, j’aimais l’appeler. Même si il mettait parfois du temps à décrocher, il répondait toujours, même pour un bref instant.
« Bastien ? Tu appelles bien tard, cette fois-ci.
– Oui, j’espère que je ne te dérange pas.
– Non, je viens de finir ma journée. Je rentre à la maison. Tout va bien ?
– Plus ou moins. Et toi ? Le procès ?
– Il est bientôt terminé. L’accord avec ta mère est presque trouvé. Je pourrais lui donner le numéro de téléphone de ta résidence, si tu veux.
– Non, merci. Je n’ai pas grand-chose à lui dire et je n’ai pas envie de la mettre en colère.
– Comme tu voudras. Le travail, ça avance ?
– Je n’ai rien trouvé, encore… soupirai-je.
– Pareil pour les études ?
– Exactement.
– Tu sais, avec le procès et les avocats, je vais finir par être trop juste pour ton loyer. Nous avons quelques aides, mais c’est mince. Il serait bien si tu avais un salaire.
– Je sais, papa. Ce n’est pas pour ça que je t’ai appelé. »
Espérant au départ me remonter le moral, le froid du rez de chaussé et de la voix monotone de mon père me déprimaient davantage.
« Pour quelles raisons m’as-tu appelé ?
– Comment dire… »
En vérité, je n’avais pas eu de raisons particulières. J’avais simplement envie d’un peu soutien. Mais évidemment, mon père savait à peine que je vivais avec un garçon. Je ne me sentais pas de lui expliquer toutes les difficultés que je pouvais vivre.
« Tu crois que j’aurais pu être différent ?
– Je te demande pardon ? »
Je ne répondis pas, le laissant réfléchir par lui-même. Après tout, mon père était un expert en résolution de problèmes. Quand bien même aurai-je voulu l’aiguiller mieux, ma voix coupée par l’émotion ne pouvait rien ajouter. Je sentis ma main trembler légèrement sur le combiné.
« Ah. Je ne pense pas, finit-il par dire. Pourquoi cette question ?
– Pour rien. Merci, papa.
– Désolé de t’embêter avec ça, mais tu penses à trouver un travail dans les prochains mois ?
– Si je n’arrive à rien avant la rentrée prochaine, je me trouverais un travail alimentaire, oui, soupirai-je. Mais je n’ai aucune idée d’où aller.
– Tu as pensé à la restauration ? Tu ne serais peut-être pas mauvais, là dedans. »
C’était la première fois que mon père me proposait quelque chose. Il avait l’air dégoûté de le faire, mais ce n’était pas rien.
« Non, je n’y avais pas pensé, répondis-je. J’y réfléchirais. Tu tiendras, d’ici là ?
– Ça devrait aller. J’ai des économies.
– Bien. Alors à plus tard, papa.
– Bonne nuit, Bastien. »
Sans plus de temps, le téléphone raccrocha. Entendre la voix de mon père sans voir son visage dur me faisait toujours étrange. Les fins de conversations abruptes également. Mais curieusement, je trouvais ça aussi rassurant. Je remontais en vitesse dans mon appartement, dormir aux cotés d’Aïden. Pour la première fois depuis longtemps, cette nuit fut sans interruption sifflante.
Je me réveillai le lendemain matin avec l’impression d’avoir dormi plus longtemps que d’habitude. Me tournant dans le lit, j’eus la surprise non négligeable de découvrir qu’Aïden était toujours à coté.
« Aïden ? Mais qu’est ce que tu fais là ! Tu n’as pas cours ? »
Je commençais à le secouer plutôt brusquement, mais je n’eus aucune réaction. N’ayant pas forcément envie de le violenter, j’ouvris les volets, espérant que la lumière le fasse réagir, mais il n’en fut rien. Inquiet, je posais ma main sur son front, mais il n’avait pas de fièvre. Élevant la voix, je répétais :
« Aïden ! Debout ! »
Un de ses yeux s’ouvrit, ce qui me soulagea quelque peu, jusqu’à ce qu’il passe la couverture sur sa tête et s’enfouisse comme un animal.
« Aïden ? Est-ce que tout va bien ? »
Je n’eus aucune réponse. Laissant tomber, je soupirai en regardant par la fenêtre. Le soleil était déjà haut dans le ciel ; il était presque midi. D’ordinaire, j’étais réveillé par Aïden se préparant pour les cours, mais ce jour là il n’avait manifestement pas dans l’idée d’y aller. Je laissai la porte de la chambre ouverte et commençais à préparer à manger. Mais, malgré mon attention à la viande qui cuisait dans ma poêle, je ne pouvais pas m’empêcher de jeter un coup d’œil de temps en temps vers la boule emmitouflée qu’était Aïden. Quand tout fut préparé, je posais la moitié sur un plateau et me dirigeai dans la chambre.
« Aïden ? Tu sors de là ? Je t’ai préparé à manger. »
J’attendis, mais je n’eus là encore aucune réponse. Soupirant à m’en perdre un poumon, je posais le plateau repas sur le coté.
« Bon… Quand tu auras faim, ce sera sur le côté. Ne laisse pas trop refroidir. »
Et je mangeai seul, sur la petite table qui était trop grande pour moi.
J’attendis encore un peu, espérant apercevoir un mouvement, puis au bout de quelques heures, j’abandonnais l’espoir d’avoir quoi que ce soit. Je regardai sur son bureau si quoi que ce soit pouvait me donner un indice sur ce qu’il avait, mais à part diverses photos et pellicules, je ne trouvais rien. Devant partir en rendez-vous, je me préparai et fini par dire avant de partir.
« Bon, Aïden, je dois y aller. N’oublie pas de manger ! Je reviens ce soir. A plus tard. »
Mais évidemment, même en attendant plusieurs minutes avant de claquer la porte, je n’eus aucune réponse.
J’attendais beaucoup de ce rendez-vous. C’était un concours d’entrée pour une école de musique des environs. Elle n’était pas spécialement réputée, mais ayant échoué de partout ces derniers mois, elle était un peu ma dernière chance. Nous étions sept à tenter de rentrer. Nous devions passer chacun notre tour, ainsi nous avions surtout passé beaucoup de temps à discuter. Le courant se passa bien entre les différents concurrents, et me fit espérer davantage que cette fois fut la bonne. Je saluai le jury avec politesse, et jouai devant eux ma composition dont j’étais le plus fier, celle que j’avais fait avec Béryl, en ces jours d’étés. Fermant les yeux, essayant de ne pas trop me cramponner à mon manche, je priai pour qu’elle me porte chance, de là où elle était.
Une fois passé, je me rendis compte que je transpirai comme après une séance de course. Le jury me remercia et passa à la délibération de tous les candidats. Même si pour tromper l’attente, nous avions beaucoup parlé jusque là, durant l’heure qui suivit, pas une seule personne ne décrocha un mot. Puis, nous fûmes tous convoqué dans la salle ou nous jouions jusque là. Le président du jury prit la parole et ma respiration resta bloquée dans ma gorge.
– Bien, je vais maintenant prononcer les noms des candidats reçus. Sachez d’abord que nous avons tous été impressionné par votre niveau, mais nous sommes évidemment obligé de choisir. Alors, est autorisé à revenir. »
Il prit un papier, d’une lenteur qui me sembla insoutenable.
« Sandra, Yvan, Victor, Laëticia et Marie. Félicitation à vous. »
Alors que le jury applaudissait, je crus que j’allais défaillir sur place, alors que le sang me battait à la tête.
« Les deux qui n’ont pas été pris, vous pouvez discuter avec le jury pour savoir pourquoi ils ont fait ce choix. Nous sommes entièrement à votre disposition. »
Je laissais le temps aux deux autres membres du jury de se lever alors que les heureux gagnants sortaient de la pièce avec des cris de joie, s’invitant à boire ensemble. Je regardais la personne qui était restée avec moi. C’était une jeune fille avec un étui de guitare sur le dos et de longs cheveux noirs détachés. Elle se dirigea vers le membre féminin du jury, les larmes aux yeux, alors je me dirigeai vers l’autre. C’était un vieux monsieur au visage avenant, qui avait la tête dans ses papiers.
« Oui, alors, comment tu t’appelles ?
– Bastien.
– D’accord… Bastien, Bastien, Bastien… Oui ! Voilà. Alors, nous avons beaucoup aimé ta prestation, sincèrement, et tu avais l’air de te jouer un morceau qui te tenait à cœur. Tu avais une bonne technique, mais… Assez brouillonne, non ? Beaucoup de tes positions étaient plutôt étrange. Pas très académique, tout ça, hein ?
– Il faut dire que j’ai appris exclusivement tout seul, fis-je avec un sourire gêné.
– Oui, ça se voit ! Enfin ça reste du bon travail. Il y a du cœur, mais un peu trop brouillon. Et puis ce morceau… Il est vraiment loin d’être scolaire, n’est-ce pas ? J’étais perdu en l’écoutant, je ne savais pas forcément quel discours tu voulais mener avec un morceau pareil. Beaucoup de choses, beaucoup de bonnes choses, mais peut-être trop ! Tu vois ce que je veux dire ? »
Je notais en un battement de cœur les reproches en hochant silencieusement la tête. Mais je n’osais pas dire que je n’étais pas sûr de comprendre.
« Enfin, c’était difficile et audacieux de se présenter avec ça ! Je n’aurais pas osé moi-même. Vraiment pas évident, ce que tu as choisi… Et ton matériel te fait aussi un peu défaut. Ta guitare classique est vieille, non ? Elle n’a vraiment un son qui met pas ton jeu en valeur… Peut-être tu pourrais penser à en acheter une neuve ?
– Je ne peux pas en changer, fis-je avec un petit sourire. Je n’ai pas les moyens pour.
– Ah oui, ça, la musique, c’est onéreux. Ce n’est pas pour rien que c’est réservé aux passionnés, n’est-ce pas ! Enfin, je pense que tu as du potentiel. Tu ne devrais pas te décourager, et continuer de travailler pour les concours de l’année prochaine. Je pense que ce sera la bonne, si tu restes sur cette lancée.
– Oui, c’est ce qu’on me dit depuis six mois… Merci, monsieur. Au revoir.
– Bonne continuation, jeune homme ! »
J’aurais sans doute du me sentir flatté d’apprendre que j’avais du potentiel de la part d’un musicien professionnel. Mais en vérité, j’étais simplement trop déçu pour ne penser à autre chose que ma nullité faisant que cinq personnes ait pu me passer devant. Je marchais à pas lourd jusqu’à la sortie. En sortant du bâtiment, je tombais alors sur la jeune fille qui avait échoué avec moi. Recroquevillée devant l’école, elle pleurait à chaudes larmes. Je m’approchais d’elle doucement et lui tendis un mouchoir :
« Ça va aller ? »
Je m’attendais à beaucoup de choses, mais pas à ce qu’elle frappe dans ma main assez fort pour jeter mon mouchoir loin à terre. Elle me regarda avec beaucoup de colère et cria vivement :
« Bien sûr que non, ça ne va pas ! Je ne t’ai pas sonné, alors occupe toi de tes affaires !
– D’accord. Excusez moi… Bonne journée. »
Je ramassais mon mouchoir et le rangeait avant de partir sans demander mon reste. Je pris le bus en m’appuyant sur mon vélo, et mis pourtant bien une demi heure à rentrer alors que le soleil commençait à décliner. Moi qui avait trouvé pendant longtemps mon ancienne ville trop petite, je commençais à regretter l’époque où j’avais l’impression de pouvoir traverser le monde entier à vélo. Tout me semblait en même temps étroit et trop grand.
Une fois rentré, je ne m’étonnais même pas de voir que ni le plat, ni l’ombre sous la couverture n’avaient bougé de place.
« C’est moi ! Je suis rentré. »
Je retirai mes chaussures puis ma cravate, avant de m’allonger sur le lit comme une crêpe. Je respirai lentement, espérant secrètement m’enfoncer si fort dans le matelas que j’allais fusionner avec et disparaître. Puis, je finis par tourner le regard vers la boule géante qui était à coté de moi.
« Tu vas pas me faire croire que tu dors encore ! Aïden. »
Je n’eus aucune réponse. Je soupirai encore.
« Tu me fais de la place ? Moi aussi, j’ai envie de me cacher. »
Mais la forme resta immobile. Ma respiration commença à trembler.
« S’il te plaît. Je ne suis pas d’humeur… »
Je crus qu’il allait encore m’ignorer, quand la couverture commença enfin à s’étendre et m’envelopper. Dans son obscurité, je pouvais y voir un Aïden aux yeux cernés et rougis, à l’air désespérément déçu. Sans un mot, je le pris contre moi aussi fort que je le pouvais, alors que quelques larmes coulaient un peu sans que je puisse le contrôler.
« Qu’est-ce qui t’arrive, Aïden…
– Toi, qu’est-ce qui t’arrive, me répondit-il d’une voix rauque.
– Rien de spécial. Je suis juste un échec. »
Surpris, il ne me répondit même pas. Je murmurai avec le peu de voix qu’il me restait :
« Je n’arrive même pas à te consoler…
– Je n’ai pas besoin d’être consolé. J’avais juste sommeil.
– A d’autres. »
Je sentis désormais que je n’étais pas le seul à pleurer. Après quelques minutes à renifler l’un contre l’autre, je finis par dire.
« Tu ne vas pas abandonner, hein ? Ton école.
– Pourquoi ?
– Me demande pas pourquoi. Tu vas y retourner, demain ? C’était juste pour aujourd’hui, hein ? Que tu avais sommeil.
– Oui.
– Dis-le. Que tu iras demain.
– J’irai demain. Pourquoi ça t’importe autant ?
– Ça me rassure. »
En disant cela, je le serra davantage contre moi. Immobile, il me semblait minuscule. Si je ne pouvais manifestement pas réussir à faire ce que je voulais, penser qu’Aïden de son coté pourrait briller dans sa passion me consolait un peu. J’ajoutais :
« Je vais commencer à chercher un boulot alimentaire. Mon père ne peut plus autant m’aider qu’avant, pour le loyer.
– Tu ne veux pas attendre d’essayer d’autres concours, avant de faire ça ? Tu auras moins de temps pour t’entraîner.
– Je crois pas que j’en aurai le loisir. »
Ce fut à lui de serrer davantage, sentant peut-être la douleur que j’avais en le disant.
« Je pourrais peut-être travailler de mon côté…
– Toi, tu as ton école. Occupe-toi de réussir ton année et ce sera bien. D’accord ? Moi, je n’ai pas d’obligations. Juste des choix à faire.
– D’accord.
– Tu vas la réussir, cette année ?
– Vu que je ne suis pas loin d’être le major de la promo, ça ne devrait pas poser de problèmes.
– C’est bien, ça. Je suis fier de toi. »
Mais la voix n’y était pas. Peut-être étais-je envieux, ou simplement trop déprimé, mais il ne le releva pas.
« Tu ne veux pas manger ?
– Et toi ? Il y a un plateau avec de la nourriture de ce midi. Tu n’as qu’à le faire réchauffer.
– Je n’ai pas vraiment faim.
– Tu n’as pas mangé de la journée, Aïden. S’il te plaît. »
Mais je n’étais pas de cœur à le gronder. Ma voix était lasse et mes yeux se fermaient tout seul. Il se détacha de moi et se redressa lentement.
« D’accord, mais change toi, alors. On ne dort pas habillé.
– Message reçu. »
Il se leva, alors que je déboutonnais ma chemise sans même prendre la peine de me redresser. Elle finit sûrement en boule derrière un placard. Je commençais déjà à sombrer dans le sommeil quand Aïden se rassit près de moi. Il me caressa la joue du bout des doigts et me murmura quelque chose. J’étais déjà trop endormi pour comprendre ce qu’il dit ; mais rien que le ton de sa voix, tendre et tranquille, me fit comprendre de quoi il s’agissait.
Ce fut avec un cœur lourd que j’ouvris les yeux le lendemain matin, alors que je voyais d’un regard flou Aïden se préparer pour ses cours et partir, comme si la veille n’avait pas existé. Mais je n’arrivais pas à oublier la croix que j’avais fait sur mes espoirs. Je me levai enfin quand le soleil arrivait presque au zénith. J’allai encore à un rendez vous avec un éditeur dans la journée, poèmes et textes en poche. Mais le refus fut presque aussi catégorique que la veille.
« Vous savez, de nos jour, la poésie, ça ne se vend pas très bien… Alors, à moins que ce soit exceptionnel, on ne va pas prendre le risque de produire à perte, vous comprenez ? De même que les nouvelles. Vous avez de la plume, c’est indéniable, mais, ne préférerez vous pas produire dans un style différent ? Par exemple, le policier, c’est quelque chose qui marche beaucoup plus. Beaucoup d’auteurs passent par là, vous savez…
– Je comprends, mais je n’arrive pas à produire sur commande. Désolé d’avoir pris de votre temps, monsieur.
– Oh, aucun problème, jeune homme. Au revoir. Revenez si vous changez d’avis !
– Je n’y manquerai pas. Au revoir. »
Les formules de politesses et les vêtements sombres et distingués me pesaient sincèrement. Plus je faisais de mon mieux pour paraître agréable, plus j’avais l’impression d’être froid et sans âme. Ce fut encore en traînant des pieds que je rentrai chez moi.
– Je suis rentré.
– Salut, Bastien. Tout s’est bien passé ?
– Justement, non, fis je en retirant ma cravate et m’étalant sur le lit. J’en ai marre. Je vais finir aliéné avant de réussir quoi que ce soit. »
Je n’eus aucune réponse. Poussé par la curiosité, je me redressai et allait à son bureau. Aïden travaillait manifestement sur ses pellicules à la lumière rouge.
« Qu’est-ce que tu fais ?
– Je travaille sur mes derniers portraits.
– Portrait ? Je ne savais pas que tu faisais ça.
– Tu sais, à l’école, on fait de tout.
– J’imagine... »
Je ne dis rien de plus, regardant avec attention son visage concentré sur son travail. Puis, je réalisai brusquement quelque chose :
« Au fait, Aïden…
– Oui ?
– Tu ne fais plus aucune photo d’obscurité ou de soleil ?
– Non.
– Pourquoi ? C’était pourtant ce qui te plaisait le plus, jusque là.
– Il faut bien passer à autre chose, je suppose. Peut-être que je me suis lassé ? J’ai moins de temps, aussi. Je ne peux plus vraiment me permettre de sauter des cours pour un angle de rayon.
– Vraiment ? C’est dommage…
– Moarf, grommela-t-il. J’étais pas loin d’en avoir fait le tour, je pense.
– Ah bon ? Pourtant, je crois pas que je m’en serai lassé. »
Il ne répondit pas de suite. De son expression concentrée, aucun sourire n’en ressortait comme ceux que je pouvais voir autrefois.
« Peut-être aussi que ça n’a plus de sens, maintenant que Béryl est partie. »
Même si sa pierre me confirmait toujours à chaque instant qu’il ne l’avait pas oubliée, sa sœur jumelle était un sujet dont on ne parlait jamais. A chaque fois que son nom était évoqué, l’ambiance dans l’appartement devenait particulièrement lourde. Mais je ne pouvais dire qui de lui ou de moi était le plus affecté par ce prénom. Touché, je me levai de ma chaise.
« Je pense que c’en aurait d’autant plus, au contraire. »
Aïden eut si peu de réaction à ce que je venais de dire que je crus parler à un sourd. Après l’avoir dévisagé en silence, je finis par tourner les talons pour préparer le repas.