***

Par itchane


*


Prince

 

Prince n’avait pas pu refuser.
Sous le regard amusé de Maam, Tsé-tsé lui avait tendu le plat dans lequel il avait préparé la pâte du gâteau, lui proposant ainsi de le lécher. Prince avait attrapé avec envie le grand récipient et en rasait désormais le fond de ses doigts pour y récupérer le chocolat restant.

En bout de table, Tsé-tsé fit de même avec la cuillère dont il n’avait maintenant plus besoin avant de se saisir précautionneusement du moule à gâteau bien rempli et de se diriger vers le four pour l’y déposer.

Prince attendit qu’il soit de retour vers eux pour demander :
— Il est bien gros ce gâteau pour un simple goûter, on fête quelque chose ?
Tsé-tsé sourit et Maam répondit.
— La voisine passe son examen aujourd’hui. Quel que sera son état d’esprit en rentrant, je veux qu’il lui reste de bonnes parts.
— Oh, l’examen, oui, j’avais oublié. Je ne m'inquiète pas trop, depuis le temps qu’elle révise, dit Prince qui retourna à sa tâche.

Il avait du chocolat plein les doigts et sans doute au coin des lèvres. En face de lui, Maam touillait le thé que Tsé-tsé lui avait servi, sans en boire une gorgée. Ce matin, ils avaient fini de débarrasser la chambre de l’ancienne et chaque sourire était toujours un peu forcé ou arraché. Prince se dit que le spectacle d’un grand costaud comme lui les mains plongées dans un plat de chocolat devait être plutôt cocasse, alors il en rajoutait un peu pour soulager l’atmosphère. 

Lorsqu’il ne resta presque plus rien dans le récipient et que Prince le repoussa, satisfait, Tsé-tsé s’en saisit pour aller le laver dans l’évier. Prince le suivit, se rinça les mains et le visage puis attrapa un torchon pour l’aider à essuyer les derniers ustensiles avant de retourner à table. Sans s’asseoir, il finit son thé d’une grande gorgée.

— Ce n’est pas tout ça, mais j’ai encore à faire, dit-il. Merci Tsé-tsé pour le thé, ajouta-t-il en levant vers lui la tasse vide.
Tsé-tsé lui répondit d’un signe d’éponge et d’un sourire.
Prince se tourna ensuite vers Maam.
— Je repasserai dans la soirée. S’il y a quoi que ce soit à faire de plus, tu me diras.
— Je ne pense pas qu’il reste grand-chose à faire, mais repasse tout de même, car il restera peut-être du gâteau, lui répondit Maam.
— Ah, voilà une raison de revenir ! À ce soir donc.

Il salua et s’en alla, les épaules lourdes malgré son visage rieur.

Dans la cour du Hameau, le ciel était toujours décoloré et la bruine accueillit Prince en de doux fourmillements sur ses joues et d’aimables tapotements sur ses cheveux. La fontaine était seule, Raphaël et son père, qu’il avait aperçus plus tôt, étaient rentrés chez eux. 

Prince contourna l’herbe en longeant la cour par les pavés. Le plat de ses semelles clapotait étrangement sur la surface lisse et ruisselante de la pierre. 

En plus du toit de nuages qui lestait l’atmosphère, Prince sentit le poids supplémentaire d’un regard posé sur lui depuis une fenêtre de cuisine, l’accompagnant jusqu’au porche. Déconcertante les premiers jours, cette paire d’yeux à l’affut était devenue depuis une forme singulière de compagnie. Frank était Frank et il était là, à comparer, peser, calculer comme il l’avait toujours fait, simplement avec un peu plus de zèle qu’auparavant. Son idée de placard commun à parapluies et chapeaux à poster à la sortie du Hameau était très bonne. Prince s’y attèlerait sans doute bientôt.

En arrivant au niveau du porche, il fut surpris de tomber nez-à-nez avec la liseuse. Elle s’était assise là, livre en main, à l’abri de la pluie.
 — Tu y vois assez clair ? lui demanda Prince.
La liseuse leva la tête.
— Oui, ça va.
— Tu ne serais pas mieux installée chez toi ?
— J’aime être dehors.
Prince vint s’asseoir à côté d’elle, décidant d’ignorer la rapidité avec laquelle la liseuse avait replongé les yeux vers ses pages pour tenter de couper court à la conversation.
— Et tu lis quoi ? demanda-t-il une fois installé.
La jeune fille s’immobilisa, releva lentement la tête, libéra un discret souffle d’air et referma son livre pour en montrer la couverture à Prince.
— Ça s’appelle “Nous, les chiens” et cela parle d’un monde dans lequel les chiens auraient pris la place des humains.
— Intéressant, répondit Prince.

Le mot chien l’avait tout à coup éloigné. Ses pensées s’étaient échappées vers une silhouette qu’il s’imaginait avoir connue, vers des boules de poils hirsutes et des yeux portant tout l’amour du monde. Vers un jour de pluie comme celui-ci, sous le porche comme aujourd’hui. Mais à peine Prince avait-il tenté de fouiller que l’image s’était éloignée.

— Je crois que j’ai eu un chien un jour, dit Prince la conscience au loin.
— Oh. Il s’appelait comment ?
— Le chien. Peut-être.
— Ah. C’est bien le chien, pour un chien.
— Oui, c’est bien.

Chacun se perdit dans son silence, jusqu’à ce que la liseuse s’autorise une question.

— Et vous alliez où ?
— Pardon ?
— Là, à l’instant, vous alliez sortir du Hameau, c’était pour aller où ?
Prince rattrapa l’instant présent et se ressaisit.
— Oh, j’allais à la mer. 
— Par ce temps ?
— J’ai promis à Raphaël d’apprendre à naviguer pour pouvoir un jour l’y emmener, je pensais aller faire un tour simplement pour me renseigner. D’ailleurs, je vais y aller, ajouta-t-il en se relevant.
— Je pourrai venir aussi ? demanda tout à coup la liseuse. Je veux dire, quand vous saurez naviguer, je pourrai venir sur le bateau ?
Prince se retourna vers elle, surpris. La liseuse le regardait maintenant droit dans les yeux. 
— Mais oui, bien sûr ! assura Prince, souriant. Je serais ravi de t’emmener aussi.

Il n’eut pas le temps de surenchérir qu’un nouveau profil se dessina sous l’arche du porche. Prince et la liseuse découvrir une séniore, seule, parfaitement équipée d’un fin manteau de pluie et d’un chapeau à large bord.
— Bonjour, lança-t-elle à la ronde.
Prince, étonné de cette présence, mit un petit temps à se ressaisir et tenta de se faire pardonner ce décalage par un grand sourire. 
— Bonjour Ida, répondit-il enfin, radieux. Tu es de sortie ?
— Oui, répondit-elle. Je vais à la mer !
— Par ce temps ? demandèrent Prince et la liseuse en cœur. 
— Justement, par ce temps. Les autres veulent du soleil, je préfère la mer par temps agité. J’espère même qu’il y aura du vent !
Elle s’avançait déjà d’un pas décidé vers la grande porte.
— J’y vais aussi, dit Prince. J’allais justement à la gare.
— Oh, et bien allons-y ! enchaîna Ida plus motivée que jamais.

Alors qu’ils s’engouffrèrent tout deux vers la sortie du Hameau, Prince se retourna une dernière fois vers la liseuse.

— Bonne lecture ! lança-t-il.



*


Lise

 

Et ils disparurent.

Lise voulu se replonger dans son livre, espérant n’être pas de nouveau dérangée. 

Quoi que discuter un peu avec Prince ne lui avait pas déplu. Enfin si, cela l’avait mise très mal à l’aise, mais c’était surtout le fait qu’un adulte ait prit la peine de s’arrêter pour elle qui ne lui avait pas déplu. Enfin, disons que maintenant qu’il était reparti, le souvenir de cette conversation n’était pas si désagréable.

Et puis elle avait hâte de faire du bateau, même s’il faudrait supporter Raphaël.

Alors que ses yeux accrochaient enfin les mots qui dansaient sur les pages et que son esprit parvenait de nouveau à les lier en phrases cohérentes, un drôle de couinement se fit entendre sur sa gauche. Elle fut forcée de relever une fois de plus la tête.

Elle voulut croire que la porte du porche avait grincé en se refermant, mais une nouvelle plainte s’éleva et cette théorie ne fut plus permise. Elle posa son livre à côté d’elle, se leva et se dirigea peu rassurée vers le fond de l’abri, suivant les traces de Prince et Ida.

Un nouvel appel lui fit baisser les yeux, qui se posèrent sur une minuscule boule de poils fripés et sales, collés par la pluie. Une toute petite boule de fourrure mouillée, rachitique, aux frêles pattes maladroites et qui miaulait de froid.

La liseuse se précipita et s’accroupie auprès de l’animal. Délicatement, elle saisit le chaton dans le creux de ses mains et le colla à son torse pour le réchauffer. 

Oubliant son livre sur le banc, elle traversa la cour déserte à petits pas rapides et se dirigea vers chez le géant. Elle croyait savoir qu’il aimait les chats, il saurait l’aider à sauver le sien.

Ses parents n’auraient pas d’autre choix que d’accepter qu’elle le garde, car il était déjà son chat. Elle avait déjà tout prévu, il serait la plupart du temps libre de circuler dans la cour et ne gênerait personne, en plus on avait vu des rats récemment et il serait parfait pour les faire fuir, tout était donc décidé. D’ailleurs, il avait déjà un nom, il s'appellerait le chat et elle avait le plus beau des cadeaux à lui offrir ; le Hameau.



*

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EryBlack
Posté le 07/09/2023
On dirait qu'on fait le tour des personnages et de leur nouvelle-ancienne trajectoire dans un Hameau réparé. J'aime bien ce genre d'épilogue où les moments anodins peuvent être chargés de sens pour nous lectrices, qui avons suivi l'histoire dans tous ses rebondissements.
Je dirais qu'ici, même si j'aime bien cette ambiance douce et paisible de la cuisine de Maam, j'ai trouvé la scène peut-être un peu trop anodine. Il est possible que j'aie loupé des trucs cela dit. À part le fait que la voisine, éternelle étudiante, ait enfin passé son examen, je n'ai pas perçu d'autre "accomplissement" ou "issue" pour les autres persos. Peut-être que ce n'est pas ton intention, cela dit, mais pour pas mal d'autres j'ai l'impression que c'est le cas : Prince s'éloigne du Hameau pour un moment, le géant va recevoir un chat, Frank s'épanouit dans ses carnets de notes, la liseuse apprécie aussi de sortir la tête de son livre un instant, Raphaël passe un moment avec son père... Pour Tsé-Tsé et Maam, je n'ai pas perçu ça. Ce n'est pas forcément un truc à changer, juste une remarque que je me suis faite. Y a-t-il une raison à ce choix, si c'est bien un choix de ta part ?
J'ajoute que j'avais un peu oublié le chien de Prince, moi aussi. Je m'en suis souvenue en lisant, mais peut-être que ce serait utile de le mentionner dans les derniers chapitres avant la "fin", histoire que son absence ici soit un peu plus nette ?
Petit relevé au passage :
- "Prince et la liseuse découvrir une séniore" découvrirent
- "Alors qu’ils s’engouffrèrent tout deux vers la sortie du Hameau" -> alors que, tandis que, pendant que, indiquent une action qui s'étend dans la durée (longue ou brève peu importe) et appellent donc l'imparfait. Le passé simple que tu utilises ici indique une action ponctuelle. Donc ça devrait être "Alors qu'ils s'engouffraient tous deux..."
itchane
Posté le 04/10/2023
Hello,

tu as raison pour Maam et Tsé-tsé, c'est vrai que ce chapitre apporte peu de choses les concernant, je vais y réfléchir car je pense que ta remarque est vraiment bonne.
Idem pour le chien, je ne sais pas encore si je pourrai trouver un moyen de le réintégrer l'air de rien un peu plus tôt mais je vais y réfléchir aussi : )

Merci beaucoup pour tes remarques : )
Herbe Rouge
Posté le 17/07/2023
Coucou,

Cela fait un peu drôle, d'entendre les gens du Hameau parler de l'extérieur du Hameau pour faire du bateau ou juste aller voir la mer. C'est intéressant d'ouvrir un peu ce huis clos sur la fin :)
Quand au chat, je ne sais pas trop quoi penser de lui, de la même façon que je ne savais pas trop quoi penser du chien (qui n'était que d'en un des autres hameaux et pas dans le principal si j'ai bien suivi).
itchane
Posté le 18/07/2023
Oui, j'ai trouvé qu'ouvrir pourrait être intéressant, je suis contente que cela te plaise.

Quand au chien, non non, il était partout, puisqu'il existait dans le monde du départ et aussi dans d'autres, mais c'est un mini détail, c'était juste pour souligner que tout recommence mais que des choses ont changé (chien > chat), ce n'est vraiment pas très important ^^"
Sorryf
Posté le 26/03/2023
La vie reprend son cours... Mais il est possible de quitter le hameau maintenant !
le chien est devenu un chat... tout est pareil et un peu différent.

Je suis impatiente d'avoir la fin de cette histoire, et en même temps ce petit monde va tellement me manquer ;_; Je voudrais au moins être sure que tout ira bien pour eux quand on les laissera. Pour le moment, je n'arrive pas à savoir, ce chapitre ne m'a pas aidé à deviner s'ils sont sortis de la boucle ou non... je suis en stress, lol xD tout est redevenu si calme et si doux, pourtant ! Vite, la suite !
itchane
Posté le 27/03/2023
Ouiiii ça y est, il peuvent quitter le Hameau ^^"

Hahaha, bon au moins j'ai réussi à conserver une tension jusqu'au bout ! x'D

Ça arrive, ça arrive la suite : )

Merci de ton message ♥
ClementNobrad
Posté le 26/03/2023
Coucou,

J'ai l'impression que le Hameau reprend le cours de sa vie, comme si tout ce que nous avons découvert jusque là, n'avait été qu'une parenthèse que tout le monde a oublié. Reprend le cours de sa tranquillité, mais avec de légers détails modifiés, un chat, un titre de livre différent... il y aura-t-il ici des vélos de couleurs différentes ? ( Non je ne les ai toujours pas oubliés ;) )
Chacun reprend sa presque routine, chaque chose à sa presque place... jusqu'au jour où, peut-être, la sirène dans un nouveau voyage, fera bouger à travers ses ondes, ces nouveaux petits détails ?

Suis-je à coté de la plaque? Ou que "presque à côté" ? ;)

À très vite !
itchane
Posté le 26/03/2023
Hello Clement,

merci d'être toujours là ^^

Haha, il ne reste qu'un chapitre à poster, et il sera assez court... donc je ne dirais rien, puisque le suspens ne va pas durer très longtemps avant que tes questions ne trouvent réponse, haha ; )

A très vite oui : )
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