***

Par itchane


*


Au même endroit, ailleurs.

 

La voisine entra en trombe dans le QG. Au milieu des bateaux, des pots de peintures et de colle, des morceaux de papiers abrasifs laissés en vrac depuis toujours sur l’ancien atelier. La cale, qui n’avait plus bougé depuis si longtemps, avait repris de l’activité depuis quelques jours.

Assis à une petite table centrale couverte de feuilles et de notes, Prince et Maam se tournèrent vers elle et attendirent qu’elle referme la porte. Car au dos de cette dernière, se trouvait un morceau de papier suspendue à hauteur du regard, de telle sorte qu’il ne puisse être raté, et sur lequel était inscrit : “Ce n’est pas ‘la cale’ c’est l’appartement de Saul. Saul, qui est parti. Ne pas oublier”.

La voisine resta quelques secondes interloquée par le message, puis se ressaisit. 

— Oui, oui bien sûr. Tout à fait. C’est d’ailleurs pour cela que je suis là, annonça-t-elle en s’approchant de la table.

La lutte était épuisante et elle vit chez ces deux amis les stigmates de cette bataille qu’ils ne pouvaient gagner.

— Je viens aux nouvelles. Je ne sais plus trop pourquoi, mais je sais que je suis justement là pour ça. Où en êtes vous ? De… vous savez, ajouta-t-elle peu sûre d’elle.
— Et bien… chercha Maam qui lança un regard inquiet vers Prince.
Ce dernier ne sut trop que répondre non plus. 
— Ok, ok normal, les rassura la voisine, justement.

Elle mit la main à sa poche et en tira une autre feuille gribouillée. Elle en lu le contenu à voix haute. Les mondes parallèles ; les rêves, les voeux ; la sirène ; Frank ; la suite du poème ; les Prince ; sauver le monde.

— Oui, oui c’est cela, acquiesça Prince qui rassemblait de nouveau ses esprits, c’est cela. Il faut tenter de mettre fin à tout cela sinon les mondes vont continuer de s’entrechoquer et finir par disparaître. Un autre Prince que moi a compris ce phénomène. Il nous faut y réfléchir aussi.
Il voulut mettre de l’énergie et de l’allant dans cette dernière phrase, mais elle retomba platement, usée, vidée. 
— “La suite du poème”, quelle suite du poème ? demanda la voisine en repliant son papier.

Il y eût un nouveau moment de flottement. 

— Ce n’est pas grave, ce n’est pas grave, tout est là, dit-elle en dépliant de nouveau son papier. Numero 23, ajouta-t-elle.

Elle s’avança vers la table et y fourragea jusqu’à trouver une feuille numérotée d’un grand 23 rouge dans son coin supérieur gauche. Elle lut à voix haute son contenu.

Lorsqu’elle eut fini, et que les sens des mots eurent fait leur chemin, il y eu un silence lourd, écrasant. Puis la voisine reprit la parole car tel était son rôle et la raison pour laquelle elle était là. Les ramener à la tâche, les aider à ne pas oublier qu’il y en avait une.

— Bon. Maintenant il faut trouver un moyen de remettre les choses dans l’ordre. C’est ce que Frank attend de nous.
— Oui, dit Prince, c’est ça.
Il rassembla le peu qu’il lui restait d’énergie, piochant dans ses réserves de dévouement et de loyauté et fit l'effort de regarder de nouveau les notes qui se trouvaient devant lui. Maam vint même relire à voix haute quelques passages pour l’encourager, mais alors qu’il tentait de reprendre du début - et une fois de plus - le déroulé de ses recherches, toute force le quitta d’un coup et son corps s’affaissa dans le fond de son siège. 

— C’est impossible, annonça-t-il. La tâche est impossible, regardez-nous, à peine on pense avancer qu’il faut tout recommencer. C’est une boucle infinie, et infernale !

Et c’est alors que Maam eût une idée.
— Et si ce n’était pas que nous ? Et si la sirène aussi oubliait tout à chaque fois ? Et si elle aussi répétait et recommençait tout à chaque fois comme nous sommes en train de le faire ?
La voisine et Prince ouvrir de grands yeux.
— Une boucle infinie, et infernale ! dirent-ils en cœur.

 


*


Au Hameau. En même temps.
Lise

 

“TRÈS IMPORTANT : JOUER LE JEU JUSQU’AU BOUT”

Sur le papier que Lise tenait à la main, Frank lui avait inscrit cette phrase pour prévenir à d’éventuelles pertes de mémoires. S’ils venaient à oublier, il faudrait continuer, envers et contre tout. JUSQU’AU BOUT.

Lise était en ébullition. Elle n’était jamais de la partie d’habitude, mais cette fois, elle était là, dans le cœur de l’action.

Assise en tailleur dans l’herbe, à côté du blondinet, face à Frank qui s’était posé contre le peuplier pour y adosser son dos fatigué, elle était de ceux qui savaient des choses que les autres ne savaient pas et ils allaient tenter de sauver le monde.

En tout cas c’est ainsi qu’elle se plaisait à se représenter cet instant.

Lorsque le blondinet était arrivé un peu plus tôt, recherchant Raphaël, un malaise s’était emparée d’elle. Raphaël.  Une image très nette du gosse, beaucoup trop bavard et beaucoup trop bouclé, lui était immédiatement revenu. Et pourtant, pas de doute, Lise l’avait bel et bien complètement oublié. Pour la troisième fois. Et tout portait à croire qu’il y en aurait une quatrième si leur trio de choc ne parvenait pas à résoudre les mystères de la fontaine à temps.

— Nous avons deux missions, reprit Frank en regardant tour à tour ses deux acolytes. Retrouver Raphaël pour le ramener auprès de nous, puis refermer les frontières entre les mondes pour les empêcher de s’effondrer les uns sur les autres.

L’objectif était beau, ce disait Lise, mais leurs moyens d’y parvenir bien flous et bien faibles.

— Comment savoir où il est, Raphaël, s’il y a une infinité de mondes ? demanda-t-elle.
— Je me pose aussi la question, lui répondit Frank. Mais notre première piste est qu’il n’est pas revenu. Il est le dernier habitant de ce Hameau à n’être pas de retour. Pourquoi ? En quoi son voyage était-il différent ? En quoi Raphaël est-il différent ? Quel vœu a-t-il formulé ?

Frank et Lise se tournèrent de concert vers le blondinet. Il était de loin l’ami le plus proche de Raphaël, un de ceux qui le connaissait le mieux.

Le blondinet plongea son nez vers ses chaussures. De ses doigts, il commença à tirer maladroitement sur des brins d’herbes pour les arracher du sol, ne sachant comment partager ce qu’il avait sur le cœur. Ils patientèrent. Sans lever le regard, le garçon se risqua finalement.

— Je pense que ça devait être ça son vœu, d’être ailleurs, et de pas revenir…

Lise sentit un poids se poser sur son cœur. À peine entendue, cette option lui avait semblée crédible, bien trop crédible. Raphaël le solitaire, car ses parents n'étaient jamais là. Raphaël, abandonné à la bienveillance de la communauté, ayant appris à se débrouiller seul et tournant en rond comme un lion en cage dans ce Hameau dont il ne pouvait sortir, faute d’accompagnant.

— C’est un excellent indice, répondit Frank, merci. Est-ce qu’il t’a déjà parlé d’un endroit qu’il souhaiterait visiter, d’une expérience qu’il aimerait vivre ?
— Ben, il aime les bateaux… 
— Oui, tu as raison, l’encouragea Frank en notant l’information.
Mais tous avaient conscience qu’elle ne les mènerait pas bien loin.
— Et si on fait le vœu de le retrouver, demanda le garçon, la sirène ne va pas nous l’exaucer et nous le ramener ?
— C’est plus compliqué que cela, je le crains. Notre souhait de retrouver Raphaël irait à l’encontre du vœu de Raphaël lui-même, dans le cas où il aurait, lui, demandé à ne pas revenir. Et même si notre voeu se réalisait, je pense que les allers-retours entre les mondes accélèrent leur effondrement et crois-moi, la sirène ne te donne pas directement ce dont tu as besoin, elle aime les jeux de piste, j’ai dû parcourir plus de treize mondes avant de commencer à comprendre quelque chose, aggravant sans doute la situation sans le savoir par mes pérégrinations. Aller chercher Raphaël ainsi serait une catastrophe. Surtout si d’autres Raphaël, dans d’autres mondes, ont aussi disparu et que tous les habitants se mettent à “plonger” dans la fontaine pour aller les chercher. Plus la sirène exauce de voeux, plus les habitants plongent, plus ils parcourent les mondes, plus les réalités se mettent à fuir.
— Mais alors quelles sont nos possibilités ? demanda Lise qui commençait à s’agacer de n’avoir aucune option. Comment trouver Raphaël si nous n’avons pas le droit de le chercher ?

Un long silence s’installa, lui confirmant que personne ne savait comment répondre à sa question. Frank replongea dans son carnet pour prendre quelques notes supplémentaires mais elle le soupçonna de se rassurer par ce geste plutôt que d’être sur une piste. 

Sauver le monde n’était pas aussi simple que le lui avaient laissé croire les livres qu’elle dévorait chaque jour.

Un petit toussotement se fit entendre dans son dos, les faisant sursauter tous les trois. 

Arrivée auprès de la fontaine sans se faire entendre, la voisine les regardait d’un oeil amusé. Son t-shirt arborait la mention “sun light” et s’accordait parfaitement à son teint et à son allure, toujours aussi avenante. Ses yeux s’étaient effilés pour lutter contre les éclaboussures de lumière qui avaient traversé le feuillage du peuplier pour venir danser sur son visage.

Lise n’aimait pas beaucoup la voisine. La jeune femme était si sociable, sympathique et maline qu’elle volait systématique la vedette. Se rendre compte qu’il y avait une grande part de jalousie dans ses réticences à la voir débarquer l'agaçait encore plus. Elle aurait tellement voulu être au-dessus de cela.

En la voyant s’incruster ainsi dans la conversation, Lise sut que la voisine allait leur donner une excellente idée. Elle en pinça les lèvres de frustration mais elle ne pouvait se mentir, ils étaient complètement bloqués sur leur enquête et dans telle situation tout était malheureusement bon à prendre.

— Oui ? demanda-t-elle alors à la voisine du ton glacé et du regard de feu que tout le monde lui connaissait.

Le sourire de la voisine s’élargit encore un peu plus, ce qui crispa Lise au moins d’autant.
Frank et le blondinet fixaient la nouvelle venue avec attention, ils connaissaient sa sagacité. La présence d’un auditoire si empressant n’impressionna pas l’étudiante qui conserva sa bonhommie naturelle.

— Si une sirène a envoyé votre ami dans un autre monde, plutôt que de le chercher lui, pourquoi ne pas plutôt lui demander à elle où il est ? demanda-t-elle d’une voix simple et sincèrement curieuse.

Le trio se regarda, leurs yeux arrondis par la simplicité de l’idée.
Entrer en communication avec la sirène. Non pas pour faire un vœu, mais simplement pour lui parler. Était-ce seulement possible ?

Lise était encore sceptique quant à l'existence de cette sirène, mais c’était ce doute qui lui avait couté de ne pas trouver la moindre idée pour faire avancer leurs recherches. Frank y croyait dur comme fer et le blondinet l’avait suivi sans une hésitation. La voisine avait pris l’hypothèse aux mots, comme un jeu d’énigme, et avait déjà au moins une bonne proposition à faire. 

Lise compris que la solution se trouverait dans l’acceptation absolue des termes de l’énoncé. Tenter de faire un tri entre le vraisemblable et le potentiellement faux lui fermait des portes sans lui en ouvrir aucune. 

Elle se leva alors et s’approcha du bord de la fontaine. Elle y plongea son regard, passant outre le reflet superficiel de son visage que lui renvoyait la surface de l’eau, pour lui préférer le mystère des profondeurs.

Elle n’y vit rien. Rien de plus que d’habitude.

— Il y a vraiment une sirène là-dedans ? demanda-t-elle sans malice à Frank.
— Pas au sens où tu l’entends. Si tu cherches à apercevoir quelque chose, tu ne verras rien. Mais je pense, oui, qu’il y a bien quelqu’un, une présence. Tu n’es pas obligée de me croire, tu peux te dire que ce sont des fadaises, cela me va, mais j’aurai besoin que tu fasses au moins semblant si tu le veux bien, car j’ai besoin de ton aide.
Lise décida d’au moins essayer.
— Si j’appelle je suis entendue ?
— Oui et non. Ce puits est relié à l’ensemble des mondes. Si tu appelles, tu formeras un bruit de plus venu de quelque part ; une petite voix perdue dans l’infinité des échos de mondes que la sirène perçoit. Tu seras entendue mais passeras complètement inaperçue.
Lise réfléchit. Il devait bien y avoir un moyen de se faire remarquer.
Dans son dos, elle entendit un froissement d’herbes et de vêtements. Le blondinet s’était levé et la rejoignit sur le rebord.
— Et si je plonge, elle nous remarquera, non ? demanda-t-il.
— Non. Tu voyageras pour ressortir dans un autre monde. Crois-moi, je l’ai déjà fait, lui répondit Frank. C’est justement ce que nous essayons d’éviter pour ne pas distordre encore un peu plus l’ensemble des réalités.

Bon. Inutile de crier, inutile de plonger.

Lise serra son livre contre sa poitrine et plissa les yeux de concentration. Son visage, toujours baissé vers les profondeurs, était parcouru des mêmes rides de lumières que lui renvoyaient les flots. 

Frank avait raison. Depuis tant d’années que les habitants jouaient autour et sur cette onde, ni bateaux, ni cris, ni lancés de cailloux ou de noyaux de cerises n’avait jamais éveillé quoi ou qui que ce soit. S’il suffisait de l’appeler, elle se serait déjà manifestée.

Quelles options leur restait-il ? Que savait-elle des sirènes ?

Lentement, elle baissa le nez vers le livre qu’elle tenait à la main ; ce livre qu’elle ne se souvenait pas avoir commencé alors qu’elle en était déjà à plus de la moitié. L’éloignant de son torse, elle en observa la couverture. L'inscription “Demain, les sirènes” y brillait en crâneuses lettres d’or.

— Une pièce, dit alors Lise à voix haute pour être entendue de ses camarades. Pour faire un vœu, il faut jeter une pièce car les sirènes sont attirées par l’éclat de l’or.
— C’est vrai ! lança le blondinet en bondissant du muret, c’est connu, les sirènes aiment ce qui brille !

Il avait les yeux écarquillés de l’enfant trop heureux de voir l’aventure trouver un second souffle auquel il n’était plus sûr de croire.

Frank n’avait pas l’exubérance du blondinet. Pourtant, Lise put voir briller une lueur nouvelle dans le froid de ses yeux. Caché derrière sa rigueur, sa raideur, son sérieux, le souffle de l’aventure murmurait de nouveau au creux de son coeur à lui aussi. Il se leva et rejoignit la liseuse et le blondinet au bord de la fontaine, réduisant la distance physique pour aider leurs pensées à se rejoindre.

— L’or permet d’attirer les sirènes par son chatoiement, dit-il, c’est pourquoi on lance une pièce pour faire un vœu. Mais on ne sait pas comment la sirène prend connaissance du contenu du souhait, qui n’est pas formulé. 
— Si je lance une pièce en posant très fort une question dans ma tête, peut-être qu’elle l’entendra ? se demanda le blondinet.
Le temps de le dire, il avait déjà plongé ses mains dans ses poches à la recherche d’un centime perdu. Frank avança sa main pour l’inviter à stopper son exploration de fond de coutures.
— Peut-être, admit Frank, mais lorsque l’on envoie une pièce pour faire un vœu, il est impossible de savoir quand et de quelle manière le vœu sera exaucé, ni même de savoir simplement s’il le sera.
— L’ancienne dit qu’ils le sont toujours, d’une manière ou d’une autre, répliqua le blondinet avec moue et conviction.
— Bon, reprit Frank sans se laisser dévier de son cours de pensée, en tout cas on ne sait pas quand ni comment. Or nous n’avons pas cette liberté d’action. Nous ne pouvons lancer une pièce comme d’autres une bouteille à la mer pour ensuite repartir à nos vies en se languissant d’une réponse.

Les bras du blondinet retombèrent de déception le long de son corps.
Mais Lise, elle, ne s’avouerait pas vaincue, pas cette fois.

— Une bouteille à la mer ! reprit-elle en tentant de construire sur ce qui avait été dit. Nous pourrions en envoyer une, avec un message dedans !
Frank et le blondinet s’étaient tournés vers elle, pas encore convaincus mais tout de même intéressés par le potentiel de l’idée.
— Mais une bouteille ça ne brille pas, lui fit remarquer le blondinet.
Chacun se replongea dans ses réflexions, mais la voisine fut la plus rapide.
— Et bien il suffirait de la faire briller ! Pourquoi ne pas mettre des pièces dedans, en plus du message ?
Le blondinet, tout excité, commençait à vraiment beaucoup aimer cette piste.
— Il faut y mettre tout un trésor ! dit-il en illustrant son propos d’un grand geste des bras. Les sirènes aiment les trésors, c’est pour cela qu’elles suivent les bateaux des marins et les poussent à quitter le navire.
— Je ne vois pas pourquoi ne pas essayer, acquiesça Frank. Au moins devrions-nous attirer son attention. Pour ce qui est du temps de réponse, si réponse nous avons, nous verrons bien.
— Il faut un bocal de verre pour que ça brille à travers, et des pièces d’or et d’autres trésors encore ! explosa le blondinet, exalté par la perspective.
— Pour le bocal, reprit la voisine qui s’était totalement prise au jeu, nous pouvons demander à Maam, elle en aura !

Lise se demandait si la jeune étudiante avait ou non conscience de ce qu’il se passait vraiment. Vivait-elle cet instant comme une activité collective amusante de week-end des cerises ? Se souvenait-elle seulement de Raphaël, dont elle aimait tant ébouriffer les cheveux ? 

Dans tous les cas, force était de constater qu’elle était devenue une alliée de poids pour tenter de le retrouver. Chose dont Lise n’aurait jamais vraiment douté d’ailleurs, au grand dam de sa propre fierté.

— Je vais aller lui en demander, reprit la voisine avant de s'éclipser en sautillant en direction de chez Maam. 
Frank la regarda s’éloigner, le visage encore un peu crispé. Le projet ne lui déplaisait pas, mais il était soucieux.
— J’espère que cela fonctionnera. C’est la première fois que des habitants tentent de prendre directement contact avec la sirène et rien ne nous dit qu’un bocal empli de pièces et d’un message ait le moindre effet sur son attention.
— Ce n’est pas comme si nous avions beaucoup d’autres idées, répondit Lise.
— Je sais. C’est bien ce qui m’inquiète…
Lise tenta de ne pas se projeter, de ne pas anticiper leur future attente silencieuse en bord de fontaine, ni d’entrevoir ce qu’il adviendrait d’eux, de Raphaël et de leur Hameau, si rien ne leur répondait que l’onde lisse et éternelle, si rien ne remontait à la surface ; si la sirène restait silencieuse. Il ne fallait pas trop y penser.

Face à ce double manque de confiance, le blondinet refusa de perdre de son enthousiasme.
— Peut-être que ce qu’il manque c’est un bateau ? On pourrait en emprunter un à Saul !

La naïveté de l’annonce de ce nom trancha avec l’électrochoc qu’il déclencha. 

Saul.

Frank se tourna lentement vers le blondinet, les yeux élargis par la surprise. Lise ne savait plus du tout où elle en était. Saul. Comment avait-elle pu l’oublier lui aussi ? Depuis combien de temps le son de sa flute n’avait-il pas résonné à ses oreilles ?
Il n’y avait pas que Raphaël dont l’absence lui paraissait maintenant criante, Saul manquait aussi à l’appel et ils avaient failli tenter de refermer les mondes sans lui.

— Frank, nous l’avions oublié aussi ! l’interpella Lise. Il faut demander à la sirène où se trouvent Raphaël, mais aussi Saul !
Frank ne répondit pas. Il avait les yeux rivés sur le blondinet. Il les baissa finalement vers la fontaine prolongeant son silence.
— Non, finit-il par dire d’un ton calme et grave. 
— Mais...
— Non. Saul ne reviendra pas, la coupa Frank d’un ton patient mais qui ne laissait aucune place à la discussion.

Lise ne comprenait pas.

— Pourquoi ? demanda le blondinet de sa naïveté salvatrice.

Frank ne répondit pas tout de suite. Il était clair qu’il avait la réponse mais pesait le pour et le contre. Il était figé, debout, bras ballant. Même la fine brise qui agitait jusqu’alors les feuilles du peuplier était d’un coup retombée, le laissant seul face à sa décision.

— Saul ne reviendra pas, car il est reparti à sa fontaine, dit-il finalement.



*

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Raza
Posté le 27/08/2024
Il me vient une idée ici, à la fois comme une sorte d'évidence et en même temps un doute. La sirène, qui exauce les voeux des personnages, qui les connait sans les avoir entendus, qui a tout pouvoir dans tous les univers, ne serait-ce pas toi, l'autrice?
itchane
Posté le 30/08/2024
Hahaha,
il y a de cela très longtemps (aux prémices de ce projet) je pensais faire une sorte de métaphore de l'écriture et de la lecture, mais finalement je m'en suis complètement éloigné pour partir sur ce que "Miroirs d'eau" est devenu.
Ce qui est drôle du coup c'est que quelque part il reste des traces de cette métaphore dans ton interprétation : D
EryBlack
Posté le 10/07/2023
Petite incertitude à la lecture de cette chute : Frank veut-il dire que Saul fait partie d'un autre Hameau, qu'il était parmi eux pour un temps seulement et qu'il a rejoint son monde d'origine ? Je ne sais pas trop comment Frank pourrait le savoir... J'ai peur d'avoir zappé quelques éléments avec ma lecture entrecoupée, mais je sais que ces incertitudes pourraient aussi faire partie de l'histoire, qui est de plus en plus "à trous" – même si on suit, hein, je te rassure !
De la même manière, autant je me souvenais de l'histoire de la sirène dans les grandes lignes, autant je n'ai pas trop saisi le cheminement qui fait que Frank met tout ça sur le tapis maintenant. Je ne sais pas s'il y a quoi que ce soit à changer de ton côté pour autant, c'est sans doute mon rythme de lecture... mais j'aurais bien aimé être un peu plus au point sur tout ça dans ce chapitre !
Cela dit, c'était suuuuper appréciable de les voir tenter de s'organiser, j'ai adoré la scène en italique aussi, c'est trop cool. Un peu en mode résistance à l'oubli, ça m'évoque encore un épisode de Doctor Who ça tiens, comme quoi c'est une thématique importante de la série !
Très cool donc tout ça, j'aime bien qu'il y ait des enfants impliqués, ça rend les processus de décisions à la fois naïfs et forts, il faut tout essayer de toute façon donc pourquoi pas des trucs farfelus... La bouteille avec des trucs dorés me fait fortement penser au collier que Lotre s'est bricolé, hmmmm ! (Mais d'ailleurs si Saul pourra pas revenir ils seront... bloqués dans deux mondes différents... nooooon !)
"Il y eût" ; "il y eu" -> il y eut !
"Numero 23" accent
"La voisine et Prince ouvrir* (ouvrirent) de grands yeux"
"Une image très nette du gosse, beaucoup trop bavard et beaucoup trop bouclé, lui était immédiatement revenu* (revenue)"
"ce* (se) disait Lise"
"un de ceux qui le connaissait* (connaissaient)"
attention aux "vœu(x)" parfois écrits "voeu(x)", idem pour "oeil"
"c’était ce doute qui lui avait couté de ne pas trouver la moindre idée pour faire avancer leurs recherches." -> j'avais trouvé la phrase pas super précise, je sais pas si c'est que moi ?
"La voisine avait pris l’hypothèse aux mots" -> là aussi, je sais pas ? (peut-être qu'on dit plutôt "prendre au mot" déjà, mais le reste ?)
"Lise compris* (comprit) que la solution se trouverait dans l’acceptation absolue des termes de l’énoncé. Tenter de faire un tri entre le vraisemblable et le potentiellement faux lui fermait des portes sans lui en ouvrir aucune." -> J'adore cette phrase !! Valable aussi parfois dans notre réalité à nous, je trouve !
"ni bateaux, ni cris, ni lancés de cailloux ou de noyaux de cerises n’avait* (n'avaient) jamais éveillé"
"où se trouvent Raphaël, mais aussi Saul" -> j'ai réfléchi à ce pluriel, ça me paraît être un cas particulier donc peut-être que c'est possible d'écrire comme ça, mais j'aurais spontanément écrit "où se trouve Raphaël, mais aussi Saul", avec l'idée que le verbe est partagé par les deux sujets ?
"bras ballant* (ballants)"
itchane
Posté le 18/07/2023
Hello,
Oui on arrive au moment où les révélations approchent et elles laissent parfois des personnes sur le côté. J'ai l'impression que celleux qui ont lu d'une traite ont été moins perdus, mais tout de même il y a eu chez tout le monde des petits blocages sur certains points qui, évidemment, me semblaient très clairs de mon côté x'D

C'est drôle comme des choses très subtiles passent à merveilles et d'autre pour lesquelles j'ai l'impression d'avoir mis de gros sabots en corrections pour m'assurer que ça passe ne sont toujours pas très bien appréhendées... c'est dingue ^^

Je n'en dit pas plus sur cette réponse car tu as déjà bien avancé depuis et je pourrais mieux rebondir sur tes remarques sur les chapitres suivants sans spoiler les éventuels lecteurices de commentaires ; )

(Houlala, que de fautes dans ce chapitre, merci pour le temps que cela a dû te prendre de tout relever !)

À très vite : )
Herbe Rouge
Posté le 05/07/2023
Coucou,

Certains habitants commencent à s'organiser, et pas seulement dans le monde "principal". Plutôt intéressant, Franck n'a donc pas fait que "passer" chez certains...

On apprend que les mondes risquent de disparaitre. C'est amusant, je n'avais pas pensé à cette éventualité, pour moi ils allaient juste se "fondre en un" (alors que clairement, s'ils se fondent en un, il y a donc disparition des autres mondes en réalité).
Du coup, j'espère désormais que tous les mondes vont survivre (alors qu'avant j'espérais que les mondes allaient se "stabiliser" en un seul).

Je me demande si tout ceci ne serait pas lié à la perte de mémoire de l'ancienne (enfin, je ne sais pas, je l'imaginais possible sirène au début, alors peut-être qu'il y a un lien ?)
(ah tiens, j'avais noté cette réflexion avant de lire la fin du premier passage, nous sommes donc tout à fait sur la même réflexion, les personnages et moi, super timing !)

Des équipes se mettent donc en place dans chaque monde pour sauver tout le monde (et que ceux qui sont partis ailleurs retrouvent leur vraie place !). Je leur souhaite bon courage, cela semble compliqué avec cette mémoire qui semble très très défaillante !

Ah ! Une info capitale que j'avais totalement zappée dans mes derniers raisonnements : les vœux ! Il faut dire aussi que cela devient assez complexe, ce qui est intéressant, comme si on perdait la mémoire avec les personnages :)

Si Raphaël a souhaité partir, il faudra lui demander son avis avant de le "ramener"...

Bonne idée ce stress supplémentaire que les voyages entre les mondes précipitent probablement leur collisions.

Mais qui est cette "voisine" ? Je crois qu'on en entend un peu parler par le passé, mais sous le surnom de l'étudiante ? Je suis incertaine. Je ne me souviens pas d'elle plus que ça.

L'idée de la bouteille à la mer, simple et efficace (enfin, je leur souhaite!)

Il semble bien que le blondinet soit celui avec le plus de mémoire !

Oh, Saul ne venait pas de ce hameau ? Mais pourquoi était-il parti du sien dans ce cas ?
itchane
Posté le 18/07/2023
Hello Herbe Rouge !

Merci toujours autant pour ta lecture et remarques !

Oui, la voisine c'est l'étudiante, c'est vrai qu'à ce niveau de l'histoire on commence peut-être à se perdre un peu. Le texte est finalement assez court (roman de 240 pages) pour une intrigue avec beaucoup de personnages, il est possible que cela devienne un peu brouillon à force, il faudrait résoudre ce problème -___-

Effectivement, les mondes vont plutôt chercher à se re-séparer plutôt qu'à fusionner, c'est l'objectif des habitants qui luttent ^^

Quant à Raphaël, il est mineur, donc il n'est pas responsable de ses choix, pour moi il est à ramener chez lui quoi qu'il arrive... mais c'est ma vision des choses ^^

Merci mille fois encore pour tes commentaires qui m'aident beaucoup à voir ce qui marche bien et ce qui marche moins bien !

: )
ClementNobrad
Posté le 15/02/2023
Bonsoir Itchane;

La sirène est la clé de voûte de tous ces mondes qui s'entremêlent, la clé qui ouvrent toutes les portes vers les réalités relatives. J'aime beaucoup cette idée que, la grande investigatrice de ce magnifique tableau, soit elle-même prise dans la toile et ne se rend pas compte qu'elle répète éternellement le même geste, le même voyage. Ce n'est encore que de la théorie à ce stade là de la lecture mais c'est assez convaincant !

Je n'oublie pas la femme de l'ombre, même si tout le monde a tendance à le faire !

Cette recherche d'une personne dans une infinité de monde est très plaisant à lire. La fameuse aiguille dans le botte de foin. J'avais toujours entendu dire que, dans ce cas, il fallait mettre le feu à la botte. Mettre le feu à une fontaine, ça serait cocasse comme situation ! Vider son contenu inépuisable pour éviter la fin des mondes? Plein d'idées me viendraient à l'esprit, sans savoir pour autant si ca serait la bonne solution ^^

J'ai bien apprécié tous les questionnement sur les voeux. Peut-on faire un voeu, si celui-ci va à l'encontre d'un voeu d'un autre? C'est presque un débat philosophique !

"Elle en lu le contenu à voix haute. " > lut

"Il y eût un nouveau moment de flottement. " > eut

"Et c’est alors que Maam eût une idée.
— Et si ce n’était pas que nous ? Et si la sirène aussi oubliait tout à chaque fois ? Et si elle aussi répétait et recommençait tout à chaque fois comme nous sommes en train de le faire ?
La voisine et Prince ouvrir de grands yeux." > eut une idée / répétition de "tout à chaque fois" un peu lourde :) / ouvrirent

" d’éventuelles pertes de mémoires" > mémoire

"sur des brins d’herbes" herbe

"qu’elle volait systématique la vedette" > systématiquement

Au plaisir de lire la suite
itchane
Posté le 16/02/2023
Oh mais je ne connaissais pas cet adage, celui de faire brûler la botte pour trouver l'aiguille x'D (et ensuite on appelle ça une "frappe chirurgicale" dans les médias ?)

Je te remercie encore infiniment pour tes supers commentaires qui me font beaucoup de bien !
Syanelys
Posté le 28/01/2023
Hey Itchane,

Toujours un plaisir de te lire. Ton aventure continue de voguer dans ce mille-feuille parallèle ! Le voilà en train de sombrer et il faut le sauver ! J'aime beaucoup le concept que tu dépeins : plus les voeux s'enchainent, plus la réalité s'effrite. À côté de cela, les soucis de mémoire se multiplient : certains disparaissent, d'autres reviennent, mais on se perd dans les limbes des souvenirs. Qui était qui ? Qui faisait quoi pour qui ? J'aime beaucoup !

Et je pense avoir compris pour Lise. La lectrice aux titres multiples. Tant qu'elle continue de lire, tout va bien pour ce personnage : qu'elle "lise" ou non la fin du poème ne changerait pas grand chose hein ?

La bouteille à la mer, j'accroche à fond. La sirène est bien au coeur de la nébuleuse des reflets et il faut directement demander à la source du mystère comment agir. Ce qui ne sera pas une mince affaire vu tout ce petit monde qui participe à cette grande devinette ici et ailleurs, maintenant et pendant.

Et ce petit suspens ouvert entre Frank et Saul. Tous deux voyageurs conscients, tous deux revenus. Ah non, seulement un. Saul qui est lié à Raphaël par ces mystérieux bateaux, encore eux ! Il faut s'accrocher dans ta lecture spiralaire !

Ma seule impression sur la fin est de songer déjà à une relecture complète depuis le début. Là, tu offres trop de puzzles incomplets sauf si ta volonté est de jouer avec les souvenirs du lecteur volontairement. Qui sait, peut-être essaies-tu de réaliser son voeu de comprendre l'intrigue ?

La sirène, c'est toi, narratrice !

Au plaisir de continuer de t'exposer mes bonnes psites comme mes ratés XD
Syanelys
Posté le 28/01/2023
Petites coquilles :

Lise sera son livre contre sa poitrine et plissa les yeux de concentration. -> serra*
Pourtant, Lise pu voir briller une lueur nouvelle dans le froid de ses yeux. -> put*
itchane
Posté le 29/01/2023
Hello Syanelys !

Je vais finir par stresser d'en arriver aux révélations tellement j'ai peur de te décevoir du coup x'D
En tout cas je ne pense pas qu'il soit nécessaire de relire du début, on est plus dans du réalisme magique / fantastique que dans une équation à résoudre... enfin je crois x'D
Normalement il faut juste se laisser porter... enfin j'espère x'D
(tu sens le doute qui monte en moi ? T_T)

Non en vrai il y a plein de choses qui me font plaisir quand même dans ce que tu écris dans tes commentaires, donc ça va en fait... haha ^^"""

Bon de toute façon on sera tous les deux fixés assez rapidement, la résolution de tout cela n'est plus très loin, tu me diras ce que tu en penses : )

Merci, merci encore pour tes retours hyper utiles !
(j'ai corrigé les coquilles, merci ! ^^)

itchane
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