00 || ET MON ÂME ET MON CŒUR EN DÉLIRE

Un vent frais caressait leurs cheveux.

Un lac peu profond, des galets qui leur effleurent les pieds. Des arbres protecteurs les dominant de toute part, des roseaux majestueux qui se meuvent à la brise estivale, de la terre qui humidifie leurs vêtements de boue. Et de l’eau jusqu’aux genoux, de l’eau fluide, limpide, scintillante, si transparente qu’ils voient les petits poissons rosés qui leur chatouillent les orteilles. Une eau fraîche, pleine de vitalité. Une vie frêle, innocente, une vie éternelle qui pour eux vient tout juste de commencer.

Et puis eux, deux jeunes enfants, hauts comme trois pommes, hauts comme les roseaux. Lui, il porte un short bleu, un short bleu vif qui se distingue des reflets à peine bleutés de l'eau dans laquelle il joue. Un short bleu, des cheveux châtains, presque blonds, et des yeux d’ambre, de beaux yeux d’ambre, qui vibrent d'allégresse, de joie, de naïveté. Il joue, il fait des ricochets. 

Et surtout, il y a elle. Elle porte un maillot une pièce, un grand maillot qu’on enfile entre les jambes et retenu par des bretelles. Un maillot rayé, blanc et rose, sûrement très cliché, trop cliché pour la petite fille vive qu’elle est. Car des deux, de son ami et d’elle, c'est elle, cette petite fille aux cheveux noir de jais, qui court le plus, qui saute, qui éclabousse son ami dès qu’il tourne la tête vers elle. Ses cheveux, ses longs cheveux noirs, et sa frange rideau qui lui couvre les yeux, tournoient autour d’elle à chacun de ses mouvements. Elle rit, elle court, elle s’extasie. Ses iris sombres, onyx, virevoltent de tous côtés, suivent les papillons, les roseaux, les libellules, elle vit et le lac vit avec elle. Elle est là où elle doit être.

Lui, quand il n’inspecte pas les poissons et les galets, il la regarde. Il la regarde vivre, découvrir le monde, grandir. Dans ses yeux à lui, dans le regard de ce petit garçon, brille un mélange de curiosité et d’admiration. On lit en lui comme dans un livre ouvert. Il l’aime, il aime cette enfant, cette fille à peine plus âgée que lui, qui a une fougue de vivre comme il n'en aura jamais. Il l’adore, l'idolâtre, la charrie. Il est si jeune, lui aussi, il ne sait pas ce qui adviendra. Il ne sait pas que l’admiration est en réalité de l'amour, et que l’amour d’enfance, de jeunesse, plus que les autres, brûle et consume plus qu'il ne guérit.

Et elle, impossible de savoir ce qu’elle voit. Ce qu’elle ressent. Elle a l’air libre, tellement libre ici, elle vit au bord de l’eau. On sent ce besoin de fuir, de s’émanciper, elle est si jeune, mais elle a cette nécessité, ce besoin de liberté. Lui ne le sent pas, bien sûr, lui ne le sait pas.

Car sur sa peau, à elle, sa peau claire, pure et pourtant, comme l’eau dans laquelle elle joue, si limpide, brille des tâches bleutées. Des tâches qui, contrairement à ce que lui pense, ne sont pas dûes aux reflets de l’eau…