Je m’élance vers lui, l’enserrant par la taille pour le faire tomber. Mais j’ai mal calculé mon coup, car l’homme-gourdin ne tombe pas à la renverse. Il reste solidement campé sur ses pieds, et m’envoit un coup de coude dans le dos.
Je serre les mâchoires, ignorant la douleur. Je change alors de position, et relève brusquement la tête pour atteindre son nez. L’ennemi crie de douleur sous le cartilage brisé. Mais il ne lâche pas son arme.
Je m’éloigne de quelques pas, adopte une posture de combat. Les jambes écartées et légèrement fléchies, je sautille sur place, attendant le prochain mouvement.
Les deux hommes me regardent comme si c’était moi, le fou. Silas, au contraire, me regarde comme si j’étais un ange tombé du ciel.
— Viens par là, connard, aboyai-je à l’homme-gourdin.
Ce dernier me lance un regard noir, puis fonce sur moi, l’arme au dessus de sa tête. Alors qu’il s’apprête à m’asséner son coup, je m’écarte sur la droite et le pousse dans le dos. Il continue sa course incontrôlable, puis tombe au sol en glissant.
Je ne me préocupe déjà plus de lui, les yeux fixés sur le second qui vient de sortir un couteau rouillé de sa poche. Il fait mine de le lever vers Silas, au niveau de son coeur.
— Non ! hurlai-je en me jetant sur lui.
Nous tombons à la renverse. Je lui tords le poignet, et il lâche son arme en criant.
Derrière moi, j’apperçois l’homme-gourdin se relever. D’un mouvement rapide et précis, je prends le couteau, et le place dans la main de Silas.
Mais à peine ai-je le temps de faire cette action que l’homme-gourdin et l’homme-couteau se jettent à deux sur moi. Ils me font tomber au sol, et le premier me chevauche pour m’immobiliser, tandis que le second s’occupe de bloquer mes bras.
— Bande de malades ! les insultai-je. Je vais vous faire la peau, bande de tarés moyenâgeux !
— Quel fou ! s’étonne l’homme-gourdin.
— Faut vite que l’curé brise la malédiction, dit le second. Sinon on restera maudits à jamais.
— Putain mais de quelle malédiction vous parler ?! criai-je. C’est nous qui sommes maudits, pas vous ! C’est nous que vous essayez de tuer ! Alors que nous, on ne vous a rien fait, on est juste coincés dans cette nuit éternelle !
— Et d’où tu crois qu’elle vient, c’te malédiction ? s’énerve l’homme-gourdin. C’est vous autes qui l’avez ramenés !
— On a rien fait du tout ! On est juste bloqués ici, comme vous ! Alors laissez-nous tranquilles, bordel de merde !
— Z’avez rien fait ? Laisse-moi rire ! Z’avez ramenés Sabah ! Nous, on veut le tuer, Sabah !
Je me fige en entendant ce nom. Une vision subliminale m’apparaît alors : un autel en pierre, sur lequel repose une statue noire.
L’homme-gourdin aussi se fige, car le couteau rouillé vient de traverser sa gorge. Des gouttes de sang tombent sur moi, tandis que le corps tombe sur le côté.
L’homme-couteau, conscient de sa défaite et potentielle mort s’il restait ici, détale vers l’entrée de l’église, prenant la poudre d’escampette.
Ainsi libéré, je me relève. Silas se tient devant moi, défait de ses liens. Le regard vissé sur le couteau qu’il tient encore à la main, il semble sous le choc.
— Hé, l’appelai-je doucement. Silas, regarde-moi.
Il s’exécute, et la détresse que je lis dans ses yeux me fend le cœur. Bordel, est-ce que j’ai toujours été aussi faible ?
— Tu n’avais pas le choix, le rassurai-je. C’était de la légitime défense, d’accord ?
— De la légitime défense, répète-t-il.
— Oui. Tu m’as sauvé. Merci.
Son regard s’illumine. Je lui prends délicatement le couteau des mains, puis l’empoigne par la main droite.
— Partons, dis-je. Il ne faudrait pas qu’un autre taré ou que leur curé nous retrouve.