Tim est debout face au rien. S’il fait un pas de plus, ça sera le vide. Un vide qui se terminera par un plongeon dans l’eau. Personne ne peut vraiment dire ce que charrie le fleuve. Mais personne n’en ressort une fois le plongeon fait.
Tim se demande s’il devrait le faire, ce pas. Ce n’est pas tant qu’aujourd’hui est pire qu’hier. C’est plus cette idée que demain ne sera pas meilleur. Mais Tim sait aussi qu’il ne fera jamais le pas. Il faut sans doute un courage qu’il n’a pas.
Leur bout du monde est gris, morne et boueux. On y passe une journée, puis une autre, puis encore une. Au début, juste après l’Effondrement, il comptait les jours. Il ne le fait plus.
Il soupire, se recule du bord. Puis, il plisse les yeux en regardant l’autre rive. On ne voit rien. Les vapeurs qui se dégagent du fleuve rendent tout brumeux.
Personne n’est allé de l’autre côté depuis un bail. Les ponts se sont effondrés et personne ne va les reconstruire. Ce n’est pas pour rien que leur bout du monde porte ce nom.
Parfois, Tim repense à toutes les personnes qui étaient de l’autre côté. Il en connaissait. Maintenant, elles doivent être mortes.
Tim fait un autre pas en arrière. Il entend la vie derrière lui. Vague, étouffée. Mais la vie quand même. Des discussions, des vrombissements de moteurs. Il ne se retourne pas tout de suite, ferme les yeux.
A travers ses paupières closes, il voit d’autres images. Elles ne sont pas grises, mornes ou bouseuses. Elles ne sont pas vraies. Mais elles font du bien.
Tim finit par frissonner. La pluie a repris. S’il reste là, il va finir par choper la mort. Alors, il se détourne du fleuve et replonge dans le quotidien.
>> "Tim fait un autre pas en arrière. Il entend la vie derrière lui. Vague, étouffée. Mais la vie quand même. Des discussions, des vrombissements de moteurs. Il ne se retourne pas tout de suite, ferme les yeux."
> Gros gros coup de cœur pour ce passage <3
J'ai beaucoup aimé ce deuxième chapitre. Il est vraiment très prenant, nettement plus sombre que le précédent. Ca confirme les pires attentes qu'on pouvait avoir. Le sujet du suicide montre tout le désespoir du narrateur et en même temps j'aime beaucoup la manière dont tu l'abordes, comme une échappatoire idéalisé mais que le personnage est bien incapable de véritablement envisager. Le paragraphe de chute est implacable, comme une condamnation. Brr, ça n'annonce rien de bon...
On n'a aucune information précise sur le contexte, c'est plutôt chouette. On peut s'imaginer en Russie, en Allemagne, ou dans un futur dystopique. Je ne sais pas si tu vas maintenir ça mais je trouve ça intéressant.
Dans ce chapitre comme le précédent, ta plume est toujours aussi tranchante et efficace. Beaucoup de réflexion, d'émotions et pourtant peu de mots. Bravo !
Mes remarques :
"Mais personne n’en ressort une fois le plongeon fait."petite suggestion pour enlever le "fait" -> mais après le plongeon, personne n'en ressort ?
'Ce n’est pas tant qu’aujourd’hui est pire qu’hier. C’est plus cette idée que demain ne sera pas meilleur." superbe passage !
Je continue...
Hum, un autre personnage. La troisième personne du singulier cette fois. C'est une métaphore qui me parle bien aussi. Elle est vivante, je m'imagine bien ce fleuve dans lequel on voudrait plonger pour échapper au quotidien qui semble sans espoir d'amélioration... Ce second chapitre est plus sombre que le premier pour moi je suis émotionnellement happée par les tourments de ce personnage.
Et ça donne envie de savoir ce qu'il s'est passé avant l'effondrement. Est-ce lié aux restrictions pour les victuailles ? Est-ce que tout allait bien (mieux) avant ?