Ma mère sort de la voiture et marche avec moi jusqu'au perron. Le parking, émoussé d’arbres solidaires, s'étend sur une cinquantaine de mètres. Un grand portail noir fraîchement peint ainsi que son grillage de métal font face à une sorte de grand manoir, presque un château, digne d’une école de fantaisie. Une dizaine de voitures les séparent, éparpillées un peu partout, mais elles sont toutes vides. Nous sommes seuls, ici. Au-dessus de nous, le soleil peine à passer entre les nuages. Pourtant, il est bientôt la mi-journée. Le perron, encadré par deux larges colonnes antiques, est surmonté de deux longues marches arrondies. Tout de marbre, d'un blanc pur, presque nacré, rayonnant malgré l’obscurité. J’ai gravi la première marche, je sens sa froideur même à travers mes chaussures. Ma mère, au sol, me prend une dernière fois dans ses bras. Elle a les larmes aux yeux. A ce moment précis, une sorte de solitude inexplicable s'installe en moi. Elle me sourit, me caresse une dernière fois le bras puis tourne les talons. Avec sa démarche habituelle, perchée sur ses talons, légère dans sa robe préférée, elle s'éloigne jusqu'à la voiture. Mon regard la suit malgré moi tandis que le véhicule démarre. Il disparaît à l'horizon, et je reste là, à fixer cette même direction, tentant de voir ce que mes yeux ne peuvent plus deviner.
Mais c’est trop tard. Ça y est, elle a disparu. Mon dernier point d'ancrage a disparu. Mallette en main, je continue de fixer le portail ouvert, à des dizaines de mètres de moi. Rien ne se passe, bien sûr. Ma mère me manque déjà, je me sens comme un petit garçon abandonné dans un supermarché, perdu entre les rayons trop grands, les gens pressés, sauf que ce sont des colonnes blanches qui me dominent et qu'il n’y a personne aux alentours. L’isolement prend un peu plus de place dans ma poitrine quand je finis par me retourner. Face à moi, une large porte de bois sombre à double battants semble me juger. J’hésite. Mes phalanges se resserrent contre la poignée de ma valise. Quand je me rends compte que je tremble, au diable le froid de septembre ou au diable le stress, qu’importe, j’étire mes lèvres, je détends mes épaules et je m’engouffre dans le bâtiment. La porte est lourde, le contact contre mes doigts apparemment glacés me fait tressaillir. Quand j’entre dans le hall, la folie des grandeurs me submerge instantanément. Le damier au sol brille de mille reflets. Plusieurs femmes en uniforme de secrétaire sont assises derrière de grandes estrades faites du même arbre que la porte. Devant elles, quelques élèves et rares adultes patientent, ou bien recueillent des informations. Je suis un peu mal à l’aise, brusquement serré dans ma chemise. L’école de mes rêves me tend les bras, mais je ne me sens plus à ma place. Je regrette mon collège de quartier, les quelques personnes de ma classe qui ont grandi avec moi, pour ces dizaines d’inconnus qui ne me prêtent guère attention. Je ne les connais pas, ils ne me connaissent pas, ne savent pas ce que j’ai enduré pour arriver ici, je suis insignifiant, je ne suis qu’un chiffre dans leur dossier, je ne sais plus ce que je fais ici, mes jambes tremblent, je veux rentrer chez moi, ce dépaysement me prend à la gorge, à peine dix minutes et j’ai le cafard, je me sens implosé.
— Jeune homme ?
Une voix s’impatiente, au loin, une vieille femme, petites lunettes ovales, blazer vert. Reprendre contenance. Marcher. Sourire. Comme si de rien n’était. Comme si j’avais l’habitude.
Les mots s’enchaînent tout seuls.
— Bonjour, Augustus Duroy, oui, je suis interne, je cherche ma chambre…
— Deux cents sept, mon garçon, les clés, bonne journée.
Je m’empare des clés, je lui souris, mais elle m’a déjà oublié, elle espère ne jamais me revoir, qu’on ne l’embête pas, elle déteste les adolescents, elle attend avec impatience sa pause pour discuter avec les autres secrétaires, quelques rires, un café, la routine d’une vie qu’elle n’a pas choisie mais elle s’en convient. Elle est l’exemple de centaines de femmes, avant et sans doute après elle, victimes de leur situation, et qui n’auront pas eu le courage d’aller plus loin, de saisir de nouvelles opportunités, de réaliser leurs rêves. Enfin, peut-être a-t-elle toujours rêvé d’être secrétaire, après tout. Peut-être que, petite fille, elle observait les autres secrétaires derrière leur bureau, des étoiles pleins les yeux, les montrant du doigt en criant « quand je serais grande, je serais comme elles ! ». Le simple fait de penser à cette allégresse puérile me réchauffe un peu le cœur. Ai-je moi-même envisager mon avenir de la sorte, une fois dans ma vie ? Ai-je moi aussi désigner de l’index, les yeux brillants, une situation quelconque ? Ai-je simplement déjà eu un rêve, une ambition, à part celle de subsister, de survivre ?
Mes questions fusent tandis que mes pas m’éloignent du hall. Je pense à l’avenir que j’avais imaginé ici, celui qui sera bientôt mon présent, dans les jours à venir. Qu’ai-je cherché, en venant ici ? J’en oublie pourquoi je suis venu. J’aurais pu rester chez moi, dans mes champs, dans mon potager. Qu’est-ce qui m’a poussé à partir ? L’envie d’apprendre, de découvrir le monde, autre chose que mes pauvres légumes ? Mettre au monde mes espoirs d’université ? Ai-je quelque chose à prouver à l’univers ? L’ai-je fait pour ma mère, qu’elle soit fière de moi ? Ou me sens-je uniquement coupable d’avoir tant pesé à ma génitrice durant toutes ces années ?
Je marche, je marche mais seules mes pensées résonnent dans ma tête, combien de temps me faudra-t-il pour apprendre à vivre ici, si loin de tout ce que je connais ? Il fait tellement froid, entre ces murs, à chacun de mes pas la froideur glaciale du carrelage transperce mes chaussures, il émane des murs, des colonnes de marbre, tout est si beau ici, on dirait un château de la Renaissance, j’ai l’impression d’étouffer, tout est si grand. Je croise des élèves, en uniforme, bien droits, bien fiers, aucun tissus ne dépasse, tous les boutons sont alignés, fermés à la perfection, les chaussures cirées, les cheveux plaqués. Ils sourient hypocritement, puis me toisent quand ils me voient, leurs yeux me transpercent. Je vais vomir. Je poursuis ma route, je ne sais pas où je vais, le souvenir de leurs yeux est imprégné dans mon corps, ils me transpercent, pourtant ils ont poursuivi leur chemin, ils m’oublieront. Ils m’oublieront mais ce sentiment de malaise que leur regard a fait naître en moi refuse de me laisser respirer. J’aurais du rester chez moi, ma mère, mes carottes me manquent déjà.
Je crois que je suis perdu. Dans ma tête, déjà, mais surtout dans l’école. J’ai fait deux fois le tour de la cours centrale sans m’en rendre compte. Je déambule, j’ai encore la nausée, ma gorge brûle, et puis je perds pied et je m’affale sur un muret. Mes bras s’étendent le long de mon corps, je fixe mes chaussures, las, je ne sais même plus pourquoi je suis ici. Ma malette se repose contre ma jambe. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, à scruter mes chaussures, mais c’est la seule chose que je puisse faire. Je soupire, avant de masser mes tempes, sourcils froncés. Ma tête me heurte à chaque battement de mon cœur, qui résonne dans ma tête comme pour sonner une heure fatidique. Ciel, je n’y arriverai jamais. Je n’ai qu’à emménager sur ce muret, j’y planterai ma tente, je me ferais griller des… fleurs, des arbres, enfin toutes les choses que je trouverai dans un rayon d’un mètre à la ronde, et ça ira très bien.
Plongé dans mon délire, je ne remarque pas tout de suite l’ombre perchée au-dessus de moi. Quand j’émerge enfin et que j’ose relever les yeux, je ne sais pas quelle heure il est mais le soleil achève déjà sa course dans les nuages. Une douce lueur orangée éclaire la cour.
L’ombre perchée au dessus de moi est en réalité un homme en costume brun, d’âge mûr, aux cheveux poivre sel et au visage sympathique. Il glisse ses mains dans ses poches puis me sourit:
— Vous êtes perdu, jeune homme ?
Je me souviens alors de ce que je fais ici, sur ce muret, dans cette école, de ce que je cherche, de qui je suis. Je l’observe une seconde, son visage en contre jour ne laissant apparaître que ses lunettes ovales qui scintillent, puis je réponds d’une voix se voulant assurée:
— Je suis interne, dis-je en désignant la mallette à mes pieds. Je cherche la chambre… 207.
L’homme, un professeur manifestement, a un rictus amusé. Je voulais donner l’illusion que je ne faisais qu’une pause, que je savais ce que je faisais, mais en réalité je n’en mène pas large, et il a eu l’air de s’en rendre compte. Pourtant, à part cet étrange rictus, et l’étincelle qui brille dans l’ombre de ses pupilles, il ne mentionne pas ce sujet lorsqu’il me donne la direction.
— Bâtiment C, deuxième étage. Les escaliers à votre gauche, jeune homme, ajoute-t-il après quelques temps sans que je ne bouge.
— Merci, bafouille-je en perdant toute confiance en moi, tandis qu’il tourne les talons et s’éloigne en me saluant brièvement.
Pour donner bonne figure, et surtout reprendre un peu de contenance, je me dirige vers lesdits escaliers. En fait, ils étaient à côté de moi, dans mon champs de vision, et un panneau métallique indiquant « dortoirs » trône sur le mur qui le jouxte. Mon cerveau, d’habitude si vif, me semble fatigué. Je me sens bête, tout à coup, et alors que je gravis les marches de bouleau, ravalant mon humiliation, j’espère ne plus jamais croiser cet homme.
Deux cents sept. Second étage, j’imagine. Je poursuis mon ascension, les jambes en feu après le temps incalculable que j’ai passé assis. Le silence me prend aux tripes, mais plus j’avance, plus il disparaît, laissant place à une musique déchaînée qui s’accentue de plus en plus.
Arrivé au deuxième étage, je balaye les numéros des chambres du regard. Deux couloirs étroits, aux murs de papiers peints et au sol parqueté, s’offrent à moi. À ma gauche, les nombres supérieurs à deux cents vingt. Et à ma droite…
J’arpente ledit couloir non sans nervosité. Évidemment, la musique provient de ce côté-ci du dortoir. Je l’entends nettement, à présent; elle est beaucoup plus rythmée, puissante, vibrante que celle qu’écoute ma mère à la radio. Le chanteur hurle tellement dans le micro qu’on ne comprend qu’à grande peine les paroles, et la batterie, intense, dépasse la mélodie. Mes oreilles sifflent. Comment peut-on prendre du plaisir à écouter ces chansons ? Et, plus encore, peut-on encore appeler cela de la musique ?
J’approche à petit pas pendant que les nombres se rapprochent de plus en plus du numéro fatidique. La musique grandit elle aussi. Ciel, si c’est un de mes voisins, je ne..
Deux cent sept. J’y suis. Le numéro est barré par de nombreux stickers, d’une culture semblant à la fois hard rock et hippie. Mon cœur se serre, tout comme les poings. Évidemment, évidemment ! Il avait fallu que les cris hystériques proviennent de la chambre où je logerai les deux prochaines années ! Cela dit, ce ne serait pas étonnant que la dernière personne ayant habité ici ait été prise de surdité…
Je patiente devant la porte, mon cœur tambourine, tout comme mes tympans. L’un comme les autres pourraient exploser à tout moment. Qu’attends-je ? Je n’en ai aucune idée. Mes phalanges blanchissent à vue d’œil, mes muscles contractés à l’extrême m’indolorent. Je finis par ravaler ma fierté et toquer à la porte. Après l’incident de tout à l’heure, je ne souhaite plus être humilié aujourd’hui. D’ailleurs, j’ai eu ma dose d’errance (et d’interactions sociales) pour la soirée. Tout ce dont j’ai besoin, c’est d’une petite sieste dans des draps propres, même une bonne nuit de sommeil, et sans musique hard rock, si possible.
Je patiente, encore. J’ai frappé pourtant, mais je n’ai reçu aucune réponse. Alors je réessaie; aucun signe de vie. Les hurlements sont trop forts, bien sûr, je dois donc entrer dans la gueule du loup.
Je prends une grande inspiration et j’entrouvre la porte. La musique me submerge une seconde, puis s’éteint. Soulagé, j’ouvre un peu plus et je passe la tête par l’embouchure. Au sol, toutes sortes d’objets (vêtements, mouchoirs… nourriture ?) y sont jonchés, et couvrent joyeusement la moquette grise. Le couloir s’étend sur quelques mètres, une porte à ma gauche donnant sur ce que je suppose être la salle de bain, et puis en face de moi, la pièce principale. J’ose faire un pas, et je croise son regard.
— C’est pour… ? demande alors un adolescent de mon âge, debout en face de moi, une pile de vêtements entre les bras.
L’individu me toise quelques secondes. Avec ses boucles brunes qui lui caressent les épaules et son t-shirt hard rock extra large, il ressemble à ces jeunes dans les festivals de musique qu’on voit aux infos le vendredi, à la télévision- d’où les stickers. Ses bras sont dissimulés derrière plusieurs vêtements pliés, qu’il porte à grand peine, et qu’il est en train de ranger dans une petite armoire en bois. Ses grands yeux bruns brillent d’un air curieux et son sourire, un peu crispé, semble néanmoins sympathique.
— On m’a assigné à cette chambre, alors j’imagine que je suis ton… colocataire ? tente-je en m’éclairant la voix.
— Eh bien, ne reste pas sur le seuil ! s’amuse-t-il en me faisant un signe de main, affichant un air soulagé.
Je souris puis m’engouffre à mon tour dans la chambre. Un couloir étroit m’accueille et débouche sur une pièce toute aussi étroite. En face de moi, une fenêtre, un lit défait, puis l’adolescent qui poursuit de ranger ses affaires. Au mur, plusieurs posters de groupes de musique que je ne connais pas mais que ma mère aurait adoré. Et puis un grand bureau, un placard, des cartons posés sur le sol et un post TV datant de quelques décennies lui même posé sur un gros carton rembourré, bien que je suis presque sûr que cela n’a rien à faire dans une chambre de pensionnat. J’avance encore, et à ma gauche, je découvre un lit en hauteur, qui surplombe un vieux bureau en bois. Tout est vide, tout est propre, mais lorsque je pose ma mallette sur le sol, un filet de poussière émane de la moquette. On dirait un îlot abandonné. A moi de lui rendre un peu de vitalité.
— Au fait ! me sourit-il lorsque je pose ma mallette sur mon bureau afin de déballer mes affaires. Je m’appelle Julio, et toi ?
— Augustus, lui répond-je en sortant mes recueils de poésie de ma valise pour les déposer sur la table en bois. Tu as fait ta première année ici, l’année passée ?
Je tourne les yeux vers lui, et je vois le dénommé Julio hocher la tête. Il chasse une de ses longues mèches rebelles de son visage, et ayant fini de ranger sa valise (un grand sac à roulette délavé), il la pose derrière le post tv.
— Ton prédécesseur a eu son bac en juin dernier, m’explique Julio en tapotant du bout des doigts le post tv. C’est rare, d’entrer en deuxième. Tu dois être doué.
J’hausse les épaules, digérant le compliment. J’imagine que passer ses nuits à travailler ne relève pas du talent, et que n’importe qui peut s’y mettre… s’il ne tient pas à sa santé, bien sûr.
— J’aurais besoin d’aide pour ramener un tapis…, commence-t-il alors d’un air jovial.
— Un tapis ? Comme le post tv, tu l’as ramené aussi ?
— Je l’ai piqué dans la salle commune, s’extasie-t-il en bombant le torse. Et il est impensable de jouer à PacMan sur de la simple moquette !
Je n’avais aucune idée de ce qu’était cette chose ni comment on y jouait, pourtant je me suis laissé entraîné par mon nouveau colocataire, laissant ma valise ouverte sur mon bureau. En sautillant, il tire mon bras et m’emmène hors de la chambre, rayonnant. En le suivant, je me rends compte que le couloir n’est pas si long et effrayant qu’à mon arrivée. En fait, tout est étroit, ici. Les portes, les lattes du parquet, les murs qui semblent se rapprocher à chaque nouveau pas. On descend les escaliers, ceux que je venais de monter, et on retourne dans la cour. Je jette un coup d’œil au muret sur lequel j’étais assis durant les dernières heures.
La salle commune se trouve en réalité au pied de l’escalier. C’est une lourde porte en bois, donnant sur une espèce de cagibi qui sent la sueur et le moisi. Des cartons y sont entassés, un vieux canapé et ses coussins surplombe la moitié de l’espace, faisant face à un meuble télé recouvert de cartons (dont la télé n’y est plus, manifestement, puisqu’elle se tient désormais dans notre chambre). Et au fond de la pièce, des centaines de bibelots y sont entassés. Des meubles, des chaises, des dictionnaires, des ampoules, des cadres, des cartons dans tous les sens, des albums photos, des jouets, des ballons de basketball, et bien sûr, derrière tout ce bric-à-brac, ce que je pense être notre futur tapis. Caché derrière cette effroyable pile de rien, il semble hors d’atteinte, il nous faudrait une éternité pour le rapporter. Mais Julio, mon nouveau colocataire, ne perd pas le nord. Tel un gymnaste, il escalade le canapé et, prenant appuie sur une chaise, entreprend de tirer le tapis. Lorsqu’il l’atteint enfin, en équilibre entre une vieille armoire et un amas de gros livres, ses mains agrippées au tapis, il demande:
— Dis, tu aimes les bonbons au caramel ?
Pris au dépourvu, je l’observe sans comprendre. Bien sûr, les bonbons au caramel sont de loin mes friandises préférées. Mais c’est quand même lui qui est dans les airs, pouvant mourir d’une seconde à l’autre !
Je lui fais part de mon amour pour les caramels, pour rester poli et cacher mon inquiétude, lorsqu’il plonge dans le désordre. Quelques secondes plus tard, il se tourne, manquant de tomber, et, tout sourire, me lance quelque chose dessus.
— Réflexe ! s’amuse-t-il tandis que, surpris, je me prenais l’affaire dans le ventre.
La chose en question était en réalité un paquet de bonbons au caramel poussiéreux. Depuis combien de temps était-il là ? Était-il seulement encore mangeable ?
Mais, la question qui me travaillait le plus: comment avait-on pu abandonner des caramels dans un hangar comme de vulgaires friandises ?
Me perdant dans mes réflexions, je ne vois plus Julio, qui, les bras chargés de l’énorme tapis, entreprend de désescalader l’amas de bricoles. Je tente de l’aider, mes mains en protection dans son dos, même si je ne suis pas sûr de servir à grand chose.
Il descend, souriant, me montrant sa découverte. Le tapis en question fait presque sa taille. Comment a-t-il réussi à le transporter dans les airs ? Cela révèle de la performance artistique. Je toise mon colocataire, et je fronce les sourcils. Malgré ses bras fébriles et son air gringalet, il semble avoir plus de force qu’il ne le montre.
— Tu peux prendre quelques coussins ? dit-il comme si de rien était en désignant le canapé.
Je grimace, pensant futilement que je ne suis pas en train de voler, la salle commune étant à tous, puis je m’empare des coussins à motifs orientaux. Leur touché m'est très désagréable; de la poussière de loge dans chacun des fils du tissus, qui m’irrite les doigts malgré ma poigne distante. Les bras chargés des trois coussins, les caramels périmés dans ma poche, j’accompagne Julio dans le chemin inverse, vers notre chambre. Il ne semble avoir aucune difficulté à porter le tapis, et s’amuse même à faire des tractions lorsqu’il croise mon regard effaré.
— Ils sont encore bons, les caramels ? lance-t-il lorsqu’on passe le premier étage.
Mon regard se perd sur les traces de l’étiquette, cherchant une date. Je finis par la trouver, nichée dans un des coins de paquets.
— Il nous reste deux semaines.
— Parfait ! s’enthousiasme-t-il. Nous avons notre repas de ce soir !
Je lève un sourcil. Je le connais depuis seulement quelques minutes, et déjà il ponctue ses phrases d’humour, déjà il aspire à me voler mes affaires.
Déjà il parle comme si on se connaissait depuis des années. J’essaie néanmoins de poser des pensées sur l’adolescent qui m’accompagne, sautillant gaiement au fil des marches malgré l’énorme tapis qui l’encombre, de façon presque insouciante, enfantine. Ses actions semblent à la fois exagérées, maîtrisées, mais aussi très honnêtes, très… vraies. Cela a beau m’être perturbant, je ne peux que m’en amuser. Julio m’a pourtant l’air sympathique, et j’ose imaginer que nous avons tous nos étrangetés.
Tandis qu’il me devance, j’arrive quelques secondes plus tard à notre étage. Julio s’est figé devant notre porte, tant qu’il en a lâché son tapis. Inédit, je m’approche doucement, les coussins toujours chargés dans mes bras. Son visage s’est désintégré, et il observe en face de lui, notre chambre, dont la porte est grande ouverte.
Je me penche par-dessus son épaule, et là, mon sang se glace. Notre chambre est sans dessus dessous; la télévision est renversée, les plumes des coussins éparpillées partout dans la pièce, le contenu de nos valises à même le sol, les meubles ont eux aussi valsé… Devant cette scène de crime, Julio a les larmes aux yeux. Ses jointures blanchissent, et, nageant dans l’incompréhension, je ne peux que l’entendre murmurer:
— J’aurais dû fermer la porte à clé…
Je relis chaque soirs c'est chaque fois plus doux, j'aime trop ! Continue ce que tu fais, c'est incroyable.
C'est tout doux et facile à lire, c'est incroyable !
Bisouuuuuus et à la prochaine.