03h

J’ai suivi Silas sans broncher, lui faisant aveuglément confiance sur la destination. Il avait raison sur un autre point : la forêt semble s’étirer sans fin. J’ai mal aux pieds à force d’avoir marché, couru, fui.

J’ai beau râler silencieusement, je suis néanmoins soulagé quand nous arrivons enfin à l’autel perdu en bord de route. La forêt qui nous entoure accentue la noirceur de la nuit. Heureusement que la lune est là pour nous guider.

Je me penche en avant pour observer l’autel. Il est fait en pierre, sali par le temps et l’érosion, de la mousse s’y étant accroché par endroits. Dessus repose une statue noire, représentant un...

— Qu’est-ce que ça représente ? demande Silas.

— On dirait un... homme ? fis-je, incertain.

Dur à affirmer, car cette statue est très laide, comme si elle avait été sculpté par un amateur.

— Elle représente Sabah ? interroge Silas.

— J’en sais rien, grognai-je. Je suis aussi perdu que toi, je te rappelle.

— C’est toi qui a voulu chercher Sabah, grommella-t-il. Alors on fait quoi, maintenant ?

Je me redresse, poings sur les hanches.

— J’en sais foutrement rien. Putain, j’en sais rien du tout ! J’en ai marre de cette histoire, merde ! On est condamnés ici jusqu’à ce qu’on crève, c’est ça ?!

Silas s’approche de moi, pose une main rassurante sur mon bras.

— Il ne faut pas baisser les bras, Raphaël, nous devons rester soud-

— Quoi ? dis-je en me figeant.

— Comment ça, “quoi” ? répète il en fronçant les sourcils.

— Tu viens... tu viens de dire mon nom ? Raphaël ?

Ses yeux s'écarquillent, comme s'il venait de se rendre compte qu’il avait commis une bêtise.

— Je... je n'ai pas...

— Putain, tu connais mon nom ?! crachai-je. Pourquoi tu m'as fait croire que non ? Que tu ne connaissais rien de moi !

J'avais baissé ma garde envers lui, mais constater qu'il m'a bel et bien trahi me met hors de moi. J'enrage d'avoir été dupé.

Je m'approche de Silas, mais il recule. Ses yeux papillotent entre mon regard noir et mes poings serrés.

— Attends, dit-il d'une voix chevrotante. Je peux t'expli-

— Oh que oui, t'as intérêt à t'expliquer ! criai-je. Tu m’as menti, tu m'as dit que tu ne savais rien, que tu ne connaissais même pas mon nom !

Son dos cogne contre l'autel en pierre. Il est coincé entre Sabah et moi. Ma respiration s'accélère, comme la sienne. Mais pas pour les mêmes raisons.

— J'avais peur ! s'exclame-t-il. J'avais peur que si tu connaisses la vérité, alors tu m'abandonnes ici, avec ces monstres.

— Pourquoi ? crachai-je. Pourquoi t'aurais-je abandonné ? Quelle raison assez valable aurait-elle pu justifier que je t'abandonne dans cette maudite ville ? De quelle vérité tu parles ?

Il ne répond plus. Je suis si près de lui que je sens son souffle erratique sur mon visage.

— Réponds ! hurlais-je.

— Je... je...

Une lumière se fait soudain en moi.

— Silas, comment me suis-je évanoui ?

Il relève la tête, bouche bée. Il se redresse de toute sa hauteur, fronce les sourcils.

— Je ne t'ai jamais fait de mal !

— Je ne t'ai pas accusé.

— Tu l'as insinué ! se défend-il.

— Silas, grondai-je. Je te laisse 10 secondes pour m'expliquer ce que tu sais de moi. Sinon je risque vraiment de m'énerver.

— Raphaël, s'il te plaît. Je te dirai tout, mais une fois qu'on aura quittés cette ville. Je te le promets.

C'est la phrase de trop.

Dans un cri de rage, je m'élance sur lui, les mains sur sa gorge. Il tombe à moitié sur l'autel, avec un hoquet de surprise. Je serre ma prise, penché sur lui. Son visage blêmit, ses yeux écarquillés d'effroi.

— Pitié, parvient-il tout juste à gémir.

Mais je ne l'entends déjà plus.