Il m’a trahi, qui sait s’il ne me cache pas d’autres choses ? Peut-être dissimule-t-il de terribles souvenirs sous couvert de me protéger.
Je ne réfléchis plus clairement, aveuglé par la rage, la peur, le désespoir. Je veux juste me barrer de cette foutue ville. Je ne sens même plus la douleur lorsque Silas me griffe les mains, cherchant à me faire lâcher prise. Je ne veux qu’une chose : en finir.
Soudain, le jeune homme que j’étrangle murmure un mot, à peine audible :
— Louise...
Ce nom ! Un flash me revient : une femme sur un lit, inerte, les draps ensanglantés. Mon cœur sourde de douleur, mais incapable de me souvenir de qui il s’agit. Je ne saurai dire qui elle est, mais un sentiment ressurgit aussitôt : la culpabilité.
Qui est-elle, pourquoi je me souviens d’elle sans m’en souvenir réellement ?
Je relâche mon étreinte mortelle. Silas toussote, aspire goulûment l’air. Mais je ne m’éloigne pas de lui, le forçant à rester le dos penché au dessus de l’autel.
— Qu’est-ce que tu as dit ? demandai-je dans un souffle.
— Louise, répète-t-il d’une voix tremblante. Tu répétais ce nom dans ton sommeil, sans jamais me dire de qui il s’agissait.
— Dis-moi tout, Silas, ordonnai-je.
Ses yeux brillent des larmes d’étouffement. Sa réponse ne tarde pas à venir, et je dois me concentrer tant il débite à toute vitesse.
— Je t’ai trouvé dans un parc, les vêtements ensanglantés. Je suis tombé sur toi alors que je fuyais un villageois. Tu disais des choses incompréhensibles : “Désolé”, “C’est tout ce que tu méritais”, “C’est de ma faute”... Je t’ai supplié de m’accompagner, de ne pas me laisser seul.
— Tu vois un homme en sang, qui marmonne des propos ambigüs, et tu lui demandes de te suivre ?
Silas secoue la tête. Il pleure vraiment, cette fois, et ses larmes tracent des sillons sur ses joues sales.
— Parmi tous les gens fous sur lesquels je suis tombé, tu es le seul qui n’ai pas essayé de me tuer. Alors oui, j’étais désespéré, et je t’ai demandé de l’aide.
— Très bien, imaginons que tu dises vrai. Qu’est-ce que je t’ai répondu ?
J’ignore si je peux lui faire confiance, désormais. Mais sa parole est tout ce à quoi je peux me raccrocher.
— Tu n’as pas vraiment répondu, chuchote-t-il. Tu t’es juste levé, et tu m’as suivi. Tu n’arrêtais pas de répéter “Je veux juste en finir”.
— Et ? Ensuite ?
— Alors on a fait ce qu’on fait depuis un moment : survivre. Puis, à un moment, on est tombés sur un fou, et il t’a frappé avec une pierre sur la tempe. Tu t’es évanoui.
Ma gorge se serre. Tant de questions se bousculent dans ma tête.
— Tu l’as tué ? demandai-je.
— Oui, déglutit Silas. Raph, comprends-moi, s’il te plaît, je n’avais pas le choix ! Si je t’avais tout révélé, peut-être que tu te serais souvenu de pourquoi tu voulais en finir, et tu aurais peut-être tenté de te suicider. Tu avais l’air si triste et désespéré ! Je ne voulais pas rester seul ici.
— Donc tout ce sang que j’avais sur moi... tout ce sang n’était même pas le mien.
L’horreur me prend soudain, et je recule de quelques pas.
— Putain, j’ai tué quelqu’un ! m’écriai-je. Qui était-ce ? Qui était cette femme que j’ai tué ? Cette Louise ? Bordel de merde !
Je m’accroupis, la respiration sifflante.
— On n’en sait rien, dit Silas en s’agenouillant à ma gauche. On ne sait pas ce que tu as fait, alors n’en tire pas de conclusions hâtives.
— T’as une meilleure explication de mes propos, du sang frais sur moi ? Comment tu peux expliquer ça autrement que par un meurtre, hein ?!
Il baisse les yeux, et je sursaute quand il prend ma main dans la sienne. Le contact est glacé, mon traître est frigorifié.
Une partie de moi a envie de l’emmener dans un bâtiment pour l’aider à se réchauffer, et une autre partie veut l’étrangler à nouveau pour sa trahison. Je m’apprête à l’invectiver, mais il murmure :
— Pardonne-moi. Je suis désolé, je n’aurai pas dû te cacher ce que je sais. J’ai paniqué, et j’ai pris la décision de ne rien te dire. Je suis sincèrement désolé... Pardonne-moi, s’il te plaît.
Je soupire, ne trouvant plus la légitimité de l’insulter.
— Pardonne-moi de t’avoir... étranglé, dis-je.
— Je ne peux pas t’en vouloir pour ça, sourit-il. Tu encaisses beaucoup depuis quelques heures, et je ne t’ai pas aidé à y voir plus clair.
— Hmmm...
Nous restons là un moment, l’un contre l’autre. Je repense à cette femme, Louise. Au sang sur mes vêtements, à mes souvenirs perdus...
— Faut qu’on bouge, finis-je par dire. Je ne veux pas retomber sur un-
Ma phrase meurt sous le cri de rage d’un homme. Un détraqué surgit au bout de la route, courant vers nous à toute vitesse.