Des fois, Adeline se disait qu'elle devrait demander à l'un des autres de faire venir un exorciste ou quelqu'un qui était spécialisé dans le paranormal dans cette maison. Juste pour vérifier et s'assurer de si cette maison était hantée ou non. Elle se disait ça, puis oubliait à chaque fois le lendemain. Tout ce qu'elle faisait, c'était se cacher sous les draps de son lit, ne pas en sortir et essayer de ne pas trop y penser. De ne pas trop donner d'attention à ces fantômes qui revenaient chaque nuit.
Ils étaient apparus depuis les premiers jours chez le crew, après la disparition de son univers. C'était toujours les mêmes qui revenaient. Ils étaient au nombre de deux et avaient l'apparence de petites filles, quasiment le même âge qu'elle. Elle n'arrivait pas vraiment à déterminer plus que ça au sujet d'à quoi elles ressemblaient parce qu'il fallait être honnête, elle n'aimait pas les fantômes, elle n'avait pas envie d'en voir et elle ne voulait pas tenter le diable au sujet de ce qu'elles allaient faire si un contact visuel était établi.
Pourtant, contrairement à ce qu'elle pensait, elles ne firent jamais rien du tout. Les rares instants où elle osa sortir la tête des couvertures, les deux petites se contentaient juste de flotter tout autour d'elle, la regardant et chuchotant des paroles, paroles qu'elle ne voulut pas entendre. Au bout d'un certain temps, elle finit par envisager la possibilité qu'elles étaient inoffensives mais ça n'empêcha pas qu'elle ne voulait pas les voir parce qu'elle ne se sentait pas bien en leur présence.
Pendant un long moment, elle avait cru qu'elle était la seule à voir ce genre d'esprits. Jusqu'à un jour où Iris Jacket, qui avait à peine 4-5 ans de plus qu'elle et lui servait de grande sœur de substitution, s'était plainte au petit-déjeuner que Frank n'arrêtait pas de flotter toutes les nuits autour de son lit et que sérieusement, tonton, où est-ce que t'as acheté ces fausses tentacules, c'est pas drôle, arrête ça. La seule réponse du scientifique fut de jurer ses grands SCP-343 qu'il n'avait jamais fait ça et que ce n'était absolument pas son genre de rester éveillé en pleine nuit pour quoi que ce soit. Cela aurait pu en rester là, mais immédiatement après, Jeremiah, le poulpe, s'est mis à parler du fait qu'il voyait souvent des fantômes également, ceux de ses anciens camarades de classe des deux écoles de monstres où il est allé (le crew l'avait retrouvé alors qu'il était encore dans la seconde, nommée « Azelyss »). Il fut suivi de Mina, la super-héroïne. La même chose, sauf que c'était ses anciens coéquipiers et partenaires conjugaux.
La conversation continua pendant un bon moment et même si elle ne dit rien, Adeline fit tout son possible pour écouter et emmagasiner ces informations. Finalement, ce fut durant la nuit qui suivit qu'elle décida finalement de ne pas se cacher et de voir clairement qui étaient ses fantômes à elle. La réponse ne fut pas si surprenante, mais resta vraiment déplaisante.
Ces petites filles, c'était les seules personnes qu'elle avait vu durant les derniers jours de son monde. Comme elle, elles avaient probablement eu d'autres vies et lesdites vies étaient sûrement épanouies. Comme elle, leur avenir était probablement prometteur et elles auraient pu laisser une marque, peu importe qu'elle soit petite ou grande, sur le monde.
Comme elle, elles avaient été infectées par un virus venant d'une météorite qui les avait fait régresser au stade de petites filles, avec probablement aucun espoir de redevenir les jeunes adultes qu'elles étaient avant. Bonham ne savait pas où elles étaient ou si elles étaient même encore là, quelque part dans le Multiverse, mais elle pouvait parier qu'elles détestaient leur condition au moins autant qu'elle-même.
Parce qu'elles n'étaient pas vraiment là, dans sa chambre. La vérité, c'est que tout comme pour les autres membres du Pig Crew, tous ces fantômes n'étaient que des fragments d'imagination. Des bribes d'un passé morcelé que personne ici n'avait vraiment eu le temps de vivre. Si elle ne se souvenait plus vraiment d'à quoi elles ressemblaient ou même comment elles s'appelaient, c'était parce que la femme bizarre au masque de cochon qui lui faisait peur ne s'en souvenait plus non plus. Probablement que les autres avaient oublié pas mal de choses également. Des noms, des visages, des mondes entiers… et quand elle tendit finalement l'oreille pour essayer de les entendre, elle put se rendre compte que c'était exactement ce qu'elles demandaient. Elles voulaient savoir si Adeline les avait oubliées.
La nuit qui suivit, au moment où elles reposèrent cette même question, la petite fille s'arma de suffisamment de courage et, pour la première fois, elle regarda les deux spectres dans les yeux et leur sourit. Elles le lui rendirent, n'ayant pas besoin d'une autre preuve.
Depuis, elle n'eut plus peur de les voir. Tout le monde fut ravi de voir que ça semblait lui faire passer de meilleures nuits et améliorer son humeur en plus de cela.