Programme lancé. Depuis le sous-sol s’élève le bruit de la machinerie en vue de fabriquer de nombreuses armes. Première étape. Ensuite les consignes, beaucoup de blabla superflu, j’en devine déjà la grande partie.
Alors que mes yeux scrutent les différentes étapes de la manufacture, un bruit sec semblable à des phalanges contre le plomb de la porte attire mon attention vers l’entrée.
« On a terminé le nettoyage, » annonce Melvin en allumant une cigarette. « Mes gars vont emmener la première cargaison, je vais rester dans le coin histoire de vérifier que personne ne vienne.
— Fais donc. Si je t’entends crier je barricade tout.
— Laisse quand même l’ouverture sur le toit, que j’ai un espoir de survie !
Sarcastique. Ou pas. Je ne sais jamais s’il tente de plaisanter ou au contraire s’il fait preuve de son plus grand sérieux. Qu’importe au final, il connaît les risques du devoir qu’il a choisi d’accomplir. Entre protecteurs et nettoyeur, ils nous permettent de nous sentir en sécurité.
« Évidemment. Et Melvin ! Tu peux demander à tes gars de ramener à boire ?
— Il y a déjà de de l’eau ici, en bouteille et courante.
— Ce n’est pas ce genre de soif que je veux combler. Si tu vois ce que je veux dire.
— Bien sûr… on a de la vodka, tequila, du whisky le crois…
— Qu’importe ! Avec des cigarettes, et un briquet. S’il te plaît. »
Son visage tire un sourire à la fois gêné et déçu, toutefois ça ne l’empêchera pas de me ramener ce contre quoi je me suis longuement battue. Si une mort prochaine doit arriver, alors au diable les addictions, une balle dans la tête dépassera le meurtre lent de ces drogues.
Dans quelques locaux du bâtiment de sécurité qui devaient autrefois servir de salles de réunion, exposent aujourd’hui à la manière d’un musée bouteille d’alcool de toute origine, agents hallucinogènes ou soporifiques, et probablement d’autres trucs ayant chacun un effet bien spécifique. Récoltés au fil des années lors de sorties de la ville quand nous avions besoin de ressources à exploiter ou marchander. Et grâce à un effectif grandissant saison après saison, dont la première explosion date des mois suivants l’heure sombre, beaucoup de nouveautés arrivaient par fourgon tellement remplis qu’un grain de poussière peinerait à trouver sa place.
D’après l’historique des consignes, la logique aurait voulu que l’on y garde de l’armement, comme de nombreuses voix le suggéraient. Mais une réflexion de Pavel avait fait changé les points de vue : le stock du bâtiment de sécurité ne permettant pas d’abriter une quantité phénoménal d’outils de guerre, et également pour avoir toujours la meilleure technologie du moment, l’usine sous nos pieds serait toujours prête à produire le meilleur équipement possible. Une façon aussi logique de voir les choses.
Alors que dans un concert cacophonique les machines se gèrent d’elle-même, je profite du temps qui s’écoule doucement pour lire les quelques classeurs de procédures. De nombreuses pages rajoutées au fil du temps remplient ces portes documents prêts à céder sous la masse des feuilles plastifiées.
Énormément de phrases répétitives amènent toujours la même solution à différents problèmes : panne ? Appeler le superviseur qui préviendra l’équipe technique. Intrusion ? Appeler le superviseur qui enverra des agents. Etcétéra.
Au trieur suivant. Je jette mon dévolu sur celui tamponné d’un confidentiel rouge. Maintenant que j’occupe le poste de Pavel, pourquoi devrais-je m’en privée ?
Un instant de doute bloque mon bras, est-ce que je devrais vraiment ? Rien d’officiel n’a pour le moment été signé. Est-ce que mon intention pourrait m’amener du tort ?
Au pire des cas personne ne saura. Melvin se promène dehors, personne d’autre ne se trouve dans ce bâtiment.
Allez.
La première page présente les différents acteurs de ce document : Hésékiel Märkinen remplacé par Jacob, Pavel Hakl évidemment, et un certain Yefim Dœrthy manager à Tseipru. De ce que j’en connaît, il s’agit d’une société fournissant du matériel informatique de pointe. Probablement ce qui permet au stand de tir de gérer ses tâches automatiquement sans intervention humaine.
Un sommaire affiche la liste des points importants à surveiller de près : la menace des Sentales, Ludmila, Mort, ••••, un tomahawk… une longue liste. Je vais garder ça précieusement sous le coude, l’attaque de cette nuit pourrait avoir un lien avec l’un de ces éléments.
Ma tête se relève vers les écrans où l’évolution du montage s’affiche toujours, accompagné du bruit lointain des mécanismes. Au moins le silence n’est pas total. Je vais en profiter pour continuer la lecture de ce document secret.
Une bonne heure de lecture s’écoule avant que je ne m’aperçoive d’un problème, Melvin ou ses gars auraient dû déjà revenir. Un tour du secteur me permettrait de me rassurer, ou au contraire de me rendre compte que l’idée d’un retour à la normale n’existe plus. Sont-ils au moins vivants ?
Avant de partir explorer à l’aveugle le bâtiment, ma main s’arme d’un des pistolets de la salle de contrôle. Sereinement, j’alimente le chargeur de ses cartouches avant de l’insérer dans la poignée. Un coup sec de glissière en arrière, vérification de la présence de l’ogive dans la chambre, retrait du cran de sûreté. Je suis prête.
Je quitte la pièce vers le couloir où règne l’odeur citronnée du produit de nettoyage utilisé par la petite équipe plus tôt. Plus une seule goutte de sang n’ose se montrer.
Avant de continuer d’avancer, je prends soin de verrouillé la lourde porte en acier. L’intégralité du stand de tir y dépend, autant éviter qu’une personne mal intentionnée ne s’amuse à affoler les machines.
J’espère vraiment que Melvin ne s’apprête pas à faire une mauvaise blague…
Dans le hall résonnent avec plus d’intensité l’orchestre de rouages du sous-sol, forçant mes sens à plus de concentration pour percevoir un éventuel intrus. D’un pas léger et discret, je me rapproche d’une fenêtre offrant le meilleur angle de vue, tout en restant à l’abri de regards indiscrets.
Personne. Ça devrait me rassurer, pourtant je le sens vraiment pas. Quelque chose cloche. Suis-je vraiment seule ici ?
L’oreille à l’affût, aucun son autre que mécanique me parvient.
Une partie de moi veut aller dehors, tandis qu’une autre me hurle de tout fermer, me cloitrer, envoyer un appel de secours. Sauf que je n’en fais rien, je me contente de rester là, le regard perdu vers le sommet des arbres dansant au rythme du vent.
« Bonjour. »
Une voix féminine s’élève derrière moi. Ni menaçante, ni bienveillante, elle contraste cependant avec l’ambiance métallique du stand.
Alors que je me retourne doucement, toujours prête à faire feu, une femme apparaît dans le coin de mon champs de vision. Ses paumes de mains visibles, un visage fermé et sérieux, presque blasé.
J’ignore d’où elle vient, je garde le pistolet en garde vers le sol, parée à le lever vers tous ses points vitaux.
« Qui es-tu ? » demandé-je d’un ton assez sévère. « Qu’est-ce que tu fais ici ?
— On ne t’a rien dit ? Je viens d’être ramenée d’entre les morts. »
Ai-je bien compris ?
« Va falloir que tu développe. Déjà, dis-moi ton nom.
— Mérédith Ludmila. »
Son nom se trouve dans le dossier.
« Je viens d’un lointain passé, mon esprit a été enfermé dans l’une de vos cellules. Tes prédécesseurs ont préféré m’enfermer plutôt que de simplement m’exécuter. Et… c’est une longue histoire, tu veux pas te poser ? Au moins le temps que je regagne mes esprits.
— Très bien. Par contre je te garde à l’œil, un geste de travers et c’en est terminé de toi.
— Ne t’en fais pas. Un implant dans mon cerveau bloque mes attaques envers ceux qui portent l’identifiant adéquat. »
— Quel identifiant ? Je ne porte rien.
— C’est une espèce de puce à ingérer, en quelques sortes. Et je te confirme que tu la porte en ce moment même. »
À quel moment j’ai pu l’a… ah. Le thé de Jacob. Évidemment.
« Tourne toi, et va dans la cafétéria. Tu me diras tout ce que tu veux là-bas.
Une fois hors de sa vue, Ma main se saisit de mon téléphone. Un message d’alerte au bâtiment de sécurité s’impose, en supposant que quelqu’un s’y trouve pour le recevoir et le traiter.