07h

Par Rouky

J’émerge lentement du sommeil. En ouvrant les yeux, je constate que Silas est lové contre moi, sa tête reposant sur ma poitrine. Profondément endormi. Un instant, j’en oublie presque le cauchemar dans lequel nous sommes coincés.

J’expire lentement, pour ne pas le réveiller. Du coin de l’oeil, je vois la statue de Sabah, retourné sur la paille. Je grogne de mécontentement, puis fait finalement le choix de réveiller Silas. Je bouge doucement, le forçant à ouvrir les yeux.

Il s’étire, grommelle des propos incompréhensibles.

— Levons-nous, dis-je. On s’est déjà trop attardés ici, c’est dangereux. Et je meurs de faim.

Silas hoche la tête, se relève. Nous nous rhabillons, et je remets la statuette de Sabah dans la boucle de ma ceinture. Me voyant faire, Silas esquisse une grimace de dégoût.

— Je sais, me justifiai-je, mais c’est le seul indice qu’on possède.

Ses cheveux sont ébouriffés, ses yeux injectés de sang. Je me sens coupable de l’avoir réveillé, mais on ne peut pas prendre le risque de rester trop longtemps à un même endroit. Je lui prends la main, l’entraîne vers l’entrée.

Je me fige.

Une chaleur insoutenable se propage tout autour de nous. J’entends le crépitement d’un feu, puis le bois de la grange commence à brûler.

Je me tourne vers Silas. Il est pétrifié, ses yeux brillants sous les flammes qui nous encerclent.

“Non”, me dis-je. “Je jure de le protéger, je refuse qu’il meurt ici !”.

Le tenant fermement par la main, je décompte :

— Trois... deux... un !

Je fonce vers la porte, la défonce d’un coup d’épaule. Je continue ma course dans la nuit, entraînant Silas derrière moi.

Du coin de l’oeil, je vois une nuée de villageois, torches en main, tandis que la grange brûle comme un feu de joie. J’aurai pu continuer ma course longtemps, l’adrénaline nous sauvant tous les deux.

Mais c’était sans compter l’apparition d’un destrier gigantesque devant moi. Un cheval de trait puissant, colossal, qui aurait pu m’écraser d’un coup de sabot.

Je me fige, bloqué par le cavalier. Bientôt, la foule de villageois armée nous entoure, nous privant de toute issue. Ils doivent être une trentaine, criant des injures dont je parviens à peine à comprendre le sens.

— Fils de perdition ! Engance maudite !

— Héraut de l’abîme !

— Hérétiques ! Brûlez ces barbares !

Je panique, refuse de perdre. J’attire Silas contre moi, l’enlace pour le protéger.

— Tout va bien se passer, promis-je. Il ne t’arrivera aucun mal.

Silas me prend délicatement le menton. Il se force à sourire, mais ses yeux sont humides.

— Tout va bien, répète-t-il. Tu n’as pas à me protéger. Sauve-toi dès que tu en as l’occasion.

— Quoi ? m’étranglai-je. Certainement pas ! Je vais-

Je suis interrompu quand le cavalier descend de son destrier. Il s’agit d’un homme de haute taille, portant une tenue blanche immaculée. En marchant, une longue cape traîne derrière lui.

Le visage grave, sourcils froncés, il tonne d’une voix qui recouvre le crépitement des flammes :

— Curé !

Aussitôt, un homme maigre au teint maladif sort de la foule.

— Qu’attends-tu ? demande le cavalier ? Lequel doit être purifié ?

— J’sais pas, sire ! On ignore lequel !

— Purifie donc les deux, puisque c’est ainsi. Je me chargerai ensuite de les trancher du fil de mon épée.

J’hoquète de surprise.

— Attendez ! m’écriai-je. Qu’est-ce que vous racontez ? Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous nous voulez, à la fin ?! On est innocents !

Le cavalier rit.

— Innocent ? En voilà donc, une plaisanterie du goût de mon bouffon.

Des villageois s’approchent, tirent Silas loin de moi. Ils l’entraînent dans la foule, l’invectivant, le frappant au passage. On m’attrape également par les bras, mais je parviens à me défaire.

Je tire la statuette de Sabah de ma ceinture, la brandit en l’air.

Les villageois autour de moi se figent, m’observent avec de grands yeux. Le cavalier aussi s’est figé.

Bien, j’ai enfin toute leur attention.

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