— Vous allez m’écouter, sinon je libère Sabah !
Un silence, recouvert seulement par la grange qui s’effondre sous le feu.
Je ne sais pas ce que je suis en train de faire, j’ignore si ça va fonctionner. Mais je dois tenter le tout pour le tout. Le sang bat à mes tempes, mes yeux virevoltent entre le cavalier blanc, le curé, et Silas.
Ce dernier me regarde étrangement. Peut-être se demande-t-il si je l’ai trahi, si je sais réellement ce qu’est Sabah. Mais ce n’est que du bluff, mon cher Silas. Du bluff, et rien d’autre.
— Tu n’oserais pas, gronde le cavalier.
— Vous me mettez au défi ? rétorquai-je.
— Lâche cette statuette. Tu ignores ce dont elle est capable.
— Alors parlez-moi ! suppliai-je. Dîtes-moi ce que vous voulez, et je vous donnerai ce que vous demandez !
Tous, villageois comme cavalier, éclatent de rire. J’en suis à un point où je ne sais pas si je dois les imiter, rire ou pleurer. Le cavalier fait un pas vers moi. Je voudrai reculer, mais des villageois se tiennent dans mon dos, fourches brandies.
— Si je te dis ce que je souhaite, commence le cavalier, je doute sincèrement que tu me l’accordes.
— Essayez toujours.
Sans se départir de son sourire, le cavalier redresse la tête. Puis il pointe un doigt accusateur en direction de Silas.
— Sa mort. Voilà ce que je veux. La mort de ton ami, puis la tienne.
— Vous aviez raison, grommelai-je. Je refuse.
— Comme c’est étonnant. Maintenant, lâche cette statuette, ou j’ordonne la mise à mort de ton compagnon.
Je réfléchis à toute allure, Sabah entre les mains. Je jette un oeil à Silas. Il secoue lentement la tête, et murmure sur ses lèvres un seul mot : “Fuis”.
Mais jamais, mon beau Silas, je ne te laisserai au main de la vindicte populaire.
— Pourquoi voulez-vous notre mort ? demandai-je.
Le cavalier ouvre la bouche, s’apprête à répondre.
Mais il est interrompu par des cris étouffés. Nous nous retournons comme un seul homme en provenance du son.
La vision d’horreur qui s’offre à moi me paralyse.
Silas est embroché. Une fourche est profondément empalée dans son estomac.
— NON !!! hurlai-je en même temps que le curé et le cavalier.
Silas s’écroule au sol, toussotant des gerbes de sang.
— Pardon ! s’exclame le villageois assassin. Il a commencé à gigoter, à vouloir s’enfuir. J’ai eu peur !
— La malédiction ! s’écrie le curé. Faut briser la malédiction avant la mort !
Le curé court vers Silas, murmure des prières. Le cavalier l’imite. Il retire sa cape immaculée, l’enroule autour de la fourche toujours enfoncée. La cape rougit rapidement, tandis que Silas se met à hurler de douleur.
Bientôt, c’est un autre hurlement qui suit : le mien.
Je hurle à m’en brûler les poumons. Je hurle de rage, de désespoir, d’amour. Je hurle comme je ne me souviens pas avoir déjà hurlé auparavant.
Je lève haut la statuette de Sabah, juste au dessus de ma tête.
Curé, cavalier et villageois se tournent alors vers moi, abandonnant leurs prières. Comprenant ce que je m’apprête à faire, le cavalier se relève, court vers moi en criant :
— Non ! Ne fais surtout pas ça !
Trop tard. Son armure l’empêche de me rattraper à temps.
D’une facilité déconcertante, je brise la statuette en deux, hurlant à plein poumons :
— JE VOUS MAUDIS ! TOUS, JE VOUS MAUDIS, ET JE LIBERE SABAH !