08 - Tempérance

Par Joxan

Prisonnière de la voiture de mes parents sous une couverture de flamme, j’assiste impuissante à un drame qui marquera au fer rouge l’histoire de la ville. Devant moi, maman et papa ne bougent plus, malgré mes appels entrecoupés de sanglots.

Tout autour, le monde se déchire, se brûle, se meurt. Par-delà les bruits terrifiant de feu et d’explosion, des hurlements atteignent mes oreilles, je n’ose pas bouger. Mon cœur pris dans un étau envoie une charge électrique douloureuse dans mon corps à chaque battement.

Des mouvements rapides fusent comme des fantômes à travers la fumée. À l’intérieur de ma prison, la chaleur devient étouffante. Ma respiration saccadée charge mes poumons d’un air ardent, toute inspiration se transforme en torture.

Toujours pétrifiée par les événements, plus aucune pensée positive ne vient donner une once d’espoir. Mais je ne veux pas mourir.

À ce moment, un bruit métallique si proche qu’il surpasse tous les autres me tire un sursaut. La portière s’envole dans un claquement de fer et de verre. Une silhouette tend une main, armée d’une petite lame elle vient rompre le lien de la ceinture de sécurité. L’autre m’attrape par le col et me tire à l’extérieur. Baignée dans une atmosphère bien plus brûlante, un tissu frais s’enroule autour de ma tête.

Une voix grave me souffle des mots inaudibles sous ce vacarme incessant, pourtant je les sais rassurant. La seconde suivante me retrouve propulsée sur l’épaule du secouriste, qui se met à courir vers la sortie de cet enfer. Malgré l’absence de vue, mon esprit imagine le décor infernal que revêt désormais la route pour l’événement que l’on nommera l’heure sombre.

 

Le claquement d’une porte me réveille, me tirant de ce cauchemar qui hante la plupart de mes nuits.

Où suis-je ?

Mon dernier souvenir me situait dans le bureau de Jacob, juste après la découverte de l’implication de Pavel dans le massacre qui avait pris mes parents. Et maintenant ? Des murs inconnus m’entourent. Assise sur un fauteuil devant une table basse, l’odeur particulièrement amer d’un café fortement torréfié flotte dans la pièce.

Aucune fenêtre, la seule lumière présente vient de plusieurs leds au plafond. Une table de billard au milieu occupe la majorité de la surface de ce qui doit être une salle de repos.

Des pas se rapprochent de l’entrée, je saute en peinant à tenir sur mes jambes engourdies de ma place, et attrape une queue du billard pour accueillir comme il se doit l’arrivant. Le sang dans mes veines bouillonne, apporte à mes muscles des réflexes de survies bien trop longtemps oubliés, mené par mon cœur dans une rythmique de travail similaire à celle d’un sprint.

Lorsque la porte s’ouvre dans un chuintement lent presque inaudible, mes phalanges s’agrippent autant à mon arme improvisée qu’à la vie que je veux préserver.

Dans l’antre apparaît un Pavel en bien meilleur forme que ce qu’on m’avait décrit. Pas d’hématome visible, ni même une cicatrice fraîche ou l’ombre d’une gouttelette écarlate. Il apparaît simplement comme dans mes souvenirs. Cependant son regard se montre différent. L’étincelle du mercenaire fier de servir de poudre à canon ne brille plus dans ses iris grises, à la place, ses yeux montrent du remord.

Une stratégie pour attiser de la pitié ?

« Je suis pas armé, » affirme-t-il en montrant ses mains et l’absence de tout équipement de combat. « Pour être honnête, j’espérais que tu n’apprendrais jamais la vérité, clamer mon innocence serait… une vaine perte de temps.

— C’est tout ?! Et à quoi tu t’attends venant de moi ?!

— Une rédemption. Si tu veux bien me donner cinq minutes pour m’écouter. Je te laisserai ensuite partir. »

Qu’il aille en enfer. Son temps parmi les vivants touche à son terme, plus jamais Pavel ne détruira de vie. Pendant des années je le voyais comme un guide, celui qui m’aiderait à échapper aux ténèbres qui me hantaient depuis ce jour. Alors qu’au final, il m’y maintenait par ses mensonges.

Dans un geste sec, je dirige la pointe du bâton vers son torse, qui se retrouve bloqué dans sa main.

Nos regards se rencontrent, se tiennent en duel. Dans mes bras toujours désormais tremblant à force de contenir mon attaque, je sens sa poigne lâcher peu à peu de résistance.

« Ça ne me tuera pas. Du moins… pas longtemps. »

Une force m’attire vers l’autre côté de la pièce, mes mains perdent leur contenu. Le plafond tournoi, un mur arrête ma course.

La canne de bois se trouve entre les doigts de Pavel, qui se contente de la reposer sur la table verte.

« Je n’ai pas l’intention de me battre contre toi. Est-ce que tu as ces cinq minutes ?

— Est-ce que tu as mes douze ans de vie volés ?! »

Comment peut-il oser me demander ça ? Se foutre totalement des conséquences que ses actes ont eu sur ma vie ? Mon existence entière basée sur un mensonge.

« Le temps joue contre nous Tempérance. D’autres trouveront la mort si nous n’agissons pas.

— Va donc tenir ton discours ailleurs ! Pas avec moi. »

Le silence domine l’atmosphère, et alors que ses yeux se perdent vers le sol, la sirène de la ville hurle un danger imminent. Le son bien que lointain arrive aisément à nos oreilles.

« Il se passe quoi ?

— Si tu m’avais laissé ces cinq minutes, tu n’aurais pas eu à poser cette question. Je te conseille de te faire discrète si tu sors d’ici, celui qui frappe à nos portes ne connaît pas le principe de convivialité. Tu peux aussi rester. »

J’hallucine. Il ne veut pas me protéger, il cherche juste un bouclier. Je préfère encore crever dans une invasion qu’avoir une prétendue protection du type qui m’a tout simplement enlevé les personnes les plus chères à mon cœur.

« Ils viennent pour toi n’est-ce pas ? Et ton petit incident de cette nuit t’a montré à quel point tu es vulnérable et faible. Compte pas sur moi. »

Si je ne peux pas le tuer, d’autres s’en chargeront à ma place.

Ainsi je tourne les talons vers le couloir à la décoration grise si particulière du bâtiment central. Au niveau moins quatre d’après l’indication proche de la cage d’escaliers.

Tandis que je monte les marches, des voix me parviennent, me stoppant net pour me concentrer sur les éventuelles intentions.

Encore trop distantes, j’appliquerai ce seul conseil de Pavel : être discrète.

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