La conscience revint à Niven en même qu’une lancinante douleur à la tête. Il ne pouvait pas bouger, il ne pouvait pas émettre de son, il ne pouvait pas ouvrir les yeux. Et puis, il finit par localiser la source de la douleur. C’était ses yeux, justement, qui étaient en feu.
Cette impression de brûlure chassait toutes les autres. Il ignorait où il était, il ne se rappelait plus ce qui lui était arrivé. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il ne pouvait même pas hurler.
Puis lui revint la sensation de ses poings crispés et de ses ongles qui lui labouraient les paumes. Il sentait le sang gluant sur ses doigts, il sentait la chair meurtrie. Puis, le voile se leva petit à petit sur sa mémoire.
Le train. Le camp. La fuite. Ankha.
La brûlure de ses yeux ne lui permettait toujours pas de les ouvrir, mais à présent, il percevait que le sol sur lequel on l’avait jeté bougeait. Il devait être dans un camion, on l’emmenait sûrement vers une prison.
Quand la douleur commença à s’estomper, il risqua un regard. C’était encore la nuit, mais même la faible lumière de la lune lui agressait la rétine. Il baissa les paupières.
Il fallait qu’il arrive à réfléchir avec lucidité.
Pour les yeux, il devait remercier les lentilles. Il se souvenait de l’explication qu’on lui avait faite sur ce système d’autodestruction. Il avait sombré dans l’inconscience, elles l’avaient détecté et en avaient conclu un danger. En temps normal, elles auraient aussi envoyé un signal de détresse avant de partir en fumée, mais le district de Catinis n’avait aucune couverture réseau. Il ne pouvait plus compter que sur lui et lui seul.
Il finit par se décider pour une nouvelle tentative. L’éclat lunaire percuta de nouveau ses pupilles, mais la douleur n’était en rien comparable au premier essai. À présent, il pouvait distinguer les contours flous du camion qui le traînait lentement vers sa mort. Quand sa vision se fut stabilisée, il constata qu’Ankha était assise en face de lui, menottée, tout comme lui. Quatre soldats leur tenaient compagnie.
La lumière qu’il avait prise pour celle de la lune ne l’était finalement pas. Il s’agissait d’un éclairage rudimentaire fixé à la bâche qui les recouvrait et qui permettait aux militaires de ne pas les perdre des yeux.
Le regard de Niven glissa sur leurs fusils et s’arrêta sur Ankha. Il vit ses yeux rougis, ses lentilles venaient aussi de se détruire. Néanmoins, deux éclats sombres le fixaient et il réalisa toute l’étendue de la situation.
Il ne fit pas un mouvement qui puisse alerter les gardes, il se contenta de jauger leurs chances de survie en silence. Ils étaient dans un camion. Ce camion les transportait sans aucun doute vers une prison aux murs épais et aux barreaux solides. S’ils voulaient avoir une occasion de fuir, il fallait le faire maintenant, tant qu’ils n’étaient pas arrivés. Les soldats étaient en surnombre, c’était vrai. Mais ils pouvaient toujours miser sur l’effet de surprise pour en refroidir au moins deux. Il n’en resterait que deux autres avec lesquels il faudrait improviser.
Un regard échangé avec Ankha lui fit comprendre qu’elle en était venue aux mêmes conclusions que lui et qu’elle était prête à agir. Il hocha imperceptiblement la tête pour donner le signal.
Mais ce fut ce moment que choisit le camion pour freiner. Ils étaient arrivés. Ils étaient finis.
×
Niven n’eut même pas l’occasion d’avoir une vue d’ensemble de leur prison. On ne le laissa pas admirer le paysage. Les couloirs, en revanche, il eut tout loisir de les longer. Il aurait voulu que sa vision se stabilise pour pouvoir en fixer les détails, pour préparer la fuite.
Mais quand on le poussa dans la cellule, il dut se rendre à l’évidence. Il n’y avait plus aucun moyen de s’échapper. Aucun.
La porte se referma, mais il ne bougea pas. Il sentait Ankha à ses côtés, immobile elle aussi. Il ne pouvait pas distinguer grand-chose de la cellule. On ne s’était pas donné la peine de l’éclairer et la seule source lumineuse provenait d’une minuscule fenêtre en face d’eux.
Les minutes passant, Niven sentit que ses yeux s’habituaient. Paradoxalement, c’est justement de cette obscurité dont il avait besoin pour récupérer complètement la vue.
Ankha s’approcha de l'ouverture, testa la solidité de la grille en fer, soupira. Elle se retourna vers Niven et lui fit signe de la rejoindre.
— Là, murmura-t-elle si bas qu’il l’entendit avec peine. Regarde, là-bas, c’est Catinis.
En effet, au loin, le ciel n’était pas complètement noir. Les lumières de la ville venaient le teinter de rouge.
Avec un nouveau soupir, Ankha se laissa glisser par terre, contre le mur. Niven s’assit à côté d’elle et ils restèrent ainsi, dans le silence de la nuit.
Tout d’abord, Niven avait été surpris qu’on les garde ensemble. Il aurait été tellement plus simple de les séparer pour mieux les faire parler. Puis, il avait compris.
S’il était possible de les faire parler séparément, il était encore plus facile de leur soutirer des informations ensemble. La cellule était sans doute placée sous surveillance, leurs moindres paroles pouvaient servir à faire tomber la rébellion.
C’était quand même se donner beaucoup de mal pour rien, pensa Niven. Ils n’étaient pas grand-chose.
— On est foutus, hein ? demanda Ankha alors que le jour commençait à pointer le bout de son nez.
— Oui, répondit Niven d’une voix lasse.
Ce n’était qu’une question de jours avant qu’ils ne passent devant un peloton d’exécution.
— C’est con. J’aurais bien vécu un peu plus.
×
— Vous êtes venus ici pour quoi exactement ?
— Pour visiter.
— La région est à votre goût ?
— C’est surtout les passages à tabac qui me laissent perplexe.
Niven vit un sourire glisser sur les lèvres du soldat. C’était la troisième journée qu’il était en captivité et les interrogatoires s’enchaînaient.
— Si vous visitiez, expliquez-moi comment vous vous êtes retrouvés à côté du camp rebelle.
— Il n’y avait rien d’écrit dessus.
— Donc quoi, vous vous promeniez ?
— Voyez, vous commencez à comprendre.
L’interrogateur fit signe à un soldat debout près de la porte et Niven sentit ses doigts se crisper autour des accoudoirs de la chaise à laquelle il était menotté. Après un coup à la mâchoire, le goût du sang lui envahit la bouche. Mais il n’eut pas l’occasion de s’interroger davantage, un coup dans les côtés lui coupa le souffle. Comme il essayait de faire revenir l’air dans ses poumons, il vit que le soldat faisait une petite pause dans le tabassage.
— Cela dit, cracha Niven, je comprends maintenant pourquoi le tourisme de Catinis est aussi moribond. Vous avez le sens de l’accueil, il n’y a pas à dire.
— On fait de notre mieux. Donc ce camp, qu’est-ce que vous alliez y faire ?
Cette fois, Niven ravala ses remarques. Il ne savait pas combien de temps encore il allait pouvoir tenir. Chaque inspiration lui devenait insupportable. À vrai dire, il commençait tout doucement à compter sur le coup de trop qui l’achèverait. Ça aurait au moins l’avantage de lui éviter d’autres séances dans ce genre.
Son silence ne fit rien pour arranger les choses. Son vis-à-vis le fixa un long moment, les yeux plissés. Puis il fit de nouveau signe au soldat.
×
C’est à demi-conscient qu’on balança Niven dans la cellule. Après avoir entendu le verrou cliqueter, il rampa jusqu’au mur du fond. Là, il s’accorda quelques minutes de répit. Ils n’allaient pas revenir tout de suite.
Chaque respiration lui comprimait la poitrine, chaque mouvement le faisait grincer des dents. Et puis, il nota qu’Ankha n’était pas ici. Ils l’avaient sûrement emmenée pour un autre interrogatoire, elle aussi.
Quand on repoussa de nouveau les verrous, Niven sentit la peur. Il ne tiendrait pas une fois de plus. Il avait la nausée rien qu’à y penser et, s’ils lui demandaient à nouveau des informations, il allait les livrer. Tout simplement.
Mais on ne venait pas pour lui. Des soldats balancèrent Ankha dans la cellule avant de repartir. Elle ne se releva pas immédiatement, Niven pouvait entendre sa respiration saccadée. Puis, elle finit par rejoindre le mur du fond, à côté de lui.
— Qu’est-ce qu’ils t’ont fait ? murmura Niven.
— Électricité.
Il baissa les yeux vers les mains de sa compagne, elle tentait d’en calmer les spasmes. Il aurait tellement voulu lui demander si elle avait dit quelque chose. Il aurait aussi voulu lui promettre qu’ils s’enfuiraient de cette prison. Mais il ne pouvait faire ni l’un ni l’autre.
— Tu n’aurais pas dû venir.
Ce murmure lui avait échappé bien malgré lui.
— Pas… le bon… moment.
Elle avait raison, évidemment. Il était complètement idiot de se lancer dans des réflexions sur ce qu’elle aurait ou non dû faire. Pas alors que leur temps était compté.
Un rayon de soleil filtra par le grillage de la fenêtre. La fin d’une nouvelle journée approchait. Peut-être que ce soleil allait se coucher une dernière fois pour eux. Peut-être qu’ils ne seraient plus là à l’aube.
À cette pensée, Niven ne sentit même plus de révolte. Depuis qu’on les avait attrapés, il s’était sans cesse répété qu’ils étaient finis. Mais ce n’était que maintenant qu’il le réalisait vraiment. Il n’y avait aucune sortie pour eux. Aucune.
Au mieux, ils passeraient devant un peloton d’exécution. Au pire, les interrogatoires se poursuivraient.
Et lui, il ne reverrait jamais plus Muresid. Et personne ne saurait ce qu’il était advenu de lui.
×
Niven recracha du sang. Il n’en pouvait plus. Il ne pouvait plus résister, il ne pouvait plus ignorer la douleur.
Il releva le regard vers l’officier qui l’interrogeait. L’homme plissa les yeux, l’observa un moment. Puis, il fit signe aux deux soldats qui l’accompagnaient et ils quittèrent la pièce.
Niven vit le militaire approcher, lui tourner autour. Enfin, il s’arrêta bien en face, s’appuya contre la table et commença à pianoter sur son bracelet de saisie.
Il jeta un bref regard à la caméra qui surveillait la salle, elle détourna la tête. Niven avait peur de comprendre. Ce qui allait suivre était si moche qu’il ne fallait garder aucune preuve ?
— Bien, dit l’officier en baissant la voix.
Niven serra les dents.
— J’ai besoin que vous m’écoutiez très attentivement, poursuivit-il.
Il attendit que Niven relève le regard avant de continuer.
— Cette nuit, la porte de votre cellule va s’ouvrir. Les caméras vont se désactiver, mais uniquement pour quelques minutes. Vous allez devoir faire très vite.
Niven déglutit. Il avait peur d’espérer. Il avait peur de croire ce qui était en train de se jouer.
— Votre cellule n’est pas loin de la porte de sortie. Prenez à droite, puis à gauche et vous y serez. Mais c’est là que les difficultés vont commencer.
Il jeta un rapide regard autour de lui.
— Derrière la porte de sortie, il n’y a que de la forêt. On aura du mal à vous y suivre. Mais vous devez faire exactement ce que je vais vous dire. Dans cette forêt, la rébellion a installé une planque. Une fois que vous serez entrés dans le bois, prenez de suite à droite. Comptez vos pas, au bout de huit cent cinquante, vous arriverez devant un pin. La planque est sous l’arbre. C’est clair ?
Niven hésita à hocher la tête. Ça pouvait très bien être un piège. Ça ne pouvait être que ça. Mais ils étaient tellement à court de chance avec Ankha qu’il était prêt à tenter le tout pour le tout.
— Qu’est-ce que vous risquez ? intervint Niven.
— Si vous ne vous faites pas attraper, rien du tout.
Il fit une pause, regarda la caméra éteinte.
— Devant la porte de sortie, il y aura un garde. Un seul. Vous arriverez à le maîtriser ?
Niven fixa l’officier dans les yeux, tenta d’y voir le mensonge. Peut-être qu’il se cachait bien au fond.
Il hocha la tête.
×
C’est au plus profond de la nuit que la porte de la cellule s’ouvrit, comme l’avait prédit l’officier. Niven regarda la caméra se détourner d’eux. Il attrapa Ankha par le bras et la tira à sa suite.
Les couloirs étaient déserts, tout était bien trop tranquille. Ankha ne dit pas un mot, elle avait compris la situation.
Enfin, Niven lui fit signe de s’arrêter au dernier tournant. Si l’officier n’avait pas menti, c’était là qu’il y avait le garde. C’était là qu’il y avait la sortie.
Il jeta un regard. Il y avait bien un homme devant la porte. Un seul. Et eux, ils n’étaient qu’à quelques pas. Ils pourraient le prendre par surprise. Il reporta son attention sur Ankha, elle hocha la tête.
En quelques enjambées, ils furent à côté de lui. Le soldat n’eut même pas le temps de réagir. Un coup de Niven l’envoya par terre, son fusil lui échappa. Ankha s’en empara, le pointa vers lui. Dans un mouvement désespéré, le militaire porta une main à son bracelet de saisie, pour lancer l’alerte.
Le coup de feu partit, le soldat hurla en serrant sa main en sang.
Ils échangèrent un regard, puis, sur un signe d’Ankha, Niven poussa la lourde porte.
L’alarme se mit en marche et ils prirent leurs jambes à leur cou.
Et le fond aussi bien sûr. On ne sait pas ce qu'ils sont venus faire ici, même si on a une vague idée vu leur qualificatif. J'aime bien la petite touche technologique que tu as inséré dans ton récit. On sent le potentiel, du moins tu ouvres des possibilités assez folles.
Au plaisir de lire la suite.
PS : ils sont vraiment en état pour trouver un pin en plein milieu de la forêt à 850 pas vers la droite? A ce stade là de la lecture, je suppose qu'une information aussi loufoque va trouver une réponse logique. :)
Merci pour le style et la rapidité ! J'aime bien aller à l'essentiel x) Hahaha, les 850 pas perturbent du monde xD
Merci d'être passé !
Joli accueil dans cette région si chaleureuse et généreuse en tortures de très bonne qualité ! J'ai beaucoup aimé le fait que tu coupes court à toute tentative d'évasion avant de nous faire comprendre qu'ils devaient juste endurer leur mort à petites doses.
Je ne m'y attendais pas au rebelle parmi les soldats, ce qui est bon signe pour la suite ! J'ai juste eu du mal avec sa carte de "sortie de prison" : comptez 850 pas. Nos espions ne semblent pas assez expérimentés pour gérer le stress de leur fuite tout en comptant calmement. Cela n'enlève en rien mon attachement à ton histoire, j'adore !
Bon bah, plus qu'à compter xD
Hate de voir comment ils réussissent à s'échapper en comptant jusqu'à 850😱
Y'a pas intérêt à perdre le fil !
À leur place je me serai déjà trompé à la 1ete intersection en prenant à gauche de la droite ou vive versa 😂😂
Et sinon, bon, hein, bah c'est génial qu'est ce que tu veux que je te dise ? J'en suis à espérer ne pas me coucher à point d'heure pour cause d'addiction... We'll see about that...
En tout cas, super chapitre, vraiment!
Alors Ankha je la vois avec des cheveux ondulés brun-châtain avec des reflets roux, le visage de type méditerranéen. Non c'est pas encore assez précis.
Très bon rythme dans ce chapitre, c'est saisissant mais pas trop rapide. Je pense que c'est vrai une qualité de ce chapitre
Pour les lentilles, une telle technologie me parait totalement viable dans le futur !
Y a juste une phrase qui m'a dérangé : "C’est surtout les passages à tabac qui me laissent perplexe." normalement on devrait dire "ce sont" mais pour le coup les deux me paraissent pas top
Vala, je continue !
Alors, pour la phrase, j'hésite un peu. Parce que c'est du parlé et on fait souvent des raccourcis dans du parlé. Surtout que Niven est pas au sommet de sa forme quand il dit ça xD Donc sa préoccupation première, c'est pas de faire de jolies phrases :P
Bonne continuation !
Bah moi je pensais à changer carrément la structure de la phrase histoire de contourner le problème, parce qu’effectivement « ce sont » ça fait pas super non plus
J'ai adoré le 'c'est surtout les passages à tabac qui me laissent perplexe"
Juste un truc m'a paru un tout petit peu inutile:
"Ce camion les transportait sans aucun doute vers une prison aux murs épais et aux barreaux solides."
Pourquoi, ça existe, les prisons en carton? XD
Nan voilà juste cette périphrase qui m'a parue en trop, j'aurais arrêté à prison, mais c'est juste par rapport au reste du texte qui percute, qui va à l'essentiel, où rien ne dépasse.
J'ai hâte d'en savoir plus et de comprendre.
J'ai beaucoup aimé aussi le coup des lentilles auto-destructrices.
à très vite pour la suite!
Hahaha, bonne remarque pour les murs xD Du coup, j'ai réfléchi à pourquoi j'avais mis ça (l'écriture de cette histoire remonte tellement) et je pense que c'était pour signifier que tant qu'ils sont dans le camion, ya moyen de filer, mais une fois derrière les murs épais et les barreaux solides, ça être assez impossible. Mais si c'est trop artificiel, je vais virer ça, merci !
Ah, ces lentilles, tout un débat intérieur sur la possibilité de ce genre d'évolution technologique xD Mais allez, on va dire que c'est tout à fait possible !
Merci d'avoir lu <3