2 – Le grand départ

Lorsque le premier jour de l’automne arriva, Liam se trouva surpris de la vitesse à laquelle les semaines précédentes s’étaient écoulées. Il avait passé le plus clair de son temps dans les cuisines, avec ‘Pou, à apprendre quelques dernières recettes avant son départ. Passée l’heure du repas, il était souvent sorti jouer avec ses amis. Aucun d’entre eux n’avait développé de potentiel, et il était triste de les quitter.

Pour la énième fois, Liam vérifia qu’il n’avait rien oublié. Sa valise était grande ouverte dans sa chambre, et regorgeait d’une multitude de trésors. Il avait emporté tous les livres de cuisine que ses parents lui avaient offerts, les petites figurines en bois qui décoraient habituellement ses étagères, une grande partie de ses vêtements, sa peluche hérisson nommée Capitaine, et, enfin, les petits mots d’encouragement et d’au revoir écrits par ses amis.

Liam regarda sous son lit, dans son armoire, sur sa table de nuit… partout où il aurait pu trouver quelque chose d’important pour lui. Sa chambre lui semblait étrangement vide, et une immense sensation de malaise et de mélancolie l’envahit. C’était le signe du grand départ.

Il était déjà parti en voyage, quelques fois, avec ‘Pa et ‘Pou. Cela n’arrivait pas souvent, car la logistique nécessaire à la fermeture de l’auberge était complexe. Mais il n’était jamais parti aussi longtemps de chez lui. Ses yeux s’humidifièrent légèrement lorsqu’il réalisa qu’aujourd’hui, il était le seul à faire ses bagages.

Liam rabattit le compartiment supérieur de sa valise et bloqua les fermoirs. Il entreprit ensuite de la descendre lourdement dans les escaliers. Dans la salle de réception de l’auberge, ‘Pou finissait d’empaqueter un baluchon de nourriture pendant que ‘Pa discutait avec Pauline. Celle-ci avait absolument tenu à accompagner son ami jusqu’à la grille de l’Académie. Liam ressentait un pincement au cœur à l’idée qu’elle ne pourrait pas l’accompagner plus loin, et il se doutait que Pauline était probablement encore plus peinée que lui.

Elle avait planté une pique à chignon dorée dans ses cheveux blonds aux reflets roux, et elle portait une robe bleue très élégante, que Liam n’avait jamais vue sur elle.

– Tu t’es fait belle pour moi ? blagua-t-il en continuant à descendre les escaliers.

Pauline leva soudainement le regard vers lui, et ses yeux brillèrent d’amusement.

– T’es fou, dit-elle. T’es bien trop jeune pour moi !

– Ah oui, c’est vrai que Madame est déjà une vieille femme aigrie…

Pauline lui tira la langue et remit en place une mèche de sa coiffure. La valise de Liam émit un bruit sourd lorsqu’il arriva enfin en bas de l’escalier. ‘Pou s’approcha en souriant, un sac en tissu à la main.

– Tu as décidé d’emporter toute ta chambre avec toi ? demanda-t-il en ébouriffant les cheveux de son fils.

Liam secoua la tête d’un air boudeur, et ses mèches reprirent leur disposition habituelle.

– Je veux être sûr qu’il ne me manque rien, c’est tout.

‘Pou acquiesça avec tendresse et déposa son sac sur la valise de Liam.

– Je t’ai emballé quelques-unes de mes spécialités. Il y a du saucisson au poivre, des rillettes de canard, de l’omelette aux champignons, des pommes au four et des petits pains au lait.

Le jeune garçon se lécha les lèvres.

– Merci, ‘Pou ! Les autres vont être jaloux de mon super papa !

‘Pou afficha un grand sourire et se tourna vers Pauline.

– Quant à toi, nous t’invitons à manger dès que Sylvain aura ramené la carriole !

Pauline hocha la tête avec enthousiasme, et Liam ne put s’empêcher d’être un peu triste. Son dîner de la veille lui semblait déjà loin, et il savait que la cuisine de ‘Pou allait lui manquer.

‘Pa, qui s’était discrètement éclipsé depuis quelques minutes, passa la tête par la porte d’entrée.

– Allez, les enfants ! En voiture ! On ne voudrait pas que Liam arrive en retard !

Le jeune garçon sauta dans les bras de ‘Pou, qui le réceptionna tant bien que mal.

– Doucement, dit ‘Pou. Tu sais, tu grandis plus vite que tu ne le crois.

Liam ne répondit pas. Il avait les yeux humides, et déglutissait avec difficulté.

– Au revoir ‘Pou. Je vous enverrai plein de lettres ! Je te promets d’apprendre tout un tas de nouvelles recettes avant les fêtes de Borée.

‘Pou serra son fils dans ses bras.

–Tu verras bien, dit-il. Concentre-toi d’abord sur tes études et sur toutes les nouvelles choses que tu vas découvrir. On apprendra des recettes ensemble à ton retour.

Liam hocha la tête et finit par réussir à se détacher de ‘Pou. Il lui fit un dernier signe de la main avant de rejoindre ‘Pa dehors en tirant sa valise. Pauline s’inclina et dit :

– A tout à l’heure, monsieur Thibault !

– A tout à l’heure, Pauline. Je nous prépare l’un de mes meilleurs repas.

Lorsque Pauline sortit à son tour, ‘Pou resta un moment à regarder la porte en soupirant. Il se dirigea ensuite vers les cuisines, noua son tablier et commença à réfléchir au prochain repas.

Devant l’auberge, Liam se moquait de Pauline, qui avait du mal à monter seule dans la carriole à cause de sa tenue.

– Oui ben ça va ! rouspéta-t-elle. Tu sais bien que les robes, c’est pas mon truc !

Elle parvint enfin à s’installer, et la carriole put démarrer. ‘Pa était à l’avant, et guidait la jument qui était attelée aux brancards en bois. Il se retournait parfois pour discuter avec les deux amis assis derrière lui. Cette carriole servait normalement à transporter les marchandises nécessaires au fonctionnement de l’auberge, et ‘Pa était donc très habitué à l’utiliser.

– Alors, commença-t-il. Qu’est-ce que tu fais cette année, toi, Pauline ?

Liam grimaça, puis réalisa que ‘Pa ne pouvait pas le voir. Ce n’était probablement pas le meilleur moment pour poser ce genre de question. Pauline jeta un coup d’œil rapide à Liam, puis répondit.

– Je vais commencer une formation d’armurière avec Madame Nadine, qui tient la boutique du centre-ville.

– Oh, ça a l’air très intéressant ! N’hésite pas à passer à l’auberge pendant ta pause midi.

Pauline hocha la tête, puis le silence s’installa dans la carriole.

Ils venaient de quitter Gneiss, et traversaient désormais la campagne. La route n’était ni longue, ni difficile, puisque leur trajet suivait une grande voie commerciale. Atoll se dessinait déjà au loin, et l’on pouvait apercevoir les hautes tours de l’Académie qui pointaient vers le ciel. La jument avançait d’un bon pas, revigorée par l’odeur des pâturages.

Liam appréhendait le moment de l’arrivée. Il ne voulait pas dire au revoir à ‘Pa. Il ne voulait pas voir l’air triste de Pauline. Il ne voulait pas non plus se plonger jusqu’au cou dans cette nouvelle vie qu’il n’avait pas demandée. Il imaginait déjà les autres élèves, imbus d’eux-mêmes et de leur potentiel. Il ne savait pas s’il serait au niveau, s’il parviendrait à suivre ces études, à se passionner suffisamment pour fournir l’immense quantité de travail qui allait probablement être nécessaire.

Il tenta de ne pas laisser transparaître ses inquiétudes, et reporta son attention sur le paysage. De grands champs de betterave et de maïs s’étendaient à perte de vue, et quelques bovins les regardaient passer avec des yeux ronds. La route de terre se mua en pavés, et la carriole commença à cahoter sans rythme précis. C’était le signe qu’Atoll n’était plus très loin.

Les murailles qui entouraient la ville semblaient gigantesques et cachaient une bonne partie des bâtiments. Seule l’Académie restait visible, surplombant les habitations de toute sa magnificence. Une petite rivière tranquille les séparaient encore de l’une des entrées principales d’Atoll. Plus ils s’approchaient, plus le clapotis régulier de l’eau était recouvert par différents cris et interjections propres à la vie urbaine.

Lorsqu’ils passèrent le pont-levis, les deux gardes en tenue noire qui encadraient la porte ne leur prêtèrent aucune attention. D’autres carrioles comme la leur les précédaient, et c’était visiblement jour de marché.

Ce fut d’abord l’odeur qui surprit Liam. Une odeur écrasante de fruits et de légumes frais, qui prenait au nez et semblait s’incruster dans chaque pore de la peau. Des fragrances de poisson mariné, des odeurs de poulailler, des relents de fromage affiné, la senteur puissante du textile nouvellement teint… tout se mêlait pour former un petit univers plein de vie et d’agitation.

‘Pa ralentit l’allure de la jument et prit soin d’éviter les enfants qui jouaient et les marchands qui couraient autour des étalages. Une fois passée la place du marché, ils s’enfoncèrent dans des rues pentues, qui devaient les mener jusqu’à l’Académie. Celle-ci était située au sommet de l’une des plus hautes collines de la ville. Ils dépassaient des échoppes d’étoffes, des forges chuintantes et des auberges bien plus grandes que le Canard qui Fume.

À mesure qu’ils montaient, ils croisaient de moins en moins de passants. Enfin, la grande grille noire de l’Académie apparut devant eux. Sur le parvis dallé, d’autres voitures stationnaient. Des enfants serraient leurs parents dans leurs bras, et plusieurs personnes discutaient par petits groupes. ‘Pa arrêta la carriole et descendit attacher la longe à un anneau visiblement prévu à cet effet. Liam et Pauline le suivirent. Ils restèrent un moment immobiles tous les trois, ne sachant quoi faire ensuite.

– Bonjour ! s’écria soudainement une voix à côté d’eux. Vous aussi, vous allez à l’Académie ?

Une petite fille souriante, virevoltant dans sa robe rouge à pois blancs, avait accouru auprès d’eux. Elle semblait essoufflée, et ses cheveux bruns retombaient en bataille sur ses oreilles. Elle ne pouvait s'empêcher de sautiller joyeusement en attendant leur réponse.

– Bonjour, répondit Liam. Oui, je vais à l’Académie. Mais Pauline m’accompagne juste.

Pauline hocha la tête, ébahie devant cette tornade très enthousiaste. La jeune fille fit la moue et se tourna vers elle.

– C’est nul. Pourquoi tu ne viens pas avec nous ? Je suis sûre qu’ils te laisseraient rentrer !

– Je n’ai pas de potentiel, dit Pauline. Je voulais juste voir à quoi ça ressemble.

La jeune fille ne sembla pas convaincue.

– Anaïs ! hurla une nouvelle voix.

Une femme, qui semblait enroulée dans un rideau de perles multicolores, s’avançait vers eux. Elle traînait une lourde valise derrière elle.

– Anaïs, reprit-elle, je t’ai dit d’arrêter de courir comme ça ! Je n’arrive plus à te suivre, moi.

Elle se tourna vers ‘Pa.

– Excusez-moi, monsieur. Ma fille a décidé qu’elle voulait saluer tous les nouveaux élèves qu’elle croisait. C’est impossible de la contenir.

La femme avait le regard attendri et pétillant. Malgré son agacement apparent, elle semblait tout aussi enthousiaste que sa fille. Anaïs tendit la main vers Liam avant que ‘Pa n’ait eu le temps de répondre.

– Du coup, je m’appelle Anaïs, et toi ?

– Liam.

Il serra sa main en souriant. ‘Pa reprit ses esprits en voyant que de plus en plus d’élèves se dirigeaient vers la grille.

– Bon, dit-il, je crois que c’est le moment de se dire au revoir.

Le sourire de Liam s’effaça, et il prit une grande inspiration. Son regard était triste et sa gorge nouée.

– Au revoir, ‘Pa. Je vous écris dès que possible, et je rentre pour les fêtes de Borée.

‘Pa le prit brièvement dans ses bras, puis posa une main sur son épaule.

– Je sais, fiston. Je suis sûr que tu vas te plaire à l’Académie.

Liam hocha la tête et se tourna vers Pauline.

– Je suis tellement désolé que tu ne puisses pas venir avec moi.

Elle lui donna une tape amicale dans le bras.

– Arrête avec ça. T’inquiète pas pour moi, ça va aller ! Mais t’as intérêt à tout me raconter !

Liam tenta de sourire.

– D’accord ! Je le ferai !

Il osa la prendre dans ses bras, et Pauline leva les yeux au ciel. Anaïs regardait toute la scène avec intérêt, comme si elle essayait de comprendre comment ses nouveaux amis interagissaient entre eux.

– Au revoir Pauline ! dit-elle. J’espère qu’on se reverra, je t’aime bien !

Elle fit également un signe de la main à ‘Pa, puis un câlin à sa mère, qui semblait au bord des larmes. Elle attendit ensuite que Liam ait terminé de dire au revoir, pour se diriger avec lui vers les grilles de l’Académie. Leurs valises leur semblaient particulièrement lourdes, et ils espéraient pouvoir bientôt s’en débarrasser. Ils se retournèrent tous les deux plusieurs fois, et trouvèrent une complicité silencieuse à avoir vécu ensemble ce moment de déchirement.

Arrivés devant le portail, ils prirent une grande inspiration, et entrèrent dans leur nouveau monde.

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Xanne
Posté le 01/02/2021
Hey :)

Encore un chapitre très sympa avec un style bien soigné. J'aime bien le personnage de Pauline, j'espère la retrouver prochainement, bien que ça me paraisse un peu compromis.

Les descriptions me plaisent beaucoup, elles me paraisse bien dosées. Pareil pour les noms de ville propre à ton monde, il y en a quelques un sans trop me noyer, ce que j'apprécie en ce début d'histoire.

Anaïs a l'air surexcitée à l'idée de découvrir l'académie, j'ai bien aimé la manière dont tu l'as fait interagir avec Liam, mais je lui préfère cependant Pauline (pour l'instant).

Quelques petites remarques:
"de la descendre lourdement dans les escaliers" C'est sans doute très personnel, mais j'ai buté sur le "lourdement".
"Pauline leva soudainement le regard vers lui" Le "soudainement" est peut-être de trop.

À très vite!
Aline Prov
Posté le 08/02/2021
Hello à nouveau !

Contente de voir que ce chapitre te plaît aussi :)

J'adore Pauline également, donc je vais essayer de me débrouiller pour qu'on la revoie (même si ça ne sera pas pour tout de suite, malheureusement...) !

Merci pour tes remarques, les adverbes envahissent souvent mes textes sans que je m'en rende vraiment compte !
Hastur
Posté le 22/01/2021
Hello !

J'ai grandement apprécié ce chapitre. Beaucoup d'émotions que l'on ressent très facilement à la lecture. En tout cas, mon petit cœur a été attendri fort facilement ^^.

J'ai aussi trouvé que les descriptions qui s'enchaînement lorsqu'ils arrivent dans la ville sont très bien menée. C'est très fluide, on ne se perd pas dans le détail. On ressent l'agitation et la vie de la ville. Super bon point je trouve :).

Les adieux sont très bien mis en scène, beaux et touchant.

Et maintenant j'imagine que les choses sérieuses commencent ! Il me tarde de découvrir tout ça :).

Mes notes en cours de lecture:
"De grands champs de betterave"
De grands champs de betteraves ?

"Ils se retournèrent tous les deux plusieurs fois, et trouvèrent une complicité silencieuse à avoir vécu ensemble ce moment de déchirement."
J'aime beaucoup cette phrase et l'idée qu'elle sous-entend pour la suite. Je trouve ça très malin.

Bon courage pour la suite. A bientôt :).
Aline Prov
Posté le 26/01/2021
Hello !

Merci beaucoup pour ton passage et pour ton commentaire ! J'ai pris un peu de retard dans mon écriture, mais j'espère que ta curiosité ne sera pas émoussée par l'attente entre les chapitres ^^'

Tes retours me font grand plaisir, et je me suis longuement posée la question pour les champs de betteraves... Mais je crois bien que c'est toi qui as raison, je vais modifier !

J'espère que la suite te plaira !
Hastur
Posté le 26/01/2021
Pas d'inquiétude pour le rythme, étant une tortue de l'écriture moi-même, je comprends tout à fait :).
Svenor
Posté le 09/01/2021
Hey !
Ce chapitre est sympa, mais je l'ai trouvé moins percutant que le premier (il se passe moins de choses mais ça va au final).

Y'a juste une phrase qui m'a fait tiquer : "cette tornade très enthousiaste". À ce moment-là on se rend pas trop compte qu'elle est si enthousiaste que ça, je pens qu'il faudrait le montrer un peu plus avant.

En tout cas, j'ai hâte de lire la suite :)
Aline Prov
Posté le 10/01/2021
Hello !

Merci pour ton passage et pour ton commentaire ! J'ai conscience que ce chapitre est un peu plus vide, mais je me méfie de l'effet "feuilleton" de la publication chapitre par chapitre, qui amène à toujours vouloir qu'il se passe trop de choses trop vite. Autant ralentir un peu le rythme juste avant la découverte effrénée de nombreuses nouvelles choses à l'Académie ^^

Merci pour ta remarque ! Je ne m'étais pas rendue compte que l'adjectif tombait comme un cheveu sur la soupe :)

J'espère que la suite te plaira !
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