Chapitre 6: Kiss marry kill, ou quand Satan joue Cupidon (et échoue).
ˢᵘᵖᵉʳᶰᵒᵛᵃ
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<<- Je savais que je te trouverais là, Claire.
La lycéenne ouvrit les yeux quelque peu. Des mèches noires corbeaux cachaient le ciel, contrastant avec sa couleur si claire ce jour-là. Elles encadraient le visage ovale de Cassiopée, lequel était penché au-dessus d’elle.
- Salut.>>
Une ride d’inquiétude se creusa entre les sourcils de la malgache. Ses baskets bleues, rouges et blanches, toujours aussi propres (quelle psychopathe) encadraient la tête de la guitariste. Les mèches brunes en pagaille de cette dernière disparaissaient dans l’herbe s’assouplissant sous son poids.
Claire avait raté la première heure de cours. Cassiopée était descendue la chercher. Une journée classique, dans la vie classique d’une adolescente classique. Elle était classique. Tout le monde ressentait ce qu’elle ressentait, avec la même violence; et ils survivaient, et ils souriaient, et peut-être même que le soir, lorsqu’ils repensaient à la journée passée et se regardaient dans le miroir, ils n’avaient pas envie de vomir. Elle se sentait tellement inutile. La Terre tournait, la vie continuait et elle, elle était laissée derrière, incapable de faire le moindre geste. Tout allait si vite. Même les nuages filaient au-dessus de sa tête ce jour-là. Elle ne trouvait aucun réconfort dans leur observation. Plus ils allaient vite et plus ils se dissipaient dans les airs jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus les suivre des yeux. Ils étaient alors remplacés par d’autres, se précipitant tout aussi fanatiquement vers leur fin. Et elle pensait à la vie, à tout le monde autour d’elle qui courrait, qui était lancé vers son futur comme ces nuages; et elle, elle était figée sur place. Elle était consciente que seul le vent mouvait les formes blanches. Quelque chose aussi mouvait les personnes autour d’elle. Pourquoi pas elle ? Quand l’avait-elle perdue, cette chose aussi essentielle ? Elle les regardait, comme elle regardait le ciel; à des milliers de kilomètres de distance. Aussi petite et insignifiante qu’un grain de poussière. La Terre tournait, la vie continuait, et tout le monde avançait.
Et elle était derrière.
Tout allait trop vite, ou trop lentement.
- Claire.
La jeune fille releva le regard pour plonger ses yeux dans ceux de son interlocutrice. Cette dernière scrutait toujours ses expressions soigneusement, cherchant la vérité qu’elle ne lui donnerait jamais, en partie car elle ne la connaissait pas elle-même.
- Désolée. La rassura cette dernière en esquissant un faible sourire. Je n’ai pas senti le temps passer.
Mensonge. Elle était consciente de la moindre seconde qui passait. Elle était consciente de tellement de choses qu’elle devait en inventer au moins plus de la moitié. Comment une personne pourrait-elle être consciente du poids de ses os, ou de l’emprise de la gravité terrestre sur les atomes de son corps ?
Son interlocutrice dû capter les relents de morosité émanant d’elle car elle plissa les yeux, comme pour mieux les visualiser.
- À quoi tu penses ? Questionna-t-elle sérieusement, ses yeux comme deux trous noirs absorbant la lumière blafarde alentour.
Claire laissa échapper un mn contemplateur. Son regard dériva songeusement vers un point éloigné du ciel avant de revenir sur elle.
- Tu es belle ? Tenta-t-elle indolemment, avant de lui adresser un sourire révélant toutes ses dents pour mieux la convaincre.
Vérité. Cassiopée avait des airs d’être divin, avec le ciel pour toute auréole. Elle avait toujours été comme ça. Divine dans tout ce qu’elle faisait.
Son amie fronça le nez, contrariée par sa nonchalance. Elle expira finalement, et ramena ses cheveux sur son épaule pour les coincer sous le col de son pull, là où ils ne la gêneraient plus.
- Stop, ça ne fonctionnera pas cette fois. Tu prends tout par-dessus la jambe, mais…Jamais autant. Je n’ai rien dit car je pensais que ça passerait, mais ça ne passe pas, alors je vais être sincère. Tu dérives, Claire, et je ne sais pas quoi faire. Tu n’as jamais séché autant de cours, tu ne dors pas, tu ne manges pas vraiment non plus et…J’ai l’impression…Qu’on s’éloigne, toutes les deux, en ce moment. Tu n’es…Plus vraiment pareille, tu te laisses juste...Avaler. Je sais que tu n’aimes pas parler de…Toi, et je le respecte, vraiment, mais…Ce n’est pas égoïste de partager ses sentiments parfois, et…La manière dont tu gères les tiens…C’est pas…Sain.
La brune contempla son amie silencieusement. Cassiopée ajouta, du même ton de voix prudent:
- Est-ce que tu vas bien ?
Il était rare qu’elle ait une expression aussi anxieuse. La guitariste savait que son amie avait ses propres soucis de son côté; et pourtant, elle la considérait de l’air alerte réservé aux problèmes requérant toute son attention.
Était-elle un problème ? Agissait-elle comme quelqu’un qui avait besoin d’attention ? C’était dégoutant.
Son cœur se serra. Elle fût prise d’un haut le cœur; c’était le monde, se rassura-t-elle
qui allait
trop vite.
Est-ce qu’elle se laissait avaler, vraiment ? Elle ne faisait rien pour survivre, certes, mais elle ne faisait rien pour mourir non plus. Un être humain pouvait vivre trois jours sans manger et elle ne dépassait jamais ce délais, même quand elle n’avait pas faim.
Elle devait se ressaisir. Est-ce qu’elle le pouvait, même ? Elle s’en sentait incapable. Elle se laissait avaler, parfois, c’était vrai. Juste un peu. Juste un peu, elle se laissait tirer dans les profondeurs des vagues, elle laissait ses poumons se comprimer et hurler et le manque d’oxygène l’endolorir. Mais, elle remontait toujours.
Jusqu’au jour où elle calculerait mal, et où elle se noierait.
Il était trop tôt
pour avoir ces pensées-là.
Aucun adolescent sur Terre n’allait bien. Pourtant, la réponse à cette question ne changeait jamais. Elle était comme un mantra. Je vais bien, et à force de le répéter, un jour, ces mots ne seraient plus qu’un ensemble de lettres creuses mais une vérité. Mais elle, n’avait aucun problème. Elle allait bien. Elle irait bien tant qu’elle respirerait et elle n’avait pas de quoi se plaindre dans la vie, si ce n’était sa stupidité affligeante parfois.
<<- Ah. Désolée. Je suis désolée, Cassie. Je suis juste un peu fatiguée. S’excusa la brune, avant de se redresser en position assise. Je ne pensais pas que tu te ferais autant de mouron.
L’interpellée soupira dans son dos. Elle analysait toujours la guitariste d’un œil scrutateur lorsque cette dernière fit craquer ses épaules en étirant les bras.
- Qu’est-ce que tu faisais, même ? Interrogea-t-elle, n’éloignant pas un éventuel ‘’j’essayais de me fondre dans l’herbe’’ des réponses improbables que pouvait donner son interlocutrice.
Ce qui ne serait pas si improbable que ça, au vu des brins d’herbe brûlés par le soleil perdus dans ses cheveux et s’accrochant au tissu de sa veste.
La principale intéressée se frotta la nuque.
- Je comptais les anges. Dit-elle, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.
C’était pire. Ou peut-être était-ce mieux. Dans le doute, la malgache ne releva pas. Sa curiosité attisée, elle s’enquit néanmoins:
- Et tu en as trouvé ?
- Un. Affirma son interlocutrice en levant un doigt.
- Il est où ?
- Là.
Claire la désigna. Son expression indescriptible fût remplacée par un sourire en coin charmeur.
Cassiopée examina son amie encore une minute, peu convaincue par ce brusque revirement d’attitude.
De toute manière, et elle le savait pertinemment, la musicienne n’était pas prompte à s’épancher sur ses sentiments. Elle ne pouvait rien faire que jouer son jeu. C’était ce qu’elle voulait, aussi, quelque part. Faire comme si tout était normal, car c’était tellement plus simple.
Si elle disait qu’elle était fatiguée, alors ce devait être vrai. Elle allait bien, c’était juste son caractère.
- Tu m’exaspères.>> Exprima-t-elle alors seulement, ses épaules s’affaissant.
Comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.
Et Claire rigola.
Comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.
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<<- Un. Deux. Trois.>> Décompta la guitariste en sautant d’un pied à l’autre sur les marches de l’escalier qu’elle descendait, son casque accroché à la bretelle de son sac se balançant avec elle.
data-p-id=9b9f31f626427876e7a14badb04f8101,Elle était la dernière à sortir de sa salle. Lorsque la cloche avait crié sa sonnerie stridente et dissonante, elle avait rangé ses affaires en prenant tout son temps et, ne pouvant manquer son bus, Cassiopée avait fini par partir sans elle.
<<- Soleil.>> Déclama-t-elle en sautant sur la dernière marche à pied joint.
Elle poussa ensuit la lourde porte s’ouvrant sur la cour et son verre blindé, laissant la lumière de l’astre du jour s'infiltrer à l'intérieur de la cage d'escalier.
La brune resta quelques secondes dans l'embrasure. Elle profita de la chaleur de ses rayons contre sa peau quelques secondes. Elle s’imagina ses pensées disparaître, couler sur elle comme de la crasse, et disparaître dans la bonde. Une douche de soleil. Elle baignait dans sa lumière dorée, qui avait le don de rendre tout plus beau pendant un très court moment. Puis, elle s’avança, et laissa la porte se refermer derrière elle dans un claquement sec.
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data-p-id=6ba09ccda24466e96dd43d8a547e203f,Claire ne voulait pas vraiment venir en vélo, ce jour-là.
Elle ne voulait pas venir du tout, en fait. Elle l'avait fait quand même car, en réalisant que cela laisserait Chiara seule, elle avait ressenti un pincement désagréable au cœur. De la culpabilité, sans doute, et puis de la honte, aussi. Elle était la seule à s'être monté la tête, ce n'était pas juste que son amie soit punie à cause de son égocentrisme.
La guitariste secoua la tête. Elle s’imagina un tableau mental, sur lequel ses pensées parasites s’étalaient: tu n’es pas assez bien, elle te déteste maintenant, pour qui te prends-tu ? Tu ne veux que l’attention, tu es bien trop sensible, vous n’êtes même pas vraiment amies; tu seras seule dès que la dernière case sera cochée, et au final, n’est-ce pas mieux ? Regarde comment tu traites tes amis, tu es inutile et acariâtre, tu ne les mérite pas, bourdonnant, grouillant sous ses tempes et la rendant malade; qu’elle effaça soigneusement pour faire disparaître jusqu’à la dernière arabesque.
En règle générale, cette mise en scène fonctionnait plus ou moins; mais cette fois-là, le feutre noir laissa de grosses traces baveuses et sales sur la surface blanche. Les mêmes qu’on obtiendrait en essayant d’effacer des écritures au feutre indélébile. Il lui semblait que les tâches rampaient et crissaient de frustration, en dépit de son acharnement.
Alors elle reconcentra son attention sur le ciel,
et laissa la lumière l’aveugler.
Si elle pouvait lui brûler les yeux de la sorte, alors elle pouvait également brûler l’intérieur de sa cavité crânienne, pas vrai ? Et tout réduire en cendres: le tableau, les tâches, l’obscurité, l’océan, les abysses. Tout. Elle arroserait tout d’essence: ses propres souvenirs s’il le fallait. Elle voulait se tenir au milieu de ses propres ruines, et contempler le chaos, seule. Parfois, elle voulait se détruire.
Mais bien sûr, même l’astre divin avait ses limites.
Elle arriva bientôt au parking pour deux roues. Elle se décontracta inconsciemment en constatant que son vélo n’avait pas de compagnie. Il était le seul véhicule restant, fidèle au poste, toujours. Elle tapota le guidon en arrivant à sa hauteur, avant de reporter son attention sur les alentours.
Son regard rencontra les deux arbres aigris, bien moins fiers maintenant que leurs feuilles constituaient une bouillie terne contre le sol et que leurs branches noueuses étaient nues.
Pas de tête blanche.
Chiara n’était pas là; peut-être…?
Elle avorta sa réflexion avant même qu’elle n’aboutisse. Elles ne s’étaient pas disputées, alors pourquoi avait-elle autant l’impression que quelque chose entre elles avait capoté ?
Au fond, elle était un peu soulagée que sa camarade ne soit pas là. Mais elle était aussi déçue.
Elle ajouta cette pensée au tableau crasseux, et s’acharna dessus tout en sortant ses clefs de sa poche. Ces dernières tintèrent dans sa main. L’astronaute attira son regard. La peinture du casque avait été un peu écorchée par endroits, certainement à cause du frottement régulier avec le reste du contenu de l’anneau. Elle effleura les dégâts du pouce, le cœur serré.
C’était la vie.
C’était la vie. Les relations se défaisaient, les choses s’abimaient, les gens mourraient. C’était la vie, c’était la vie, c’était la vie. Pourquoi se sentait-elle aussi écœurée ?
Elle se sentait exister.
Elle n’aimait pas ça.
Claire poussa un profond soupir, et déverrouilla l’antivol avant de l’enfouir dans son sac. La fermeture coinça vers la moitié de l’ouverture. Elle força dessus.
<<- Salut.
Une voix claire s’éleva, juste dans son dos.
- WAW ?!>>
La guitariste tressaillit violemment, sautant presque sur place pour se mettre en garde alors qu’elle s’écriait, d’une voix vrillant d’un grave rauque vers des aiguës éclatés. Elle tourna la tête, si vivement qu’elle manqua de se rompre le cou; ses doigts se crispèrent autour de ses clefs, le métal et leur forme irrégulière s’enfonçant dans sa peau sans qu’elle n’y prenne garde. MNNNNN, étouffa-t-elle le juron qu’elle sentait fleurir sur sa langue, un bon motherfucker ou ta daronne le wiko, en closant fermement les lèvres. Elle jura intérieurement, des pétales pleins la bouche. Si elle l’ouvrait, ils en pleuvraient.
<<- Oh, hey. Se corrigea-t-elle d’un timbre toujours vacillant une fois l’adrénaline redescendue, et le contrôle de sa voix plus ou moins récupéré. Chiara.>>
Son cœur pulsait de battements affolés dans sa cage thoracique, se répercutant jusque dans le bout de ses doigts. Un peu plus, et elle se serait retournée pour de bon et lui aurait asséné une prise de karaté en pleine figure. Sûrement aurait-elle braillé ‘’tempête des enfers’’ ou ‘’coup du boa constrictor’’ pour se donner plus de crédibilité, puisqu’elle n’avait jamais fait de sport de combat (et que ça se voyait).
Quelle idée de faire peur à une introvertie ?
La musicienne détourna le regard et leva la main pour se masser le cou, dans une tentative assez infructueuse pour réduire la tension raidissant toujours ses épaules. Chiara (bien sûr que c’était elle, elle aurait sa mort) avait l’air d’être là depuis un bon moment; encore une fois, elle ne l’avait pas sentie arriver, tant elle était plongée profondément dans ses pensées. Depuis quand la fixait-elle sans rien dire, exactement ? Elle exhala, mais se crispa toutefois.
Elle ne s’était même pas moqué d’elle. Remarqua-t-elle lorsque le silence s’allongea entre elles, de plus en plus étrange. Intriguée, la guitariste reporta son attention sur elle. Chiara, qui ne sautait pas sur la première occasion de la traiter de poule mouillée ? Ridicule.
La lycéenne s’était immobilisée quelques pas derrière elle. La brune la dévisagea. Ah ?
<<- Chiara.
Chiara, qui ne lui sautait pas dessus ? Elle ne se rappelait même plus la dernière fois qu’elle avait régné sur un espace vital aussi conséquent. Il y avait forcément un problème.
L’interpellée esquissa un sourire bancal, mais carra les épaules.
- Quoi ?>>
Claire plissa les yeux. Ceux de son interlocutrice évitaient les siens, papillonnant partout, sauf près d’elle; aussi se stabilisèrent-ils bientôt sur le ciel au-dessus de sa tête. La jeune fille la fixa intensivement pour obtenir son attention: peine perdue, ce qui la contraria plus qu’elle ne l’avouerait jamais.
La volleyeuse avait les mains jointes dans le dos dans cette posture qu’elle affectionnait tant; mais elle se tordait les doigts, de ce qu’elle pouvait deviner en voyant ses épaules bouger, et se balançait d’une jambe à l’autre nerveusement.
La brune n’eut pour toute réponse qu’un heh cynique.
Elle aimerait posséder les capacités de déduction de Cassiopée, dans les moments comme ceux-là. Elle paierait cher pour pouvoir simplement lire les pensées des autres, ou alors, seulement de quelques personnes spécifiques: comme cette dernière, Félix (avait-il vraiment une petite amie, par exemple ? Elle mourrait de savoir), et bien sûr, Chiara. Elle se demandait si son esprit était aussi chaotique que sa personnalité, avec des rêves et des souvenirs entreposés dans de gros cartons annotés au feutre empilés dans tous les coins. Ou si il était plutôt comme elle imaginait celui de la malgache, organisé en plusieurs bibliothèques massives, les informations classées, référencées et datées dans de grands classeurs colorés, signifiant chacun une catégorie bien définie. Ou alors, peut-être était-ce un labyrinthe, comme le sien ? Plus elle s’enfonçait, et plus le chemin pour sortir devenait flou. Elle enfouissait beaucoup de choses, dans les angles de la structure. Le plus loin, le plus profond, le plus caché possible.
Mais pour le moment, tout ce qu’elle avait était son tact et sa rhétorique. Elle questionna donc, avec sa délicatesse habituelle:
<<- C’est quoi ton problème ?
Ok, c’était peut-être un peu plus agressif que prévu. Elle grimaça.
- Ah ? Tiqua sa camarade.
Au moins, cela avait eu le mérite de retenir son attention.
- Tu es bizarre. Je veux dire, se reprit-elle en se rendant compte que la jeune fille était toujours bizarre, plus que d’habitude. Et pas dans le bon sens.>>
Son interlocutrice se gratta la joue en faisant la moue. La musicienne reconnut dans son geste l’un des tics qu’elle avait lorsqu’elle mal à l’aise. Elle avait vu juste, donc. Ses iris s’affutèrent, le vert les constituant s’assombrissant.
<<- Chiara.
L’interpellée gara son regard rivé sur ses chaussures. Puis, elle grimaça imperceptiblement, ses traits se tendant le temps de quelques secondes.
- Eh ? C’était quoi, ça ? Interrogea la brune, qui délaissa son sac pour se relever souplement.
- Quoi ? Anonna nasalement la principale intéressée.
Tch, lâcha la musicienne amèrement, un rictus au coin des lèvres.
- Tu ne me regardes même pas, Chiara.
- Quoi ? Si.
- Non. Contra la jeune fille, désabusée.
Ce qui était vrai.
- Si. Réaffirma pourtant la blanche.
Ce qui n’était pas vrai.
- Non.
- Si.
- Ma parole, tu mens comme tu respires ! Ton nez s’allonge même, il est au milieu des étoiles, regarde ! Il a accueilli des satellites ! S’énerva la guitariste avec un geste du bras véhément en direction de la lune effacée derrière les nuages. Tu ferais rougir Cyrano de Bergerac !
- Pardon ?!>>
Claire passa la main dans ses cheveux, et tira sur ses mèches en pagaille pour reprendre contenance. Ces dernières retombèrent sur ses épaules en épis emmêlés, les cernes soulignant ses yeux exacerbant son air fatigué. Ah…Elle sentait ses tempes pulser, et un mal de crâne arriver.
Pendant un bref moment, tout son exténuement passa sur son visage.
Bien. D’accord.
<<- Écoute. Capitula-t-elle d’une voix égale, son attention rivée sur ses chaussures. Je ne vais pas te forcer…Et puis, elle esquissa un semblant de sourire tordu, ce serait hypocrite de ma part. Alors…Je te propose de te laisser trois secondes pour te décider. Et si au bout du décompte, tu ne dis toujours rien, alors on changera de sujet et on oubliera tout ça. D’accord ?
Chiara lâcha un eeeeeeeeeh incertain traînant en longueur, mais ne s’opposa pas directement au concept.
- Ah, mais, c’est que…Attends, tu as dit trois ?!
- Un. Commençait déjà Claire.
- Quoi, ça commence déjà ?!
- Deux.
- Attends, attends, je ne suis pas prête, je dois me préparer mentalement ! Je, Claire, c’est gênant, je ne suis pas…-
- Tr…-
- D’accord, d’accord, fichtre ! Éructa finalement la volleyeuse vigoureusement pour l’interrompre, vaincue. Je t’ai fait de la peine hier et je m’en veux !>>
Sa voix résonna presque trop fort dans le silence qui succéda leur échange. Claire cligna des yeux, sincèrement étonnée. Elle repassa encore ses mots dans sa tête pour être sûre d’en avoir compris tout le sens, avant de reprendre la parole pour dire quelque chose d’inspirant, de grandiose, et de tout-à-fait adapté à la situation:
<<- Euh ?>>
Chiara s’empourpra. Ses paupières frémirent. Elle s’éclaircit la gorge.
<<- Je…T’ai fait de la peine, hier. Je m’en veux. Répéta-t-elle piteusement ses exacts mots, comme si ces derniers avaient été le fruit d’un choix scrupuleux.
Ce qui avait dû être le cas, certainement. La volleyeuse avait assuré ne s’excuser que lorsqu’elle ne pouvait se rattraper avec ses actions, car ‘’les gestes valaient mieux que les paroles’’.
Sa camarade se gratta l’arrière de la tête, embarrassée.
Ce n’était pas une question.
C’était une affirmation. Véridique en plus de ça, réalisa malgré elle la musicienne en l’entendant formulée. C’était donc ça qui l’avait dérangée toute la journée, qui tournait en boucle dans sa tête. Bien sûr, elle le savait—mais elle maintenait cette vérité le plus loin possible d’elle. Si elle ne la voyait pas, alors elle n’existait pas, pas vrai ? Mais maintenant, elle était placée juste sous son nez de force. La vérité, c’est qu’elle aimait beaucoup Chiara, peut-être un peu trop.
Bien plus que ce qu’elle avait prévu.
- Pourquoi tu m'aurais fait de la peine ? S’enquit-elle évasivement. C’est rien.
Elle n’avait juste…Pas anticipé qu’il puisse y avoir quelqu’un d’autre, et elle s’était un peu sentie…Trahie. Peut-être car la ‘’liste de choses à faire avant de mourir’’ de son amie était aussi devenue la sienne, inconsciemment. Elle ne pouvait pas mourir avant de l’avoir terminée. Elle devait rester absolument, tant que la liste n’était pas complétée et que Chiara et elle étaient encore liées par la promesse du parking du magasin d’alimentation. Elle finissait toujours par briser les promesses, pourtant, mais celle-là…Elle voulait le faire, et le faire bien, puisque que c’était peut-être sa dernière action sur Terre. Elle avait une place spéciale; et cette place avait graduellement été attribuée à Chiara. Mais quoi, si elle non plus n’avait même pas besoin d’elle…? Elle s’était sentie incroyablement bête, l’idiote la plus stupide de tout l’univers. Elle était idiote. Elle.
Chiara hésita.
Chiara elle, avait juste eu la mauvaise idée de considérer cette idiote comme une aide de premier choix. Claire grogna dans sa barbe. Elle n’aimait pas réfléchir. Elle n’aurait jamais imaginé que la jeune fille s’accaparerait ses pensées de la sorte. C’était presque une maladie. En était-ce une ?
- Tu n'as rien fait de mal, Chiara.
- Vraiment ?
- Vraiment.
- Vraiment vraiment ?
- Bah…Ouais. Vraiment vraiment.
Chiara se balança sur ses talons, ses cheveux ondulant dans son dos en suivant son mouvement.
- J'imagine…Que j'ai acheté ça pour rien, alors...Exhala-t-elle en riotant quelque peu, ses oreilles écarlates détonnant dans le blanc de ses mèches lisses. Ahah…(?)
Son rire avait des intonations d’interrogation, comme si elle-même ne savait pas comment réagir et questionnait quiconque serait en mesure de lui fournir une réponse. C’était aussi un peu un rire de ‘’ahahah, tuez-moi’’.
Avant que la musicienne ne puisse poser de questions, elle fit émerger de derrière son dos un bouquet de fleurs rouges enroulé dans du papier journal. Claire pu apercevoir brièvement son visage virer écarlate avant qu’elle ne le dissimule derrière le bouquet; et maintenant qu’elle lui permettait la comparaison, elle ne pouvait qu’observer que les couleurs étaient incroyablement similaires.
La guitariste la regarda sans comprendre.
Est-ce qu’elle avait tenu ça pendant toute la durée de la conversation ? Depuis quand l’avait-elle ? Est-ce qu’elle l’avait gardé pendant toute la journée dans son sac, ou bien caché dans un coin ? Elle ne connaissait pas ces fleurs; c’était des plantes d’approximativement la taille de sa paume, chargées de pétales ovales d’une texture veineuse se superposant, avec de longues étamines noires. Elles avaient l’air délicates, et étaient trop belles pour avoir été conservées dans un espace étriqué et ballotées contre des cahiers.
- Mais pourquoi tu as acheté ça ? Demanda-t-elle, incrédule.
Peut-être Chiara était-elle vraiment une magicienne.
Son amie rassembla assez de courage pour abaisser le bouquet, ne dissimulant plus que le bas de son visage cramoisi. Ses yeux évitaient de nouveau les siens.
- Parce que...Marmonna-t-elle dans les pétales. Tu es...Une jolie fille...
- Pardon ?
- J’ai dit ce que j’ai dit…>>
La brune oublia de respirer une seconde.
Puis, elle déglutit; enfin essaya, puisqu’elle le fit tout en inspirant sèchement, ce qui au final la mena à s’étouffer avec sa propre salive. La guitariste partit dans une brutale quinte de toux.
<<- QuOi ? Croassa-t-elle entre deux toussotements, les yeux encore piquants de larmes et la cage thoracique contractée.
Elle s’essuya la bouche d’un revers de la main, et laissa le dos de cette dernière pressée contre ses lèvres pour s’éviter d’avoir la bouche en o et des airs de poisson asphyxié; son visage s’incendia. Quoi, sa voix résonnait dans sa tête, dans laquelle ses pensées se déchainaient, si vite qu’elles lui glissaient entre les doigts comme du savon lorsqu’elles tentaient de les analyser pour se calmer. Quoi, quoi, mais quoi ?
Elle passait de sa camarade, au bouquet, à sa camarade, sans réussir à intégrer ses paroles; elles étaient tellement, étranges, qu’elle était convaincue d’avoir encore une fois mal compris. Ce n’était pas possible, pas vrai ? Elle ne referait pas la même erreur deux fois. Pourquoi imaginait-elle de telles choses ?
-…
Chiara laissa échapper un rire blanc nerveux.
L’unique lampadaire du parking s’était allumé en grésillant, malgré la luminosité ambiante encore suffisante pour voir clairement la ville, en contrebas de la colline sur laquelle le lycée était bâti. Claire releva, dans un coin de sa tête que le chaos n’avait pas encore atteint, que son amie ne portait encore une fois qu’un pantalon en lin et un croptop. Elle réussit à se concentrer assez pour se féliciter d’avoir son pull de secours spécial Chiara roulé en boule sous sa trousse et son antivol. Heureusement, car en plus, cette insouciante était frileuse.
- EuH…
Elle fût tirée de ses pensées par la volleyeuse.
- Tu n’en veux pas…?
Un sourire ourlait ses lèvres, mais il n’était pas aveuglant comme d’habitude. Il était juste, déçu (?). Dépité. C’était le sourire de quelqu’un s’efforçant de garder la face. La musicienne se figea.
Ah, émit-elle d’une voix serrée.
- Non ! Refusa-t-elle alors par réflexe, rouge écarlate, en agitant prestement les mains devant elle. Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse, je n’ai pas besoin de…-
Les yeux de son interlocutrice s’humidifièrent. Un nouveau ah blanc mille fois plus paniqué échappa à la musicienne. Son visage se décomposa, devenant livide.
Oh, fuck.
-…Je rigolais. Je rigolais. Oui, absolument ! Affirma-t-elle en levant ses deux pouces, un sourire (ressemblant plus à un rictus) relevant le coin de ses lèvres tandis qu’elle s’efforçait de se rattraper. Absolument, wow du rouge j’adore le rouge, et des fleurs, super, j’adore les fleurs, j’ai même un lierre chez moi je mens donc pas du tout et puis c’est merveilleux, ahahahah quelle bonne idée de dépenser ton argent comme ça je valide tout-à-fait…- Attends non je voulais dire…- Je suis contente, vraiment, hein je ne mens pas car j’ai peur que tu pleures même si s’il te plaît ne pleure pas ? Enfin merci…-
Sa camarade l’écoutait attentivement. Claire pendant ce temps butait sur ses mots, la bouche de plus en plus sèche alors qu’elle déblatérait tout ce qu’il lui passait par la tête (remplie seulement d’un néant le plus total, comme souvent lorsqu’elle devait s’exprimer avec elle).
Idiote, idiote, idiote. S’admonestait-elle intérieurement. Elle avait l’impression de ployer et de se noyer sous le poids de sa propre incohérence, son langage n’était plus que du charabia indigne même de la tour de Babel. Pourquoi elle était comme ça ? Pourquoi ? Ce qu’elle disait ne voulait absolument rien dire.
Les yeux de Chiara regagnèrent néanmoins leur éclat.
- C’est vrai ? Tu aimes ? Questionna-t-elle seulement.
Son interlocutrice approuva vigoureusement, sautant sur l’occasion de se taire.
- O—ui. Oui. Ouais, bien sûr.
- Cool. Tiens.
Elle lui passa le bouquet. Claire le récupéra, faute de mieux. La papier journal se froissa dans ses bras.
-…Cool. C’est… Enfin, je veux dire…Mer…Ci…Merci, Chiara…(?)
Cette dernière hocha la tête, les mains de nouveau jointes dans le dos—elle ne savait plus quoi en faire, maintenant qu’elles étaient vides.
- Cool.
- Cool.>>
Une odeur florale très appuyée embauma l’air. La guitariste fixait les fleurs, la couleur rouge remplissant ses iris. Rouge, rouge, rouge, comme leurs pétales, comme le ciel dans lequel les nuages étaient suspendus, comme son visage, elle le craignait.
Sois naturelle, pitié, reste naturelle, suppliait-elle le reste de raison en elle. Cette dernière vociférait cependant dans sa tête depuis plusieurs minutes: AAAAAAAAAAAAAAAAA, ou quelque chose du genre. Ce n’était pas bizarre, entre deux amies. Ce n’était pas bizarre, mais elle avait trop chaud, avec sa veste. Ce n’était pas bizarre, pas vrai ?
<<- On rentre ? J’ai un peu froid. Proposa alors Chiara, comme pour se placer en opposition directe de ses pensées.
- Forcément, tu t’habilles comme si on était en juillet.
La tension retombait.
- Hey.
- Pff. Pouffa la musicienne, railleuse, lorsque sa camarade lui retourna une moue offusquée. J’ai un pull dans mon sac. Prends le, si tu veux, ça ne me dérange pas.
Chiara leva un sourcil.
- En plus de ta veste ? Pourquoi tu en as pris un ? Questionna-t-elle, avant de perdre son sérieux au profit d’un sourire fourbe et d’une voix mielleuse écœurante. Quoi, ne me dis pas que c’était pour moi ?~ Chantonna-t-elle encore pour l’embêter, tout en se laissant tomber contre son épaule dans une pose de diva languissante. Aw, tu es tellement attentionnée !~
-…
Claire détourna seulement le regard en pinçant les lèvres. Elle rattrapa son amie d’une main pour s’assurer qu’elle ne bascule pas en arrière, ce qui pouvait arriver, avec ses bêtises; et alors, elles seraient toutes les deux dans de beaux draps pour rentrer. Elle resta cependant coite.
La volleyeuse marqua un temps d’arrêt. Quoi…Elle se laissait seulement faire ? S’étonna-t-elle, décontenancée. Puis, ses yeux s’agrandirent, la réalisation s’imposant dans son esprit lorsqu’en inclinant la tête en arrière, elle rencontra l’expression ennuyée de sa camarade. Le sourcil de la musicienne tiqua lorsqu’un gasp interloqué ténu s’éleva de la volleyeuse. Ce qui n’échappa pas à l’attention de cette dernière, et lui fit émettre un nouveau gasp d’autant plus bruyant que son incrédulité venait de grimper en flèche.
- Attends, pour de vrai ?! C’était vraiment pour moi ?! Ça veut dire que tu m’aimes vraiment ?!
Claire se renfrogna. Elle visualisait les bonhommes représentant ses émotions dans sa tête. Au moment-même, l’un d’eux n’avait de cesse de déclencher le regret. Regret, regret, regret. Il cognait son front contre le bouton. Regret, regret, regret. Elle aurait dû mentir du départ. Regret, regret, regret, elle avait compris, mais il s’entêtait.
- N’importe quoi.
Elle se décala d’un pas et se pencha pour attraper son sac de cours, qu’elle laissa ensuite gauchement tomber dans le panier cabossé de son vélo. Elle cala le bouquet dans l’espace restant avec des soins affairés, simplement pour se donner l’air occupée et essayer de passer à sa camarade l’envie de la déranger.
Ce qui ne fonctionna pas, bien sûr. Chiara était bien trop excitée, et déjà elle frétillait derrière elle de nouveau:
- Maouste, si ?! Et tu as relevé comment je m’habillais, et tu as relevé que j’avais froid souvent, et tu as prévu en conséquence ?! Et tu as attendu que j’en parle, tu ne me l’aurais pas donné autrement ! Tu l’aurais gardé toute la journée, simplement au cas où ! Ce qui veut dire que tu veilles sur moi ! En fait tu ne m’aimes pas, tu m’adores carrément ?! Claire !
- Quoi ?
- C’est une confession ?! Embrassons-nous !
- Non.
- Tu…- Mf.
La guitariste venait de lui envoyer le pull en plein visage pour la faire taire. Sa frustration avait rendu son tir magnifique: rapide, efficace, maîtrisé. En volley, elle aurait marqué. Smash.
- J’ai dit non. Répéta-t-elle en appuyant bien plus lourdement sur la négation, comme pour l’imprimer dans la tête de son interlocutrice. Je ne souffrirai plus ces calomnies plus longtemps, je pars.
Et elle attrapa son guidon pour illustrer sa sentence irrévocable, aigrie malgré son front et ses oreilles rougeâtres. Chiara pouffa, avant de franchement éclater de rire. Elle enfila le pull qu’elle avait entre les mains pour se calmer après le regard noir que sa camarade lui envoya par-dessus son épaule, mais lorsque sa tête émergea de nouveau, cette dernière était déjà en haut de la pente du lycée.
- Non, non ! Attends-moi, Claire ! C’est pas grave, tout le monde m’aime, moi aussi je m’aim…- Non, non ! Je rigolais !>> S’affola-t-elle lorsque Claire leva la jambe pour chevaucher sa selle.
Idiote.
✦
<<- Bordel…>>
Claire enleva l’un de ses écouteurs de ses oreilles en entendant la porte d’entrée grincer, et un juron rompre le silence pesant de l’appartement; le même caractérisant les nuits sans sommeil, lors desquelles et le corps et l’esprit étaient trop lourds pour qu’il soit possible de faire autre chose que contempler l’obscurité, en attendant qu’elle soit diluée par le jour. Des bruits de semelles contre le parquet, un pas pressé et bruyant qu’elle reconnut dans la minute.
La jeune fille tourna la tête pour lancer un regard à son portable. La lumière l’aveugla lorsque l’écran s’alluma; elle ferma les yeux, puis les rouvrit doucement.
01:23. Mn…
Sa mère fourragea furieusement dans les tiroirs du salon. Elle était rentrée de l’hôpital…Encore en retard. Ce n’était pas comme si elle avait un autre choix que de faire des heures supplémentaires, en même temps. Son service était en infériorité numérique. Il l’avait toujours été, d’aussi loin qu’elle s’en souvienne.
Elle connaissait la routine de la nouvelle arrivante par cœur. D’abord, elle irait se changer. Ensuite, elle traînerait dans le salon où elle mangerait un peu avant d’enfin, si tout allait bien, disparaître jusqu’au lendemain, dix-huit heures. La lycéenne suivit son évolution d’une oreille, son attention rivée sur le plafond. Les pas franchirent le couloir. En les entendant s’approcher de sa chambre, elle se demanda si elle avait fait quelque chose qui lui vaudrait d’être ‘’réveillée’’ à cette heure. Voyons voir…Réfléchit-elle en refermant les yeux, l’esprit embrumé. Elle avait vidé le lave-vaisselle…Elle avait fait à manger…Elle avait passé l’aspirateur…Elle n’avait rien laissé traîner. Aucune trace de sa présence en dehors de sa chambre; personne n’aurait pu deviner qu’elle vivait là.
La lumière jaunâtre du couloir s’immisça dans sa chambre lorsque sa mère entrouvrit sa porte. La lycéenne resta immobile. Peut-être qu’elle partirait, si elle ne bougeait pas. Comme les guêpes.
<<- Claire.>>
Raté.
L’interpellée attendit encore que son prénom soit appelé deux fois, avant de rouvrir les yeux, encore. Elle laissa tomber sa tête sur le côté pour pouvoir observer son interlocutrice, dont seul le haut du corps était passé dans sa chambre. Un peignoir était passé sur ses épaules. Elle se rappela qu’elle le trouvait beau, quand elle était petite.
<<- Ton lycée m’a appelée alors que j’étais en intervention. Ils m’ont laissé un message vocal.
Ah, oui. Elle avait séché des cours. Elle était étonnée qu’ils n’appellent que maintenant.
-…
- J’ai regardé ta moyenne tout à l’heure. Tes résultats sont en chute libre depuis l’année dernière. Depuis quand es-tu devenue aussi paresseuse ? Reprends-toi, tu vaux mieux que ça.
-…Oui.
Est-ce qu’elle valait vraiment mieux que ça ? Elle avait l’impression de faire de son mieux, pourtant. Elle avait l’impression que son mieux, c’était ça. Elle ne valait rien. Elle ne valait encore moins qu’un coquillage; tous deux étaient vides, mais au moins, le coquillage était joli par nature.
- Arrête de sécher des cours, ou je te mets en pension. Tu imagines à quel point j’étais embarrassée, dans la salle commune ? La moitié te connaissent de quand tu venais avec moi dans le service pédiatrie, quand je divorçais encore de ton père. Et maintenant, ils savent aussi que tu fais des tiennes. Pour quoi je passe ? Une mère incapable d’éduquer son enfant ? Ne me refais jamais ça. Si j’apprends que tu as manqué ne serait-ce qu’une nouvelle heure, peu importe la matière, je te prends ton téléphone. Tu as compris ?
-…Oui.
Elle n’irait pas loin avec ça. Son téléphone ne représentait rien pour elle, et passait le plus gros du temps sur sa table de chevet ou perdu dans un coin, jusqu’à ce qu’elle le retrouve.
Elle ne se rappelait plus vraiment du service pédiatrie. Son esprit brumeux lui présenta quelques souvenirs, surtout des pleurs et des murs recouverts de dessins d’animaux. Elle passait souvent ses journées avec les enfants malades lorsque sa mère ne pouvait la faire garder ailleurs. C’était interdit, mais elle imaginait que comme cette dernière était en pleine procédure de divorce difficile, on lui autorisait quelques adaptations le temps que ça s’arrange. Elle était toujours jalouse de voir sa mère avec les autres enfants, si souriante et patiente. C’était à l’époque où ses mots lui faisaient encore de la peine.
- Mes journées sont déjà bien assez stressantes, je n’ai certainement pas besoin d’avoir à m’occuper des problèmes que tu causes en plus de ça. Tu te rends compte de tout ce que je fais pour toi, déjà ? C’est comme ça que tu me repaies ? Je travaille, moi. J’avais deux opérations aujourd’hui.
-…Ah. Souffla distraitement la jeune fille.
Elle sentait un mal de tête poindre derrière ses globes oculaires. Elle se demandait quelle musique passait, dans ses écouteurs délaissés dans le noir. Lorsqu’elle était comme ça, elle ne pouvait jamais en écouter très longtemps avant que le moindre bruit dans ses oreilles ne lui soit physiquement insupportable.
- Oui, ah. Tu ne pouvais pas le savoir, car tu ne me poses jamais de questions sur ma vie ! Tu t’en moques royalement. Fais au moins en sorte de ne pas être un poids pour moi. Quand j’avais ton âge, je travaillais. Je payais pour mes propres fournitures. Mes parents n’étaient pas là pour moi. Toi, tu ne fais rien de la journée et en plus, tu n’es même pas fichue de te présenter en cours.
Elle ne voulait pas qu’elle réponde. Elle voulait juste évacuer la pression avant d’aller se coucher. Elle avait appris il y a longtemps à ne plus répliquer; car tout ce que cherchait son interlocutrice était une étincelle, n’importe laquelle, pour embraser le conflit.
-…
- Bonne nuit. Conclut justement cette dernière, avec l’acidité de quelqu’un qui lui souhaitait tout, sauf une bonne nuit.
-…>>
Claire se garda de répondre. ‘’Bonne nuit’’ aurait été une étincelle. Sa mère serait revenue sur ses pas pour lui dire toutes les raisons pour lesquelles elle ne passerait pas une bonne nuit; toutes liées à elle. Ou alors, elle aurait monologué sur le fait qu’elle ne répondait que maintenant, lorsqu’elle partait, pour la chasser; et alors, elle se serait épanchée sur le pourquoi du comment elle était détestable, car après tout ce qu’elle faisait pour elle, toutes ses heures de travail, elle était toujours aigrie et égoïste.
Sans commentaires.
Elles ne se comprenaient pas de toute façon. Ce n’était pas nouveau, ça ne changerait jamais. Elles ne se comprendraient jamais, car elles n’avaient pas envie de se comprendre.
Elles étaient comme deux radios posées côtes à côtes. Émettant sur des fréquences différentes.
✦
data-p-id=a432c9a6c89a96c6ce6b6a13e7a7c9f5,Claire se réveilla avec l’impression de n’avoir dormi que trois minutes trente, la langue pâteuse et la sensation physique brûlante des cernes sous ses yeux (ce qui était pour le moins désagréable).
Elle devait s’être réveillée tôt, pour un samedi. Normalement, elle ne se levait pas avant midi, et en profitait pour s’épargner le calvaire qu’était de se nourrir lorsqu’on avait la volonté de survie d’une cacahouète. Or, le soleil dehors n’était même pas sorti.
La guitariste tourna la tête vers sa table de chevet, sur laquelle un réveil attrapé dans un vide grenier et deux livres prenant la poussière se disputaient l’espace. L’écran affichait 06H54 en chiffres rouges anguleux. La jeune fille grogna et tira la couverture sur sa tête dans un bruit de chuintement sonore. Quelque chose tomba au sol dans un bruit sourd, dérangé par son mouvement. Elle devina sans peine qu’il devait s’agir de son téléphone. Quelle chance. Elle l’avait retrouvé avant même de se mettre à le chercher. Ce mystère résolu, elle essaya de se rendormir…Elle comprit néanmoins qu’il était trop tard au moment où son cerveau se réveilla dans un picotement d’étirement. Son activité cérébrale avait repris, et lui présentait déjà sa première remise en question de la journée sur un plateau d’argent: tu te souviens, quand tu ne décevais pas encore ta mère ? Tu te souviens, quand vous pouviez encore vous parler sans que l’une de vous ne tourne la conversation en dispute ? Tu te souviens ? Non, pas vraiment. Elles étaient toutes les deux différentes, alors. Tu te souviens de quand…Non. Stop. La lycéenne enfouit son visage dans son oreiller pour tenter d’assourdir ses pensées parasites. Peut-être que si elle ne bougeait pas, elle se rendormirait d’elle-même. Tu te souviens, quand tu ne contemplais pas encore le ciel en t’imaginant en tomber ? Non. Tu te souviens des nuages, le jour où Chiara est apparue ?
La jeune fille marqua un temps d’arrêt, le souvenir emplissant l’espace derrière son front. Oui, elle s’en souvenait. Elle se sentait alors en retrait total de l’Univers, et les formes blanches étaient aussi majestueuses que des cétacés dans leur océan de bleu. Tu te souviens du jour où vous avez sauté dans une rivière potentiellement remplie de silures ? Oui.
Claire s'assit en tailleur sur son lit et tourna la tête vers son bureau, abandonnant le combat pour son sommeil (qu’elle avait perdu, de toute manière). De fil en aiguille, son esprit s’était de plus en plus tourné vers sa camarade aux cheveux blancs, jusqu’à ne plus penser qu’à elle. Son regard coula inconsciemment jusqu’au bouquet s’épanouissant dans un vase au beau milieu de son bureau, trônant au milieu d’un désordre organisé composé de pastels et de feuilles de dessin en pagaille. En rentrant la veille, elle s’était efforcée de le dessiner en lui rendant le plus justice possible. Elle n’avait pas été satisfaite de son travail.
Sa chambre avait une atmosphère différente depuis qu’il était là.
Claire rejeta ses cheveux en arrière et porta son attention de l'autre côté de de la pièce vers sa bibliothèque, laquelle était dominée par son lierre de thérapie, sweetheart. Déterminée à sortir la volleyeuse de ses pensées, la brune rejeta ses couvertures dans un chuintement appuyé de tissu et se dirigea vers son étagère pour arroser la plante du reste d’eau contenu dans un thermos traînant dans le bazar au sol.
Tu te souviens quand tu as paniqué hier, et que tu as monologué sur ton lierre au lieu de tout simplement répondre ‘’oui’’ ? Non, elle voulait supprimer ce souvenir.
Même les feuilles tombantes du lierre semblaient la juger. Pitoyable, bruissèrent-elles, pitoyable humaine. La pitoyable humaine se laissa tomber accroupie au sol, la tête dans les mains et Chiara toujours dans la tête.
<<- Qu’est-ce que je vais faire d’elle…S’accabla Claire en observant distraitement les livres au niveau de ses yeux d’entre ses doigts, perdue dans ses réflexions.
Elle passa de nouveau ses mains dans ses cheveux pour se recoiffer vaguement avant de se relever, faussement désintéressée.
- Autant aller la voir, si je ne pense qu’à elle…>>
Peut-être que c’est le signe qu’elle pense à moi aussi—pour la liste. S’empressa-t-elle de rajouter intérieurement en actionnant l’interrupteur de ses guirlandes—et la lumière fût, juste assez forte pour éclairer la pièce d’une lumière dorée chaleureuse sans l’éblouir. Elle les préférait à l’éclairage cru et brutal de son plafonnier.
Certainement, continua-t-elle en ouvrant les portes de son armoire, avanceraient-elles plus vite en cochant des cases le week-end, aussi. Elles seraient ainsi toutes deux débarrassées—Chiara commencerait une nouvelle liste, avec une ou des nouvelles personnes, et elle…Peu importait.
Elle observa chaque étage avec une attention toute particulière.
En se rendant compte du temps qu'elle prenait pour choisir ses vêtements, son visage se réchauffa.
<<- N’importe quoi…>> Se frustra-t-elle dans sa barbe en saisissant les premiers vêtements qu’elle trouvait, avant de claquer les portes de son armoire plus fortement que prévu.
C'était mal parti...
data-p-id=c717ec89066e13143fc48df6fbacbdb2, data-p-id=3389dae361af79b04c9c8e7057f60cc6,✦
data-p-id=44898ec9043370d985366209105c7705,Ce n'était peut-être pas une bonne idée, en fait.
Claire était debout en retrait du parking. Elle scrutait les portes automatiques du magasin d'un air fixe tourmenté, faute de pouvoir se décider entre ses deux possibilités du moment qui étaient soit de rentrer, soit de rentrer: rentrer dans le magasin, ou rentrer chez elle. Là où elle devrait être, et où elle serait encore, si elle avait ne serait-ce qu'une once de fierté en plus.
Fierté…Renifla-t-elle, un heh sarcastique un peu dépité lui échappant. Ou ce qu’il lui en restait, maintenant…Il semblait que tout ce qui avait de près ou de loin un lien avec son honneur personnel ne faisait pas bon ménage avec Chiara.
Elle avait quitté l'appartement de sa mère comme dans un rêve, mue par une bouffée de motivation miraculeuse. Elle avait complètement oublié de réfléchir, et de se dire ‘’attends, c’est stupide’’. Trop tard. Bien sûr rien ne durait. Dix minutes plus tard (et que c’était long, dans ce cas-là) cette même vigueur flanchait jusqu’à retomber totalement, laissant à sa place un vide abyssal en elle rapidement comblé par l’anxiété y demeurant usuellement. Depuis, elle incarnait littéralement l’emoji de bonhomme debout, figée aux côtés de son vélo.
Tout lui avait semblé tellement naturel qu'elle n'avait pas percuté. Tout lui avait semblé tellement simple, lorsqu'elle divaguait dans son lit. Elle se levait, elle se douchait, elle s'habillait, elle sortait, elle allait voir une amie. Pas d'étapes infinies se démultipliant dans sa tête jusqu'à la décourager totalement, pas de squelette récalcitrant ou d'étoiles coupantes synonymes de migraines se fichant dans son crâne. Tout avait été tellement simple, et peut-être que ça l'était au final, pour les autres.
Le pire étant qu'elle ne pouvait cette fois même pas se dire qu'elle avait besoin d'acheter quelque chose.
Non. Le pire étant qu'elle était venue pour Chiara.
Elle était juste venue...Pour Chiara, après s'être juré de ne jamais revenir à cause d'elle. Rien que de penser à son expression si elle l'apprenait faisait descendre des sueurs froides dans son dos. Elle venait de signer son arrêt de mort elle-même. Maugréa-t-elle dans sa barbe en tirant sur le bonnet qu'elle portait, ses mèches brunes plaquées contre son front échouant dans ses yeux. Ow, fichtre, ronchonna-t-elle encore avec mauvaise foi en se frottant les paupières de ses doigts pour les en chasser.
Les températures se refroidissaient. Et elle était dehors, figée sur un parking, un pied sur deux lignes de destin différentes.
Qu'est-ce qu'elle faisait de sa vie ?
Il n'était pas trop tard pour reculer.
Les portes du magasin s'ouvrirent pour laisser passer une personne âgée avec un cabas.
Elles s'ouvrirent une deuxième fois, pour un homme d'âge moyen en costume bleu roi.
À la troisième, ce fût car elle franchissait enfin le seuil d'un pas qu’elle voulait assuré. Le sol en damier défilait sous sa démarche. Blanc, noir, blanc…Noir. Elle s’immobilisa.
<<- Bonjour ! L'accueillit la vendeuse derrière son comptoir.
La guitariste tourna la tête vers elle, presque surprise par son éclat de voix. Le regard de l'inconnue s'éclaira immédiatement d'une lueur d'intelligence en croisant le sien, qu'il accrocha quelques secondes. Elle se redressa faiblement, un mn ? interrogateur aux connotations de ronronnement lui échappant.
Elle l'avait reconnue.
- Ah, bonjour.>> Salua en retour la lycéenne, ne sachant que répondre d'autre.
Elle-aussi. C'était la sœur de sa camarade, la même qui occupait la caisse le jour funeste où elle avait presque détruit un rayon (à cause d’elle). Elle se rappelait que son prénom avait des connotations en -or. Hector sonnait trop sec. V, or, Vector ? Ça ne sonnait pas juste non plus, mais elle était trop loin pour voir autre chose que la lettre V majuscule de son badge.
Un ange passa. Le silence s'installa, sans qu'aucune des deux n'esquisse le moindre mouvement.
Claire ne bougeait pas, ne faisant que tirer sur ses manches nerveusement. Vector l'examinait minutieusement, indécise, tout en triturant son septum, qui consistait en un anneau noir finissant en deux piques. Il émanait d'elle une nonchalance paisible malgré un charisme intimidant, lui donnant une aura magnétique accentuant l'air de famille entre elle et la tête blanche.
<<- Je peux vous aider...? Se râcla-t-elle finalement la gorge, adoptant un ton de voix grave et doux comme pour ne pas l’effrayer.
- Non.
- A.
La musicienne avait répondu par réflexe. Son visage se décomposa. Pourquoi, se consterna-t-elle alors qu'elle rigolait nerveusement, et son rire exprimait toute son envie de se wingardium leviosa d’un immeuble. Pourquoi.
- Enfin, si, je ne voulais pas...Se corrigea-t-elle anxieusement avant de soupirer, sa main frottant furieusement l’arrière de sa tête. Désolée. Je voulais dire, est-ce que...Chiara est là ?
data-p-id=c88998b37959e35cd2e564ac3eeae74b,L'expression de Vector changea du tout au tout. Elle afficha d'abord de l'étonnement, ses yeux affinés d'eye liner s'arrondissant pour n'être plus que deux billes pers. Puis, ses lèvres se relevèrent en une esquisse de sourire enjoué, lequel évolua en un rictus sournois entendu en s'affinant. Ce même rictus tomba lorsqu'elle se remémora quelque chose. Ses traits se tendirent alors pour n'exprimer plus qu'une déception mélancolique circonspecte.
Tout cela en une fraction de secondes. La guitariste se demanda comment elle pouvait être aussi expressive, avant de se souvenir qu'elle était de la famille de Chiara. Toujours. Ressentir tant de choses en même temps devait être exténuant émotionnellement.
- Elle n'est pas là pour le moment. Mais je peux prendre un message, peut-être ?
La guitariste s'empourpra, ses sourcils se fronçant inconsciemment. Un large sourire venait de nouveau d'éclore en face d'elle, le genre qui renfermait des sous-entendus qu’elle avait peur de comprendre.
- Non, merci. Refusa-t-elle prestement en détournant le regard, n'ayant plus qu'une hâte maintenant qu'elle savait son amie absente: partir.
Elle avait l'impression que leur conversation résonnait dans tout le magasin, que tous les regards étaient tournés vers elles. Elle carra les épaules; ce n'était qu'elle, bien sûr. À part la vieille femme au cabas de plus tôt qui trainait de la patte dans son rayon de cassoulet pour espionner, personne ne lui prêtait d'attention, tout occupés qu’ils étaient par leurs rouleaux de papier toilettes ou leurs serviettes hygiéniques en solde.
- Ne lui dites pas que je suis venue, d'ailleurs. Précisa la brune en relevant la tête pour fixer ses iris smaragdins dans ceux de son interlocutrice, presque solennelle.
Celle-ci secoua la tête en souriant.
- Bien sûr, bien sûr.
- Vraiment ?
- Ahah. Et si vous achetiez un petit déjeuner, pendant que tu es là ? J'ai ces bouteilles de café et des gâteaux en promotion juste là. Vous n’êtes pas venue rien que pour voir ma sœur, si ? Esquiva insidieusement Vector avec un geste de la main leste vers un rayon installé près de la caisse, tout placardé de rouge, et de bleu, et de pourcentages négatifs.
Le vouvoiement roulait sur sa langue avec un tel amusement qu'il en paraissait décalé, comme s'il n'était qu'une blague, qu'une mascarade entre deux connaissances de longue date.
- Heh ?
- Le silence est d'or...Étaya la jeune caissière d'un ton de voix suave, ses préoccupations retournant à son septum qu'elle réajusta, avant de lui adresser de nouveau un sourire charmeur révélant la totalité de ses dents.
Claire sua, un ricanement blanc faisant tressauter ses épaules.
- Ahahah...>>
Première chose que la lycéenne apprit ce matin-là: Vector n'était pas Vector mais Victor, comme le stipulait clairement le même badge l'ayant induite en erreur en premier lieu. Et elle était peut-être même pire que sa sœur, ce qu'elle ne pensait pas possible. Ou du moins, elle savait pour sûr régner sur son royaume de rayonnages.
Deuxième chose: elles étaient trois dans cette conversation. Victor, elle, et la mamie au cassoulet.
Claire sirota la bouteille de macchiato qu’elle venait d’acheter du bout des lèvres. Son nez se fronça quelque peu lorsqu’elle avala. C’était froid…
Troisième chose: lundi, Chiara saurait absolument tout de cette visite.
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<<- …>>
Cassiopée tourna une page. Elle était arrivée en avance, et était déjà assise sur sa chaise, comme tous les matins. Elle attendait en relisant ses notes que la cloche annonçant le début des cours ne fasse retentir son impitoyable rugissement. Pour le moment toutefois, tout était d’un calme plat. Derrière les murs et la porte refermée bruissait les sons étouffés de ses camarades chahutant dans les couloirs. Elle avait l’impression de se trouver dans l’antichambre du monde; elle appréciait ce moment d’intimité partagé avec lui. Quelle chance, de pouvoir compter l’univers parmi ses confidents.
Le soleil, lorsqu'il n'était pas caché par les nuages gris en profusion dans le ciel, pointait derrière les fenêtres encore couvertes de rosée et faisait brasiller les gouttes roulant contre la surface du verre.
Cela devait être le seul moment de la journée lors duquel elle se sentait privilégiée, sans avoir besoin de s’écorcher sur ses feuilles pour prouver sa valeur. Il y avait certainement bien plus d’elle dans ses notes que nulle autre part ailleurs.
Pour le m
oment encore, les mots sur ses fiches ne déterminaient pas sa personne toute entière. Elle était encore d’une substance dont elle était la cause formelle.
La jeune fille exhala. Elle se cachait toujours derrière des arguments d’autorité: Descartes, Aristote. De grandes personnes, pour justifier sa propre grandeur en construction. De grandes personnes pour justifier qu’elle-aussi avait le pouvoir d’en devenir une. Elle n’était qu’une mosaïque de leurs pensées et doctrines, en réalité; si elle utilisait de grands thermes, serait-elle plus écoutée, plus légitime ?
Mais le matin, elle n’avait nul besoin de se référer aux fantômes antiques d’hommes qu’elle ne connut, et ne connaîtrait jamais. Le matin, elle pouvait s’envelopper de sa pitoyable humanité et s’assoir sur son piédestal, en silence, en compagnie d’un monde encore en suspension.
La porte coulissa. Le raffut du couloir inonda la salle, s’écrasant contre l’air froid comme une vague. La lycéenne aux cheveux corbeaux resta un instant assourdie. Elle se crispa. La nouvelle arrivante se hâta de clore la porte derrière elle, refermant prestement la parenthèse de vie. Cassiopée reporta son attention sur elle une fois le volume sonore retrouvé.
<<- Salut, Claire.>>
L’intéressée leva la main pour la saluer; une main qui vint ensuite se positionner devant sa bouche lorsqu’elle bailla, si longuement que cette même main encore une fois essuya des larmes au coin de ses yeux, avant de se perdre dans ses cheveux coiffés avec les pieds du réveil. Cassiopée secoua la tête, consternée. Claire avait l’air terriblement épuisée; depuis la rentrée ses cernes ne faisaient que se creuser, au point maintenant que la jeune fille pourrait probablement juste s’y allonger, croiser les bras sur sa poitrine et s’y faire enterrer. Elle paraissait un mort-vivant alors qu’il n’était même pas huit heures, un lundi matin. Plus mort que vivant, par ailleurs.
Qu’est-ce qu’elle allait faire d’elle ? Rien que la regarder drainait son énergie.
<<- Ça promet. Tu es venue avec un sort de nécromancie ? Ironisa Cassiopée en calant une mèche de cheveux derrière son oreille, dégageant son visage comme pour mieux lui montrer sa désapprobation.
Claire ricana sarcastiquement en réponse, son œil brillant le temps d’un instant. Oh, un éclat de vie. Nota Cassiopée, alors que son amie tirait sa chaise, la faisant racler contre le sol. Elle se laissa tomber lourdement dessus.
- Il paraît. Répondit-elle, le coin de ses lèvres se relevant en un semblant de sourire. Sur le chemin, des gens étranges me suivaient et m’appelaient Jésus. J’aurais préféré qu’on me laisse dormir.
- Jésus ? Claire, tu as la tête d’un cadavre, et je suis quasiment sûre que tu portais déjà ce pull vendredi dernier. Ils t’appelaient Jésus car si tu continues comme ça, tu monteras au Ciel avant l’Ascension. Tu sais que tu te reposes normalement, le weekend ?>>
Le ton avait changé. Cassiopée parlait plus sérieusement, maintenant. Claire le perçut, et se braqua instantanément; au lieu d’objecter, elle ne fit qu’hausser les épaules évasivement et croiser les bras sur son pupitre, avant d’y enfouir son visage promptement.
<<- Pas d’excuses cette fois, huh…>>
Cassiopée capitula, non sans un mn désappointé. Plus le temps passait, plus la guitariste devenait secrète. Elle se demandait d’où ça pouvait bien lui venir…Claire n’avait jamais été aussi distante qu’en ce moment. Cette dernière tourna la tête vers elle en constatant que le silence s’alourdissait, attrapant la malgache l’examinant du coin de l’œil d’un air frustré.
<<- Tu abandonnes ton interrogatoire ? Questionna-t-elle, sa joue pressée contre son bras déformant sa voix.
- Oui. Acquiesça son interlocutrice. Tu ne répondras pas, de toute façon, pas vrai ?>>
Un silence s'installa entre les deux jeunes filles. Claire esquissa un sourire fatigué.
Il fut un moment pendant lequel Cassiopée était convaincue qu’elles étaient si proches qu’elles n’avaient pas besoin de mots pour se comprendre. Pendant lequel, chaque silence était un sous-entendu, une phrase, un monologue entier, seulement pour sa fréquence. Qu’elles pouvaient avoir des conversations muettes, qu’elles se connaissaient sur le bout des doigts. Mais maintenant…Cassiopée plissa les yeux.
Maintenant, elle se rendait compte que ce sourire, elle n’avait aucune idée de ce qu’il pouvait bien signifier.
✦
<<- Ah. Non…>>
Claire soupira.
Il pleuvait. C’était un déluge. Des trombes d’eau chutaient du ciel avec l’objectif évident de noyer le monde, et déjà des ruisseaux furieux dévalaient le goudron du sol bordant les gouttières et les trottoirs.
Les autres élèves abrités sous le préau avec elle râlaient et bougonnaient également. Quelques rares exceptions (des secondes, au vu de leurs vêtements flashy et de leurs têtes d’enfants) s’amusaient à se chasser et tournoyer ensemble sous la pluie tout en clamant tout haut plus qu’ils ne chantaient vraiment ‘’En dessous des vagues, entraînée par le vent du soir ! Perle magique, ton pouvoir me guidera ! PERLE DE L’AMOUR, ENCORE ET TOUJOURS !’’—Claire les regarda encore un peu avant de reporter son attention sur les autres élèves abrités sous le porche avec elle.
Certains dépliaient leur parapluie, tandis que d’autres remontaient leur capuche pour braver les éléments. Elle restait les bras ballants.
Elle n'avait ni l'un ni l'autre. Claire apprit ce jour-là que certaines personnes de son âge regardaient toujours la météo, ce qu’elle considérait jusqu’alors comme une activité réservée aux retraités soucieux de leurs rhumatismes. Ou aux retraités tout court. Bien fait pour elle.
Elle ne détestait pas absolument la pluie. Elle préférait lorsque le ciel était bleu, et qu’elle pouvait essayer de plonger son regard aussi loin que possible, jusqu’aux limites même de l’espace qu’elle s’efforçait toujours de découvrir. Elle aimait toutefois le bruit des orages. En particulier lorsqu’ils grondaient si fort qu’ils en assourdissaient tout le reste, et que pendant quelques secondes le monde entier observait un silence respectueux. Elle aimait l’atmosphère précédant un jour de pluie, lorsque la vie était suspendue et que le sol était encore humide et que la lumière, en se reflétant dessus, créait une brume lui donnant l’impression de marcher sur un nuage.
Mais lorsqu'elle les subissait, c'était différent. Elle n’aimait pas être mouillée. Elle n’aimait pas lorsque ses cheveux rebiquaient dès qu’ils étaient un peu humides, devenant tout-à-fait hors de contrôle. Elle n’aimait pas la sensation de ses vêtements collant à sa peau. Elle n’aimait pas sentir le chat mouillé—elle n’aimait pas les chats.
Ce qui paraissait inévitable dans sa situation actuelle. Elle l'avait vu venir, pourtant. Les nuages stagnaient et lorsqu’ils avançaient, c’était pour s’accumuler et devenir d’autant plus menaçants et sombres qu’ils gagnaient en densité. Et dire qu’elle était venue en vélo…Son pauvre véhicule, qui subissait seul les intempéries. Il serait exécrable après ça. Elle se sentait un peu coupable. Enfin, après tout, ce n’était pas pire qu’être mouillé et supporter en plus le poids de deux jeunes filles trempées jusqu’aux os.
Ça lui rappelait des souvenirs, tiens. Songea-t-elle, avant de se masser l’arête du nez. Elle n’arrivait pas à déterminer si ils étaient bons ou mauvais. Un savant mélanges des deux, certainement, comme toujours.
Un poids s’effondrant sur son dos la tira de ses pensées; aussitôt, deux bras suivirent, émergeant des côtés de sa tête pour l’enlacer.
<<- Ayo ! S’écria une voix cristalline joyeuse—quand on parlait du loup…
Chiara venait de lui sauter dessus. Avec l’élan, son amie tituba en avant—sous l’eau.
- Ah ?! Éructa-t-elle, avant de s’exclamer de nouveau de manière bien plus aigüe (et très peu virile) en sentant la pluie tomber sur elle. Ah !
La guitariste bondit farouchement en arrière dans un hhhhhhh sifflant, crispée. Eau. Ses poils se hérissèrent sur ses bras. Gosh damn it. Pesta-t-elle intérieurement. Elle sentait les jurons fleurir sur sa langue; elle les défricha d’elle-même, Chiara n’aimant pas quand elle utilisait ce genre de langage.
-…Fichtre. Lâcha-t-elle finalement après avoir longuement soupesé ses options, détrempée. Chiara, sérieux…
Une seconde avait suffi.
La brune claqua sa langue contre son palais, avant de chasser de sa manche l’eau ruisselant de son front et les gouttes coincées dans ses sourcils. Super. D’autres dévalaient sa mâchoire et son cou, brillant brièvement en captant la lumière des éclairages extérieurs. Elle les sentait sous ses vêtements, c’était très désagréable. La lycéenne s’ébroua, et passa ses mains dans ses cheveux pour les rejeter en arrière. Ses mèches les plus fines revinrent en mouvement de balancier, collées les unes aux autres par l’humidité. Au moins cela avait-elle eu le mérite de la distraire. S’efforça-t-elle de positiver en tirant sur le col de son t-schirt pour le détacher de sa peau.
Chiara l’avait effrayée, encore une fois. Son cœur avait manqué un battement lorsqu’elle l’avait prise dans ses bras, et un deuxième lorsqu’elle avait remarqué que malgré le temps pluvieux, elle sentait toujours le soleil. La chaleur qu’elle dégageait contrastait tant avec le fond d’air froid qu’elle frissonna.
-…
Alors seulement se rendit-elle compte que cette dernière était suspicieusement silencieuse, pour quelqu’un qui venait de lui faire prendre une douche forcée. La connaissant, elle devrait plutôt être en train de se moquer allègrement d’elle, avec ce même sadisme qu’elle partageait avec Félix.
Claire leva son regard vers son amie; seulement pour croiser le sien déjà focalisé sur elle. Elle se figea, surprise par l’intensité de ses deux portions de ciel bleu voilées par ses cils et ses paupières mi-closes. Elle aurait qualifié ses yeux de langoureux, si elle avait été quelqu’un d’autre, avec quelqu’un d’autre.
Chiara fixait un point statique près de ses lèvres, perdue dans son propre univers. Ses iris étaient remplis d’étoiles. Tant, qu’il lui semblait qu’elles en débordaient pour illuminer son visage. Tant que le reste du monde était terne et flou. Il l’avait toujours été; quelque chose avait changé, pourtant. Peut-être elle.
Chiara était belle.
Si elle avait été quelqu’un d’autre, avec quelqu’un d’autre, elle aurait pu croire qu’elle allait l’embrasser.
Claire déglutit.
- Euh, ça va ? S’enquit-elle, incertaine, avant de passer son pouce sur ses lèvres pour se redonner contenance. Je ne suis pas en colère ou quoi que ce soit, donc, um…Enfin je veux dire…J’ai quelque chose sur le visage…? Chiara.
L’interpellée sortit de sa contemplation à l’entente de son prénom. Elle papillonna des paupières, un instant déboussolée; puis, ses yeux s’agrandirent en remontant se ficher dans les siens. Elle détourna prestement le regard dans un ah serré. Chiara riota d’une voix blanche dissonante en se grattant la joue, un sourire bancal tendu apparaissant sur son visage.
- Tu as dit quoi ? Interrogea-t-elle piteusement, une goutte de sueur roulant sur sa mâchoire. Ahah…J’étais perdue dans mes pensées, je n’ai pas fait attention…
Claire repassa ses mains dans ses cheveux pour les lisser, avant de simplement les poser sur sa tête pour s’assurer qu’en rebiquant, ses mèches rebelles ne lui fassent pas deux cornes de démon. Elle était ridicule lorsque c’était le cas, et elle en avait assez d’être ridicule en face de sa camarade.
- Pourquoi tu me fixes comme ça ? S’inquiéta-t-elle, avant de grimacer, connaissant déjà la réponse. C’est parce que mes cheveux rebiquent ? Ça me fait des cornes, c’est ça ? J’ai l’air bizarre ?
La volleyeuse leva un sourcil, dubitative.
Ses inquiétudes étaient si différentes des siennes que toute sa gêne s’évapora instantanément.
C’était vrai…Claire jugeait sans savoir, aussi s’était-elle monté la tête toute seule. La voir paniquer pour quelque chose comme ça était plutôt incongru. Ses épaules s’affaissèrent. Que faire ? Elle pourrait opter pour l’option du oui, totalement, comme elle pourrait la rassurer et lui affirmer qu’elle était toujours belle.
Un éclat matois passa dans ses yeux.
Mais enfin, qui passerait à côté d’une telle opportunité ?
- Oui ! S’extasia-t-elle alors gaiement en se penchant vers elle, ses cheveux coulant sur ses épaules dans des éclats de blanc pour se balancer dans le vide. C’est trop mignon, Claire ! Ça te fait deux oreilles, tu ressembles à un chat ! Tu as même feulé lorsque tu es tombée sous l’eau, c’était adorable ! Je peux t’appeler chaton, maintenant ?
La volleyeuse simula deux pattes de ses poings serrés, un sourire espiègle radieux révélant toute ses dents.
- Nya ! Fais-le, chaton, fais-le, nya !
- Chiara ?! S’étouffa la brune, son visage s’embrasant tandis qu’elle plaquait même d’avantage ses paumes contre sa tête. Plutôt mourir que d’être appelée comme ça ! Non, toi, meurs !
- Awww ! Mais tu es tellement mignonne, pourtant ! Ça me donne envie de te faire plein de bisous ! Piailla avec excitation son amie, avant d’ouvrir ses bras en grand, la bouche en cœur. Juste un, chaton !
- AAAAAAAAAAAAAAAAA !? Paniqua Claire en hurlant, horrifiée, en la voyant se pencher vers elle pour de vrai.
Par réflexe, elle la poussa en arrière. Chiara esquissa un pas pour rétablir son équilibre tout en se tenant le ventre, écarlate et les larmes aux yeux tant elle était pliée en deux de rire.
- Fuahaha ! Tu verrais ta…-
Or, ce pas fût celui de trop. La blanche se retrouva au même endroit que Claire plus tôt, en dehors du préau. Pile sous le bord du toit où l’eau s’écoulait en cascade en ricochant sur les toiles de plastique, et où de grosses flaques remplissaient les aspérités du goudron.
Chiara s’arrêta net dans sa phrase lorsque les trombes d’eau s’abattirent sur sa tête, lissant aussitôt ses cheveux qui ruisselèrent de son crâne comme une serpillère mouillée. Elle s’empressa de retourner à l’abri, mais le mal était fait.
-…Pff.
Claire toussota, la cage thoracique contractée du rire qu’elle retenait de son mieux.
La pluie avait redoublé depuis le début de leur conversation. La volleyeuse était absolument détrempée. Karma ?
Sa camarade souffla sur les mèches collant contre l’arête de son nez, lesquelles alourdies par l’eau finissaient en rideau épais juste devant ses yeux. Ces dernières volèrent un peu avant de se recoller à leur emplacement d’origine dans un splash humide et un oww dépité de leur propriétaire, qui venait de s’en prendre une dans l’œil.
Ce fût trop pour la brune.
- Bahaha ! Bahahahahaha ! S’esclaffa-t-elle bruyamment en la pointant du doigt, absolument hilare. Tu ressembles au monstre d’un lac ! Bouuuuh ! Mima-t-elle en simulant deux griffes près de ses épaules, imitant Chiara plus tôt et sa manière de la railler. Fais-le, fais-le ! Bahahahaha !
- Il pleut beaucoup. Commenta seulement son amie en rassemblant ses cheveux dans une main pour les tourner et les égoutter, embarrassée.
Des filets d’eau s’échappèrent d’entre ses doigts.
- Jure ? Ricana la guitariste sarcastiquement.
- Je le jure.
- Nessi.
- Chat.
- Non.
- Sinon quoi, tu vas partir ?
La volleyeuse lui adressa un sourire solaire en désignant l’extérieur d’une main. Sa bonne humeur réchauffa un peu le cœur de son interlocutrice, qui se contenta donc seulement de tirer la langue d’un air écœuré, autant envers les intempéries que Chiara. Histoire de lui signifier clairement qu’elle était contrariée par son surnom stupide, même si ce n’était pas vraiment le cas.
Sa grimace fit ricaner sa camarade. Avec ses mèches en addition, elle était l’incarnation du félin.
- Peut-être bien. Avisa-t-elle pourtant sobrement. Enfin…Salut, Chiara.
Avec tout ça, elle ne l’avait même pas accueillie correctement. Quelque chose qu’elle lui reprochait aussi souvent.
- Salut. Riota l’interpellée malicieusement, amusée. Chat.
Claire fronça les sourcils et se détourna sans un mot, esquissant déjà un pas pour s’en aller.
Nope. Qu’elle aille en enfer.
Un gasp alarmé résonna derrière elle.
- Non ! D’accord, d’accord (je mens) ! J’arrête (pas) ! Je vais (pas) trouver autre chose ! Reste !
Chiara la rattrapa, saisissant son col pour la tirer en arrière avant qu’elle ne soit trop loin d’elle; ce qui résulta en un argl ?!—étranglé de sa victime.
Des étoiles dansèrent devant les yeux de la guitariste. Elle resta étourdie quelques secondes, aveuglée. Wow. Chiara avait de la force. Elle n’était pas la joueuse star de l’équipe de volley pour rien.
-…Je viens de voir ma vie défiler. Annonça-t-elle, indolente, voir consternée.
La prise de Chiara sur elle se desserra.
- C’était bien ?
Claire haussa les épaules. Elle profita de son manque d’attention pour lui filer entre les doigts, et instaurer un espace vital de quelques dizaine de centimètres.
- Heh…Je me suis vue dormir pendant plus de la moitié du temps.
-…C’est nul. Se consterna également Chiara, énonçant tout haut ce qu’elle pensait tout bas.
Elle avait raison, mais la voir faire une tête aussi compatissante piquait sa fierté.
- Ok. Agréa-t-elle pour ne pas dire oui directement, avant de fermer la parenthèse pour se reconcentrer sur leur dialogue principal. Maintenant: premièrement, aïe ? Deuxièmement: j’ai vraiment tout entendu, juste parce que tu fais des apartés ne veut pas dire que je perds l’audition.
- Tu te fais des idées !
- Euh, non…?
- En plus regarde, j’ai un parapluie !
- Ah ?
Chiara hocha la tête pour approuver. Elle barra cependant ses lèvres de son doigt, de ce même air mystérieux qu’elle aimait tant se donner.
- ...Mais je ne te le prête que si on fait quelque chose avant de rentrer.~>>
La guitariste retint un sourire. Tiens donc…Ça lui avait manqué. Elle savait très bien ce que son interlocutrice sous-entendait. Depuis combien de temps n’avaient-elles pas coché de case ? Même pas trois jours, en vérité, mais cela lui avait paru long.
En vérité, elle avait pris goût aux aventures avec Chiara. Sa vie était vraiment fade lorsqu’elle n’était pas là pour la chambouler avec ses plans démoniaques et ses idées à la noix.
La vérité, c’était que pour peu que Chiara lui demande, Claire lui aurait accordé n’importe quoi et l’aurait suivie n’importe où, à n’importe quelle heure. Après tout, elle ne vivait plus que pour elle, et la liste.
Mais pour la forme, quand même, elle soupira. Car elle ne pouvait décidément jamais le lui dire et elle ne pouvait jamais le savoir.
- Pas de plan foireux ? Questionna-t-elle, plus pour le rituel que pour se rassurer, car...
…Chiara avait toujours des plans foireux.
- Tu me connais ! Esquiva la jeune fille aux cheveux blancs en sortant énergiquement son parapluie de son sac comme elle tirerait un katana de son étui.
Puis elle se mit en garde dans un yata ! guerrier.
Claire pouffa, son indécision de façade fondant au profit d’un sourire chaleureux et d’un clignement des yeux de connivence.
- J'en ai, de la chance.>> La taquina-t-elle en retour, son affection entrelacée dans sa voix.
Chiara resta un instant sans bouger.
Puis, elle déploya le parapluie entre elles. Elle se cacha derrière une minute encore, seul le bas de son corps visible, avant de le relever pour poser le manche sur son épaule l’air de rien.
Ses joues étaient roses pâles, et son sourire dans l’atmosphère sombre typique des jours de pluie encore plus éclatant que d’habitude. Encore une fois, les yeux de la musicienne se remplirent d’étoiles, ses pupilles se dilatant alors qu’elle retenait son souffle. Son cœur s’emballa.
Son interlocutrice l’effrayait.
<<- Tu viens ?
Le parapluie était jaune canard, tout simple si ce n’était pour les rubans de satin oranges noués autour des armatures. Ces derniers ondulaient calmement, encore agités de l’élan donné au parapluie. Claire émergea de son admiration.
- Évidemment.>> Assura-t-elle, le plus naturellement du monde.
Car c’était naturel. Elles n’étaient que deux jeunes filles et deux lycéennes, comme tant d’autres au final. Tout le monde ressentait les mêmes choses, avec la même violence, ou alors peut-être que non, mais ça importait peu sur le moment. Le temps s’était suspendu.
<<- Tu devrais marcher plus près de moi. On ne rentrera pas sous le parapluie toutes les deux, sinon. Recommanda la blanche, la tête levée vers la toile du parapluie d’un air soucieux paraissant un peu théâtral. Ah, comment va-t-on faire ? S’accabla-t-elle de façon encore plus dramatique tout en faisant un pas chancelant sur le côté, comme pour feindre un mal intense qui lui donnerait le vertige.
Elle buta contre la guitariste. Naïvement, cette dernière suivit son regard. Le parapluie avait l’air d’une taille tout-à-fait acceptable.
- Je ne suis pas sûre que ce soit un problème…
- Non, non ! Insista la volleyeuse, intransigeante soudainement. Si, non, si, je sais que tu détestes l’eau ! Serres-toi plus—en fait, donne-moi carrément ton bras…Voilà, comme ça. Par—fait.>>
Chiara verrouilla son bras au sien sans attendre son avis, se lovant littéralement contre le côté de son corps dans un mn de satisfaction espiègle.
<<- Allons-y maintenant. L’entraîna-t-elle avant qu’elle ne puisse protester, la pluie martelant la toile du parapluie lourdement—elle était bien plus enjouée maintenant, étrangement, releva sa camarade, laquelle demeura sceptique mais se laissa faire.
- Euh, ok ?>>
Et alors même que le ciel se déchirait en deux au-dessus d’elles en gémissant, que ses cheveux rebiquaient et que son pull embaumait déjà la douce flagrance qu’était celle du chat mouillé en collant contre sa peau, la guitariste se sentait comme en été.
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<<- Ne marche pas dans les flaques, tu m’éclabousses…
- Oops.~
- Tu fais exprès, pas vrai ?
- On verra après cette flaque !
- Quelle fla—non, Chiara ! Ne saute pas dedans !
- Je rigolais, chat, je rigolais. J’aime juste te faire râler.
-…>>