Chapitre 6: Kiss marry kill, ou quand Satan joue Cupidon (et échoue).
ˢᵘᵖᵉʳᶰᵒᵛᵃ
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<<- Ta—daa ! S'extasia Chiara en posant une cigogne en origami devant Claire.
Cette dernière arrêta de plier son papier pour l'examiner correctement. Les ailes étaient inégales et tordues, le bec abîmé et…Tordu aussi. Au moins le travail de sa camarade ressemblait-il cette fois plus à un oiseau qu’à une boulette de papier chiffonnée.
- C'est...Hésita la brune en le détaillant, cherchant ses mots. Mieux.>>
C'était le meilleur compliment qu'elle pouvait faire sans mentir...
Chiara sembla s'en satisfaire, son visage s’illuminant de fierté. Un sourire altier ourla ses lèvres, le genre qui insinuait ‘’trop facile’’. La guitariste sua. Huh…
Les deux jeunes filles avaient trouvé refuge dans une bibliothèque. Elles s'étaient installées sur l'une des tables au centre même de la pièce; ronde, massive; elle aurait mieux trouvé sa place dans un manoir que dans une salle aussi étriquée par les rayonnages asymétriques de livres. Les murs étaient invisibles, recouverts par autant d’étagères qu’il était possible d’en faire tenir, elles-mêmes accessibles par d’antiques échelles sur roulettes. Elles ne suffisaient cependant pas pour accueillir l’entièreté de la quantité de livres, petits ou gros, fins ou épais se plaçant en maîtres des lieux dans tous les coins; des piles culminaient sur les tables, les chaises et même le sol. L’air sentait le vieux papier et la poussière. L’air était de vieux papier et de poussière. Elle aurait eu l’impression d’avoir pénétré dans l’un de ces vieux grimoires magiques si courants dans les contes, si ce n’était pour le bruit de la pluie martelant le toit au-dessus d’elles.
Claire plia en deux le papier qu'elle avait entre les mains. Elle repassa les angles et marqua les plis.
Le parapluie jaune avait été délaissé quelque part près de l’entrée. Une bibliothèque. Même après tout ce temps, la guitariste avait marqué un temps d’arrêt en poussant la porte. Elle avait d’abord été subjuguée par l’atmosphère, puis par le regard perçant et enfoncé de la bibliothécaire, et enfin la manière dont son amie s’était si naturellement délaissée de son manteau trempée pour aller s’installer. Même après tous ses plans foireux, elle parvenait encore à la surprendre; ce n’était pas être médisante que dire qu’elle s’attendait plus à ce que Chiara l’amène dans un club de striptease qu’une bibliothèque.
Inconsciemment, ses yeux glissèrent vers elle. La blanche avait tourné la page du manuel d’origami qu’elle avait déniché pour entreprendre une nouvelle création. Ses yeux étaient ondulés et décoiffés maintenant, mais secs. Elle paraissait concentrée, ses mèches coupées étrangement tombant contre l’arête de son nez du fait de sa tête inclinée vers l’avant. Elles-aussi avait pâti de sa douche improvisée de plus tôt: elles étaient plus denses et touffues, ce qui donnait un tout assez…Électrique.
<<- On dirait que tu t’es électrocutée, Chiara.
L’interpellée releva la tête. Elle cligna des yeux, avant de prendre entre ses doigts l’une de ses mèches comme pour en juger elle-même.
- C’est vrai. Acquiesça-t-elle; avant d’ajouter, tout aussi tranquillement. C’est certainement à cause du coup de foudre que j’ai eu pour toi.~
La brune grogna. Elle lui envoya ses boulettes de papier, que Chiara évita en riotant.
- Raté ! Arrête de sécher le volley, et peut-être que tu viseras mieux ! En tout cas, c’était assez pour atteindre mon cœur…-
- Ne finis pas cette phrase.
- Aw…>>
Claire soupira, avant de reporter son attention sur son papier et de rabattre l’un de ses coins vers le centre. Non sans un léger pincement au cœur…Les mots ployaient sous ses doigts. Qui était-elle pour les soumettre de la sorte ? Elle transformait des livres en origamis. Elle ne croyait pas en dieu, pourtant elle avait l’impression d’effectuer un acte de vandalisme terriblement blasphématoire.
Une pile d’ouvrages abimés avait été abandonnée au centre de la table. Plusieurs pages déchirées tapissaient le bois ancien de blanc cassé, cheminant entre elles. Plusieurs manuels d’origami étaient empilés de l’autre côté de la table, mais chacune en avait sélectionné un en particulier et s’y tenait plus ou moins. Celui de la blanche était ouvert sur la reliure en face d’elle, tandis que celui de Claire reposait contre ses jambes croisées en tailleur sur sa chaise. Claire soupira de nouveau, un peu plus longuement.
<<- Je me sens mal.
- Tiens. Mange.
Chiara glissa un petit paquet rose vers elle. Claire l’attrapa rapidement, confuse. Elle le cacha sous la table—la nourriture était interdite dans une bibliothèque, du moins il lui semblait; que Chiara brave cette règle si gaiement ne la surprendrait, pour le coup, pas le moins du monde.
- Ce n’est pas car j’ai faim que je me sens mal…Murmura-t-elle dans sa barbe, tout en tournant le paquet entre ses doigts pour en lire les écritures. Qu’est-ce que c’est ?
Chewing-gums à la Fraise. Encore fraise…
- Je les ai pris pour toi. Au cas-où. Précisa Chiara, un sourire jovial sur les lèvres.
- Euh ?
- Tu te nourris exclusivement de fraise, non ? J’ai lu sur internet que quand on voulait apprivoiser un petit animal, on devait lui offrir sa nourriture préférée. Développa-t-elle encore, son sourire s’élargissant pour n’être plus qu’un rayon de soleil l’éblouissant littéralement.
La musicienne plissa les yeux. Quoi…Ce raisonnement la laissa coite, tant il était stupide. Son interlocutrice avait toutefois l’air tellement contente d’elle-même qu’elle ne sut pendant une seconde si elle était vraiment sérieuse ou si elle se moquait d’elle; pour ensuite décider que décidément, ça ne pouvait être que la deuxième option.
- Petit animal ?! Répéta-t-elle d’une voix forte irritée. Je ne suis pas un petit animal ?!
- Chhht…Vraiment ? S’enquit Chiara en inclinant la tête sur le côté, fronçant les sourcils d’un air presque troublé. Ça fonctionne pourtant…
La musicienne la fusilla quasiment du regard, ses lèvres se retroussant en un rictus crispé.
- Pardon ?!
- Rien. Affirma la blanche de sa voix toujours fluette, un peu plus fortement.
Claire grogna pour faire bonne figure; avant de réaliser avec l’expression rayonnante de son interlocutrice que cette réaction ne devait pas aider son cas. Son rictus tiqua.
- Tsk.>> Siffla-t-elle alors seulement entre ses dents, avant de prendre un chewing-gum pour le glisser dans sa bouche et se donner une excuse pour ne pas répondre.
Le parfum explosa dans sa bouche. Elle n’aimait même pas la fraise tant que ça. La guitariste mâchonna sa frustration encore quelques minutes. Et elle ne mangeait jamais de chewing-gums en temps normal…
<<-…Merci.
Pourquoi cédait-elle encore ? C’était ridicule. Elle était ridicule.
- Avec plaisir.
-…Tu en veux ?
- Mn ? Ah, non, merci. Garde-le. La nourriture est interdite dans les bibliothèques. Refusa effrontément la volleyeuse, se satisfaisant de la seule vision de la brune renfrognée mâchonnant.
Cette dernière marqua un temps d’arrêt. Claire darda le feu de ses iris verts sur son interlocutrice, semblant tomber des nues le temps d’une seconde. Puis, elle cligna des paupières, ses traits se durcissant:
- Chiara, commença-t-elle le plus sérieusement du monde, est-ce que tu te fous de ma gue—
- Langage.~ La coupa sa camarade par un chuchotement, barrant ses lèvres de son index. Écoute-moi, plutôt. J’ai demandé au personnel. On ne fait rien de mal avec ces livres—ils auraient été brûlés ou recyclés dans tous les cas.
- …
La guitariste se contenta d’un heh… sceptique, la moitié de sa concentration encore bloquée sur sa première phrase. Elle était déchirée entre son orgueil, lequel donc orgueilleusement lui sommait de s’agacer, et son incompréhension, laquelle, plus forte, la laissait les bras ballants. Et aussi un peu d’admiration: car décidément, quel culot. Le culot gigantesque, astronomique, de toute la galaxie.
Chiara mécomprit son expression pour de l’hésitation. Pour finir de la convaincre, elle extirpa sa liste de son sac et la glissa vers elle.
- Regarde.
La case du skate était cochée à présent. La brune passa outre, se focalisant plutôt sur celle que son amie tapotait du doigt.
□ "Faire des origamis avec des vieux livres’’.
- ...>>
Nouveau silence de la part de la brune, qui sembla néanmoins retrouver ses sens. Dans le désordre de son esprit, une chose au moins était sûre. Il était hors de question que cette case se coche avec une autre personne qu'elle.
Claire soupira de nouveau, vaincue—sur tellement de niveaux…Chiara lui adressa un nouveau beau sourire, avant de reprendre son activité de pliage aussi naturellement que si cette activité était l’une de celles qu’elle faisait quotidiennement. Seule son manque d’expérience (et de talent) la trahissait. La guitariste ne trouva rien à dire, encore trop déstabilisée par la succession d’énormités que la volleyeuse venait d’enchaîner.
Donc, la guitariste arrache une nouvelle page d’un livre.
Et en fit un origami. Après une minute de plus, elle poussa sa création vers son amie, s’allongeant presque au-travers de la table pour l’atteindre.
<<- Tiens.
- C’est un dindon ?
-…Tu veux mourir ? Renvoya Claire du même ton de voix, un large sourire menaçant sur son visage.
- Ahahaha. Chiara rigola nerveusement, une goutte de sueur roulant dans sa nuque alors qu’elle prenait le pliage dans ses mains. Je rigole, je rigole ! Il est trop chouette ton…
Moment de flottement. La lycéenne envoya une prière au ciel pour ne pas se tromper d’animal, tout en déglutissant. Puis, elle compléta:
-…Paon…?
La brune la fixa de la même expression une seconde de plus.
- Merci. Se relâcha-t-elle finalement en se renfonçant dans sa chaise.
Chiara laissa échapper un soupir de soulagement discret.
- Tu me le donnes ?
- Non.
- S’il te plaît ? Je le veux !
- Pourquoi ? Ce n’est qu’un ‘’dindon’’. Maugréa Claire.
- Pff…
La lycéenne releva la tête, seulement pour apercevoir son amie rouge écarlate de se retenir de rire. Chiara se cacha d’une de ses mains en s’apercevant qu’elle la regardait, incapable de se contenir plus longtemps; elle explosa de rire, d’un rire comme un murmure, bas et essoufflé, étouffé par sa paume. Elle combattait contre elle-même pour respecter le silence religieux observé dans la bibliothèque; ses pouffements comblaient pourtant l’espace entre elles et le plafond, remplissant toute la place que les livres n’occupaient pas.
- Tu te moques encore de moi ?! S’irrita cette fois la guitariste, sa propre voix baissant d’un octave tandis que ses joues s’échauffaient. Tu es déchaînée aujourd’hui ! Je pars.
- Je n’y peux rien, tu es trop mignonne…! Non, reste, reste ! Tu as promis de m’aider avec ma liste !
- On la fera plus tard, alors ! S’emporta encore la brune, plus par gêne que par réel énervement.
- Non ! Je dois absolument la remplir maintenant.
Chiara se calma en un battement de paupière; son intonation changea pour devenir d’un sérieux implacable, presque intransigeant. Claire s’humecta les lèvres. Est-ce qu’elle l’avait mise en colère involontairement ? Son cœur manqua un battement.
- Euh. Elle se râcla la gorge en se frottant la nuque, incertaine. Ok…
Chiara se gratta la joue, ses épaules s’affaissant faiblement.
- Merci.
- Ça va…? S’avança la guitariste depuis sa place. Enfin, je veux dire…je ne voulais pas…Ok, désolée. Je ne voulais pas te mettre en colère…
- Je ne suis pas en colère.
Chiara lui adressa un sourire. Ce dernier lui laissa une impression amère, pourtant, la musicienne n’osa dire quoi que ce soit. Le chewing-gum contre sa langue n’avait plus de goût. Il ne laissait plus qu’une amertume froide sur son palais. Elle continua de le mâcher, pourtant.
- …
- Non, vraiment ! Insista la blanche devant son nez froncé et ses lèvres pincées. Je pense juste que c’est bien de remplir ses objectifs pendant qu’on le peut encore. Et si je meurs demain ? Qui sait, c’est possible. Je veux vivre ma vie au maximum, comme tout le monde.
La lycéenne abaissa ses mains pour reposer le paon sur la table.
Claire enroula ses mèches de cheveux derrière sa tête autour de ses doigts, sa paume toujours dans sa nuque. Vivre sa vie au maximum ? Le concept lui semblait tellement étranger.
- J’imagine.>> Confirma-t-elle donc seulement du bout des lèvres, tout en ayant l’impression désagréable d’être la pire hypocrite du monde.
Tout en ayant l’impression désagréable que tout la séparait de Chiara, encore une fois. Elle qui voulait vivre sa vie au maximum de par cette liste, et elle qui par cette liste, faisait de sa mort un futur concret. Fascinant. Elles étaient comme un oxymore, deux termes apposés l’un contre l’autre, antonymes l’un de l’autre. Chiara, espace, elle. La vie, espace, la mort.
Cette dernière s’était déjà remise à ses pliages le temps qu’elle sorte de ses pensées. La guitariste ne put s’empêcher de voir son amie sous une nouvelle lumière.
Elle pliait, dépliait, repliait; elle était coincée sur une manœuvre particulière, semblant être une épreuve pour elle.
<<- Et voilà !
Chiara souleva entre ses mains une couronne en origami.
- Wow.
Une couronne qui ressemblait assez à une couronne pour être reconnaissable, bien qu’imparfaite. Le visage de sa camarade s’illumina de l’intérieur après son commentaire; elle se leva de sa chaise et contourna la table en quelques foulées pour s’arrêter juste derrière la brune.
- Et, voilà.
Un poids léger se posa sur la tête de Claire, aplatissant ses mèches de cheveux rebelles.
- Qu’est-ce que tu fais, encore ?
- Un sacre. Tu devrais plus écouter les cours d’histoire, Claire.
- Balle perdue…Je suis reine de quoi ?
- De mon cœur. Asséna Chiara du tact-au-tact, son temps de réaction nul témoignant du fait qu’elle n’attendait que ce moment pour sortir sa ligne.
Son interlocutrice la zyeuta du coin de l’œil, consternée.
- Depuis combien de temps tu veux la dire, celle-là ?
- Trop longtemps pour que je le révèle sans perdre ma fierté. Avoua la blanche en s’empourprant faiblement, embarrassée. Elle était bien ?
La guitariste toussota pour toute réponse, se passionnant soudainement pour l’examen de la couverture d’un livre. Chiara lâcha un gasp offusqué, plaquant sa paume contre la table pour s’assurer son attention. Elle se pencha en avant, ses cheveux coulant sur son épaule gauche.
- Comment osez-vous, ma reine ?! Vous moquez-vous de mes sentiments, purs et valeureux ?!
Sa proximité qu’elle emplissait tout le champs de vision de Claire. Cette dernière déplora une seconde son espace vital, blasée; cette pensée s’évapora toutefois bien vite lorsque sa camarade gonfla les joues de frustration.
- Hah.
Un rire se coinça dans sa gorge. Elle s’efforçait de rester le plus silencieuse possible, mais ses pouffements chatouillaient ses cordes vocales.
- Brave chevalier, pardonnez mon hilarité. Je vous remercie de votre dévotion. Articula Claire d’une voix serrée.
- Est-ce que je peux être remerciée par un baiser ?
- Non.
- Aw, mais ton haleine sent la fraise. J’adore la fraise. Tu me donnes faim ! S’apitoya Chiara avec un soupir, sa tête tombant en avant dramatiquement. Bon, alors, je peux avoir ton paon ?
Claire se dissimula derrière ses mèches de cheveux, son cœur s’emballant dans sa poitrine. Chiara. Sérieusement…Pour quelques raisons obscures, elle sentait ses battements se répercuter dans ses tempes et dans le bout de ses doigts.
- Deal.>>
■ ‘’Faire des origamis avec des vieux livres’’.
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data-p-id=774ce6a6e48a78455a791ae761a77175,Claire faisait rebondir son ballon sur ses mains, perdue dans ses pensées. Il faisait froid, maintenant, surtout aussi tôt le matin. Il était de plus en plus difficile de voir le ciel qu’elle aimait tant; il fallait attraper le bon moment. Noir, noir, noir; noir le matin, noir le soir, noir la nuit. Elle n’aimait pas cette période de l’année, quand tout était encore plus noir que d’habitude. Le bleu lui manquait.
Des pas légers derrière elle attirèrent son attention. Même perdue dans ses pensées, la brune les remarqua, devinant facilement leur propriétaire. Elle arrêta sa balle.
<<- Salut, Chiara. Annonça-t-elle sans même prendre la peine de se retourner.
Un soupir de déception exagéré accueillit ses paroles.
- Bouh, t’es pas drôle. Chouina dramatiquement l’interpellée en apparaissant à ses côtés, son propre ballon sous le bras.
La guitariste chassa sa plainte d’un haussement d’épaules nonchalant. Elle reprit son échauffement distraitement, bien plus motivée soudainement. Un fantôme de sourire relevait le coin de ses lèvres.
- Rien. Qu’est-ce que tu veux ?
Chiara fit rebondir son ballon contre le sol. Elle le rattrapa. Elle répéta encore deux fois l’opération avant de lâcher finalement:
- Ne m'attends pas, ce soir.
Quelque chose avait changé dans le ton de sa voix.
- Ah ? S'étonna Claire, arrêtant son échauffement pour la deuxième fois pour se focaliser sur son interlocutrice.
Celle-ci arborait toujours un sourire, mais semblait plus calme que d'habitude.
- J'ai un rendez-vous. Expliqua-t-elle en mettant un doigt devant ses lèvres, comme pour lui intimer de garder le secret.
La musicienne fronça les sourcils. Elle n’aimait pas ce sourire qui n’atteignait pas ses yeux, fade comparé aux autres auxquels elle était habituée. Celui-là lui laissa une impression désagréable.
- Avec qui ?
Chiara rigola doucement. Au vu de son expression, pourtant, ce qui l’ennuyait n'avait pas l'air drôle.
- Je te le dirai peut-être un jour ! Pourquoi ? Tu es jalouse ? Tu as peur que je tombe pour un de mes prétendants ? Ehe, ça me fait plaisir. Lorsque tu es aussi adorable, ça me donne envie de te pincer les joues.~ Ça devrait être illégal d’être aussi mignonne. Qu’est-ce que je suis censée faire après, moi ? T’embrasser ? Je rigole. Peut-être. Sauf si tu veux m’embrasser aussi. Dans ce cas on pourrait le faire, tu sais, en tant qu’amies…Ou…? Ahah, je rigole. Dégoisa-t-elle espièglement d’une voix légère entrecoupée de ses rires, lui jetant toutefois des œillades se voulant discrètes -raté- pour voir ses réactions. À moins que…?
Elle papillonna des cils. Le sourcil de Claire tiqua. C’était quoi, ce changement de sujet brutal ? C’était quoi ce sujet ? Et pourquoi avait-elle soudainement l’air aussi enthousiaste…? Sa phrase était restée en suspens dans les airs, comme si elle attendait vraiment une réponse. Elle aurait juste pu dire qu’elle ne voulait pas en parler, elle aurait passé l’éponge. De toute évidence, elle n’avait pas envie de s’épancher sur ce mystérieux rendez-vous. Quoique intriguée, la lycéenne décida de ne pas relever pour ne pas l’embarrasser…Et la bâillonna donc seulement, gênée par son monologue.
- Les gens vont se faire des idées, Chiara. La réprimanda-t-elle, désabusée.
Elle vérifia rapidement aux alentour que personne ne les écoutait. En pleine séance de volley, sérieux…Les autres allaient penser qu’elles flirtaient. La volleyeuse émit un mnnn renfrogné dans sa main, ne semblant pas se soucier le moins du monde des rumeurs risquant d’éclore sur elles. Ne réfléchissait-elle jamais ? S’atterra mentalement la brune, avant de se rappeler qu’en effet, ce n’était pas souvent le cas.
- Moi aussi je me fais des idées, quand tu me bâillonnes comme ça.
- Quoi ?
- Quoi ?>>
Les deux jeunes filles se dévisagèrent.
<<- Claire, je crois que c’est la première fois qu’on se touche de ton plein gré. Commenta la blanche, son souffle finissant contre sa paume, la rendant moite.
Son interlocutrice se frotta la nuque.
- Ne le dis pas comme ça, c’est bizarre.
- Est-ce que tu m’aimes ?
Claire fronça les sourcils, perplexe. ‘’???’’, exprimait clairement son expression, laquelle paraissait presque rebutée d’un point de vue extérieur du fait de son rictus figé.
- Heh ?
La réponse lui était tellement évidente, c’était un truisme. Se demandait-elle vraiment ? Forcément, évidemment. Qui n’aimerait pas le soleil ? Ce n’était pas comme si elle la ramenait tous les soirs et errait avec elle au gré des folies d’une liste confectionnée de sa main. Même, qui pourrait ne pas aimer Chiara ? Cette personne n’était pas prête d’exister.
- Je te supporte.
Ce n’était pas ce qu’elle voulait dire. Le visage de la guitariste se décomposa. Pourquoi faisait-elle toujours ça ? C’était tellement patent qu’elle avait répondu mécaniquement, du ton bas désintéressé qu’elle employait par défaut.
- Je veux dire. Assez.
- Assez pour m’embrasser ?
- Non. Assez en revanche pour voir que tu n’as pas tes étoiles. Asséna-t-elle sans y réfléchir plus que ça.
-…Mes étoiles ? Questionna néanmoins Chiara, prise de court.
Claire se figea. Et ferma les yeux. Et crispa la mâchoire, un creux se formant entre ses sourcils alors qu’elle crissait des dents d’embarras.
-…Ah. Exhala-t-elle, tout en s’admonestant intérieurement d’avoir été trop sincère—comme d’habitude.
Pourquoi, ne la fermait-elle, jamais ? Son interlocutrice l’écoutait trop attentivement maintenant pour qu’elle ne finisse pas sa pensée. Elle inspira donc, avant de se forcer à étayer:
- Je veux dire…Commença-t-elle péniblement en se grattant furieusement la nuque. Tu es…Fade ? Fade, pas dans le sens fade fade, mais plus dans le sens…C’est terrible, oublie ça. Ce que je veux dire c’est qu’en règle générale, tu brilles tellement fort que je ne vois que toi. Tu as tellement d’étoiles dans les yeux que c’est aveuglant, parfois. Et, enfin, j’aime vraiment tes étoiles, enfin j’aime…J’aime les étoiles, donc forcément j’aime celles dans tes yeux, tu vois ? Elles te rendent belles, j’aime les regarder. Quand tu souris, tu…C’est comme si le monde s’arrêtait, tellement tu es jolie. Enfin non ! Enfin si, j’avoue c’est vrai, mais genre no homo…? S’essouffla-t-elle, avant de totalement abdiquer pour ne faire plus que parler d’une voix égale, fuck it. Ma Chiara, c’est un rayon de soleil. Je ne dis pas que tu n’es pas ma Chiara, mais plus que dans l’état actuel des choses, tu forces le trait pour lui ressembler le plus possible. Enfin bien sûr, tu es toi, mais…Tu n’as pas tes étoiles.>>
Chiara la dévisagea, silencieuse. Claire avait envie de cogner elle-même sa tête contre le ballon dans ses mains pour s’assommer. Son regard fût attiré par ce dernier presque malgré elle; peut-être qu’en le faisant assez fort…C’était une boutade, bien sûr.
<<- No homo ? Répéta son interlocutrice, au moment où sa ‘’boutade’’ devenait une possibilité tentante qu’elle entreprenait d’envisager sérieusement.
- Sérieusement, c’est tout ce que tu retiens ? S’exaspéra Claire, grognant dans sa barbe. S’il te plaît, juste oublie ce passage, j’ai paniqué.
- Avec plaisir. Rayonna Chiara, ses yeux pétillant le temps d’une seconde.
Claire se crispa.
- Pas comme ça…
- Je suis ta Chiara, maintenant ?
- Comment bloque-t-on quelqu’un dans la vraie vie ? Je demande pour une amie.
- Meh…
L’interpellée soupira dramatiquement. Elle plaisantait, mais sa voix était plus plate. Leur échange était redevenu naturel. Même si elle ne souriait plus, Chiara était redevenue sa Chiara.
Cette dernière laissa tomber sa tête contre épaule.
- Qu’est-ce que je peux faire, moi, si tu me parles comme ça ? Marmonna-t-elle, inaudible.
- Yo ? Interrogea la brune plus qu’elle ne protesta vraiment, ne comprenant de son interlocutrice qu’un ‘’mngngngnm’’ mâchonné.
Malgré ses manières théâtrales, la jeune fille paraissait vraiment épuisée. Ses bras pendaient lassement le long de son corps, sa balle coincée entre l’un d’eux et sa hanche. Elle ne bougeait plus. Chiara avait envahi son espace vital, encore une fois, et restait amorphe contre elle.
- Laisse-moi rester comme ça un peu, s’il te plaît. Je suis fatiguée.
-…>>
Claire accepta en restant sur place, muette. Elle n’avait pas très envie de bouger non plus, de toute manière. Ses mèches blanches lui chatouillaient le cou, son parfum de soleil suffisant pour lui faire revenir en mémoire tout le bleu du ciel en été. Ça lui avait manqué.
La lycéenne se contenta de faire tourner sa balle entre ses mains pendant le reste de l’échauffement, statique. Tant pis pour les rumeurs, elle imaginait. Elle n’en avait plus rien à faire.
Chiara était bizarre, ce jour-là. Plus que d’habitude.
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<<- Waaaah...>>
Un bâillement résonna dans la salle de musique, ne provenant de nulle autre que la guitariste assise sur le bord de la scène. Elle balançait ses pieds dans le vide, avachie, sous le regard scrutateur de Cassiopée, laquelle était assise sur la veste de la jeune fille.
La guitariste se gratta l’oreille de son auriculaire très gracieusement, retenant un nouveau bâillement se trahissant toutefois sur ses traits, lesquels se distendirent.
<<- Quelle manière subtile de nous faire comprendre qu’on t’ennuie. S’offensa faussement Félix en roulant des yeux.
Installé derrière sa batterie, il faisait tourner l’une de ses baguettes entre ses doigts pour s’occuper. D’habitude d’une dextérité redoutable, ses tours étaient cette fois rendus moins impressionnants de par les mitaines qu’il portait, et qui l’entravaient. Émile s’était mis en quête du distributeur pour acheter une boisson, et les deux lycéens avaient décrétés sans même se concerter de l’attendre pour commencer (peut-être plus par flemmardise que par loyauté). Il faisait froid. Ils avaient froids; ils n’avaient pas tant envie de jouer que ça.
Claire esquissa un sourire sarcastique.
- Presque aussi fine que ton humour.
- Je n’aime pas le sarcasme que j’entends dans ta voix. Même si il con—corde avec ton mauvais caractère.
-…
La brune fronça le nez en s’enveloppant de ses bras, un frisson raidissant ses muscles. Son sourire tomba, une moue horripilée le remplaçant. Elle se décala encore de quelques centimètres sur l’estrade, avant de reprendre la parole:
- Ton jeu de mot. Je l’ai senti physiquement. C’est de la magie noire.
- Tu es la seule sorcière ici…Tu as froid ? Va te réchauffer sur un bûcher.
- Je préfèrerais m’immoler plutôt que passer une minute de plus avec toi.
- Je préférerais que tu t’immoles plutôt que passer une minute de plus avec toi.
- Pff, tu es tellement limité que tu dois répéter ce que je dis ? C’est triste.
- Je suis bien obligé. Si je rétorquais vraiment tu ne comprendrais pas, ce serait cruel. Je ne dis pas que tu es illettrée, seulement que lorsque je parle avec toi, je n’ai pas peur d’être en manque d’un dictionnaire.
- J’adapte mon langage au niveau de mes interlocuteurs. Excuse-moi si tu te sens rabaissé, c’était le but.
- Tu vois ? C’est pour ça que tu es toujours célibataire.
- Hah ? Chic venant de toi, et de ta copine mythique.
L’atmosphère était électrique. Les deux interlocuteurs se fusillèrent du regard. Un éclair grésilla entre eux, rendant la tension presque palpable. Claire esquissa un rictus, ses sourcils se fronçant. Félix montra toutes ses dents dans un large sourire légèrement tordu, sa mâchoire se contractant. Au moins, étaient-ils réchauffés, maintenant. Les deux lycéens se toisèrent encore quelques secondes.
- Ils ne retrouveront jamais ton corps, Félix.
- Et ils n’auront de cesse de trouver le tien. Pendant une semaine. Deux semaines. Un mois. Et tu seras encore vivante le tiers du temps qu’ils y passeront, girlie. Susurra le batteur en réponse, de sa voix grave rendue rocailleuse par son chuchotement.
- Plutôt ça que de porter des lunettes de soleil en intérieur, dans une salle d’une telle noirceur.
Félix arrêta tout mouvement de ses baguettes pour lever un sourcil, touché dans sa fierté. Des lunettes noires de forme allongée ceignait son front ce jour-là, faisant usage de serre-tête pour retenir ses mèches bleues rebelles en arrière. Les branches étaient gravées respectivement d’une étoile argentée, lesquelles rehaussaient l’éclat métallique des multiples piercings longeant la courbe de son oreille.
Le gothique leva l’une de ses baguettes pour la désigner de manière menaçante, l’air grave.
- C’est la guerre que tu veux, girlie ?
Claire posa sa tête dans ses mains indolemment.
- Qu’est-ce que tu vas faire ? Me taper dessus ?
- C’est exactement ce que je vais faire.
- A.>>
<<- Ahah…
Dans le fond de la salle, Cassiopée pouffa.
Peut-être pour ça, aussi. Quand Émile était présent, il s’efforçait de les arrêter. Lorsque ce n’était qu’eux, Cassiopée au contraire les encourageait sans le vouloir.
- Sérieusement, Cassie ? Merci du soutien. Soupira la brune, désabusée. Quelle perfidie.
L’interpellée haussa les épaules doucement.
- Tu récoltes ce que tu sèmes. Et puis j’aime ses jeux de mots, ils sont bien trouvés la plupart du temps et spontanés. Ce n’est pas facile.
L’intéressé abaissa sa baguette, s’apaisant aussitôt.
- Bien sûr qu’ils le sont. Confirma-t-il sans la moindre once de modestie. Je suis hilarant.
- Quoi, tu aimes vraiment ? S’indigna la brune, non sans une grimace oblique pour le batteur. Pourquoi tu ne ris jamais quand je fais des blagues, alors ?
Cassiopée marqua un temps d’arrêt, agissant comme un cerf pris dans les phares d’une voiture. Puis, elle détourna le regard en faisant tourner une mèche de ses cheveux corbeaux entre ses doigts, se passionnant pour une toile d’araignée antique au plafond.
-…L’humour est subjectif. Qu’est-ce que l’humour ? Est-ce un don naturel, un talent, ou une capacité que l’on acquiert avec la pratique ?
La musicienne cligna des yeux.
- Er…
- Qu’est-ce que le talent ? Certifiait toujours la jeune fille d’une voix plate implacable, s’évertuant à noyer le poisson. Plusieurs philosophes s’accordent à dire qu’un talent est une capacité que l’on a développé au point d’atteindre la perfection. L’essentiel est donc de ne jamais se décourager et de continuer de s’entraîner, n’est-ce pas ? Platon disait…
-…Est-ce que tu essayes de me dire que je ne suis pas drôle, Cassie ? Se résigna la brune, encore plus découragée par sa tentative de changer de sujet.
Une renonciation toute solennelle tomba sur son interlocutrice. Les traits de Cassiopée étaient aussi impassibles et graves qu’un mur lorsque sa voix s’éleva de nouveau:
-…Oui. Asséna-t-elle alors, comme une sentence. Claire. Tu n’es pas drôle.
- Ouch. S’amusa le batteur en spectateur de leur échange, un rictus supérieur relevant ses lèvres.
- Je suis drôle. S’entêta l’intéressée.
- Tu n’es pas drôle.
- Est-ce qu’une personne pas drôle pourrait faire cette blague ? Écoute. Pourquoi mange-t-on de la glace quand on a le cœur brisé ?
- Claire, non, s’il te plaît. On en a déjà parlé. S’affligea la malgache, ses sourcils se arquant faiblement en appréhension.
- Car glace répare, car glace remplace.
Cassiopée resta coite. Claire la fixa. Elle venait de dire sa blague comme une phrase normale, avec le même ton de voix du début à la fin. Même Félix garda le silence, en oubliant son narcissisme.
- Ah ouais, quand même…Chuchota-t-il pour lui-même en aparté.
Cassiopée lui envoya un regard entendu. Il lui retourna en miroir. Une alliance muette se noua entre eux, forgée sur la base de leur traumatisme mutuel, causé par l’humour(?) de leur connaissance commune.
Ils ne seraient dorénavant plus jamais les mêmes.
- Je vais voir si Émile est toujours en vie.>>
Cassiopée se leva après ces paroles et quitta la salle, refermant la porte derrière elle. Certainement allait-elle plus chercher la personne la plus saine de l’option musique qu’Émile en particulier pour sa valeur d’ Émile. Claire grimaça. Félix la regarda partir, avant de faire une moue de connaisseur.
<<- Je pense au final, que c’est surtout pour ça que tu es toujours célibataire…Asséna-t-il après quelques secondes, totalement honnête et même rigide. Est-ce que tu acceptes les critiques constructives ?
- Non.
- ‘’Femme qui rit à moitié dans ton lit’’. Critiqua toutefois Félix, pas très constructivement. Tu devrais abandonner les femmes.
- Oy.
Elle chercha quelque chose à lui lancer; mais n’ayant que sa guitare sous la main (mauvaise idée, la retint la partie raisonnable d’elle-même, pense à ta guitare), elle se résigna à lui décocher seulement un regard oblique. Le jeune homme haussa les épaules, retrouvant sa suffisance, mélange étudié entre une indolence insolente et un demi rictus cynique.
- Ahah. Pouffa-t-il; et au seul son de son rire, elle devina qu’il allait se moquer d’elle. Comment tu as pu te lier d’amitié avec Chiara, même ? Ça me paraît incroyable, quand je te vois comme ça.
- À qui le dis-tu…Convint la guitariste, se remémorant brièvement sa perplexité continuelle au début de leur relation. J’imagine qu’elle m’a juste, attrapée au passage ? Elle m’est tombée dessus soudainement, je n’ai rien pu faire.
- Krkr, c’est bien quelque chose qu’elle ferait.
- Qu’est-ce que tu en sais, toi ?
Elle avait sonné agressive malgré elle de par son choix de mots. Claire se mortifia. Pourquoi. Félix, étant habitué, ne s’en offusqua pas. À force de la fréquenter, il avait intégré un dictionnaire français/Claire.
- Peut-être car c’est le cas ? On se parle souvent.>>
Une note discordante résonna dans la salle. Claire venait de gratter les cordes de sa guitare sans le faire exprès, en se tournant trop rapidement vers lui.
<<-…Quoi ?>>
Malgré elle, son visage s’était décomposé avec la surprise. Son interlocuteur esquissa un sourire satisfait.
<<- Jalouse ? Ne t’en fais pas, je suis déjà pris.
La guitariste se renfrogna aussitôt, agacée par ses sous-entendus. Elle le fusilla du regard, avant de commencer une série d’arpèges sur sa guitare pour s’occuper les doigts.
- C’est ça…Je ne savais juste pas que vous étiez aussi proches.
- Tu rigoles ? On partage plein de trucs.
- Comme quoi ?
- Toi. Elle adore se moquer de toi. Il s’avère que moi aussi.
Claire arrêta sa mélodie pour lui lancer de nouveau un regard en coin.
- Oy, Félix. Est-ce que tu es aussi agaçant naturellement, ou tu fais un effort pour l’être ?
- Tout est naturel, partant de mes muscles jusqu’à mon charisme.
La guitariste lui renvoya expression écœurée, et Félix gloussa de plus belle.
- Je lui donne des conseils. Développa-t-il finalement, entreprenant de créer un rythme aléatoire d’une de ses baguettes sur sa batterie.
- Toi, donner des conseils ?
- Est-ce que tu es sincèrement étonnée ?
Félix leva un sourcil. Son interlocutrice haussa les épaules, réajustant sa guitare pour reprendre ses arpèges, s’ajoutant sans mal sur l’ébauche de rythme qu’il maintenait. Le tout donnait une sorte de rock assez nostalgique.
- Plutôt.
- Pourtant, je te donne aussi des conseils. Je ne suis pas agaçant tout le temps.
Claire fronça les sourcils, ouvrant déjà la bouche.
- Tais-toi. C’était un truisme, pas un début de débat. Ajouta-t-il aussitôt, lui coupant l’herbe sous le pied. Elle me demande des techniques pour se rapprocher de quelqu’un. La pauvre petite est amoureuse.
-…Pardon ?>>
Claire arrêta de nouveau sa mélodie brutalement. Cette fois, elle se tourna sur la scène pour faire face au batteur, les yeux ronds comme des soucoupes. Pendant un instant, son cœur arrêta de battre; et puis, il chuta dans sa poitrine.
<<- Tu en fais une tête…
- Chiara est amoureuse ? De qui ?
- Tu es sérieuse, là ?
Félix poussa un profond soupir, suspendant lui-aussi sa musique pour ne plus que tourner ses baguettes entre ses doigts rapidement. Il dévisagea Claire et son air ahuri, puis baissa ses lunettes de soleil sur son nez. Il les remonta encore pour les ajuster, avant de répondre avec désinvolture.
- Elle te le dira elle-même.
- Oy…! Protesta Claire, se redressant sur un genou pour se relever, sa guitare passant en bandoulière dans son dos. Sérieusement, tu vas me laisser comme ça ?
- Oui, idiote. Tu le mérites.>> Confirma le jeune homme en secouant la tête, soupirant de nouveau.
La porte de la salle s’ouvrit après sa phrase, interrompant la brune avant même qu’elle ne puisse commencer à…Quoi, finalement ? L’intimider ? insister ? S’indigner ? Elle-même ne le savait pas, alors qu’elle observait d’un air frustré et un peu étourdi Cassiopée rentrer de nouveau, des cannettes de couleurs variées dans les bras.
<<- Mon instinct avait raison, notre pianiste était bien en difficulté. Déclara-t-elle en s’avançant pour poser son chargement sur la scène, redressant toutes les canettes correctement.
Une boule de nerf aux cheveux roux pénétra après elle. Émile secoua furieusement la tête, ses oreilles écarlates de gêne. D’autant plus de canettes en tout genre tenaient tant bien que mal, empilées dans ses bras.
- Mais non ! J’allais parfaitement bien ! Assura-t-il, alors même qu’il s’efforçait de ne rien faire tomber au sol, avec de grandes difficultés.
- Moui…Acquiesça Cassiopée pour le réconforter, sans pour autant le penser une seule seconde.
Son regard accrocha celui de Claire. Elle marqua aussitôt un temps d’arrêt, ses yeux se plissant quelque peu alors qu’elle l’examinait.
- Mn ? Ça va, Claire ?
- Ah…Oui.
Elle hocha la tête. Oui, ça allait…Même si elle était toujours perturbée par les mots du batteur. Il avait raison, néanmoins…Chiara était son amie, donc elle la mettrait au courant tôt ou tard. Elle espérait. Ou bien…? Elle était très secrète, après tout.
Encore une chose qu’elle ne savait pas…
- Laisse-moi t’aider, Émile.>>
Claire s’empressa de descendre de la scène pour assister le rouquin, récupérant les cannettes semblant les plus menacées par la gravité tout d’abord avant de le délester de plusieurs autres.
Elle allait bien, mais elle ressentait étrangement une certaine amertume. Félix, Félix en savait plus qu’elle, sur Chiara. Elle pensait qu’elle était spéciale pour elle. Hah…Pendant un temps, elle s’était même imaginée qu’elle l’aimait. Romantiquement.
Claire soupira. Elle porta l’une des cannettes jusque contre sa joue, se servant de la sensation de froid pour apaiser ses pensées, qui une nouvelle fois, commençaient à bourdonner derrière ses globes oculaires.
Tant mieux.
Tant mieux, si elle tombait amoureuse de quelqu’un d’autre. Elle lui manquerait moins quand elle partirait une fois sa liste terminée, comme cela.
Vraiment, c’était pour le mieux.
- Tu as acheté tout ça, Émile ? Questionna-t-elle pour se changer l’esprit.
Le roux remonta ses lunettes sur son nez de son épaule, les bras toujours chargés, malgré tout ce qu’elle venait de lui prendre. La majorité de sa cargaison était verte; verte comme lime, comme citron; il détestait le citron.
- Bien sûr que non ! La machine s’est cassée, c’est tout. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé…
- Tu as tout volé, du coup, heh ? Le taquina Félix, un rictus sadique félin sur les lèvres. Je le savais, tu es vraiment une mauvaise influence…Mais j’admire ta lutte contre le capitalisme. Mangeons les riches, comme disent les jeunes.
- “Eat the rich”, comme disait Jean-Jacques Rousseau. Corrobora tranquillement la malgache, avant de préciser, par un souci de véracité. Enfin, en substance…
- Du vol ? Blêmit subitement le pauvre pianiste.
Visiblement, l’idée ne lui avait même pas traversé l’esprit. Claire termina de poser ce qu’elle avait pris sur la scène, avant de le délester de nouveau de deux cannettes—vertes.
- Ne t’en fais pas, Émile. Si quelqu’un me demande, je dirai que c’était Félix. Le réconforta Claire, ou du moins essaya, avant de lever son pouce de manière encourageante.
- Oh.
Elle grimpa de nouveau sur la scène, évitant la colonie de cannettes polychromes s’élargissant entre les câbles et les vieilles enceintes. Pendant ce temps, Émile s’apaisait quelque peu. L’idée lui avait plu.
- Je suis contre cette idée. Félix s’opposa, relevant ses lunettes sur son front pour pouvoir mieux les toiser. Que faites-vous, vous deux, vous vous révoltez ?
- Ton club, ton autoritarisme, non ? Ce que tes membres font sont de ta responsabilité. Raisonna Claire, avant de lui tendre une cannette. Tiens.
Il lui retourna un haussement de sourcil soupçonneux.
- Tu l'as secouée ?
- Bien sûr que non.>>
Claire décapsula la sienne, qui s’ouvrit dans un sifflement étouffé. Félix l'imita. Il poussa toutefois une exclamation grave lorsqu’elle lui explosa au visage.
La guitariste esquissa un sourire, satisfaite.
Bien sûr que si.
<<- Tu le mérites.>>
✦
<<- Chiara est encore absente ?
- Ouep. Ça va encore être compliqué de faire des équipes...>>
Deux filles de l'équipe de volley discutaient dans le dos de Claire. Mine de rien, cette dernière écoutait.
Encore absente…Se renfrogna-t-elle alors qu’elle s’attachait les cheveux en une demi-queue, ou du moins quelque chose y ressemblant.
Chiara s’était volatilisée après être allée à son mystérieux rendez-vous.
Claire baissa les yeux.
Elle devait bien avouer que son absence pesait sur tout le monde, en particulier alors que les jours ne se constituaient plus que d’une plage horaire de quelques heures de soleil, pour tellement de nuit. Tout était tellement sombre, tout le temps.
Au moins apportait-elle un peu de lumière.
Disparaître sans rien dire…Quand même…Claire mordilla l’ongle de son auriculaire. Chiara était stupide. Et si elle avait traversé sans regarder, et qu’elle s’était faite renverser par une voiture ? Et si elle avait décidé de cocher une case seule et s’était blessée ? La guitariste ne s’inquiéta que d’avantage que ces pensées touchaient juste. Ou alors, elle n’était que malade. C’était la période. Chiara, malade ? un creux se creusa entre les sourcils de la jeune fille, alors que des scénarios se construisaient dans son esprit. Au vu de la manière dont elle s’habillait ? C’était probable aussi. Peut-être avait-elle attrapé un rhume l’autre jour ? Elle était restée un long moment avec les cheveux humides, et le choc thermique froid/chaud de l’extérieur avec l’intérieur de la bibliothèque…Elle aurait dû lui filer son pull. Hah, s’angoissa-t-elle, elle avait été tellement bête ! Chiara avait une carrure de crevette, bien sûr qu’elle allait tomber malade. Mais encore une fois, si c’était encore plus grave que ça ?
Claire tiqua. Elle retira son doigt de sa bouche. Elle s’était tellement rongé l’ongle inconsciemment qu’elle avait atteint la chair, transpirante de sang.
<<- Tsk…>> Souffla-t-elle en essuyant sa salive sur son jogging de volley.
Elle allait devoir trouver un moyen de la joindre; pour les filles de l’équipe, bien sûr. Après tout, Chiara était capitaine…Elle ne pouvait pas juste ne plus venir sans crier gare. Oui, les autres s’inquiétaient pour elle. Pas elle. Les autres.
Elle pouvait bien être un peu compatissante de temps en temps pour ses pauvres camarades esseulées.
✦
<<- Félix.>>
Le jeune homme était en train de boire, affalé contre le dossier de sa chaise. La cloche annonçant la pause venait de sonner. Il n’avait même pas encore pu sortir de la salle.
En entendant son prénom, il tourna la tête.
Et s'étouffa, recrachant sa boisson.
<<- Claire ?!>> Éructa-t-il entre deux quintes de toux.
La jeune fille était appuyée contre le rebord de la porte, imposante dans l'embrasure avec ses bras croisés sur sa poitrine et son menton levé décidemment. Une flamme brûlait dans le fond de ses pupilles. Toute son expression montrait qu’elle ne repartirait pas sans ce pour quoi elle était venue; honnêtement, du point de vue du gothique, c’était effrayant. Elle qui n’était pour ainsi dire qu’une larve d’habitude…
<<- J’ai…Kof, j’ai pas d’argent…>>
Pendant qu'il décédait, la brune entra dans la salle d'un pas allongé rapide.
Quelques élèves rangeant leurs affaires s'étaient arrêtés pour les regarder, curieux ou amusés. D'autres se hâtaient vers la sortie, ennuyés.
Les salles de cours des terminales se trouvaient en général au troisième étage du second bâtiment scolaire. Aujourd'hui n’étant pas une exception, il était facile de retrouver les différentes classes. Les scientifiques, au fond du couloir; Félix était scientifique; il lui avait suffi de suivre l’irritante odeur de Paco Rabanne et de sueur pour s’assurer qu’il était bien dans la pièce. C’est ainsi que la guitariste arriva face au pupitre du jeune homme, et plaqua ses mains contre ce dernier certainement plus violemment qu’escompté.
Bam.
<<- Bonjour. Le salua-t-elle tout d’abord en bonne démagogue, attendant que sa crise de toux réelle se calme pour passer au vif du sujet.
Elle essaya de plaquer un sourire sur son visage. Elle échoua, ce dernier se distordant pour ne relever que le coin de ses lèvres en un rictus figé inquiétant.
- Tu me menaces ?! S'écria le gothique en réponse, tout en s’essuyant la bouche du revers de sa manche.
Son interlocutrice lui retourna un regard torve trahissant toute son exaspération. Elle n’avait même pas encore commencé à parler de ce qui l’amenait…
- Non, mais tu vas me rendre un service. Réfuta-t-elle, lui adressant plutôt un large sourire radieux révélant toutes ses dents.
Cette fois, elle essaya d’imiter Chiara; et succéda, une aura solaire ténue émanant d’elle. Son ami sua, encore plus horrifié.
- Je crois que c’est la première fois que je te vois sourire comme ça. C’est apeurant. Tu es sûr que tu ne me menaces pas ? Car je me sens en danger.
Claire le fixa pour toute répartie, d’une immobilité terrifiante. Elle n'allait pas le lâcher. S’atterra le batteur. La musicienne tapait du pied. Ça devait être important…
Félix posa sa bouteille sur sa table, résigné.
- Tu es vraiment collante…>>
Il se leva de sa chaise, provoquant un son de raclement désagréable. Puis, il attrapa sa veste en cuir et l’enfila, cette dernière frottant contre ses mollets dans un tintement ténu des chaînes passées autour de son cou. Enfin, il désigna la porte du menton, ses mèches bleues glissant sur son front.
<<- Allons au moins dehors, ça me fait honte d'être vu avec toi.>>
✦
Félix se tourna vivement vers son accompagnatrice pour la désigner du doigt.
<<- Qu’est-ce que tu me veux, encore ?! S'exaspéra-t-il, avant de grogner de plus belle. Les gens vont finir par croire que je t’aime bien !
- Quelle tragédie. Ponctua d’un air stoïque Claire en s’adossant au mur encadrant les portes.
- Les gens vont croire que tu m’aimes bien.
Cette fois, la guitariste esquissa une grimace dégoutée, relevant quelque peu sa lèvre supérieure en plissant le nez.
- Ew…En parlant de ça, au fait, pourquoi je ne vois jamais tes amis ?
Son interlocuteur leva un sourcil, suspicieux de son soudain intérêt.
- Ils sont dans l’autre bâtiment. Lui apprit-il néanmoins, tout en grattant le vernis noir de son pouce—lequel était déjà bien écaillé. C’est des littéraires. Pourquoi ?
- Ta copine aussi, c’est une littéraire ?
- Oui ? Elle est en spécialité latin.
- Mmn…
La brune tonna évasivement, tout en le jaugeant du coin de l’œil de haut en bas, circonspecte. Un éclat de compassion sincère passa dans ses prunelles. Son interlocuteur émit un ah ? blanc, son sang s’échauffant.
- Tu veux te battre ? Pourquoi tu me regardes comme ça ?! J’ai des amis, tout comme j’ai une copine.
- Mmn—mmn….Corrobora encore la brune pour ne pas le vexer, pas assez convaincante toutefois pour se convaincre elle-même—encore moins Félix.
- Tu sais quoi ? Je ne suis pas assez hydraté pour avoir cette conversation. Avance.
- Ok. J’ai besoin d’un service.
- Mais non ? Ironisa-t-il, avant de se laisser tomber sur la marche la plus haute du petit escalier suivant chaque porte donnant vers l’extérieur. J’avais compris, je rigole. Tu es quand même la seule personne que je connaisse à insulter les personnes auxquelles elle demande des faveurs. Personne ne fait ça, en vrai, tu sais ? C’est contre-productif. Pourquoi je t’aiderais ? Je suis contrarié maintenant.
- Car tu m’aimes ? Assura la brune en faisant le signe okay de ses doigts.
Félix la regarda de travers. Le temps d’une seconde, il ravala son sarcasme, comme pour mieux lui faire réaliser l’absurdité de ce qu’elle venait de dire. Enfin, il fronça les sourcils.
- Et en vrai ?
Claire reposa sa main dans sa nuque, redevenant sérieuse.
- Comment dire…Hésita-t-elle.
Maintenant qu’on lui demandait, elle ne savait plus comment formuler son problème sans avoir l’air stupide. Félix attendait, le menton levé vers elle. Il avait conservé la longue chaîne reliant son oreille au piercing factice de sa lèvre inférieure. Aussi fine qu’un nerf, elle se balançait faiblement à chaque fois qu’il déglutissait, brillant en captant la lumière extérieure.
Il s’occupait en la faisant tourner autour de son index indolemment alors que Claire cherchait une tournure de phrase, ou même des mots pour commencer. Elle ne commença pas. Elle était bloquée par des barrières n’existant que pour elle, mais qu’il devinait toutefois au creux s’étant formé entre ses sourcils.
- Ok. Laisse-moi deviner, alors. Décréta-t-il alors pour l’aider. Première hypothèse: je te manquais.
-…Pff.
Claire renifla, avant d’esquisser un semblant de rictus suffisant.
- De toute évidence, non. Sale gosse. Siffla-t-il en réponse, un sourire sirupeux dangereux éclosant sur son visage. Tu acceptes d’être mon binôme pour la soirée d’Halloween du lycée, alors ? Ça tombe bien, je viens juste de nous inscrire. Le thème musical, c’est les bandes sons de thriller des années 80.
- Non. Attends, quoi ? Comment ça, quelle soirée, je ne veux pas le faire ?
- Trop tard, ta signature est partie sur les documents officiels.
- Mais, non ?! S’hérissa la guitariste, outrée.
- Si. Insista Félix, d’une voix insolemment mélodieuse. Mon club, mon autoritarisme. Bref, rompons le suspens—qui n’en était pas vraiment un. C’est Chiara ? Tu es inquiète car elle ne vient plus en cours, c’est ça ?>>
Claire tiqua. Elle acquiesça néanmoins d’un mn ténu en s’humectant les lèvres, embarrassée. Le lycéen laissa peser sur elle un regard fixe, désabusé.
<<- Quelle surprise. Je pense que je vais mourir d’une crise cardiaque, tant je suis surpris. Je suis tellement surpris, j’aimerais que tu fasses graver sur ma pierre tombale: décédé des suites d’une surprise trop conséquente.
- Comment tu sais ?
- Duh.
- ‘’Duh’’ ? Heh, peu importe. J’ai besoin de ton portable.
- Non.
La guitariste releva la tête, choquée par son refus. Le batteur lui adressa un rictus sadique, abandonnant son air altier pour sortir son téléphone de sa poche.
- Je rigole, fais pas cette tête. Bien sûr que je vais te la prêter, Roméo. Affirma-t-il, tapant rapidement son code du pouce avant de lui passer entièrement. Tiens.
Il n’avait même pas demandé ce qu’elle allait en faire. Claire se sentit touchée malgré elle, sans savoir que c’était car il était déjà parfaitement au courant de ce qu’elle comptait faire.
- Tu es une vile créature, Félix. Dit-elle pour équilibrer la balance.
- Encore avec ça. Il faudrait que tu rajoutes des cordes à ta guitare.
-…
La lycéenne le fixa, sidérée.
- Tu as compris ? C’est un jeu de mot tiré du proverbe ‘’j’ai plusieurs cordes à mon arc’’, sauf que tu es guitariste, donc j’ai dit guitare et pas arc. Tu sais aussi nulle en répartie, donc j’ai transformé avoir en ajouter, puisque de toute évidence tu ne les as pas. Car tu utilises toujours les mêmes insultes.
- Wow…S’effara-t-elle.
Une sueur froide descendit sa colonne vertébrale.
Ah—ah…Elle se sentait menacée.
- J’explique car je trouve que tu ne ris pas beaucoup. Enfin, même si rire n’est pas vraiment dans tes cordes de base.
-…
- Et je ne parle pas de tes cordes vocales.
-…
- Tu as compris ? Car rire fait du bruit, donc tu as besoin de tes cordes vocales. Sauf que puisque tu en as, et que rire n’est pas dans tes cordes, je ne peux pas parler de tes cordes vocales que tu as, je me désignais donc ton incapacité à…-
- Pitié, arrête. C’est tellement nul que je sens ma volonté de vivre quitter mon corps.
Elle ne mentait pas.
- Tu te rappelles du moment où je t’ai demandé ton opinion, girlie ? Moi non plus. Tu as deux options, rire ou rire. Ris.
- Je crois que je te déteste encore plus, maintenant.
- Pourquoi ? Je suis adorable et drôle.
La jeune fille l’ignora pour se concentrer sur sa tâche. Les couteaux volaient bas…Elle fit défiler les différents écrans d’accueil, concentrée sur son objectif. Seulement pour se perdre dans le dédale d’applications. Qui en avait autant, même ? Plus de la moitié était des jeux. Elle trouva un dictionnaire français/latin, mais pas d’application de messagerie. Pourquoi était-ce aussi mal organisé ? Déjà perturbée par son…Humour, elle se retrouva d’autant plus désarçonnée.
- Il faut cliquer sur le carré bleu, pour contacter Chiara.>> Félix énonça après quelques minutes pendant lesquelles elle s’égara en vain.
Claire tressaillit. Le jeune homme grattait de nouveau son vernis pour s’occuper, plus minutieusement. Il souffla sur ses ongles, un fantôme de dérision sur les traits. Tellement prévisible…
Son interlocutrice demeura inexpressive, ouvrant cependant l’application de messages recherchée. Elle fixa l’écran. Et puis, elle débuta un message: hey—seulement pour l’effacer aussitôt. Hey ? La honte. Salut—non. Tu es où ?—Trop envahissant ? Elle tapotait sur le clavier, soudainement incapable de se rappeler comment les relations sociales fonctionnaient. Comment envoyait-on un message ?
Félix attendait de nouveau, plutôt patiemment pour quelqu’un d’aussi actif que lui.
<<- J’ai froid aux fesses.>> Exprima-t-il gravement après quelques temps de plus immobile sur sa marche, du même ton grave qu’il aurait employé pour annoncer quelque chose de vraiment grave.
Forcément.
Il se lança alors dans la description du pourquoi du comment scientifique la pierre était aussi froide, avec force adjectifs et descriptions des sensations dont étaient parcouru son humble postérieur (c’était la manière avec laquelle il s’y référait: ‘’mon humble postérieur’’).
Claire claqua sa langue contre son palais. Elle lui rendit son portable en s’accroupissant pour être à sa hauteur, avant d’enfouir sa tête dans ses bras, démotivée.
<<- Je ne sais pas quoi dire…Je n’y arrive pas.
- Toi, qui incarne pourtant le rhétorique et le charme ?
- J’ai envie de disparaître.
- Ahah. Se moqua-t-il, du rire impersonnel et sec qu’il employait lorsqu’il se payait sa tête.
-…Satan. Tu finiras en crucifix.
- Allez va, je vais t’aider.>>
Il tapota l’épaule de son amie d’un ton réconfortant, là, là, accompagna-t-il son geste de sa voix rauque et grave. Et puis, un clic d’appareil photo sortit de nulle part.
La guitariste se redressa pour zyeuter son interlocuteur, prise d’un soupçon terrible. Ce dernier tapotait sur l’écran de son téléphone, indifférent aux nombreuses zébrures le fissurant de toute part.
<<-…Qu’est-ce que tu fais ? S’enquit-elle, méfiante de sa soudaine bonne volonté.
Le gothique termina d’envoyer son message par précaution.
- Chiara est connectée depuis tout l'heure. Rapporta-t-il ensuite. J’avais oublié qu’une notification s’envoyait quand on écrivait, désolé.
Il n’était pas du tout désolé.
- Hein…?
Claire le dévisagea sans comprendre.
Félix tourna l’écran vers elle pour lui montrer la conversation. Son sang se glaça en voyant une photo d’elle, roulée en boule comme elle l’était plus tôt trôner au milieu des messages, légendée de la phrase: ‘’Claire.exe a cessé de fonctionner, défaite par une interaction sociale de niveau 1’’.
- Non ! S’époumona l’intéressée en se levant brusquement, se sentant trahie au plus haut point.
- Tais-toi, tais-toi, elle répond ! La modéra son interlocuteur avec un geste leste de la main.
Trois petits points indiquaient en effet que Chiara était en train d’écrire. Claire se figea, oubliant momentanément de respirer. Elle se pencha par-dessus son épaule pour lire, tendue.
Enfin, le message s'afficha.
‘’Ah, c’est Claire, ça explique tout. Je me demandais qui écrivait autant pour tout supprimer, ça ne te ressemblait pas ahah. Je vais la mettre en fond d’écran, elle est trop mignonne <3’’.
La brune s’empourpra violemment.
- Elle va bien. L’informa le batteur, faisant mine de ne pas l’avoir vue se pencher par-dessus lui pour voir aussi.
Et puis, il lui adressa le sourire le plus effronté qu’il n’avait jamais fait de toute sa vie, si large qu’il révéla même ses canines. Claire craqua. Elle décocha au batteur son plus beau regard assassin, absolument hors d’elle. L’air chuta d’un degré.
- Félix, tu es un homme mort. Tu...Tu m'as trahie ! Toi ! Mon frère ! C’est l’heure d’une rébellion ! Ton autoritarisme n’a que trop duré, espèce de, de, de vampire anémique sadique, de girafe naine, espèce de, manant…- L’admonesta-t-elle, son agitation si grande que ses phrases se mélangèrent en un charabia inintelligible divertissant grandement le gothique.
- Quoi, c’est juste une amie, non ? Elle a vu pire.
- Ce n’est pas juste…! Fulmina-t-elle sous le coup de la frustration, sa voix montant d’un octave dans les aiguës.
La guitariste s’arrêta aussi sec.
Hein.
- Oh ? L’encouragea Félix, soudainement très attentif—trop.
- AAAAAAAAAAAA ! Tu sais très bien que je ne le disais pas comme ça !
- Oh.
- N’aies pas l’air aussi déçu, abruti !
Son interlocuteur l’ignora. Il tourna la caméra vers lui avant de faire le v de la victoire de ses doigts, faisant également entrer la musicienne dans le cadre de la photo.
Clic.
- Et les droits d’image ?! S’ulcéra la jeune fille, ou peut-être sanglota-t-elle, c’était difficile à dire.
Sur la photo, Félix apparaissait très nettement, mais la musicienne était floue, comme si elle avait été prise en plein mouvement. Ce qui avait été le cas. Elle avait l’air possédée par un démon intérieur, et plus précisément un démon intérieur qu’elle combattait pour qu’il reste dedans, ce dernier se démenant pour s’extirper dehors. Ou alors, peut-être était-ce son âme qui sortait de sa bouche ? Dans tous les cas, en comparaison, même le batteur rendait bien.
‘’Regarde ce que tu lui as fait mdr, tu l’as cassée’’.
Claire administra une colossale claque derrière la tête du gothique, tellement fort qu’elle partit en avant et que les chaînes qu’il portait cliquetèrent. Sa victime ne sembla pourtant pas beaucoup affectée, ne faisant que ricaner d’avantage. Elle essaya de lui remettre une claque, qu’il esquiva cette fois.
- Pause ! Ordonna-t-il; et il tira ses lunettes de protection transparentes de sa poche pour les glisser sur son nez.
- Courageux mais pas téméraire, heh ? Cingla son amie (enfin, plus maintenant), dépréciatrice. Tsk.
Félix lui adressa cet air supérieur altier de ‘’on ne tape pas quelqu’un avec des lunettes’’. Il croisa les jambes.
- Vengeance.
- Vengeance pour quoi ?!
- Pour être aussi obtuse. Pour ne jamais rigoler quand je fais des blagues pleines de finesse, quand n’importe qui d’autre se tord le ventre de rire dessus.
- De rire ?!
- Parfaitement ! Certifia le jeune homme, un nouveau sourire courroucé étirant ses lèvres, sa veine de colère saillant sur sa mâchoire. Tu me vexes ! Tout le monde n’est pas en désa—corde avec moi tout le temps, comme toi ! Vengeance pour ruiner ma réputation de beau gosse solitaire, aussi !
- Pourquoi toujours des cordes ?! Tu me donnes envie de me pendre ! Sans compter que c’est juste être un loser, ça !
- Ah ! Dixit celle qui ne peut même pas écrire un message à sa copine ?!
- Au moins la mienne existe ! Riposta celle-ci, tendant le bras pour lui voler l’appareil; qu’il éloigna alors impétueusement, profitant de sa grande taille pour s’allonger le plus possible.
- Tu ne le nies plus, maintenant ?! Triompha-t-il sournoisement, ses cheveux entièrement décoiffés de leur altercation tombant devant ses yeux, l’aveuglant quasiment.
- Meurs !>>
Pendant ce temps, Chiara continuait la conversation. Un nouveau message s’afficha. Les deux antagonistes suspendirent leur affrontement le temps d’en prendre connaissance, Félix repoussant la jeune fille avec l’une de ses bottes compensées appuyée contre son ventre, à moitié affalé sur les marches et les lunettes en biais, pendant que cette dernière tirait son col, soulevant le haut de son corps, en équilibre simplement grâce au soutien que leur position lui procurait. Elle s’efforçait de récupérer le téléphone pour arrêter le massacre, téléphone que le batteur maintenant hors de sa portée d’un bras tendu derrière lui.
"Aw, un bisou magique arrange toujours tout. Viens chez moi, chat, je m’occuperai bien de toi !’’
Suivi d'une notification en italique sur l’écran: Chiara a fait une capture d’écran du chat.
<<- Ah ?!
- Krkr—kr…Se bidonna le batteur, hilare. Chat…Elle t’appelle ‘’chat’’…
Il s’esclaffa, ses épaules tressautant et des larmes perlant au coin de ses yeux. Claire brûlait de honte. Elle savait que la strangulation n’était pas la solution, mais parfois, rarement—elle était tentée.
- Arrête de rire ! J’ai l’impression qu’elle flirte, ça me perturbe !
- L’impression ? Tu plaisantes ?
Aussi facilement que ça, le batteur arrêta tout mouvement pour la toiser.
- Quoi. Pourquoi tu fais cette tête.
Un ange passa. Pendant quelques secondes, Félix n’afficha plus qu’un découragement mortifié. Et puis, il rejeta la tête en arrière dans un râle guttural dramatique.
- Oh, Dieu. Aidez cette âme en détresse.
- Je croyais que tu étais athée.
- Je ne suis pas athée. Je suis au contraire intimement persuadé que Dieu existe. Plus précisément, je suis persuadé que si je ne me détestais pas autant, je pourrais sans mal le prendre en duel et le vaincre. Il m’a modelé de telle sorte pour se protéger. Mais il est toujours en danger.
Sa voix soudainement s’était faite très pondérée. Le jeune homme déblatéra tout ça d’un seul souffle, avant de remonter ses lunettes sur son nez d’un doigt dans un éclat métallique de ses bagues. La musicienne attendit la chute. Qui ne vint pas. Félix était sérieux, et soutenait ses orbes incrédules sans ciller derrière ses verres protecteurs.
-…Tu te prends pour un Dieu. Récapitula la brune, sa prise sur son col devenant moins ferme au profit de sa perplexité, qui grimpa en flèche.
- Bien sûr. Tu m’as vu ? Je suis au moins un ange déchu. Je ne peux pas être simplement humain, en tout cas, je suis bien trop beau.
Il ne clignait toujours pas des yeux.
-…
-…
- Ac—corde—ément…-
- Bye.>>
Claire tourna les talons, consternée. La conversation avec ces deux démons séparément était déjà complexe, alors ensemble ? Toute tentative était vaine.
Comment avait-elle pu l’oublier ? Et dire qu’elle s’était inquiété. Elle se sentait bête. Elle n’avait pas signé pour ça. Chiara allait parfaitement bien.
- Ah, tu t’enfuis ?>>
La lycéenne pour toute réponse s’engouffra par les portes du bâtiment. Ces dernières se refermèrent sur le rire graveleux de Félix.
Idiot.