1. Humiliation

Les locaux de la guilde des scribes se trouvent au nord de Kharapath, sur les hauteurs d’une colline au doux nom du Mont Capiteux. C’est ici que commence les vignobles des plaines des tigres. Les vignes les plus proches donnent un vin rouge tannique et puissant comme je les aime. Après une après-midi de labeur, j’aime sentir la rondeur de leurs sucs me dessécher la gorge. Cela me délie le poignet autant que la langue. La grande villa qui nous accueille ce soir-là est en pleine ébullition. Les pages s’activent de toute part, chargés de plateaux remplis de tartelettes et autres mignardises ; les serveurs étanchent notre soif avec des coupes de vin du sud, léger et presque translucide. Dans la première cour de la villa, un orchestre joue des airs festifs de leurs multiples flûtes. Mes petites oreilles s’agitent frénétiquement entre la musique entrainante et les conversations des convives. Impossible de tout saisir. Mais peu m’importe, l’ambiance m’enivre. Une bonne partie de la jeune noblesse de Kharapath occupent jardins et balcons pour le plus grand plaisir de la guilde.

 

Garé sur le côté, je distingue plusieurs carrosses appartenant aux familles les plus influentes de la cité. Parmi les véhicules, l’un d’eux retient tout particulièrement mon attention : il porte les insignes de sa majesté le roi. Cela m’étonne quelque peu. En tant que scribe royal, je représente déjà le roi. Y a-t-il un invité surprise ? La princesse est trop occupée à planifier son somptueux mariage, et il y a peu de chance pour que son père lui accorde d’autres sorties mondaines. Quant à Tarik lui-même, je n’ai pas connaissance qu’il vienne aux intronisations des nouveaux scribes du pays. Même pour la mienne, il n’a pas fait le déplacement. Au passage d’une serveuse, j’attrape un verre rempli d’un nectar parfumé et au liquide ambré. Le cocktail sent bon l’orange sucrée et vient me chatouiller les vibrisses. Un holà me fait lever la truffe de mon verre. Un petit tigre rondouillet agite les pattes en s’avançant dans ma direction. Les poils dressés sauvagement sur sa tête lui donnent un petit air sauvageon. Cela contraste parfaitement avec sa luxueuse tenue de brocart et de velours aux teintes forestières cousus avec des fils d’or. Sous ses petits lorgnons, Amon Al’Tarba m’offre un regard pétillant. Il me serre entre ses pattes grassouillettes pleines de tendresses.

 

 

— Comment se porte le favori de sa majesté Tarik en ce jour bienheureux, très cher ?

— Comme tu peux le constater, il se porte à merveille , maître Amon. J’ai même eu le temps de faire une sieste avant de venir écouter ton trop long discours. Je suis content que notre grande famille s’agrandisse d’un si bon élément.

— C’est une excellente nouvelle en effet ! Baharak est plus doué que la plupart des ancêtres qui composent notre prestigieuse guilde. Et ce alors qu’il n’a même pas dépassé les vingts saisons d’ilkbahar. Je ne doute pas qu’il nous serve avec aisance. C’est ton ami et apprenti depuis quelques années maintenant, Esmerald. Pourtant, tu n’as jamais favorisé son ascension parmi nous.

— Ce ne serait pas aider un ami que de le pousser à un poste qu’il ne mérite pas. J’ai toujours eu confiance en ses capacités, preuve en est qu’il est aujourd’hui digne du poste qu’il obtient. Baharak sera un excellent scribe et je ne porterai que la gloire de son ascension sur mes épaules.

— Voilà une belle manière de se féliciter. Je ne doute pas que tu le suivras de près. Profite de la soirée, Esmerald, je dois aller saluer encore tellement d’invités !

 

Je quitte Amon sous son rire gras et pur. Sa bienveillance n’a d’égale que son immense richesse. La villa de la guilde est un ancien don de l’illustre famille des Al Tarba. D’un style antique très carré, elle a une allure de petite forteresse provinciale. Les bannières de la guilde – un encrier vermeil et une plume d’or sur un fond verdoyant – viennent rehausser les vieilles pierres familiales. J’emprunte un long escalier encombré de convives, poussant les uns avec délicatesses et grognant sur les plus encombrants. Je me faufile parmi leurs conversations enjouées, aussi pétillantes que les bulles des coupes de vin mousseux. Las de jouer des coudes pour gravir quelques marches, je gronde méchamment sur le dernier groupe qui barre complètement le haut de l’escalier. Une jeune tigresse me regarde de haut en bas, choquée par mon attitude cavalière. Un appel de mon nom haut et fort attire tous les regards. J’en profite pour me soustraire du groupe et ainsi retrouver mon sauveur. Le scribe de la soirée.

— Maître Esmerald ! Mon ami ! Que je suis heureux de te voir parmi-nous ce soir.

 

Les babines étirées jusqu’aux oreilles et les pattes écartées, il m’invite à une accolade que je ne peux refuser. Baharak rayonne d’une joie solaire. Je me jette dans ses bras. Son contact est chaud, son aisance réconfortante. Sa démarche est  dénuée de tout stress. Je pourrais croire que c’est le soir de mon intronisation plutôt que la sienne.

— Scribe Baharak, mon ami. Puisse la Déesse te bénir sous les cinq cieux.

— Et qu’elle puisse préserver mes amis. Esmerald, ce jour est enfin arrivé ! Dès demain matin, dès l’aube, je serais ton égal. J’ai hâte de travailler à tes côtés. Je pourrais enfin te montrer que j’ai retenu tout ce que tu m’as appris. Et bien plus !

— J’en suis honoré, Baharak. Tu le mérites plus que tout autre tigre ici, soit en fier. Ta finesse d’écriture et ta jovialité seront des atouts incontestables pour la guilde. Cela fait longtemps que nous n’avons pas vécu une telle intronisation, et je suis ravi que ce soit pour toi. Amon te tient en haute estime pour avoir invité autant de participants à travers tout le pays.

— Ah, tu sais bien comme moi que les dons d’Amon ne sont jamais gratuits. Je vais devoir redoubler d’efforts et de contrats pour rembourser cette soirée !

— Oh oui ! Et c’est sans compter les belles danseuses que tu as invitées. Me les présentes-tu ?

 

Baharak rugit de plaisir et m’emmène avec lui. Nous nous arrêtons auprès d’une balustrade donnant sur une vaste salle de bal. Une nouvelle danse s’ouvre sur la valse royale. Des centaines de lumignons enflamment la pièce, les vieilles pierres résonnent sous les pas rythmés des baladines. Une tigresse particulièrement gracieuse m’attire l’œil. Ses mouvements sont amples, son jeu de patte est précis. La queue dressée contre le dos, elle bat le rythme et tout son corps la suit dans un balancier agréable. Ses pattes fendent les pans de sa robe aux couleurs d’un ciel nocturne étoilé. Le visage joueur, elle capte mon regard avant de replonger tout de suite dans sa danse. Elle porte deux longues tresses à la mode des Jardins-d’Hiver. Les pattes sur le rebord de la balustrade, j’hésite entre la poursuite du spectacle et l’action de la danse. Mes pattes me poussent vers l’escalier, mais je ne peux m’empêcher de me retenir à ma position privilégiée. Au fond de la salle, une porte s’ouvre sur le soleil couchant. J’enfonce mes griffes dans le grès de la balustrade à l’arrivée du nouveau venu. Vermeil Katil. Une vague de déplaisir m’envahit. Mes poils m’irritent comme si j’avais plongé dans un tas de poils à gratter. Que vient faire ce laquais au milieu de la fête d’intronisation de mon ami ? Je suis le seul représentant du roi ici ! Il a déjà le loisir de me pourrir la vie par sa simple présence, pourquoi prend-il la peine d’entacher la vie de mes proches ? Mes nerfs se contractent à chacun des pas de Vermeil. Il traverse la piste de danse sans se soucier du bal. Quelle indignité ! Je frappe la pierre de plus bel et fait sursauter Baharak. Jamais un noble n’oserait se comporter de la sorte auprès de ses semblables. Et puis, sa tenue est encore une insulte à toute bienséance. Vermeil porte une tunique brumeuse serrée à la taille par une multitude de cordelettes multicolores, une paire de chausses écrue surmontée de deux jambières de chamanes des anciennes traditions. Même les prêtresses de la Déesse présentent mieux que lui.

 

La fripouille s’arrête au niveau de la jolie danseuse sur laquelle je portais toute mon attention. Il s’arrête à quelques pas et, d’un geste précis et efficace, repousse le cavalier de la demoiselle tigresse. Surprise, elle s’arrête net dans un équilibre parfait. La roue des valses continue tout autour d’eux. Vermeil s’approche d’elle, lui pose une patte sur l’épaule et s’entretient tout près de ses oreilles. Sa carrure longiligne le force à se pencher de manière disgracieuse. Son contact avec la tigresse me repousse un peu plus. Je tends l’oreille pour essayer de déceler leur conversation, en vain. Le brouhaha festif de la salle de bal absorbe leurs propos plus efficacement que n’importe quel mur. Je resserre ma poigne, n’y tenant plus. Je dois aller écarter sa sale patte d’elle !

— Esmerald, tu trembles tellement qu’on dirait que tu affrontes une tempête !

Je me retourne sous les propos incompréhensibles de Baharak. Une lueur amicale brille dans ses pupilles, tandis qu’il pose sa patte sur mon torse.

— Cette vipère de Vermeil est en train de me voler ma cavalière, Baharak. Je ne peux pas le laisser faire.

— Dame Citrine ? Je ne savais pas que tu avais une liaison avec elle ! Tu es un petit cachotier.

— Une liaison ?! Mais non ! Regarde-les tous les deux, n’est-ce pas dégoutant de les voir discuter ? J’avais prévu de descendre danser avec elle, et ce n’est pas ce scélérat qui va m’en empêcher.

— Esmerald… Je pense que tu devrais venir plutôt prendre une petite collation avec moi et oublier la piste de bal.

— Certainement pas, Baharak. Je dois remettre Vermeil à sa place et laver mon affront.

— Mais de quel affront parles-tu mon ami ? Tu te fais du mal inutilement. Oublie-le et profite de ma soirée d’intronisation, je t’en prie Esmerald.

— Laisse-moi aller lui régler son compte, et ensuite, je me ferais aussi discret qu’une souris.

 

Je laisse en plan le jeune scribe sans plus de cérémonie. Je prends les escaliers sur ma gauche, j’esquive quelques convives discrets sur les marches et traverse la piste de danse en un pas. Sans préambule, je viens me poster à hauteur de Vermeil. Coupé dans sa conversation, il me regarde de travers, les sourcils arqués, l’air suffisant. Sa longue tignasse sans volume me sort par les narines. Il garde une patte posée sur l’épaule de la tigresse. Elle attend, sans reculer, visiblement déçue par mon arrivée. Je m’éclaircis la gorge de sorte que tous les nobles autour de notre groupuscule dressent une oreille ou deux. Je vois du coin de l’œil que le balconnet auquel j’étais auparavant est plein à craquer. Baharak m’observe attentivement, les bras croisés.

 

— Vermeil ! Quel déplaisir que de te voir à cette belle soirée. Je ne savais pas que tes talents de danseurs étaient aussi élevés que ton indécence. Que fais-tu là, au milieu de tous les lettrés du pays ?

J’écarte les bras et y recueille les premiers rires moqueurs de mes confrères. La valse s’est tue au profit de notre duel.

— Esmerald… J’ai autant le droit d’être ici que toi et ton air arrogant.

— Ce haut-lieu de noblesse n’est pas une taverne pour y jouer aux dés et aux cartes. Croyais-tu vraiment y être le bienvenu parmi nous ?

— Détrompes toi. J’ai reçu la bénédiction de sa majesté Tarik pour inviter Citrine à danser avec moi.

Sa réplique pleine de fierté m’ulcère. Des moues de dégouts et de surprises émaillent les spectateurs.

 

— On appelle les dames par leur titre ! Quand donc apprendras-tu enfin à respecter l’étiquette, petit rat ?!

— Je n’ai que faire de votre fausse politesse ! Elle ne sert qu’à cacher vos mensonges. C’est par vos mots fielleux que vous repoussez nos peines, nous les tigres du peuple. 

Des hoquets de stupeurs enflamment le cœur des hauts nobles présents, moi y compris. Tous les regards sont alors braqués sur moi. Tous attendent une réponse franche et sévère de ma part après une telle insulte. Je m’en réjouis d’avance. Je vais pouvoir ridiculiser cette sale fouine qui espère me voler la plus jolie des danseuses. Je me décale d’un pas, plonge la patte dans ma sacoche de scribe et en sort théâtralement un stylet et une tablette d’argile.

— Écris nous donc comment nous débarrasser de nos vilénies de nobles, Vermeil !

Vermeil se détache de Citrine et referme les poings sur son incompétence. Son visage se décompose, ses moustaches s’agitent et sa queue fouette le sol. Muet face à ma bassesse, son refus d’attraper le stylet devient une évidence pour toute l’assemblée de nobles : il ne sait pas écrire. Une larme pointe dans le coin de son œil. Je tends un peu plus près de lui mon arme démagogique. Vermeil se retourne dans un mouvement rageur et fuit la salle de bal.

— Bon vent, l’ignare !

 

Je me retourne face à la comtesse Citrine, satisfait par mon propre spectacle. C’est la mine gênée et silencieuse qu’elle accueille mon regard. Elle me signe discrètement la direction du balconnet. Les convives quittent la pièce dans un brouhaha feutré de commentaires sur ma victoire face à l’ignorance sans un applaudissement. Quel manque de respect de la part de mes semblables ! Je tourne sur moi-même et fait face à mon destin. Du haut de la balustrade, ses pattes baguées sont posées sur la rambarde, immobiles. Son regard gris hivernal me transperce. Sur sa tête repose la couronne aux six pierres ducales. Sa majesté. Mon roi, Tarik De Kharapath, le Victorieux.

 

Je déglutis bruyamment. Le son se propage aisément dans le vide qui m’entoure. La salle de bal ne contient plus que moi. Même les flammèches des bougies se sont enfuies. J’abaisse lentement les pattes, puis, sans rien dire, je range mon stylet et ma tablette le plus silencieusement possible. Le cuir de mon sac craque à chacun de mes gestes. Je soutiens le regard de mon roi, de peur qu’il ne devienne incandescent si je le quitte. J’ai assez souffert des flammes par le passé. Mes petites oreilles remuent dans un sens, puis dans l’autre pour mieux écouter le silence, assourdissant. Tarik plisse les lèvres. Il réfléchit à ce qu’il va dire. C’est mauvais signe pour moi. Quitte à aller au-devant de la punition, je préfère être maître dans la montée sur l’échafaud. Je rejoins mon roi, calmement, les pattes jointes dans mon dos. Ma queue s’enroule autour de ma patte droite. Je m’incline bas, et sans attendre qu’il me le demande, j’entame une excuse. Tarik me fait signe de me taire. Je reste bouche bée. Dois-je le contredire et entamer ma repentance ? Ou bien est-ce que continuer à discourir risque d’aggraver mon cas ? Tarik m’observe, imperturbable. Ses poils blancs semblent incarner la présence de la Déesse. Son visage est fermé, ses traits sereins. Je ne sens aucune animosité de sa part. Pour autant,  un danger imprègne son aura. Tarik m’incite à le suivre tranquillement. Je garde la tête froide. Il se détourne et prend la direction opposée. Il paraît voler sous les plis voluptueux de sa longue cape blanche.

 

Nous traversons la cour du logis, puis quittons rapidement la route pour couper à travers les vignes. Tarik ne ralentit sa marche silencieuse à aucun moment. Je me force à le suivre vers l’inconnu, les coussinets agressés par les cailloux du chemin. La lumineuse tenue d’apparat de Tarik tranche avec le crépuscule. Les lumières flamboyantes du soir laissent peu à peu place aux rideaux de soies nocturnes. Plus nous avançons, plus le chemin se fond dans les ombres de la colline. J’ai du mal à éviter les nids de poules et manque de me tordre la cheville à plusieurs reprises. Je ne connais pas cette route de traverse, ni ne sait dans quelle direction l’on marche. Ce que je sais, c’est que l’on s’éloigne de Kharapath et de ses lumières diaphanes. Une pensée morbide me traverse alors l’esprit : c’est le lieu idéal pour me faire disparaître. Il n’y aurait aucun témoin. Mon cri se perdrait entre les feuilles charnues des vignes, et j’aurais pour seul écho le pipit des chauves-souris. Seules les deux lunes contempleront ma mort et emporteront avec elle le secret de l’humiliation du scribe royal de Kharapath. Plus nous avançons dans la nuit et plus je tremble. Je me frotte les paumes de mes pattes encore et encore. Je sens que ma peau craquèle. Mes phalanges me grattent. Mes griffes me démangent. Le silence de Tarik me tient plus fermement qu’une chaîne. Sa morsure me colle les poils le long de mes vertèbres. J’ai besoin de savoir ce qu’il va me dire. La nausée s’empare petit à petit de mon corps, comme si je buvais le vin au fur et à mesure que je traverse les vignes.

 

Au détour de la colline apparaît mon funeste sort. Les remparts de brique du fort de Kharapath s’élèvent vers le ciel en guise de tombeau. Le seul moyen de rejoindre l’intérieur de la forteresse consiste à emprunter un long et interminable pont en bois au-dessus d’une large crevasse. Tarik ne ralentit pas. Il ne prend pas la peine de se présenter face à la porte principale. Les gardes le saluent et nous laissent passer sans encombre. Ici, tous le connaissent bien. La première cour de la citadelle me fait frémir. À quelques pas de nous se trouve un billot et sa macabre panière. Je détourne les yeux pour ne pas y voir le sang séché et les restes de tripes cuites au soleil. Je porte mes pattes à mon cou de peur de ne plus le sentir entier. Il est si fragile. Le ventre en vrac, la nausée s’intensifie et me force à m’arrêter. J’ai envie de vomir. Je me retrouve plié en deux à court de souffle, le regard braqué sur une motte de sable frais. Celui que l’on ratisse pour masquer les précédentes mises à mort des traîtres. Je ne veux pas mourir !

 

 

Tarik s’arrête enfin. Sa gueule est impassible. Il m’observe un moment, le regard amusé. On dirait que je ne lui ai fait aucun reproche, ni à lui ni à son laquais. Il pointe du bout de la griffe le billot et esquisse un sourire carnassier. Je veux fuir. Mon corps refuse de bouger. Je jette un coup d’œil en arrière pour voir si j’aperçois le bourreau. Les soldats vaquent à leurs occupations. Ils nous ignorent. Je pourrais opérer un demi-tour, sprinter jusqu’à la porte centrale, sauter par-dessus le rebord du pont et m’enfuir entre les caillasses qui soutiennent la citadelle. Ensuite, je ne sais pas où j’irai, mais je trouverai. Le pays est grand. Au pire, j’irai jusqu’aux cités des Grands Archivistes. Ils me recueilleront pour mes capacités à bien savoir écrire. Il faudra surement que je change de nom… J’aime bien Esmerald, je trouve que cela sonne bien. Mais mon cou vaut mieux qu’un prénom.

— Esmerald, cesse de rêver. Tu ne vas pas mourir aujourd’hui. Suis-moi jusqu’en hauts de ces remparts, nous sommes presque arrivés au bout de tes peines.

 

Je suis mon roi sur le chemin de ronde, je traverse deux guérites fortifiées et j’arrive sur une large terrasse crénelée. Je m’approche de sa majesté le roi et laisse mon appréhension derrière moi. Mes rétines captent toute la splendeur de mon peuple. Kharapath se dessine dans la nuit en de milliers de points de lucioles. La cité s’étend sur la plaine au sud du fort et étire ses bras pleins de vies jusqu’aux ancestrales forêts des tigres des plaines. Je ressens son cœur battre alors même que la nuit appelle les habitants à aller se coucher. Les tavernes vibrent de toute la clameur des citadins et les jardins recueillent les plus esseulés des noctambules. Tarik me laisse me blottir contre lui. Lui aussi prend le temps d’observer la capitale de notre pays. De son pays. Kharapath est sa ville bien avant la mienne. Il est originaire de ces pavés. Il les a foulés de tigreau à guerrier, de prince endeuillé à roi victorieux. Il y a été acclamé pour ses victoires et haï pour ses vengeances. Tarik est, à bien des égards, bien plus proches du peuple que la plupart des nobles de la cour. Plus que moi. Peut-être est-ce pour cela qu’il affectionne tant Vermeil, qu’il le comprend. Il dépose sa grande patte sur mon épaule et me resserre contre lui. Sa chaleur est agréable. La douceur de sa veste en soie et de ses poils se mêlent dans un agréable mélange. Il me pointe de la griffe une vieille basilique sur une place au nord de la cité. Si la nuit a englobé la base de l’édifice, je distingue assez nettement sa vieille flèche en pierre rehaussée par une pointe d’or. Un étendard y pend mollement, endormi avec les habitants du quartier.

 

Je reconnais le lieu. Comment l’oublier ? L’orphelinat royal. C’est entre ses murs antiques et décrépits que je fus recueilli à mon arrivée à Kharapath pendant la guerre des deux frères. Ma solitude me saute à la face. Je veux reculer du rempart. Tarik me retient.

 

— Je constate que tu te souviens. Je connais ces lieux aussi bien que toi, Esmerald, pour y être venu te voir à de maintes reprises durant ta jeunesse. Yari chantait tes louages dans chacun de ses rapports. Ses mots étaient pour moi comme un poème alors que je menais la résistance du front est.

 

La voix de mon roi est douce. Ses paroles m’enveloppent comme le miel des loukoums du début de yazbahar. Je le regarde avec des yeux pleins de tendresse, en souvenir de ce passé merveilleux. Yari me manque. Je me revois encore lui quémander son pot à plume comme un tigreau demande son lait. Il me le refusait trois fois, jamais plus. Après, il m’invitait à ses côtés. Je m’empressai alors de récupérer de quoi écrire, puis je m’allongeai à ses côtés, la queue en point d’interrogation. La séance d’écriture pouvait débuter. Yari était d’une gentillesse infinie. Il déversait sa bienveillance à tous les orphelins du centre avec la même joie simple que l’on trouve chez les ermites qui n’ont rien d’autres que la vie à offrir.

 

— Cela veut dire que je ne suis pas puni, votre majesté Tarik ?

Je n’ai pas le temps de comprendre ce que Tarik murmure au vent qu’il me met un vilain taquet derrière le crâne. La claque résonne entre mes oreilles et me rappelle à la réalité.

— Bien au contraire, Esmerald ! Vous êtes liés par une tragédie qui vous dépasse. Les flammes du passé ne doivent plus vous dévorer. C’est pour cela que j’ai recueilli Vermeil. Il fait partie de mes proches au même titre que toi, Esmerald. Je ne veux pas vous voir vous chamailler, et encore moins vous humiliez comme tu l’as fait ce soir. Ce n’est ni digne de vous, ni digne de moi. Suis-je clair ? 

— Vous l’êtes, votre majesté. J’éviterai le conflit à l’avenir.

 

Tarik remue les babines, puis décide de se taire. Je sais que ma réponse ne lui convient pas. Je serai digne de mon roi et de ma position. Mais être au même niveau que ce laquais, impossible. Tarik reste là, le regard sur sa cité, songeur.

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Carl
Posté le 14/06/2024
Salut ! Un deuxième chapitre toujours aussi intéressant et intriguant
J'aime bien le langage soutenu que tu emploies ! Il nous plonge vraiment dans l'ambiance c'est très immersif et ce malgré un univers bien différent du notre !
Daënor Sauvage
Posté le 15/06/2024
Bonjour Carl,

Merci pour ton retour ! :)
Je trouvais que le langage assez soutenu allait bien à mes protagonistes. Content que ça puisse t'emmener dans cet univers.

Mes salutations,
Cléooo
Posté le 10/06/2024
Hello Daënor :)

Je découvre ton second chapitre, et j'ai pas mal de petites remontées à te faire sur la forme donc je commence par là !

Il y a quelques répétitions, par exemple :
- "...et puissant comme je les aime. Après une après-midi de labeur, j’aime sentir la puissance...."
- "Mes poils m’irritent comme si je l’avais plongée dans un tas de poils à gratter." (-> de plus ici, la phrase me semble un peu bancale)
- "La fripouille s’arrête au niveau de la jolie danseuse sur laquelle je portais toute mon attention. Il s’arrête..."

Des coquilles aussi :
"de ja majesté le roi" ; "je suis représente déà le roi" ; " Tu te fais du mail inutilement" ; "face àa la porte principale." ; "rend le temp"...

Des erreurs de conjugaison :
"Ce ne serais pas aider un ami que..." ; "dès l’aube, je serais ton égal." ; "profites de ma soirée" ; "Je dégluti " ; "et j’aurai pour seul écho" ; "Tarik ne ralenti* pas. Il ne prends*..." ; "je ne lui ai fais" ; "j’irais jusqu’aux cités" ; "Je serais digne de mon roi"...

Et je te note des petites choses qui m'ont fait tiquer au niveau des tournures :
- "Ce ne serais pas aider un ami que de le pousser à un poste qu’il ne mérite pas." -> "ne mérite pas" me semble un peu fort. J'aurais plutôt mis "avant qu'il ne soit prêt" parce que ça me semble aller davantage dans le sens de ton récit. Ce n'est pas que Baharak ne mérite pas son poste, mais plutôt qu'il n'avait pas fini d'être formé, non ?
- "il m’invite à un câlin" -> le mot câlin me semble un peu familier, peut-être pas en harmonie avec le niveau lexical du reste de la narration.
- "Même les prêtresses de la Déesse se présentent mieux que lui." -> je crois qu'on dit juste "présente mieux" sans le "se".
- "Je sais du coin de l’œil" -> je vois ? Plutôt que "sais"
- "Je maintiens le regard de mon roi" -> soutiens ?
- "Je ne sens aucune animosité de sa part. Pour autant, Tarik possède une aura qui m’incite à le suivre et à garder la tête froide." -> le "pour autant" indique une contradiction. Ici, je ne ressens pas de contradiction entre les deux phrases.
- "Je me frotte les mains encore et encore" -> j'hésite à mettre ça en "coquille" car tu es resté très prudent à ne pas t'approcher de distinction humaine, donc je crois que le "main" n'est pas adapté.


Et sur le fond maintenant, deux petites remarques :

1) "Que vient faire ce laquais au milieu de la fête d’intronisation de mon ami ? Je suis le seul représentant du roi ici !" -> tu indiques bien qu'Esmerald est un scribe du roi. Quand Vermeil arrive, cette façon de le présenter laisse entendre qu'il est un rival d'Esmerald, donc j'ai d'abord pensé que lui aussi était scribe. Ton récit indique très rapidement que non, puisque Vermeil ne sait pas écrire, mais du coup, pourquoi Esmerald se sent-il le besoin d'être mieux que lui ? Je crois qu'il serait intéressant de savoir ce que Vermeil fait au palais, pour que ce passage soit plus clair, et qu'on comprenne mieux le ressentiment d'Esmerald.

2) "bien plus proches du peuple que la plupart des nobles de la cour. Plus que moi." + "L’orphelinat royal. C’est entre ses murs antiques et décrépits que je fus recueilli" -> Si Esmerald vient d'un orphelinat, il est issu du peuple, lui aussi, j'imagine. Du coup je ne comprends pas trop sa réplique d'avant, et cette façon de se sentir tellement plus haut, si lui aussi vient du bas. Après, ça met aussi du relief à son personnage, donc cette remarque est à prendre avec des pincettes, j'en saurai sûrement plus avec la suite !

Voilà, à bientôt ! :)
Daënor Sauvage
Posté le 14/06/2024
Bonsoir Cléooo,

Merci encore pour tes nombreuses remarques sur toutes les coquilles qui émaillent mon récit. Je n'ai pas encore passé mon texte sous antidote, et cela se voit. Il y passera haha.
Toutes se sont révélées très justes, notamment sur les coquilles et autres lourdeurs de phrases. J'ai corrigé !

Quant au fond, les réponses arrivent au chapitre suivant. Pour autant, cela me fait réfléchir quant à la structure des deux premiers chapitres (1 et 2 donc, hors prologue) qui sont très complémentaires. Je vais voir comment je peux organiser les réponses au bon moment selon les retours que j'aurai sur le début du roman.

Merci !
Mes salutations,
Vous lisez