On était un beau jour de juin, avec un soleil haut et un ciel nu de cumulus. Pour beaucoup, cette fin d’année est synonyme de relâchement; car les vacances d’été sont très proches; pour d’autres c’est signe d’examens donc d’une grande période de stress. Mais pour Pauline c’est surtout le moment où sa vie allait subir un grand bouleversement. Il lui reste encore quelques semaines de bb-sitting; et ensuite elle s’envolera vers le Mexique. Elle quittera la France, sa famille, ses amis pour une toute nouvelle vie. À l’idée de cette aventure grisante, un électrique frisson l’enveloppa.
« — Pauliiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiine, regaaaaaaaaaaaaarde !
— Oooh c’est joliiiii ! Qu’est-ce que c’est ?
— Bha tu le vois bien, c’est une girafe !
— Aah oui, en effet. »
La nounou pouffa discrètement, amusée par ce petit garçon aux joues joufflues et à la tignasse rousse. Il lui lança un grand sourire émerveillé du haut de ses innombrables taches de rousseur, et reprit son œuvre avec beaucoup de concentration. Et il en fallait beaucoup pour modeler de la terre, des feuilles et des cailloux afin de constituer une « girafe » ! La jeune femme retourna dans la lecture de sa brochure touristique, encore hésitante sur son futur lieu de vie. Plutôt Mexico ou Guadalajara ?
Elle jetait de temps en temps des coups d'œil à ce petit bout de six ans qui lui était confié chaque mercredi depuis deux ans maintenant. Ce boulot l’avait aidé à financer ses études en lettres, et maintenant elle rêvait d’aller parcourir le monde pour rencontrer des auteurs étrangers - auteurs bien souvent peu considérés au cours de ses années de licence. Alors une mission s’est mise à vibrer au fond de son être : voyager, découvrir ces personnes talentueuses et en parler sur un blog. Elle espérait toucher l’attention de lecteurs et lectrices, mais aussi pourquoi pas de journalistes et tutti quanti; qui l’amèneront finalement à se faire sponsoriser pour ainsi vivre de sa passion pour la littérature. Ce projet qui traîne dans son esprit depuis quelques mois maintenant la gonfle encore une fois d’une chaleur infinie. Elle avait hâte et….
« — Alban ! Fais attention hein !
— Oui oui... »
Pauline referma sa brochure et décida de le surveiller plus attentivement. Il était trois heures de l’après-midi, ce qui signifiait que le parc d’enfant grouillait de monde. Sa vigilance en était d’autant plus accrue car un petit conflit pouvait vite survenir entre deux chérubins; et mieux valait résoudre ça au plus vite pour la tranquillité de tout un chacun. Elle vit Alban quitter son monticule de boue, pour rejoindre les structures. Bien qu’il soit grand pour son âge, il restait un peu jeune à son goût pour s’aventurer sur ces architectures métalliques pourtant conçues pour les âmes enfantines. Elle se leva du banc, fit quelques pas en avant, remonta ses lunettes sur le nez et fixa le garçonnet qui semblait encore hésiter face aux choix possibles. Quelle aventure allait-il vivre aujourd’hui ? L’escalade de cette haute pyramide appelée « Le Monde Suspendu » ? La joie de se tortiller sur la balançoire ? Ou encore glisser de tout son long sur ce toboggan en forme d’éléphant ? L’enfant se tenait en retrait, et observait chaque jeu intensément.
L’éléphant l’intéressait beaucoup, et la balançoire aussi. Mais il y avait déjà beaucoup d’enfants dessus. Il n’aimait pas trop ça. C’était bruyant, trop de bruits pour ses petites oreilles. Alors il regarda le triangle. Il sait que c’est un triangle parce qu’il est un grand maintenant, et a appris à l’école toutes les formes du monde entier. Et d’ailleurs, puisque c’est un grand garçon maintenant… Il est capable de monter sur le triangle ! Han, ce serait génial ! Et en plus de là-haut il verrait peut-être sa maison, et il pourrait faire coucou à Pauline !
Celle-ci se trouvait toujours debout, prête à intervenir en cas de nécessité. Son regard parcourut aussi rapidement les structures, pour essayer d’anticiper le choix du petit Alban. Du côté du toboggan, beaucoup d’enfants attendaient leur tour : ça n’est pas son truc la patience, il n’ira pas là-bas. Peut-être la balançoire ? Il en a une aussi dans son jardin, et il aime beaucoup passer des heures à se faire pousser et sentir le vent jouer avec ses cheveux. Quelques enfants sont déjà assis sur les planches en suspension, faisant grincer les attaches des cordes à un rythme régulier. Un grincement aigu qui ponctuait le rire des bambins. Un sourire charmé réhaussa ses fossettes, et la jeune femme observa de nouveau le petit garçon à la touffe rousse. Il n’était plus là ! Un frisson de panique commença à la gagner, tandis que ses yeux bleus farfouillèrent la masse des marmots. Elle fit quelques pas en avant, prête à s’égosiller pour retrouver l’enfant. Son cœur avait loupé un battement. Une coulée de sueur glissa dans son dos sournoisement. Mais, son regard finit par accrocher sa frêle silhouette. Il avait entrepris de grimper sur les premières cordes tendues de la pyramide. Cette idée ne lui plaisait pas vraiment - bien trop jeune pour une telle structure ! -, alors elle l’apostropha.
« — Alban ! Redescend s’il te plaît, tu es trop petit !
— Même pas vraiiiii » lui hurla-t-il.
Vif comme une anguille, il se faufila entre les autres enfants présents pour gagner en hauteur et démarrer vraiment son ascension. Pauline grommela, tandis que son pouls retrouvait petit à petit un rythme décent. Elle s’approcha de la pyramide, légèrement anxieuse mais surtout agacée.
« — Alban ! Je t’ai dis non !
— Nananananaère je vais monter tout en haut !
— Non ! Viens ici, dépêche toi ! J’ai peur que tu te fasses mal ! »
À ces mots, le petit rouquin s’arrêta et sembla réfléchir.
Il ne voulait pas inquiéter sa nounou. Il l’aimait bien, Pauline. Elle était toujours gentille. Parfois il avait le droit à un gâteau en plus pour le goûter. Alors ça fallait pas le dire à papa et maman, c’est un secret. Et là elle avait l’air d’être vraiment fâchée. Il regarda ses petites mains solidement accrochées sur la corde tressée rouge sombre. Et il tourna la tête vers elle pour lui dire qu’il voulait redescendre oui. Mais la peur le glaça instantanément. Ses petits orteils se contractèrent dans ses baskets. Ses yeux piquèrent de larmes à venir. Il n’aimait pas du tout ça, être si haut, finalement.
« — Pauliiiiiiiiine ! »
La nounou ressentit toute la détresse d’Alban dans ce cri de panique. Il se mit à pleurer du haut de son perchoir instable, qui le maintenait à presque deux mètres. C’est qu’il avait été rapide ce bonhomme ! Elle s’approcha rapidement, bousculant des gosses avec quelques pardons pour rejoindre au mieux son protégé. Celui-ci s'agrippait de toutes ses maigres forces aux cordes, alors que d’autres camarades du jeu ne faisaient pas attention à sa panique. Leurs mouvements d'ascension et de descente secouaient d’autant plus les cordages, ce qui ne rassurait ni l’enfant coincé ni sa nourrice. Pauline parvint enfin tout en bas de la pyramide, et continuait de fixer Alban.
« — Ne bouge pas mon chou, je viens te chercher d’accord ? »
Elle le vit hocher doucement la tête, le visage noyé de larmes. Son expression de peur était réelle, ce qui contracta son propre cœur. Mais hors de question de lui montrer son angoisse de le voir chuter, et pis encore se blesser ! Alors, ses lèvres s’étirèrent en un grand sourire qui se voulait réconfortant. Le petit garçon sanglotait, en attendant sa sauveuse.
Pauline remonta ses manches, sous le regard curieux des autres bambins qui jouaient toujours autour d’eux. Sa main attrapa une première corde, et son pied vient se poser sur une autre. Tout n’était qu’une question d’équilibre. Il s’agissait d’une structure pour enfant après tout, ça s’annonçait facile à prendre en main. Et ce fut le cas. En une poignée de secondes seulement, elle fut à hauteur d’Alban; qui se jeta dans ses bras avec insouciance et pleura de plus belle.
« — Je suis là, je suis là… Tu arriverais à redescendre maintenant ? On va le faire ensemble ne t’en fais pas. »
Il grommela un oui entre deux reniflements de morve. Alban s’essuya les yeux, et prit son courage à deux mains pour suivre les indications données. La jeune femme le félicita pour chaque centimètre parcouru. Ils allaient à une lenteur exaspérante mais rassurante. Enfin, il toucha terre; au plus grand soulagement des deux. Le petit garçon, le teint tout rouge et un peu honteux, tendit sa main potelée à son héroïne du jour avec un sourire timide.
Pauline aurait pu la prendre, bien que n’en ayant pas besoin, et terminer les quelques centimètres en descendant normalement. Mais elle voulut faire rire son protégé, histoire de calmer ce mauvais souvenir d’une ascension terrifiante. Alors d’un bond elle se propulserait hors de la pyramide, prenant appui sur la dernière corde qui rasait le sol. L’objectif ? Atterrir en une pirouette gymnastique et finir sur un câlin sauvage !
Malheureusement, rien de tout cela ne se passa. Ce fut bien plus dramatique que prévu. Au moment de bondir, son pied se coinça sous la corde par un coup de malchance. Ce soudain déséquilibre la coupa dans son élan premier; et toute sa force projeta son corps contre le sol. Elle fonça droit vers cette espèce de tapis de mousse spécialement conçu et disposé à cet endroit en cas de chute. Cet accident soudain aurait pu s’arrêter là. Mais non.
Le gardien, avant l’ouverture du parc, avait bien entendu fait le tour de chaque structure pour en vérifier l’état. Cela faisait partit de la sécurité de l’endroit. Toutefois il était passé à côté d’un clou en acier trempé, qui ressortait du tapis à la verticale. Il n’avait rien à faire dans ce sens, puisque faisait normalement partie de la structure sous-jacente qui aidait justement au maintien de cette matière spéciale au sol.
Quand Pauline, de tout cet élan prit pour effectuer un très beau saut, tomba tout droit sur cet outillage… Le clou s’enfonça sans aucunes difficultés dans son crâne, entre les deux yeux. Ses bras étaient restés en retrait, car ralentis par quelques cordes proches.
Un silence macabre s’ensuivit, accompagné par plusieurs cris stridents dont celui d’Alban.
Le petit garçon hurlait de tout son petit corps, ne comprenant pas toute la situation mais avait bien saisi que voir tout ce liquide pourpre - du sang - s’étaler au sol était très grave. Son hurlement alla au-delà de ceux des autres, au-delà de la pyramide, au-delà de ce grincement atroce de la balançoire qui gémissait encore et encore, au-delà du parc qui avait tout à coup sombré dans une atmosphère macabre.
Cette chute est incroyable ! Vraiment je ne m'attendais pas à une telle fin, tout se passait bien et d'un coup PAF Pauline se fait massacrer par le clou !
Bravo à toi, vraiment
Et je ne m'attendais absolument pas à cette fin. Je me suis visualisé la scène...horrible pour cette pauvre Pauline.
Alors oui je fais fi des coquilles et des enchaînements parfois brutaux ou des répétitions et formulations trop simples. Le rythme me convient, j'adore les PAULIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIINE et autres voyelles en pagaille, évidemment ! Bonnes descriptions, on est dedans. C'est du bon travail !
Par souci d'égalité avec les autres, je m'arrête là pour le moment !
Quel chapitre ! Dès le début on sent que quelque chose de macabre va se passer, personnellement je m'attendais à un crâne brisé par une chute... alors ce clou inopportun, je l'ai trouvé bien pire ! Mais quel erreur de vouloir sauter ainsi d'un jeu en corde ! Le fait que tu nous parles de ses plans d'avenir un peu plus haut m'a mis encore plus mal pour cette pauvre Pauline...
Tu as très bien su décrire l'ambiance inquiétante (je me rongeais quasiment les ongles tant le mal aise était palpable ^^') et j'ai bien aimé voir ce contraste entre le point de vue d'Alban et celui de Pauline. Si je devais faire une remarque, néanmoins, ce serait par rapport au temps que tu emploies. Tu as tendance à switcher entre passé et présent, ce qui casse un peu la lecture.
En tout cas, très bon chapitre, et chapeau, ce fut une très belle plongée dans l'horreur (j'ose à peine imaginer ce que tu nous réserve plus tard ^-^')
A bientôt ! :)
Merci pour ton retour au top ! Oui, il est vicieux ce clou. Et je ne te dis pas comment j'étais si triste (bon je riais un peu aussi j'avoue #auteurtarée) en lui dessinant un avenir génial - par contre son avenir me plaît bien personnellement ahahah.
Oh merci pour le remarque sur le temps, j'irai jeter un œil et harmoniser ça !
Merci encore et j'espère que la suite sera alors à la hauteur :) À très vite.
Je m'attendais pas a cette chute
c'est horrible
C'était génial et horrible
J'en ai des sueurs froide c'était super bien décrit et du coup oh la la mais Abby T-T je sais pas quoi dire, l'atmosphère entière du chapitre était si douce, que cette fin elle est claquante T-T
C'est ouf ossekour
J'aime trop ;;
La différence entre le début assez chill et la fin est incroyable, mais surtout la façon dont ça a été amené. C'est à la fois brutal, surprenant, mais même pas hors contexte. L'enchaînement est hyper fluide.
En tout cas je comprends maintenant beaucoup mieux le chapitre précédent !
Es tu sur de comprendre ? 😇 Hihihi