L’après-midi usa Ismael jusqu’à la moelle, tant il se força à paraître enjoué et relax devant ses amis. Au lieu de tripoter son téléphone en espérant un appel de Lyz, il tirait sur ses bracelets. Pour se retenir de regarder par la fenêtre du café où ils s’étaient installés, il fixa tour à tour Lucy, Damian et Alejo. Chaque fois que l’inquiétude remontait le long de sa gorge, il la ravalait avec une gorgée de thé.
Il alla tant aux WC que Lucy lui demanda s’il était malade. Après ça, il n’osa plus jeter un coup d’œil à Alejo, et fut soulagé que Damian annonce qu’il devait partir.
Sur le chemin de chez lui, il renvoya un message à Lyz pour savoir si tout se passait bien. L’absence de réponse faillit le rendre fou. Quand son portable vibra, il voulut le saisir trop vite et l’envoya valser sur le tapis.
Lysander
« Je peux venir chez toi ? »
Ismael
« Rapplique. »
Il prépara du thé en attendant. Sa vessie râla, mais sa mère lui avait toujours dit que l’Earl Grey noyait le stress et l’anxiété. C’était le jour parfait pour tester cet adage. Il bondit sur l’interphone quand celui-ci sonna et sortit de l’appartement pour guetter Lyz, penché sur la rambarde. Sa voisine du dessous le salua avec un drôle d’air, mais déjà il apercevait les épis couleur sable de son meilleur ami.
— Tu n’es pas blessé, constata Ismael quand il fut devant lui.
Le soulagement lui relâcha les épaules. Les yeux de Lyz étaient légèrement exorbités – « hantés » aurait-il dit – ses mains crispées et ses narines dilatées, mais il fit l’effort de sourire et ne présentait aucune marque de coups.
— Entre, l’invita-t-il après un silence gênant, j’ai fait du thé. Tu veux appeler tes parents ?
— Oui, il vaudrait mieux.
Il se déchaussa et enleva sa veste avec des gestes lents, le regard déjà ailleurs, la tête légèrement penchée et un pli soucieux entre ses sourcils. Il semblait se parler à lui-même. Il parlait à l’autre, corrigea Ismael avec un sentiment de malaise. Il s’esquiva dans la cuisine et entreposa avec une infinie lenteur son goûter sur un plateau, ne l’amenant au salon qu’une fois qu’il entendit Lyz parler à ses parents.
Quand son ami le rejoignit sur le canapé, il semblé avoir réintégré l’instant présent. Ismael lui passa un mug.
— Merci, dit-il avec enfin un peu de chaleur dans la voix.
Il porta la tassa à ses lèvres.
— Alors… tu veux en parler ? finit par lancer Ismael.
Il n’était quand même pas venu pour le plaisir d’un thé et de cookies, si ? Lyz posa un instant son regard au plafond, comme pour y chercher l’inspiration. Patient, Ismael joua avec son collier, allongeant les jambes pour placer le bout de ses chaussettes dans le rayon de soleil qui tombait sur le tapis et la table basse.
— J’ai rencontré le… le chef, commença Lyz avec prudence. Deneric.
— C’est quel genre de type ?
— Baraqué, répondit Lyz en le regardant. Plutôt intimidant, physiquement mais pas que.
— Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
Lyz agita les mains sans parvenir à expliquer, amorçant à chaque geste une explication qui ne le satisfaisait pas. Pour finir, il secoua la tête pour signifier que ce n’était pas important.
Ça l’était pour Ismael, qui rongea son frein.
— C’est lui qui m’a mordu. Je l’ai su en le voyant, et il me l’a confirmé.
Lyz avait déclaré ça dans un souffle.
— Tu déconnes ?
— Oui, je me suis dit que ça ferait une bonne blague, s’agaça Lysander.
Ismael s’excusa, son ami se détendit.
— Ça fait presque du bien de le dire à voix-haute, avoua Lyz.
— Ça a dû te faire un choc, murmura Ismael avec maladresse. Tu t’es pas dit qu’il mentait ? Tu habitais Dundry, c’est ça ? C’est pas la porte à côté.
— Il ne mentait pas.
Et dans son ton, dans son regard sévère et sa façon de serrer fort ses mains l’une contre l’autre, Ismael le crut. L’autre avait-il été heureux ? Après des années à apprendre à s’accorder au quotidien, peut-être ce Deneric était-il le premier véritable élément de scission entre eux.
— Lara le savait aussi, ajouta Lyz.
— Ah, la pu…
Il s’interrompit sec quand Lyz tourna la tête.
— Elle aurait pu te le dire, s’énerva tout de même Ismael.
C’était comme si Lyz défendait cette fille à peine vue.
— Elle aurait pu, convint Lyz. On en rediscutera.
— Tu vas la revoir ?
— Sûrement, si je retourne là-bas.
Ismael faillit s’étrangler avec son cookie. C’était une plaisanterie, n’est-ce pas ? Il ne prendrait pas le risque de revoir le fou qui l’avait mordu ?
D’abord, il eut l’impression que ses propres paroles avaient pris Lyz de court, mais bien vite il ne lut plus qu’une farouche résolution sur ses traits. Ses phalanges, néanmoins, blanchirent sous la pression qu’il exerça sur ses mains.
— Mais Deneric…
— Il a bousculé ma vie une fois, coupa Lysander, je ne le laisserai pas être au cœur de mes choix. Je ne veux pas lui donner cette importance.
Il prit une pomme et y croqua, comme s’il avait besoin de s’occuper les doigts pour ne pas se les casser un par un. Malgré sa détermination, Ismael le trouvait horriblement stressé. Mais si Lyz était venu ici et avait tenu à lui parler de tout ça, ce n’était certainement pas pour lancer un débat. Il avait besoin de l’appui d’Ismael, et il le lui donnerait.
— C’était pas si mal, alors ? demanda Ismael.
— Non, tu sais, ce n’était pas si mal en fait.
Son expression se fit mélancolique. Toutes ces années, Lyz avait été seul. Seul avec sa condition, avec sa lutte, avec l’autre ; il s’était caché, avait pris sur lui de nombreuses fois, avait eu peur aussi, certainement.
Aujourd’hui, il n’avait pas été seul.
Et même si Ismael sentit une brûlante jalousie remuer dans son ventre, il était aussi heureux pour lui.
— Tu comptes m’en dire plus un jour ? lâcha Ismael en se renfonçant dans le canapé.
Il esquissa un grand sourire quand Lyz se tourna vers lui, ce qui le fit rire. Ismael se rengorgea ; il était encore capable de ça. Et c’était à lui que Lyz était venu parler, à lui qu’il avait confié en premier la révélation de ce Deneric… Aucune raison d’être jaloux, s’admonesta-t-il.
— Honnêtement, je n’ai pas vu grand-chose…
— Oh non, le voilà qui fait son mystérieux. Pitié !
Lyz cogna son pied contre le sien en protestation. Une question s’imposa soudain à Ismael, une perspective qui ne l’avait pas encore effleurée, aussi énorme fut-elle.
— Houlà, pourquoi cet air sérieux, tout d’un coup ? s’inquiéta son ami.
— Y en avait beaucoup ? Des loups-garous, je veux dire.
Le visage de Lysander se ferma. La question d’Ismael l’avait possiblement blessé, mais il se rendrait bien vite compte qu’il n’y avait pas de quoi. C’était une interrogation légitime. Maintenant que Lyz y était allé, tout devenait plus… concret. D’abord cette Lara, bon. Maintenant ce Deneric.
Il y avait déjà trois loups-garous dans l’existence d’Ismael, alors qu’ils n’y existaient pas deux ans plus tôt.
— J’en ai vu une petite dizaine, finit par répondre Lysander, les yeux dans le vide. Je pense en avoir senti davantage.
Il se tourna vers Ismael, dont le cœur battait plus fort.
— Est-ce que ça t’inquiète ? souffla Lyz. Est-ce que tu veux que je prenne mes distances avec toi ?
— Quoi ? s’exclama Ismael, pris de court. Mais non, pas du tout ! Pourquoi tu penses ça ?
« Peut-être à cause de ta question, sombre crétin. »
Il passa le pouce sous les bracelets de son bras gauche, frottant la peau dessous qui paraissait le piquer. Lysander eut l’air désarçonné.
— Je ne sais pas, avoua-t-il. Je me suis dis que c’était peut-être la chose à faire. Ce ne serait pas ton genre d’oser demander, ajouta-t-il avec un sourire. Tu es trop gentil pour ça. Je veux seulement être sûr de ne pas te blesser ou t’imposer des choses dont tu ne veux pas.
Ismael secoua la tête, à court de mots et de syntaxes pour exprimer ce qu’il ressentait. À la place, il se rabattit sur l’humour.
— Sortons les violons et tombons-nous dans les bras pour pleurer devant la beauté de nos âmes !
C’était nul, mais ils en rirent. Même l’expression de Lyz se fit plus ouverte et détendue après ça, c’était comme s’ils venaient de se délester d’un poids et l’atmosphère entre eux s’en ressentait.
— T’es coincé avec moi aussi longtemps que tu le voudras, tint tout de même à dire Ismael.
Lyz sourit.
— Et donc, on en parle de ce camp ?
Pendant plusieurs minutes, il laissa Lyz décrire ce camp improbable caché dans New Forest. Ismael peina à se visualiser une véritable yourte dominant une multitude de cabanes, les cendres de feux encore chaudes et les tables à tréteaux. Néanmoins, Lysander savait rendre son récit plus immersif. Pour lui, les sons et les odeurs tenaient la même place que les images.
— Tu veux un aspirine ?
Lyz s’interrompit, surpris, et Ismael fit une moue d’excuse en précisant :
— T’arrêtes pas de te masser la tempe.
Immédiatement, la main de Lyz revint sur son genou.
— C’est rien, ne t’en fais pas. De toute façon je vais peut-être y aller, ta mère arrive.
Il se leva en disant ça et, une seconde après, le grattement de la clef dans la serrure se fit entendre.
Je trouve très bien d'avoir le ressenti de Lyz après la rencontre avec les autres lycans. On sent que son loup est encore agité, mais avec le trajet et la présence d'Ismael, il peut déjà prendre du recul et y voir un peu plus clair.
Et quelle belle amitié ! Que tu décris magnifiquement bien !
Merci pour tous ces bons moments de lecture : )
Et merci aussi pour les petites coquilles que j'adore traquer ; )
- « Quand son ami le rejoignit sur le canapé, il semblé avoir réintégré l’instant présent. » -> semblait (oh le méchant verbe pas conjugué !!)
- « Il porta la tassa à ses lèvres. » -> la tasse
- « Ça fait presque du bien de le dire à voix-haute, avoua Lyz. » -> à voix haute
- « Une question s’imposa soudain à Ismael, une perspective qui ne l’avait pas encore effleurée… » -> effleuré
- « Tu veux un aspirine ? » -> une aspirine
Je ne me serais pas retiré le plaisir de décrire son ressenti après cette rencontre (j'aurais bien galéré à écrire cette scène, d'ailleurs)
À bientôt et bon courage pour l'écriture de la suite.
Merci beaucoup, Draiko <3 Je suis très motivée dans ma relecture avec tous vos commentaires !
Oui, je me suis engagée à lire une fiction PA tous les après-midis, d'où ma rapidité ;)
Curieuse de savoir comment cela va se passer pour Lysander!
Les chapitres sont toujours bien écrits, on ressent bien les émotions des différents protagonistes. Mes encouragements pour la suite!
A+
Han flûte, c'est déjà le dernier chapitre ;_; J'avoue que j'ai vraiment dévoré, et que j'ai lu vite !
C'est fluide, agréable, ça coule tout seul comme le sirop d'érable sur le pancake !
Moi j'attends la suite, du coup :D
Tu as effectivement lu extrêmement vite et je t'en remercie beaucoup ! C'était très flatteur et... bref, merci ! Les commentaires, ça file la pêche pour rendre son texte encore plus meilleur !
Je posterai bientôt la suite alors :)
Trop trop choupi l'inquiétude d'Isamel au début <3 Tu l'as bien décrite ! (jai juste pas compris pourquoi il allait souvent aux toilettes et pourquoi il arrête de regarder son crush à un moment)
Pour la discussion avec Lyz, je l'ai trouvée moins naturelle que d'autres fois, un peu trop de confrontation peut-être ? Ou alors un peu éparpillée, je sais pas
Ismael m'a semblé un peu trop perspicace aussi haha, dans ses pensées je veux dire : il se met hyper bien à la place de Lyz, ça fait même complètement écho à ce qu'on apprend dans le chapitre précédent, je ne me rappelle plus s'il était aussi compréhensif avant mais là ça m'a marquée en tout cas.. Peut-être qu'il devrait au moins vérifier ses suppositions auprès de Lyz nan ?
J'aime bien la jalousie naissante d'Isamel et le fait quils se rassurent mutuellement sur leur amitié (même si par contre j'ai pas compris le moment précis où Ismael est rassuré, y a une histoire de sourire mais c'était pas très clair j'ai trouvé)
Et la fin sur la migraine qui rappelle un peu la réalité et le fait que Lyz garde encore beaucoup pour lui, cest très bien comme conclusion
Super chapitre, hâte d'avoir la suite !
Qu'ils se confrontent, ça ne me gêne pas. C'est même ce vers quoi on va. Mais ça doit tout de même rester clair et naturel (j'ai peut-être perdu ce naturel au bout de la 4éme réécriture de cette discussion XD)
Pour le début : le thé fait pisser "xD Et quand on sous-entend qu'il est malade il est gêné et ose plus regarder Alejo.
C'était de l'humour raté XD Faut bien que ça arrive
<3 A vite, Hinata !