DEUXIÈME PARTIE
Lunatique
We are the reckless,
We are the wild youth
Youth – Daughter
Février 2014
L'homme répondait au nom de Deneric, et c'est tout ce que Lysander put retenir de concret dans les minutes qui suivirent.
En quelques ordres brefs, Deneric congédia Lara et dispersa sa communauté comme une nuée de corbeaux. On se précipita vers les feux, on retourna dans sa cabane et on lança à Lysander des coups d'œil empreints d'animosité.
Pétrifié, Lysander observa Deneric revenir vers lui, agiter les lèvres comme il lui disait quelque chose et tourner les talons. L'invitait-il à le suivre ? Sous ses battements de cœur désordonnés, Lysander essayait de contenir l'autre, dont les exclamations ravies l'horrifiaient. Deneric était l'homme qui l'avait mordu et cette information, plus que cette communauté vêtue de noir et de gris, ne passait pas.
Lysander le suivit jusqu'à l'une des plus grandes cabanes et, quand il eut passé le seuil, quelqu’un en claqua le battant.
— Approche, je vais pas te manger.
Sa propre réplique rendit Deneric brièvement hilare et Lysander suivit son rire jusqu'à la première des deux pièces exiguës. C'était un salon, ou ça se targuait d'y ressembler. Une table basse branlante avait été coincée dans un angle et un unique fauteuil faisait face à un tapis élimé ponctué de trois coussins de sol. Une lampe-tempête accrochée au mur et un antique poêle à bois complétaient la liste restreinte des meubles et accessoires. Une assez large fenêtre – en comparaison de la taille du lieu – permettait au soleil froid de tomber sur la scène. Sa lumière blanchâtre mettait en relief la poussière tourbillonnante et l'usure des tissus. Elle découpait aussi des ombres géométriques sur Deneric, parant sa pomme d'Adam d'un triangle sombre et fonçant le creux de sa lèvre supérieure.
Les jambes lourdes, Lysander se traîna jusqu'à un coussin et s'y effondra. La peur lui martelait les tempes quand lui frémissait de contentement. Deneric hocha la tête, satisfait, et une vague de soulagement déferla en Lysander, le glaçant d'effroi.
Du soulagement ?
Comment pouvait-il ressentir autre chose que de la rage et du dégoût face à cet individu ? Comment pouvait-il agréer à ses émotions en faisant fi des siennes ? Le pouvoir évident qui émanait de Deneric le fit trembler. Il enfonça les ongles dans ses paumes et s'efforça de respirer à petites bouffées l'air soudain poisseux. C'était à peine s'il humait encore les relents de charbon et d'alcool du lieu.
— Tu te jettes pas sur moi, ricana le chef dans son fauteuil, dévoilant des dents pointues. C'est un bon début.
Sa phrase déclencha un sursaut de fureur chez Lysander.
— Y a rien de « bon » là-dedans ! Vous l'obligez à être heureux de vous voir ! J'ai à peine mon mot à dire !
C'était la seule possibilité : l'extase de son hôte devait le contaminer. L'empêcher de céder à la rage mêlée de terreur qui l'avait saisi quelques minutes plus tôt.
— Mais je suis sincèrement très heureux de le voir. Ainsi que toi, n'en doute pas.
Lysander voulut répliquer, se lever et le frapper pour tout ce qu'il lui avait fait, mais son alter-ego le retint à coups de griffes qui lui vrillèrent le crâne. Prostré au sol, les mains sur la tête, Lysander tâcha de le faire taire et de ravaler la boule acide coincée dans sa gorge. Pourquoi était-il là ? Lara savait-elle qui il trouverait ? Si oui, pourquoi ne pas lui avoir dit ?
— Je vous hais tellement, geignit-il.
— J'en suis désolé.
Lysander aventura un œil hors de l'étau de ses bras et jaugea cet homme à la voix grave et posée. Deneric l'observait de son siège sans bouger, tel un roi impitoyable essayant de jouer la carte de la clémence. Il sentait les bois et le vieux cuir, la terre et la fumée. Lysander aurait même dit, aussi bizarre que cela parut, qu’il sentait la force et l’autorité.
— Je n'ai aucun contrôle sur lui, ajouta Deneric, contrairement à ce que tu crois. Il ne t'a peut-être juste pas habitué aux débordements émotionnels...
Sa phrase resta en suspens, entre l'affirmation et la question. Lysander aurait pu lui cracher qu'il l'avait habitué à tout, qu'il avait travaillé à vivre en osmose avec lui et ses humeurs. Il avait sur la langue l'envie de le remettre à sa place et de lui asséner qu'il ne savait rien de ce qui se passait dans son esprit sauf que, bien sûr, il savait. Cette conclusion le troubla. N'importe qui, dans ce camp improbable au milieu de New Forest, savait ce qu'il vivait.
Il n'empêche qu'il ne se dévoilerai pas à l'individu qui avait ruiné sa vie.
— J'ai demandé à Lara de t'amener parce que je voulais te revoir, reprit Deneric. Mais aussi parce que je voulais que tu saches que nous étions là. Que t'étais pas seul comme t'avais l'air de le croire : t'as ta place parmi nous. Ton retour à Lymington était un coup de chance que je voulais saisir. Un coup de chance pour toi, j'entends.
Lysander avait suivi Lara en effet, incertain d'agir au mieux, mais poussé par l'envie de rencontrer d'autres lycans. Le besoin, même. Allait-il autoriser la présence de Deneric à tout gâcher ?
— J'étais pourtant sacrément seul jusque là, cingla-t-il.
Les mains de Deneric se serrèrent dans un spasme mais son expression patiente encouragea Lysander à demander :
— Était-ce volontaire ? Ma morsure, cette nuit-là, c'était calculé ?
— Non, répondit Deneric, et le jeune homme le devina sincère. Tu t'es peut-être toujours transformé seul (Lysander acquiesça) mais face à un humain... Nous éprouvons un besoin de répandre la malédiction, d'agrandir la Meute. Je suis navré que tu te sois retrouvé sur ma route, ce soir-là. J'avais échappé à toute surveillance et... Excuse-moi.
Lysander s'adonna à ses exercices respiratoires pour se calmer, il se redressa et se tourna vers lui. Il écouta son bonheur, chercha à comprendre les raisons d'une telle euphorie. Il comprit ce qui apparut comme une évidence : après douze ans de solitude avec Lysander, il retrouvait un père et un chef.
« D'accord, je vois. Vu sous cet angle, tu as de quoi être content. Je ne bouge pas, okay ? Je reste là, alors baisse d'un ton, s'il te plaît. »
Il obtempéra, soudain doux comme un agneau, et Lysander sourit.
— Tu vois ? C'est entre vous deux seulement.
Le timbre de Deneric le ramena à sa colère première, qui n'était plus parasitée par les sentiments de l'autre. L'expression de Lysander se fit glaciale quand il leva les yeux vers son chef.
— Et maintenant ? s'enquit-il avec une froide politesse.
Alors comme ça, il n'y a pas de complot avec la grand-mère ?? Zut alors, elle était vraiment foireuse, ma théorie... Est-ce qu'il se trouvait vraiment juste au mauvais endroit au mauvais moment ? Parce que ça rend tout le truc encore plus triste du coup. Mais je ne sais pas si je suis entièrement convaincue de cet "accident"... Je trouve que Deneric n'est pas clair, et en plus il a un humour vraiment douteux.
Encore une fois, ta description du combat intérieur entre Lyz et son loup est très belle, et ici c'est un sacré combat, entre rage violente et joie débordante ! J'aime beaucoup le fait que Lyz veuille à tout prix garder son humanité et aussi son sens critique. Il reste, mais de son propre choix et avec ses conditions.
Ce début de deuxième partie est très prometteur !! Je vais continuer à t'assommer de commentaires ; )
Et de coquilles...
- « Pétrifié, Lysander observa Deneric revenir vers lui, agiter les lèvres comme il lui disait quelque chose et tourner les talons. » -> comme s’il lui disait (ou est-ce qu’il dit quelque chose, mais que Lyz n’entend pas ? Je ne suis pas sûre de ce que tu veux dire, ici)
- « Il n'empêche qu'il ne se dévoilerai pas à l'individu qui avait ruiné sa vie. » -> dévoilerait
Oui, je suis d'accord, il a un humour tout pourri xD (mais ne jugeons pas un homme à son sens de l'humour)
Lyz et l'Autre ont une relation électrique, mais une relation cependant. Lyz a quand même ses convictions et puis, mince, c'est quand même lui aux commandes les trois-quart du temps ! Faut bien que ça serve à quelque chose !
Dieu que le déteste ce type... J'ai un petit peu l'envie de le cogner >< (même s'il apparaît comme plus ou moins "innocent" dans l'incident qui a transformé Lysander.
Je trouve que le changement de partie est bien pensé et bien entamé ! On sent qu'on arrive dans le moment de bascule et je suis toujours aussi à fond ! Je vois toutes les possibilités que ton intrigue offre et j'ai hâte de voir les choix que tu vas faire.
Lyz s'est fait mordre dans une autre ville (il habitait à la campagne avec ses parents). Le fait qu'il soit à Lymington c'est un hasard (bon, sa grand-mère paternelle y habitait et leur a légué la maison ; ce genre de hasard)
Donc ton cerveau n'a pas viré d'info, c'est à mon niveau que ça coince
Merci pour la remarque sur la fin de partie ! C'est effectivement une bascule, les parties c'est pratique pour montrer ça.
Mais oui il est plutôt innocent dans l'incident. Bon, c'était ses dents, mais pas le même gus aux commandes.
<3
J'ai du mal à prendre le temps de lire en ce moment mais avec ton histoire ça passe tout seul ^^
J'ai beaucoup aimé le tout début et la description du "salon", c'est à la fois précis et fluide et j'aime bien l'ambiance que tu dépeins
J'ai trouvé un peu confus le passage suivant : on comprend que Lyz est pris de sentiments contradictoires, mais j'ai eu l'impression de louper un truc, il faudrait peut-être expliciter pourquoi il me déteste (même si ça semble évident, mais vu que c'est de Lyz qu'on parle et non pas de "lui", je trouve que ce sentiment ne va pas forcément de soi... Et peut-être accentuer l'attrait de "lui" pour son créateur... En tout cas c'était bien, j'aime bien la relation interne de ce chapitre et puis la confrontation avec Deneric
Je crois que le passage que je préfère c'est quand il raconte vite fait les circonstances de la morsure de Lyz, et qu'il s'excuse. Je pense que c'est un grand pas en avant mine de rien pour tous les deux...
Allez je vais lire la suite hihi
Je compatis, j'ai moi-même du mal à lire en ce moment. Je passe par mon téléphone, ça aide (mais après faut penser à revenir ici pour les commentaires ; tellement d'organisation !)
Si j'ai bien compris : expliciter pourquoi Lyz déteste Deneric et éclaircir, à l'inverse, l'affection que lui porte l'Autre ?
Pour Lyz, en tout cas, c'est effectivement un grand bonds !