1. Le solstice d'hiver

Ce qui est ennuyeux lorsque l'on écrit un journal, c’est que l'on ne sait pas par quoi commencer. On aimerait absolument tout raconter, dans les moindres détails. Transmettre nos émotions nos frissons, nos impressions, pour mieux permettre aux lecteurs de vivre nos aventures passées.

Mais que doit-on faire pour raconter ce que l'on veut oublier ? Les choses qui nous hantent, qui s'incrustent dans nos têtes, dans les tréfonds de nos pensées. Les choses qui nous ont traumatisées ?

De toute manière, je serai obligée de tout raconter. Qui pourra prendre la relève sinon ? Je ne serai pas en mesure de faire ça éternellement. Je ne suis pas éternelle. Bientôt je ne tiendrais plus. C'est trop dur !

D'habitude, le jour du solstice d'hiver, tout le monde se rassemble sur le Westminster bridge et savoure, à 15H 45 et 54sec. Pile un délicieux spectacle : Toutes les étoiles se relient entre elles, comme si le monde était fictif, et forment une constellation géante. Une lumière rare illumine la ville et repousse...ce qui doit être repoussé. Un chiffre apparaît alors sur le cadre du Big Ben. Tout le monde voyait ça comme un jeu les premières années. Plus tard, plusieurs pensèrent qu'il s'agissait d'un code. Mais cette fois, fut différente, et fit réaliser à tout le monde avec horreur qu'ils se trompaient...

21/12/2499

Les nuages commençaient à se déplacer dans le ciel pour laisser la place aux étoiles lorsque je sortis de chez moi. L'air était frais, comme à son habitude, et les rues éclairées par des lampadaires commençaient à se remplir de monde, qui se dirigeait, naïvement, vers la même direction : le Westminster Bridge. Mais moi, connaissant la ville par cœur depuis que j'étais sortie pour la première fois, je me rabattis sur le côté et rentrai dans le monument du Big Ben par le trou créé par moi et Tobias il y a plusieurs années.

Je grimpais sur mon échelle en bois sur une dizaine de mètres. M'arrêtant quelques secondes sur une plateforme en pierre chancelante, puis repartis vers le haut, toujours avec ma lampe torche à la main. Je rejoignis Tobias en un rien de temps, qui avait l'air d'être là depuis un bon bout de temps. Il était en train de regarder par une des petites fenêtres présentes sur le cadre, un livre de maths sur les genoux.

- Alors, c'est amusant de compter les oiseaux ?

Il tourna la tête vers moi, et, pendant que je m'avançai vers lui, il griffonna quelque chose dans son carnet. Il m'invita à regarder par la même ouverture.

- C'est pas les oiseaux que je regarde, surtout qu'ils sont peu nombreux cette année. En réalité je prenais des notes sur mon carnet et j'ai vu que les leftmoons se rapprochaient de plus en plus à la vue du solstice.

Les Leftmoons étaient une des catégories des créatures nocturnes qui envahissaient Londres depuis que le soleil ne se levait plus. Elles étaient très discrètes et Tobias et moi étions les seuls à les voir depuis notre magnifique point de vue. On a dressé un portrait d'eux : Ce sont des panthères bleu foncé à taches blanches et noires. Leurs yeux sont semblables à ceux des chats, mais sont jaunes. Leur nom, les Leftmoons, signifie qu'ils apparaissent lors des lunes gibbeuses, des pleines lunes, et des gibbeuses bossues. Mais d'habitude, ils se tiennent loin du monde...Là, ils sont tous cachés derrière des immeubles en cercle parfait autour de la population.

- C'est bizarre, dit Tobias, d'habitude ils sont plutôt discrets et distants.

- J'espère que ça ne présage rien de mauvais, répondis-je.

Dehors, la population maintenant en masse commençait à s'impatienter. Les 15H43 sonnèrent. Les étoiles ne bougeaient pas. 15H44. Rien. Tout le monde commençait à s'inquiéter.

A 15h45, la constellation n'apparaissait toujours pas. Mais le chiffre, lui, apparût. Un zéro se projeta sur l'horloge du Big ben, à quelques mètres en dessous de nous.

Tobias baissa la tête, l'air déçu, comme s’il s'était attendu à ça. Alors je compris, tout le monde comprit. Les chiffres qui apparaissaient chaque année...ce n'était ni un code, ni un message, ni des chiffres au hasard.

C'était un décompte.

Deux ans plus tôt

12H30. Oui, j'étais déjà sur place. Bon c'était peut-être un peu tôt, je l'admets, mais voir l'eau s'écouler sous le Westminster Bridge était toujours mieux que de se tourner les pouces à lire un roman de fiction pendant des heures et des heures, enfin, je crois. Bref. Je m'appelle Helena, j'ai quatorze ans, et mon but dans la vie est d'apprendre un maximum de langues pour voyager à travers le monde.

Bel avenir n'est-ce pas ?

Eh bien non. Pas vraiment.

Admettons que je réalise mon rêve, qu'après six ans d'études acharnées sur les langues les plus parlées de ce monde je quitte mon domicile et que je parte n'importe où. Eh bien, je tiendrais à peine trois jours avant de me faire tuer. Pourquoi ? Parce que le monde d'aujourd'hui est chaotique. Déjà il fait tout le temps nuit (je ne sais pas où est passé le soleil désolée) les éclairs et les tempêtes sont imprévisibles et des créatures mortelles apparaissent un peu partout.

"Mais ma petite Helena, un aventurier qui se respecte doit braver ces dangers pour parvenir à ses fins !" serait le genre de discours qui m'aurait motivée. Mais ce qu'on m'a sorti résulte plus du "Mais oui ! Et n'oublie pas ta lampe torche. Aussi, quand tu croiseras Batman demande-lui un autographe !" Très motivant comme discours. Donc je me suis mise à arrêter de rêver, mais explorer la ville dans ses moindres recoins pour passer le temps (Cela sert à quoi ? A rien. Mais si vous voulez un GPS niveau pro, je suis là).

Dans les livres, il y a toujours un élément perturbateur. Celui-ci résulte d'un événement hors du commun qui tourne mal. Alors, le jour du solstice étant la seule chose bizarre qui se produit dans ma vie, me voilà devant le Westminster bridge en attendant ce dernier. Oh ce n'est pas la première fois que je viens au solstice ! Et il ne s'est jamais rien passé...

À peu près trois heures plus tard, lorsque à peu près la totalité de la population m'a rejointe sur le pont, le solstice put enfin commencer : La lumière blanche des étoiles transperça les nuages et inonda de lumière la ville. Des traits de lumière rejoignirent bientôt les étoiles, formant une constellation géante. Je glissai ma main dans ma poche, sortit mon appareil photo et attendis le moment propice pour immortaliser le moment. La constellation d'étoiles s'illumina encore plus, puis, un chiffre s'illumina sur le Big Ben : 2. Il faut savoir que chaque année, un chiffre différent apparaît sur l'horloge au moment du solstice d'hiver. Les scientifiques tâchent encore aujourd'hui de les déchiffrer et plusieurs hypothèses en sortent : Ce serait un code, une date, un message... Mais pour l'instant le tout est vague. Le chiffre disparut en même temps que la constellation et l'obscurité gagna de nouveau Londres qui restait, malgré elle, plongée dans la nuit.