Si seulement quelqu’un pouvait rattraper mon erreur…
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Deux ans plus tard.
Depuis le massacre qui eut lieu sur le Westminster Bridge il y a maintenant exactement deux ans, où à midi pile des créatures jusqu’ici inconnues ont attaqué la moitié des habitants de Londres, cette merveilleuse capitale autrefois touristique et lumineuse s’est transformée en peu de temps en ville fantôme où les habitants restés malgré tout nombreux n’osent plus sortir, sous peine de se faire tuer par une des nombreuses créatures lunaires qui peuplent la ville. De plus l’obscurité due à l’absence du soleil ne fait qu’aggraver le mental fragile des habitants, ainsi que le marécage impénétrable qui isole Londres du reste du monde. La société ne s’est pourtant pas abattue, et aujourd’hui les ministres ont pris en main la situation à l’aide d’armes qui pourraient mettre fin au règne des créatures sur la ville. Cette arme n’est autre que la lumière électrique, point faible des créatures. Grâce à cette découverte, les établissements scolaires ont pu rouvrir, ainsi que les magasins et les bureaux. Les déplacements clandestins sont malgré tout fortement déconseillés. Aussi, bien que personne ne sache qui sont vraiment ces créatures et d’où elles viennent, ainsi que ce qui a provoqué un tel désastre à Londres, une fondation militaire et scientifique nommée le Juste Traitement tâche de trouver un moyen de neutraliser les créatures lunaires au plus vite.
La nuit éternelle est là depuis toujours, et nos ancêtres ont su s’adapter, mais que faire avec des créatures funestes qui brûlent tout sur leur passage ?
Je détachai mon regard du journal, pour mieux contempler la ville. J’étais assise à l’intérieur de l’horloge du Big Ben, meilleur point de vue, me concernant, pour l’admirer : Au centre, des immeubles, des quartiers pavillonnaires, quelques étendues vertes ; les parcs, et quelques gratte-ciels. Une grande roue métallique usée par le temps trônait dans ce paysage ainsi qu’un château malgré tout entretenu. Et autour, aucune route. Non. Aucune connexion entre Londres et une autre ville. Non. Pas de route. Londres est encerclée par le Marécage. C’est une forêt qui s’étend sur une centaine de kilomètres autour de la ville, si elle ne recouvre pas le pays tout entier. Les créatures lunaires viennent de là, alors inutile de préciser pourquoi personne n’essaye de le traverser…Et, naturellement, personne n’a eu des nouvelles des quelques courageux qui ont osé s’y aventurer. Le terrain du Marécage est totalement impraticable. Le sol est tellement marécageux, boueux, et la forêt est tellement dense qu’elle recouvre le ciel, si bien que là-bas même la lune n’éclaire rien, et que l’on peut s’enliser les pieds facilement et rester là sans voir le temps qui passe, en finissant comme engrais pour plantes ou repas du soir si l’on croise une créature lunaire. -Comment je sais ça ? Si je vous le disais vous me prendriez pour une folle…-
Le vent qui s’engouffrait à l’intérieur de la tour puis en ressortait violement fouettait mes cheveux noirs ondulés qui tombaient sur mes épaules. Mes yeux vert émeraude avaient de plus en plus de mal à se concentrer sur le paysage par la même action du vent. J’avais comme tous les habitants de Londres une peau extrêmement pâle -carence de soleil -. Bref, ne posez pas la question, je suis humaine. Je m’appelle Helena et j’ai quatorze ans. Et suis une des seuls qui ne se fondent pas dans la masse indistincte des millions de personnes qui restent chez eux, transits de peur. Oui, je sors de chez moi, et j’aime me promener dans les rues sombres dangereuses et étroites de la ville. S’il ne m’est jamais rien arrivé, c’est parce que j’ai eu de la chance. Je ne suis pas si différente des autres, les créatures lunaires hantent mes cauchemars les plus profonds, mais je reste indépendante et libre. Je connais chaque recoin de cette ville. J’ai su m’adapter, me montrer discrète, éviter les rencontres avec les créatures lunaires.
Et je suis encore en vie.
Je posai mon journal sur le sol, quitta ma place favorite près des fenêtres de la tour et me rapprochai du centre pour descendre les escaliers en métal noir étroits. Je suis de nature plutôt rebelle, et personne (personne = le JT) n’aime ça. Je sais que je suis traquée, alors je les aime réciproquement. Mais bon, j’ai quand même du respect pour la fondation qui nous garde en sécurité, qui nous fournit de quoi vivre et qui fait tout pour nous protéger. Les escaliers de la tour du Big Ben sont rouillés et instables, alors c’est avec la plus grande précaution que je pris appui sur la première marche. Je suis souvent perdue dans mes pensées, alors tomber d’une tour me fait plutôt peur. La marche grinça sous le poids de mon pied. Je grimaçai un peu. Je n’étais plus sûre qu’elle pourrait tenir très longtemps. Après un temps d’hésitation, j’osai poser mon deuxième pied sur la même marche. Il me sembla entendre un craquement alors je changeai aussitôt de marche. Bon choix, puisqu’elle se brisa en deux quelques instants après que j’ai changé de marche. Le métal était vraiment rouillé, sur les marches comme sur la rambarde alors j’hésitai à me tenir. Je pris bientôt de l’assurance à chaque marche descendue et je finis vite l’escalier, que je laissai derrière moi, alors que j’étais déjà sortie de la tour. L’isolement d’une tour fit vite place à une place bondée de monde. Cela me surprit au début, jusqu’à ce que je me rappelle que l’on était le seul jour de l’année où les gens sortaient : Le solstice d’hiver.
Une masse de personnes se bousculaient pour mieux voir ce qui allait s’afficher bientôt. Tous se poussaient, tâchant de se rapprocher du Westminster Bridge et admirer le spectacle. Je restai en retrait, à quelques mètres de la tour. S’ils avaient bien vu une jeune fille sortir de cette tour, à croire qu’ils s’en contrefichent. Ils continuaient à s’injurier mutuellement. Un sourire discret se dessina sur mon visage. Ce n’est pas un peu ironique que des habitants sortant une fois par mois de chez eux fassent comme s’ils étaient les patrons de la ville ? J’entendis une femme vêtue d’une robe ne datant pas de la dernière mode hurler contre un adolescent de l’avoir poussée légèrement pour rejoindre le bord du pont. Elle jura de « se plaindre à la police dans les plus brefs délais ». Haha ! Comme si elle oserait faire le déplacement…Je pouffai de rire, et la dame le remarqua. Elle me toisa d’un regard noir avant de se retourner brusquement vers le pont pour admirer l’horloge du Big Ben avec des yeux ébahis. Le solstice d’hiver venait de commencer. Tous les nuages qui peuplaient le ciel se dissipèrent ou s’écartèrent pour faire apparaître la lune, qui brillait plus que jamais. Je tournai ma tête subversivement et entraperçus une créature lunaire changer brutalement d’attitude, puis se réfugier dans un escalier d’une station de métro. Pourquoi ? A-t-elle peur de quelque chose ? Je décidai de ne pas me laisser distraire par une créature et de m’avancer le plus près possible du rebord du pont pour voir la suite. Les gens poussaient des râles lorsque je leur passai devant. Je me retrouvai accoudée au rebord quelques instants plus tard et je pus voir le meilleur. Quelque chose explosa au loin, projetant de la lumière dans tout Londres comme s’il faisait jour. On aurait dit des poussières d’étoiles, des feux d’artifice…Les enfants autour de moi étaient ébahis. Un débris de l’explosion heurta l’endroit où la créature était quelques minutes plus tôt. Je n’y fis pas attention. La plupart des gens présents applaudirent, comme si c’était un vulgaire spectacle d’une troupe de cirque. Je levai les yeux au ciel. Fouillant dans ma poche, je sortis un petit carnet noir en cuir et un stylo, puis me préparai à écrire. Un chiffre énorme apparut soudain à la place de l’horloge du Big Ben. « 6 ». Je pris soin de le noter sur mon carnet.
Soudain, quelqu’un hurla. Je me retournai vivement, et vis qu’une créature lunaire courrait vers nous. Je la trouvai anormalement petite. Après l’avoir examinée, je remarquai qu’elle avait reçu un débris de l’explosion et qu’elle semblait plutôt contrariée. Concentrée sur elle, je ne fis pas attention et un homme en costume noir me buscula violement, manquant de me faire passer par-dessus le pont. Il fit à peine attention à moi et repartit en courant, sur la trace d’un adolescent qui semblait vouloir lui échapper.
- Je vais bien, sinon ! m’exclamai-je. Mais l’homme et l’adolescent étaient déjà parti.
Je rangeai mon carnet et mon stylo dans ma poche, bouscula de nouveau à peu près toute la foule, et regagna ma tour. Arrivée au niveau des escaliers, j’hésitai avant de remonter. Il ne serait pas plus prudent d’avoir un minimum de matériel de sécurité ? Tant pis. Je posai délicatement le pied sur la première marche, qui, à mon grand étonnement, ne grinça pas. Je montai vite les marches avant de m’arrêter au milieu de la tour. Là, plusieurs rangées de marches étaient défoncées, des débris de métal avaient été projetés partout.
- Qu’est-ce que…dis-je à voix haute. Qu’est-ce qui a pu cause des dégâts pareils ?!
Je levai la tête vers le haut et entendit des martèlements provenant du haut de la tour. Paniquée, je redescendis vivement les escaliers, poussai la porte en métal à demi effondrée et en sortis. Le solstice d’hiver était fini. La preuve : Tout le monde s’était barré. Je marchai lentement jusqu’au pont et me penchai à la rambarde pour regarder la Tamise. Ça y est…Londres est redevenue comme avant. Plus personne dans les rues. La seule compagnie que l’on peut trouver celle des créatures qui ne pensent qu’à te carboniser. Dans cette ville règne et règnera la solitude, la peur, l’anxiété et le mal-être. Je ne sais pas pourquoi je m’acharne à faire comme s’il y avait un quelconque espoir que cette ère d’oppression finisse un jour. Je regardai un peu autour de moi. Tout ce que je voyais était désolant. La ville était morte. Condamnée et restait malgré elle plongée dans la nuit.
Ce qu’il reste à faire ? Trouver un moyen pour survivre.