Il ne parle pas. Elle non plus. Mais leurs silences, eux, s’expriment.
Il est des jours dans une vie qui ne s'oublient pas. Celui-ci en est un. Tout commence à la fin d'un cours. La salle de classe est presque vide. Seuls deux retardataires, assis sur leurs chaises, sont encore présents. L’ambiance est calme, suspendue dans le temps. Quelques bruits de pas dans les couloirs viennent résonner dans le vide de la pièce. Ahmad, depuis son bureau, observe discrètement Layla, perdue dans ses pensées. La classe est ancienne, les murs ont été jaunis par le passage du temps. Les rayons du soleil, visibles à travers les fines pellicules de poussière flottant dans l’air, viennent frapper le vieux tableau noir. Les rideaux usés des fenêtres dansent au gré du vent. Layla porte, comme à son habitude, une abaya sobre assortie à son voile noir. Elle se laisse emporter par les profondeurs de ses réflexions.
Elle ne semble pas consciente de la présence d’Ahmad. Ses yeux noirs en forme d'amande contemplent les quelques nuages s'étirant dans le ciel bleu. Ses doigts jouent gracieusement avec son hijab, l'enroulant à son index, un geste effectué inconsciemment. Il se dégage d'elle une sensation de vulnérabilité, comme un poids presque visible sur ses épaules. Ahmad l'épie, sans mauvaise intention. Mais quelque chose, imperceptible pour tous, sauf pour lui, indique que la jeune fille est lasse, déprimée. Son expression et sa posture la trahissent. Elle place constamment un mystérieux voile protecteur entre elle et le reste du monde. Sa réserve naturelle lui apporte cet air solitaire, mais aujourd'hui elle semble trop distante, trop soucieuse. Elle est comme l'écho d'un silence...
Pourquoi ce malaise ? Cette inquiétude ? Ahmad ne connaît que trop bien cette atmosphère lourde et pesante. Ce genre de silence ne présage rien de bon. Du fait de ce mauvais pressentiment, son instinct lui dicte d'intervenir. Il se lève, mains tremblantes, son cœur se serre, mais ses pieds l'entraînent malgré lui. Il n'a rien préparé, rien anticipé de ce qu'il va dire. Sa bouche s’ouvre et sa langue se délie. "Hé !" dit-il, sur un ton plus grave qu'il ne l'aurait souhaité. Sa voix fait légèrement sursauter Layla. "Ne fais rien que tu pourrais regretter." Ahmad la fixe d'un regard appuyé, malgré son caractère habituellement docile. Il ne peut pas se débarrasser de cette angoisse, de cette chose imperceptible mais tenace. Il ne sait pas ce qu'elle pense, ce qu'elle a en tête. "Si tu... Si tu penses à te faire du mal..." Il s'arrête net, par peur que le fait de placer des mots sur ce qu'il redoute puisse le rendre réel.
Comme tirée d'un rêve, elle se tourne brusquement vers Ahmad, son voile suivant le mouvement de son visage. Les yeux grands ouverts, son corps crispé, ses mains s’agrippent à son vêtement, comme si elles cherchaient un ancrage. Et c’est avec des pupilles dilatées qu’une lueur de peur, brève mais intense, traverse son regard. Les deux jeunes se fixent dans un silence lourd. Layla, tremblante, se mord la lèvre inférieure, signe de son incertitude dans sa réponse. "Je... Je ne compte rien faire de stupide," dit-elle d'une voix douce mais fragile. "Je... Je pensais juste..." Ahmad scrute son regard, cherchant à y déceler la vérité. Il ne veut pas provoquer un malaise ou un malentendu, mais il ne peut pas non plus ignorer l’angoisse au fond de lui. "C'est vrai ?" reprend-il d’un ton plus bas, plus sincère. Layla tient fermement son regard. Elle relève légèrement le menton, comme pour renforcer la détermination de ses futurs propos. "Oui, c'est vrai. Pourquoi je mentirais ? Je n'ai pas l'intention de me faire du mal, si c'est ce que tu insinues..." Ahmad soupire, soulagé, et se détend un peu. "Autant pour moi..." dit-il, s’excusant à moitié. "Je me suis fait des idées." Il tourne les talons, prêt à partir. Il n'a plus de raison de rester. Une partie de lui regrette même son geste un peu irréfléchi. Il fait un signe de la main en guise d’adieu, bien qu’un léger doute persiste encore en lui, avant de disparaître dans le couloir.
Layla esquisse un sourire timide mais plein de soulagement. Elle le salue aussi, ondulant ses doigts. "Oui, heureusement..." murmure-t-elle, replongeant aussitôt dans ses pensées. Ses yeux retournent vers la fenêtre, comme un échappatoire, vers le ciel et sa douce étreinte. Elle repense à la scène, surprise d'elle-même, surprise d'avoir donné l'impression d'être si proche d'un gouffre. Elle prend une grande respiration, mais un sourire triste se dessine sur un coin de ses lèvres. A-t-elle réussi à convaincre Ahmad... ou elle-même ? Le temps n'est plus à la méditation, se dit-elle, avant de ranger ses affaires. Elle enfile son sac à dos puis se dirige vers la sortie, sous le bruit résonnant de ses pas dans la classe. Elle franchit le seuil de la porte puis s'arrête.
Ahmad est toujours là, adossé contre le mur à côté de la porte, bras croisés. Il attend, non pas en vertu d'un règlement ou quoi que ce soit d'autre, mais pour s'assurer que Layla ne fasse rien d'insensé. C'est plus fort que lui, cette volonté de veiller sur elle, de veiller sur une âme en détresse. Remarquant la surprise de Layla, il se justifie. "On... on m'a chargé de fermer la classe, donc... j'attendais que tu sortes," dit-il, se frottant la nuque d'un geste nerveux, le regard détourné. Layla, hésitante et intriguée au premier abord, décide finalement de lui accorder le bénéfice du doute. Après un court silence, elle lui lance un sourire poli. "Je vois... Désolée de t'avoir fait attendre. J'espère que je n'ai pas été trop longue." Elle réajuste pudiquement son abaya, quelque peu gênée de leur proximité physique, et constate que le couloir est désert. "Je ferai bien d'y aller", dit-elle, une pointe de nervosité dans la voix. "Merci." Sans attendre, elle engage son pas dans une démarche gracieuse, tout en resserrant son hijab machinalement. Ahmad attend qu'elle soit hors de vue pour partir à son tour, ne voulant pas que Layla sache qu'il ment, qu'il n'a jamais eu les clés.
Dehors, Layla s'arrête un moment dans la cour. Elle se couvre les yeux de sa main pour se protéger des rayons éclatants du soleil. Contraste entre l'intérieur et l'extérieur, entre l'avant et l'après... l'après interaction. Elle tourne la tête vers les fenêtres de sa classe. Un sourire, furtif, sur ses lèvres est présent. Elle savoure quelques secondes cet instant, puis reprend sa marche, tranquillement, en direction du parc voisin, retrouver sa solitude parmi les fleurs et les arbres, mais surtout parmi ses silences.
Merci beaucoup pour ce retour chaleureux.
Je suis content que tu trouves ces deux jeunes attachants et que ce premier chapitre t’ait plu ;)
J’espère que la suite te plaira tout autant.
Merci pour ton passage, à très bientôt !
A mon tour de venir te lire. 😉 Et je suis contente d'être passée par ici !
La première chose qui m'a attirée vers ton histoire, c'est son titre. "Le Bruit du Silence" est aussi le nom d'une chanson de Mentissa, je ne sais pas si tu la connais ? Cette chanson m'est très personnelle, j'ai eu un vrai coup de cœur pour cette artiste à travers elle et je m'identifie à chaque parole. C'est pourquoi, je n'ai pas pu résister lorsque j'ai vu le titre de ton roman apparaître dans la liste des dernières histoires mises à jour et je dois dire que je ne suis pas déçue.
Ta plume poétique et emprunte de réalisme, est très agréable à lire. Je me suis immédiatement attachée à Layla et Ahmad. Tes descriptions sont précises tout en restant fluides, nous les visualisons parfaitement tous les deux dans ce tête à tête qui est le début de ce que j'espère, une relation lumineuse.
En tout cas, j'ai bien l'intention d'en découvrir plus sur les silences de Layla. 😊
Mes petites remarques :
- "C'est vrai ?" reprit-il d’un ton plus bas → concordance des temps, un vestige de la première version je pense. :)
- Il attend, non pas en vertu d'un règlement ou quoi que ce soit d'autre, mais pour s'assurer que Layla ne ferait rien d'insensé. → ne fera
- Je ne sais pas si le fait de ne pas mettre d'espaces est volontaire mais je trouve que le texte gagnerait à être plus aérien grâce à quelques sauts de lignes. Notamment, lorsque nous passons du point de vue d'Ahmad à celui de Layla, c'est assez perturbant car il n'y a aucun indice pour nous prévenir. Peut-être ajouter un petit symbole pour indiquer le changement de narrateur ?
Merci pour ce beau chapitre en tout cas et à bientôt pour la suite,
Em 🌸
Merci beaucoup pour ce retour complet, vraiment ça fait chaud au cœur. Il a tout, le fond, la forme, le ressenti et une belle découverte musicale. Que demande le peuple ? 😁
Du coup, je suis allé écouter "Le Bruit du Silence" de Mentissa car je ne connaissais pas. Elle a une belle voix (ça se trouve partout), ajouté à de bonnes paroles (là, ça devient déjà plus rare), ajouté à ça un très bon "flow" (et là, faut creuser pour trouver semblable). Je comprends que tu aimes tant :)
L'instru (je suis allé l'écouter seul après) est excellente et colle bien avec la lecture de certains chapitres de mon histoire.
Je suis content que l'ambiance générale te plaise et que tu trouves déjà ces deux tourtereaux attachants.
Bien vu pour les fameux vestiges, ils sont passés au travers :/
reprend-il*
ne fasse* (tu m'as mis un doute entre "fasse" et "fera")
Pour finir, tu n'es pas la première à soulever ce point d'aération. C'était volontaire car sur PA, tout saut de ligne ajoute un alinéa à la phrase qui suit (considéré comme nouveau paragraphe). Mais tu m'as convaincu de rééditer (tous les chapitres pour le coup T_T) pour gagner du souffle lors de vos lectures.
Merci infiniment pour ton précieux passage ici, j'espère que la suite sera à la hauteur de tes attentes ;)
À très bientôt !
Cela me fait très plaisir que tu sois allé écouter "Le Bruit du Silence" tout de suite ! Et je suis d'autant plus ravie que la chanson t'ait plu. 🥰 Il est vrai que l'instru colle bien à l'ambiance de ton histoire !
Aha, désolée pour les paragraphes et bon courage pour la réédition. 🤣 Ceci dit, ce sera beaucoup plus lisible, surtout sur téléphone !
Et avec plaisir, je fais toujours des retours à la hauteur de la qualité du texte. 😉
A bientôt,
Em 🌸
Merci beaucoup pour ton retour, surtout quand je lis : "tout est silence et pourtant !"
C’est que j’ai réussi à te faire entendre le bruit du silence ;)
Merci encore, j’espère que tu seras toujours plongée dans l’atmosphère pour la suite.
À très bientôt, et bonne lecture à toi !
Franchement, en toute franchité, ce premier chapitre me donne envie de lire la suite, l'incipit notamment est très captivant. Bravo à toi Ardichi, t'as pas une plume d'argent mais une plume d'or!
A bientôt, signé MC.
Merci pour ton commentaire en toute franchité ;p
Tu n'es pas le premier à me faire un retour sur l'introduction, moi qui avais des doutes, tu viens d'en balayer les miettes, merci.
Et pour ma plume... C'est du plaqué or... Garde ça sous silence ;)
J'espère en tout cas que la suite te plaira, merci encore pour ton retour.
À très bientôt.
Un très beau premier chapitre, captivant et immersif, on est transposés dans cette salle de classe et on ressent l'atmosphère qui se dégage entre les deux protagonistes.
La première phrase est vraiment accrocheuse, on sait tout de suite dans quoi on va être embarqué !
Bravo !
Merci beaucoup pour ce retour.
Ça me fait très plaisir :)
C’est la deuxième fois qu’on me parle de cette phrase d’introduction, je suis content qu’elle accroche comme je l’espérais.
J’espère que la suite te plaira tout autant.
À très bientôt !
Et en même temps, tu introduis une tension douce qui amène un trouble, une ambiguïté puisque Ahmad ne sait pas exactement ce qu'il ressent ou s'il a raison d'intervenir. Et puis j'aime beaucoup cette fin faussement légère avec le fait qu'il n'a jamais eu les clés. C'est très beau.
Peut-être que tu pourrais aller plus loin dans l'intériorité de Layla ? On perçoit sa fragilité à travers les yeux d'Ahmad, mais sa voix intérieure (à elle) est plus flou.
Peut-être aussi que certaines phrases pourraient être retravaillées pour être plus fluides. Par exemple, "Elle réajuste pudiquement son abaya, quelque peu gênée de leur proximité physique, et constate que le couloir est désert" : tu pourrais directement placer un participe au début > "Gênée par leur proximité, elle réajuste pudiquement son abaya".
Merci beaucoup pour ce retour à la fois pertinent et constructif.
J’avais peur que la première phrase ne soit pas assez accrocheuse, alors qu’elle résume pourtant l’idée que je souhaite transmettre dans cette histoire, l’histoire du silence ;p
Pour les deux phrases que tu as relevées, je trouve que la première est encore un peu trop longue. Le visuel est là, mais c’est un souci que je rencontre souvent (surtout au début, mais encore maintenant), je fais trop de phrases à rallonge, avec des virgules mal placées ou absentes là où il en faudrait.
Après tout, je débute dans l’écriture, j’imagine que cette compréhension du rythme par la ponctuation et la longueur des phrases viendra avec le temps.
Concernant Layla, c’est un choix volontaire. Je voulais justement laisser une impression d’incertitude et de mystère, à l’image d'Ahmad la concernant. On ne sait pas trop si son intervention était justifiée ou non… et honnêtement, moi non plus je ne sais pas ! ;)
Je suis totalement d’accord avec toi, beaucoup de phrases gagneraient à être réécrites. L’exemple que tu me donnes sonne tellement mieux que ce que j’ai proposé… À moi d’être plus vigilant sur la forme à l’avenir. Ma méconnaissance de la langue française et littéraire n’aide pas non plus, mais j’apprends à chaque texte.
En tout cas, merci infiniment pour ton commentaire. Tu as su pointer les forces comme les faiblesses, et c’est extrêmement précieux pour progresser. Ça n’a pas de prix.
J’espère que les prochains silences te parleront tout autant.
À très bientôt.
On aimerait être comme Ahmad qui a l’intuition et le courage d’aller vers l’autre. Layla a beaucoup de grâce. Sa souffrance muette est très bien retranscrite.
Ce chapitre est assez contemplatif mais les non-dits nous happent.
Et la connexion entre les deux est très juste aussi. Ça donne envie de les découvrir.
Merci beaucoup pour ton retour, c'est encourageant de lire que tu aimerais être comme Ahmad, car c'est vrai que parfois on peut ressentir certaines choses mais on se tait, soit par manque de courage, soit pour ne pas "déranger" alors qu'une main tendue change bien des situations.
Heureux de voir que les non-dits t'ont tenu en lecture malgré l'ambiance contemplative, c'est toujours une de mes craintes, le rythme lent pour prendre le temps de faire vivre chaque battement de cœur ;p.
J'espère que la connexion entre ces deux tourtereaux sera à la hauteur de tes attentes.
Merci encore, je te souhaite une bonne découverte ;)
À bientôt.
Hâte de lire ce que Ahmad et Layla nous réservent :)
Surtout venant de toi, après avoir lu ton excellent premier chapitre avec Nora, c'est motivant ;)
Bonne lecture et bonne écriture à toi, à très vite
Le titre est très bien choisi, on sent clairement que Layla souffre en silence mais ce qu’elle n’a pas l’air de comprendre c’est que autour d’elle cette souffrance silencieuse est entendue. Surtout entendue par un homme qui ne connaît rien à sa vie. Ça donne l’impression que sans le vouloir elle lance depuis longtemps mais qu’aucunes personnes n’a réussi à intercepter personnes sauf lui.
C’est ma vision de la chose quand je me suis plongée dans ton histoire. Merci à toi et je continue avec plaisir et hâte de lire.
À bientôt !!
S.Lomaï
Merci pour ton retour et ton analyse, j'apprécie.
Effectivement, elle envoie des signaux, certainement inconsciemment, que seul quelqu'un d'attentionné peut capter. C'est bien vu :)
Merci à toi plutôt, d'avoir pris le temps de me partager ta vision des choses.
J'espère que la suite te parlera autant.
À bientôt.
J'ai été intriguée par le nom de ton histoire, alors me voici en train de la lire !
Ton texte dégage une atmosphère intimiste et pleine de délicatesse. L'échange entre Ahmad et Layla est à la fois poignant et naturel, avec une tension palpable qui s'effrite progressivement. L'anxiété d'Ahmad, mêlée à la réserve de Layla, est très bien retranscrite. Le suspense autour de la situation de Layla est traité avec subtilité, et la fin, avec ce sourire furtif émotif et plein de sens. C’est une scène profondément humaine, où les silences parlent autant que les mots. Très beau premier chapitre !
Merci pour ce retour, ça fait chaud au cœur :)
J'essaie que le titre soit à l'image de l'histoire, faire parler les silences...
Je suis heureux que ça te plaise. Je craignais que le rythme soit trop lent pour un premier chapitre.
Merci encore pour ton retour.