2. Cueillir les Silences

Par Ardichi
Notes de l’auteur : ﴾ Acte I : Naître au Silence ﴿

Après les cours, Ahmad se rend quotidiennement, comme un rituel, au parc avoisinant l'école. C'est son petit moment intime, une quiétude, loin des tumultes de la vie. Il va à son coin habituel, un endroit qu'il affectionne, pour s'asseoir sur un banc en bois, usé par les pluies et les nombreuses personnes qui viennent s'y détendre. Là, il commence à jeter quelques miettes de pain aux pigeons qui s'approchent de lui en toute confiance. Leurs roucoulements et picorements apportent bien-être au jeune garçon.

Pendant ce temps, Layla vagabonde au gré de ses humeurs dans le parc. Elle savoure la douceur paisible de ce lieu. Elle contemple de temps à autre les fleurs aux couleurs éclatantes, leurs pétales jonchant les chemins. C'est le cadre idéal pour s'apaiser et s'éloigner du bruit incessant de la ville. Continuant son chemin sur un sentier tout tracé, Layla aperçoit un adolescent à l'air familier. C’est Ahmad, assis là, entouré de pigeons à qui il lance des miettes de pain. Elle sourit, presque involontairement, en voyant son camarade de classe se faire envahir par cette petite armée affamée. Puis une pensée, furtive, la traverse, l'agitant intérieurement. Est-ce un hasard ? Une coïncidence ? Le destin ?

Intriguée, elle se rapproche lentement de lui, d'un pas léger et discret sur le chemin gravillonné. Un mélange de curiosité et de réticence naît en elle, captivée par la scène, mais quelque chose lui échappe. Pourquoi est-elle si absorbée d'un coup ? Ce n'est qu'un garçon qui nourrit des oiseaux, et pourtant... Il y a en lui, dans cette simplicité, ce qui semble faire écho à un vide qu'elle n'a pas remarqué jusque-là. Ahmad, lui, cherche à ne faire qu'un avec son environnement, seulement ressentir l'instant présent. Admiratif, l'émancipation sans contraintes de ces petits êtres ailés l'inspire à murmurer quelques vers de poésie.

 

"Ô vous, messagers des cieux sans frontières,

Vous volez sans chaînes, loin des barrières.

Moi, cloué au sol, pris dans mille questions,

Je vous envie, porteurs de liberté sans nom."

 

Layla, subjuguée par la poésie, grave chaque mot avec recueillement. Elle aussi se sent clouée dans son quotidien, ses silences cachant mille questions. Cette mélancolie résonne profondément en elle. Elle est touchée, ses yeux brillants d'un respect nouveau, fixent Ahmad. Elle se rapproche, sans même s'en rendre compte, comme aimantée par la beauté du moment. Finalement, la dernière miette de pain est jetée. Les pigeons s'envolent, le silence est rompu par le bruissement de leurs ailes. Elle lève les yeux alors qu'ils disparaissent dans le ciel bleu, envahie peu à peu par une sensation de liberté. Les vers de poésie prennent subitement tout leur sens. Elle s'imagine voler, affranchie, loin des limites de sa propre existence.

La douceur du moment est brisée par un rire d'enfant non loin, la ramenant à la réalité. Comme sortie d'un rêve, elle cligne des yeux, réalisant soudainement à quelle distance elle se trouve d'Ahmad. Ses joues rosissent, gênée d'avoir été aussi absorbée. Elle hésite, se demande si elle a le droit d'altérer cet instant, cette poésie qu'il lui a offerte malgré lui. Mais il y a une vérité dans ses vers, une vérité si simple et évidente qu’elle ne peut la garder pour elle. "Ta poésie... elle était belle," dit-elle, d'une voix pudique, mais pleine de sincérité, son propre ton lui semblant presque étranger. "Est-ce que tu en écris souvent ?" Surpris de la voir si près, Ahmad se tourne lentement, un peu gêné par cette rencontre inattendue. "Non, pas vraiment... j'étais juste inspiré sur le moment," répond-il avec un petit sourire maladroit. Il la regarde alors, un peu interrogateur. "Et toi... que fais-tu ici d'ailleurs ?" Cette question prend Layla de court, qui fait un pas instinctivement pudique en arrière, voulant rétablir le voile invisible entre eux deux.

Rougissante, elle cherche ses mots, troublée d’avoir franchi une limite, consciente de son intrusion. "Je..., rien..., je me promenais juste, et je t'ai entendu... Ta poésie m'a attirée... C'était..., c'était vraiment beau..." Son cœur remonte légèrement dans sa poitrine, l'air se raréfiant, ses aveux l'ont déstabilisée. Ses yeux se baissent, et chaque fois qu'elle est nerveuse, mécaniquement, ses mains jouent avec les plis de son abaya, comme si son apparence avait subi le même désordre que son intérieur.

Ahmad, voyant l'état de confusion de Layla, lui sourit chaleureusement pour détendre l'atmosphère. "Ravi que ça t'ait plu," dit-il, sincère. Layla, apaisée par ces propos rassurants, relève les yeux et croise son regard. Un sourire timide se dessine sur ses lèvres et ses yeux pétillent maintenant d'une nouvelle lueur. Elle répond, sa voix devenue plus assurée. "Tu devrais écrire plus souvent. Tu as du talent." Elle se tait, s'apercevant qu'elle prenait ses aises, puis détourne son regard au loin, le cœur battant plus fort. Ahmad hoche la tête, un air pensif sur le visage. "J'aimerais avoir le temps pour ça, mais les quelques minutes que je passe ici... ce sont mes seuls moments de libres," dit-il, un brin de regret dans la voix. D'un signe de la tête, Layla acquiesce, compréhensive. "Je comprends, mais... peut-être que tu pourrais trouver de petits moments, juste pour toi et tes mots." Elle se tait de nouveau, se sentant un peu confuse d'avoir suggéré cela. Ce n’est pas dans ses habitudes de dire ce genre de choses. Puis elle jette un coup d'œil vers Ahmad, cherchant à déchiffrer son expression. Lui, de son côté, est agréablement surpris de Layla, se disant que derrière les barrières qu'elle érige, se cache une fille attentionnée et vraie, tout simplement. Il clame alors quelques vers, comme s'il était à nouveau inspiré par la conversation.

 

"Le temps nous fuit, volage et impatient,

L'âme a soif de paix, remède du patient,

Cueille les silences, offre-leur tes pensées,

Car même sans mots, les maux vont panser."

 

Il se redresse légèrement et la fixe un instant avant de lui sourire. "J'y songerai. Merci pour tes encouragements." Layla, émue, reste silencieuse, faisant sienne chacun de ses vers. Il a ce don spontané de mettre des mots, comme des pansements, sur les plaies. Elle laisse le temps aux mots de résonner, telles les dernières notes d'une mélodie, avant de répondre avec une voix pleine de gratitude. "Merci... C'est... c'est vraiment spécial ce que tu viens de partager. J'espère... j'espère que tu trouveras le temps de nourrir cette partie de toi." Ahmad lui sourit aimablement, un sourire plus doux, plus chaleureux qu'à l'accoutumée. "À plus tard," dit-il avant de partir en direction de la sortie du parc.

Elle lui adresse timidement un sourire, ses joues brûlant sous son regard, tout en l'observant partir, léger, presque nonchalant. Elle reste un moment sur place, fixant le sol, envahie par la chaleur de ses mots. Est-ce qu'il se rend compte de ce qu'il vient de lui offrir, de cette part de lui qu'il a partagée avec elle ? Peut-être que cette rencontre n’est ni un hasard ni une coïncidence, mais bel et bien l’œuvre écrite dans les feuillets du destin… dans le silence.

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Paloma Chataig
Posté le 01/06/2025
J’aime beaucoup, c’est très doux et subtil. L’écriture est agréable, la poésie très belle. C’est une jolie surprise que ce chapitre. On découvre un peu plus la sensibilité de Ahmad.
Ardichi
Posté le 01/06/2025
Merci beaucoup pour ton message :)
Je suis ravi que tu aies aimé la douceur et la poésie dans ce chapitre.
J’espère que les prochains chapitres sauront continuer à te surprendre.
Merci encore pour ton retour.
Bonne lecture à toi !
Artose
Posté le 29/04/2025
C'est d'une grâce.
Il y a un fond de tristesse dans ton texte, et pourtant les mots résonnent avec une telle douceur, une telle poésie que ça en devient agréable.
J'apprécie particulièrement le poids de chaque action ''un regard, une hésitation, la fierté d'avoir parler avec quelqu'un qu'on oserait pas", ces petites actions qu'on banalise souvent dans les livres et films mais qui méritent autant d'émotion que les autres.
Une innocence qui me retomber dans ma jeunesse. Merci!
Ardichi
Posté le 29/04/2025
Merci Artose pour ce beau retour.
Ahh l'innocence de notre jeunesse... c'est vrai qu'elle m'inspire dans l'écriture. (Ça rajeunit pas d'ailleurs ;p)
Je suis content que ces petits gestes aient trouvé écho, et que tu aies perçu cette touche mélancolique, presque triste.
Merci encore beaucoup, ça me rassure un peu plus sur mon choix d'un rythme lent et contemplatif.
J'espère que la suite te plaira, bonne lecture.
Artose
Posté le 30/04/2025
J'apprécie ce rythme. Les actions restent plutôt rapides et les descriptions ne sont pas superflues. C'est équilibré entre la 'tranquillité' des actions et leur avancements!
Ardichi
Posté le 30/04/2025
Parfait alors, merci encore beaucoup pour tes retours, j’apprécie vraiment le temps que tu prends pour les poster.
J’espère que la suite te parlera autant, et surtout n’hésite pas à me dire les mauvaises choses que tu vois aussi, tout ce qui peut améliorer le travail, je suis preneur ;)
Merci encore et bonne lecture.
RedFuryFox
Posté le 27/04/2025
Beaucoup de pudeur et de tendresse. On sent leur jeunesse et en même temps une maturité que certains n'auront peut-être jamais ! Un peu comme si on observait des vieilles âmes dans des corps d'adolescents :)
Ardichi
Posté le 27/04/2025
Merci pour tes retours et la vision que tu en as.
C'est vrai que j'ai un peu forcé leur trait :p, faisant preuve d'une maturité rare pour leur âge, et tu l'as très bien décrit, comme deux vieilles âmes dans des corps d'ado.
Merci encore beaucoup, chaque commentaire enlève un peu de doute en moi sur le développement des personnages.
À très vite :)
Rouky
Posté le 13/04/2025
Me revoilà !
Ce second chapitre dégage une douce sérénité, presque méditative, grâce à la simplicité des scènes et à la poésie qui s’en dégage. L’atmosphère est subtilement construite, créant un contraste agréable entre la tranquillité du parc et la profondeur des émotions des personnages. Ta plume est fluide et tendre, avec une belle attention portée aux détails, comme le geste de Layla qui joue avec son abaya ou les pigeons qui picorent autour d'Ahmad. Cela ajoute une dimension sensorielle qui renforce l’immersion dans l’univers que tu crées.
Ardichi
Posté le 13/04/2025
Te revoilà ! ;)
Merci beaucoup pour tes retours, c'est motivant.
J'aime bien apporter des contrastes, soit dans l'ambiance, soit chez les personnages, il me semble que ça renforce certaines émotions.
Au plaisir de te revoir et d'avoir lu ton commentaire.
A plus tard j'espère.
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