1 - Trevor

Par Aylyn

A travers la fenêtre, le paysage défilait dans un flou artistique. Mon corps reposait contre le siège passager, ma tête calée face à la vitre. Mon esprit quant à lui se trouvait très loin, à des centaines de kilomètres de là. A Hedeltown, cet endroit précis que je fuyais avec désespoir. A l’intérieur de ma poitrine, mon cœur gisait, témoin invisible et victime de ce cauchemar. L’envie de disparaître à mon tour et oublier ce que je venais de découvrir me prenait à la gorge.

L'oubli est le privilège des morts. Elle avait écrit cette phrase, telle une pensée évanescente. J'aurais dû y accorder plus d'attention vu l'importance qu'elle attribuait à chaque phrase collée sur les murs de sa chambre. Un indice que je n'avais pas su déchiffrer. La tête entre les mains, je tentai de me souvenir des bribes de poèmes scotchés. Il y en avait tellement. 

 

 Les ténèbres en boucles me traversent

Un chemin vers l’après se dessine

La tentation évasive mais inspirante.

 

Fragments de pensées

Se disloquent, s’unissent en éclats

Forme spectrale insaisissable 

 

Attirée vers ces ténèbres apaisantes

Je recule le moment, jusqu’à quand

La tentation se fait pressante.

 

Elle me prévenait et je n’avais pas compris.

 

Michael conduisait, sans faillir, depuis des heures. Je dérivais dans mes pensées morbides et ajoutais au fur et à mesure des couches de culpabilité à ce chagrin démesuré. J’ignorais notre destination. Je lui avais juste balancé que je m’en allais, qu’il me suive ou non. Il n’avait posé aucune question. Un sac rempli à la va-vite et il me rejoignait dans la voiture.

 

Le moteur se tut et je sortis de mon mutisme.

— On est où ?

— Nulle part.

Un ricanement passa mes lèvres sèches. Exactement la réponse que j’attendais. La portière s’ouvrit et je suivis des yeux la silhouette de mon frère à travers le parebrise. Je grimaçai en changeant de position. Se vautrer contre la vitre pendant des heures laissait des traces. Je me forçai à bouger de la voiture et à me dégourdir les jambes. J’avisai le petit restaurant routier devant lequel nous venions de stationner. Une pause sur ce chemin sans but. Je fouillai mes poches à la recherche de mon paquet. Je sortis une cigarette et l’allumai en un geste mécanique. J’avais l’impression que tous mes mouvements s’opéraient dans un brouillard opaque. J’inspirai la fumée et ne trouvai aucun réconfort dans cette bouffée. Je jetai la clope à peine entamée avant de l’écraser de mon talon.

Je retrouvai mon frère attablé dans un renfoncement de la salle. Il me demanda ce que je voulais. Un haussement d’épaules pour toute réponse, je me rencognai contre le mur, mes doigts jouant avec mon briquet. Il commanda deux hamburgers avec frites. Mon estomac hésita entre intérêt et nausée. Je fis l’effort de porter une frite à ma bouche. La texture, la saveur, rien ne me parvenait. Tous mes sens paraissaient anesthésiés. Je m’obligeai à prendre au moins deux bouchées pour Mike.

 

Aucune autre parole ne franchit mes lèvres alors que nous reprenions la route après avoir fait le plein. Mon cerveau avait pris, bien malgré moi un cliché indélébile de la scène. Il ne cessait de repasser devant mes paupières dès que celles-ci se fermaient. Je luttai autant que je pus contre le sommeil. Il finit par avoir raison de moi. La voix de Morgane arriva, inopinément.

 

— Eh, Trev, tu dors ?

— Ouais, grognai-je pour la forme. Qu’est-ce que tu fiches ici ?

— Tu n’es pas dans ta chambre, imbécile.

Son rire retentit étrangement, comme un écho déformé. Je tentai d’ouvrir un œil pour vérifier ces dires mais elles refusaient de coopérer.

— Tu n’es pas chez toi et moi non plus.

— On est où alors ?

Un instant de silence.

— Morgane ?

— Je ne suis plus là. Je suis désolée…

 

Je me réveillai en sursaut, déboussolé. Qu’est-ce que je faisais dans une voiture ? Où Morgane… Tout me revint alors que je croisais le regard de Mike. Mes traits se crispèrent alors que j’encaissais cet uppercut émotionnel. Je me détournai vers la vitre pour masquer ma douleur.

 

 

Deux jours sur les routes, une nuit dans un hôtel routier où le sommeil s’évertuait à me fuir, nous amenèrent au point de chute choisit par mon frère. Cleveland. Pourquoi pas. Un endroit comme un autre pour creuser son trou et s’y terrer. Même le fuseau horaire différait. Je laissai Michael gérer.

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GoatWriter
Posté le 03/07/2024
Ce premier chapitre avec Trevor est une plongée émotive et introspective remarquable. Vous capturez habilement le tourment intérieur de Trevor, oscillant entre le chagrin démesuré et la culpabilité pesante. Les fragments de poèmes de Morgane ajoutent une profondeur poétique à l'histoire, enrichissant la complexité des émotions ressenties. La dynamique entre Trevor et Michael est palpable, chargée de non-dits et de gestes mécaniques, soulignant leur lien fraternel dans cette période de crise. Enfin, l'arrivée à Cleveland marque un tournant poignant dans leur quête de sens et de refuge, promettant une exploration captivante des thèmes de la perte et de la reconstruction.

GoatWriter...
Aylyn
Posté le 04/07/2024
je suis contente si j'ai réussi à retranscrire le lien entre les deux frères :-)
coeurfracassé
Posté le 03/07/2024
Recoucou !
Bon début, le texte est très fluide ! Pauvre Trevor, je n'aimerais pas être à sa place. Et son frère, Mike, non plus... J'ai hâte d'en découvrir plus sur ses deux protagonistes =) Les petits poèmes de Morgane sont très bien aussi, ils apportent de la variété au texte.
Côté émotionnel, je trouve ton chapitre parfait. Enfin, il y a sûrement des choses à améliorer, parce qu'on ne peut jamais toucher la perfection mais seulement essayer de l'atteindre... Pardon, je m'égare. Je trouve que tu décris très bien la détresse, le désarroi, le déni de Trevor. Sa culpabilité aussi. Je suis contente de ne pas être à sa place, car je ne saurais pas réagir... ça doit être vraiment affreux. Et tu décris ces sentiments à merveille <3
Côté grammaire : il n'y a pas grand chose, juste un détail, qui revient malheureusement régulièrement. Mais pas de panique, hein ! ça concerne la différence entre passé simple et imparfait. Il y a plusieurs erreurs dans ton texte. Je ne vais pas toutes les nommer ici, mais je t'aide avec grand plaisir si tu le désires !
Finalement, il manque ou il y a une virgule de trop dans la phrase : "Mon cerveau avait pris, bien malgré moi un cliché indélébile de la scène." Soit tu la supprimes, soit tu en rajoutes une entre moi et un.
Donc voilà, et vraiment bravo pour cette fluidité qui n'est pas commune à tout le monde !
Aylyn
Posté le 04/07/2024
Merci de continuer à lire et je note les erreurs à rectifier. J'ai tendance en effet à faire cette faute entre passé simple et imparfait quand je suis dans l'écriture. Il faut que je prête davantage attention à cette erreur pour la corriger.
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