2- Trevor

Par Aylyn

J’errai dans la grande ville, désœuvré. Mon état d’esprit ne me permettait pas de jouer les touristes ou d’appréhender mon nouvel environnement. Je traînai mon corps bon gré mal gré au hasard, sur les recommandations de Mike. Il m’avait proposé de l’accompagner pour sortir avec ces amis. D’emblée, j’avais refusé. Devant son air inquiet, j’avais promis de sortir m’aérer, de mon côté. Culpabilité, quand tu nous tiens ! je devais admettre que mettre le nez dehors après plus d’une semaine cloîtrer dans ma chambre valait l’effort. Depuis que nous avions intégré la colocation avec ses deux anciens potes de fac, je m’évertuai à m’isoler pour tenter de digérer le choc. Une vraie épave aux oreilles saturées par la musique. Si Morgane me voyait, l’envie de me mettre un coup de pied au cul devait la démanger.

Je finis par me poser dans un bar d’aspect miteux et enchaînai les verres. Pour m’occuper. Pour oublier. Plusieurs heures plus tard, la nuit étalait son étendard sombre sur la ville et je me tenais à l’arrière de l’établissement, la tête légèrement brumeuse, face à un gars bien décidé à se défouler. Pourquoi pas, songeai-je en préparant mes poings. Un expédient comme un autre pour mettre en veilleuse la douleur au creux de ma poitrine.

 

 

Apparemment, j’y avais pris goût. L’adrénaline charriée par le combat devenait une drogue à laquelle je cédais sans remords. La douleur physique était gérable, quantifiable et prenait fin à un moment.

A l’arrière de la ruelle, je retrouvais mon adversaire du jour. Je retroussais mes manches, un début d’euphorie filant dans mes veines. L’avant-goût du combat, l’exaltation à portée de poings. D’un signe du menton, je lui signifiai que je l’attendais. Ses potes nous entouraient, avides d’assister au spectacle. D’un coup d’œil, je jaugeai l’opposant. Sensiblement de la même taille que moi, il me semblait plus corpulent. Sa masse de muscles ne m’impressionnait pas. Je préférais un adversaire coriace, que l’enjeu en vaille la peine.

Il amorça un mouvement vers moi, prompt à réagir à mon invitation. Deux, trois pas, je suivis son mouvement. On se tourna autour quelques secondes, jouant sur cette attente. Puis il attaqua. Même en anticipant, le coup me cueillit à la mâchoire. Je fis un pas en arrière, sans le quitter des yeux. A mon tour de passer à l’offensive. Je lui assenais un direct dans les côtes. Je l’entendis expirer avant de se courber en deux sous le choc. Un sourire carnassier flotta sur mes lèvres. Mon corps était lancé, mon cerveau en mode prédateur. J’avais besoin de cette dose de frénésie presque animale, de cette poussée d’adrénaline. Mon esprit s’embrumait, tout le reste passait au second plan. Il n’y avait plus que ce corps à corps, cette décharge de force. Quand l’autre revint à la charge avec vigueur, je continuai de sourire, satisfait d’avoir trouvé un mec sur la même longueur d’onde que moi.  Libérer ses frustrations, évacuer la colère dévastatrice qui stagnait au fond de moi.

 

De retour à l’appartement, je filai direct à la douche. Mon bonnet bien enfoncé sur le crâne pour camoufler un temps les ecchymoses marbrant mon arcade et ma mâchoire. Les autres hématomes restaient invisibles sous la couche de vêtements. Je préférais ne pas subir tout de suite le sermon de Mike s’il venait à me croiser. Le jet d’eau brûlant me fit grimacer. Il ne m’avait pas manqué le bougre. Je posais mon front contre la paroi carrelée et laissais l’eau ruisseler sur moi. Je savais que mon comportement n’était pas sain, que je risquai de recevoir un mauvais coup mais je n’avais pas trouvé d’autre échappatoire.

Une serviette nouée autour des reins, je regagnais ma chambre. A l’autre bout du couloir, mon frère me fixait en silence. Je sentis son attention se braquer un instant sur mon côté assombri, puis remonter sur mon visage. Je baissai la tête, crispai mes lèvres et lâchai un « désolé » avant de m’isoler. Une fois dans mon antre, je fermai la porte et m’y adossai. Un seul regard. Je jurai en sentant la culpabilité reprendre sa place, remplir ma poitrine.  

 

*

Le lendemain matin, je m’arrêtai à l’entrée du salon, avisant la scène. Putain, ils m’attendaient tous, comme un peloton d’exécution. La sensation d’être pris au piège me submergea et j’hésitai entre fuir ou me mettre en rogne. Mon instinct choisit la seconde voie.               

— T’es sérieux ? apostrophai-je Mike. Vous me faîtes le coup de l’intervention ? Non, mais allez-vous faire voir. Ce sont mes problèmes et…

— Et quoi, Trev ? s’énerva-t-il. Tu gères, c’est ça ? Parlons-en de ta gestion, elle craint. Tu ne contrôles rien du tout. Je n’ai pas l’intention de te regarder te détruire sans réagir.

— Il y a d’autres façons de déverser sa colère, intervint Seth.

Je braquai mon attention sur le jeune homme avachi sur le canapé. Sa nonchalance atténua mon énervement. Il ne cherchait pas à me faire la morale, bon point pour lui. Je haussai les épaules et du menton, l’enjoignis à développer.

— Paraît que t’es pas mauvais en compo. La musique, rien de tel pour te vider les tripes sans morfler.

J’enregistrai l’information sans laisser paraître mon début d’intérêt.

— T’as une belle gueule, ça serait dommage de l’abîmer avec tes conneries. Si tes aussi doué que Mike nous le dit, on pourrait envisager de créer un groupe.

Comme je le regardai fixement, il précisa.

— Link est batteur et je prends mon pied avec ma basse.

Je tournai la tête vers Michael. Il appréhendait ma réaction. Mon esprit carburait. Je me sentais à la croisée des chemins : continuer l’autodestruction ou tenter de donner un sens à tout ce merdier.

Promets-moi de ne pas lâcher ton rêve. Les paroles de Morgane flottèrent, irréelles et la balance bascula.

—  Pourquoi pas faire un essai, lâchais-je. Si ça fonctionne, je choisis le nom du groupe.

— Pas de problème, mon pote, valida Seth.

 

Ainsi naquit Dark Hopes.

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coeurfracassé
Posté le 05/07/2024
Salut !
Je trouve intéressant la façon dont Trevor "gère" (parce que bon, il ne gère rien du tout) sa détresse. J'aurais presque aimé avoir un plus long moment avec les bagarres de rue, même si tu décris déjà très bien les sentiments de Trevor ! N'empêche, il y a quelque chose de très intéressant... C'est peut-être totalement un préjugé, mais pour moi, un mec qui aime composer (et qui est bon, visiblement) ne se serait pas réfugié dans la violence pour fuir ses problèmes. Après, c'est très personnel, et peut-être que je m'avance beaucoup trop !
J'ai quelques petites remarques en vrac :
- d’une semaine cloîtrer --> d'une semaine cloîtré
- (purement stylistique) une vraie épave --> une véritable épave
- devait la démanger. --> l'aurait démangée
- Si tes aussi doué --> si t'es
- Link est batteur et je prends mon pied avec ma basse. --> je trouve ça un peu étrange, cette expression, surtout dans la bouche d'un jeune de vingt ans à peu près...
- attention encore au passé simple/imparfait. Il y a déjà beaucoup moins d'erreurs qu'au premier chapitre, mais quelques unes persistent... Peut-être que tu pourrais essayer d'écrire un chapitre au système du présent ?
Bien à toi
A.
GoatWriter
Posté le 03/07/2024
Ce chapitre avec Trevor explore intensément sa détresse émotionnelle à travers les combats de rue et les interactions avec ses nouveaux colocataires. Vous réussissez à capturer la rage et le besoin de catharsis de Trevor de manière authentique. Cependant, certains aspects méritent clarification : la transition rapide de la solitude extrême à la participation à un groupe de musique semble brusque et mériterait peut-être plus de développement pour être pleinement crédible. De plus, la dynamique entre Trevor et ses colocataires, bien que prometteuse, pourrait bénéficier de plus de nuances pour rendre leurs motivations et interactions plus profondes. Globalement, c'est un chapitre captivant qui ouvre de nouvelles avenues pour le personnage de Trevor.

GoatWriter...
Aylyn
Posté le 04/07/2024
Merci pour votre commentaire. Vos remarques sont pertinentes et je les notes pour reprendre ce chapitre dès que je le pourrai. C'est un premier jet et je suis contente d'avoir des retours qui me permettront d'améliorer les points faibles.
GoatWriter
Posté le 04/07/2024
Bon courage pour la réécriture !
GoatWriter...
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