10- Coup de bâton

Notes de l’auteur : Bonne lecture

Nour redoutait le cours d'arts martiaux. Elle avait l'occasion, durant la semaine, d'assister à l'entraînement des dernières années, en douce. Elle avait été époustouflée par ces adolescents possédant une assurance et une maîtrise qui les rendaient invulnérables aux yeux de la jeune fille.

De prime abord, avec son volume et son plafond très haut, l'endroit ressemblait plus à une salle de bal qu'à un lieu d'entraînement aux arts martiaux. Quantité d'armes étaient accrochées sur les murs lambrissés, de longues épées, des sabres courts, et même des haches. Tout un pan était réservé aux ffon, des bâtons de combat. Si les élèves se servaient de simple bâton en châtaignier pour l'entraînement, ceux sur le mur étaient finement ouvragés, certains paraissaient être en bronze, d'autres en argent. C'est ici qu'officiait Amara Sikal, archère émérite et fine pédagoque. Ses yeux sombres étincelaient sous des sourcils grisonnants dont un montait et descendait assez souvent, à chacune des inepties que disaient ses élèves. Deux longues nattes poivre et sel lui couraient dans le dos, un pantalon ample et une chemise complétaient l'ensemble.

– Je n'aurais pas cru qu'on te laisse participer au cours, s'exclama Elijah, prenant à parti le reste de la classe. Tu n'es pas de taille ici, même pour un simple entraînement. Les professeurs souhaitent sans doute que tu te blesses.

– Pour Nour, je vais faire un rappel de ce que sont mes cours et ce qu'ils vous apporteront si vous êtes attentifs et travailleurs, fit la professeure d'une voix forte, en déambulant au centre de la salle. L'assiduité et l'écoute sont les clés pour avoir la maîtrise de son corps et de son esprit. Les arts martiaux développent la coordination, l'équilibre et la concentration. Si vous m'écoutez attentivement, vous progresserez. Nous allons commencer par un échauffement au bâton. Que chacun prenne un ffon, ordonna-t-elle.

Nour s'empara d'un bâton. En le soupesant elle sut que quelque soit l'exercice ce serait perdu d'avance. Le ffon était bien plus grand et plus lourd qu'elle.

– Posez le ffon au centre de votre paume, main bien à plat, ordonna de nouveau la professeure. Ancrez bien vos pieds dans le sol et serrez vos abominaux. Ne quittez pas le bâton des yeux, considerez comme un prolongement de votre main. Maintenez l'équilibre.

L'exercice demandait une grande concentration, et de l'adresse. C'était comme lui demander de porter Oren sur une paume, se dit Nour. L'image la fit rire intérieurement. Le ffon oscilla légèrement de droite à gauche, et elle se reconcentra aussitôt. Un bref coup d'œil du côté de ses camarades lui montra que presque tous maîtrisaient la chose. Oren semblait avoir du mal, son regard était fixé sur le bâton, et un bout de langue lui sortait de la bouche comme si celle-ci l'aidait à garder un certain équilibre. Il avait l'air de valser, un pas en avant, un sur le côté, deux en arrière. Il lui arrivait de bousculer un de ses camarades, tout aussi fébrile que lui. Nour l'imita, danser paraissait le moyen le plus sûr de ne pas faire tomber le ffon. Anya, une camarade assez silencieuse, plus petite qu'elle, se tenait droite comme un i, sa main libre calée dans le dos. L'autre était bien ouverte devant elle, le ffon dans la même position que sa porteuse. Elle s'approchait trop de Nour, et ce qui devait arriver arriva. Le pied gauche de Nour, pour une obscure raison, se tordit, et elle trébucha. Celu dura moins d'une seconde, une petite seconde où le ffon s'abattit, comme un arbre après qu'un bûcheron se soit occupé de lui, sur le visage d'Anya.

– Je suis désolée, s'excusa Nour en se précipitant, trébuchant même à ses pieds.

– Prévisible, souffla Elijah tandis que tous les yeux étaient rivés sur Nour.

– Ca va aller, la défendit Anya, la main plaquée sur son œil tuméfié. J'ai presque pas mal.

– Je vais accompagner notre blessée à l'infirmerie, fit la professeure en examina rapidement l'oeil de la jeune fille. Un cataplasme, une bonne infusion et tu seras comme neuve, le rassura-t-elle. Les incidents arrivent fréquemment. Vous allez passer à l'entraînement, je compte sur vous pour ne pas me faire honte.

Elle forma rapidement des bînomes avant de s'éclipser avec Anya.

Nour en frémit. Elle devait se battre, vraiment ? C'est avec crainte qu'elle retrouva son adversaire. Elijah évidemment. Que cherchait la professeure ? Devrait-elle toujours être en compétition avec le prince elfique ?

Quand il s'inclina devant elle, Nour l'imita, et décida que la bonne attitude à avoir était de copier tous ses mouvements. L'elfe sourit, ses yeux pétillaient de malice maléfique. Son bâton, aux armoiries de la famille royale elfique ne faisait qu'un avec lui. Face à lui, Nour se fit l'effet d'être une taupe à qui l'on aurait donné un cure-dent pour se défendre face à un scorpion.

Elijah fit tournoyer son bâton autour de son buste, au-dessus de sa tête en une chorégraphie élaborée. Puis, avec grâce, il attaqua. Des coups francs, qui visaient principalement les jambes. Nour para plusieurs coups, bien consciente malgré tout que l'elfe y allait doucement. Il attaqua de nouveau. Sans réfléchir, Nour se plia en deux et esquiva la parade. Elle s'en sortait bien. Elijah saisit le bâton à deux mains, le fit tourner au-dessus de sa tête avant de faire un tour sur lui-même. il frappa fort. Le ffon s'abattit sur le poignet de Nour qui en lâcha le sien. Elle étouffa un cri. La douleur fut si intense que pendant quelques secondes elle ne sentit plus son bras. Les larmes aux yeux, sa seule envie fut celle de se jeter sur l'elfe, et de le frapper encore et encore, jusqu'à effacer son éternel air satisfait.

– Je suis vraiment désolé, dit l'elfe en s'approchant rapidement. J'ai mal visé.

Nour le fixa avec une rage contenue, avant de jeter un oeil sur les autres élèves. Personne n'avait remarqué l'incident. Autant se taire.

– C'était un accident, bougonna-t-elle en massant son poignet endolori.

L'air affligé d'Elijah paraissait pourtant sincère, ou rusait-il ? Elle croisa alors le regard d'Oren, ce qui ne la rassura pas du tout. Elle ramassa le bâton à ses pieds, et s'avança vers son adversaire comme une condamnée à la potence. Elijah ne perdait rien de sa vivacité. Avec son bras blessé, Nour tiendrait encore moins longtemps qu'elle avait pu l'espérer. Pour le moment, elle se contentait d'esquiver les parades. Les coups pleuvaient. Elle s'essoufflait, son bras la faisait souffrir, et l'elfe en profitait. Il s'accroupit, balaya le sol avec le bâton, toucha Nour qui tomba à genoux. Quelques mèches de cheveux collaient à ses joues, rosies par l'effort et la honte qu'elle éprouvait face à cet échec cuisant. Ses forces l'abandonnaient, ses jambes ne la portaient plus. Malgré tout, elle se releva, chancelante. Sans pitié, Elijah frappa une, deux fois, et à la troisième, il fit valdinguer le bâton de Nour à quelques mètres. La terrienne fit les quelques pas qui la séparaient du ffon, mais alors qu'elle se baissait pour le ramasser, le bâton glissa un peu plus loin. Elle jeta un oeil à Elijah, puis de nouveau au bâton, qui bougea encore. L'elfe venait de déplacer le ffon avec son esprit. Elle aurait bien voulu en faire autant, même au prix d'un séjour dans les geôles. Elle envisagea, rien qu'un seconde, de le dénoncer. Le conseiller Hiver voulait devenir son ami, il serait sans pitié. Elle se remit à genoux, vaincue, à bout de souffle. Et dire que ce n'était qu'un entraînement. Heureusement, Amara Sikal réapparue et sonna la fin du cours. Oren accourut vers son amie, suivit de près par la professeure.

– Les épreuves nous rendent plus fort Nour Apsoum, argua la professeure. Je vois que tu n'as pas abandonnée, visiblement tu as ta place au Sanctuaire. Prouve-leur, ordonna-t-elle.

Nour tenta de lui sourire, mais le coeur n'y était pas vraiment. La cloche sonna et les élèves se dispersèrent, Elijah s'en alla sans un mot, ni même une quelconque expression sur le visage. Nour resta assise, des larmes au bord des yeux, sa main serrant son poignet douloureux. Elijah avait raison. Elle était arrivée en An Domhan comme par magie, mais ce n'était pas sa place. Ces élèves étaient hors du commun. Comment pourrait-elle rivaliser ?

– Tu es blessée, constata Oren. Qu'est-ce qui s'est passé ?

Elle se releva tant bien que mal. À la fin de son récit, Oren affichait un air furieux.

–Le fourbe, j'en reviens qu'il sache déplacer les choses. Viens maintenant, nous allons  à l'infirmerie, c'est probablement une entorse. Et Elijah doit être puni.

– Je veux bien aller à l'infirmerie mais on dit rien du tout, je suis pas une cafteuse, dit Nour, boudeuse, traînant les pieds vers la sortie.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez