Touma regarda la porte se refermer derrière les jumeaux. La tristesse et la rage enflammaient son ventre. Kalan et Nessan étaient trop jeunes et innocents pour qu’elle les entraine avec elle, mais personne ne méritait d’être traité comme un Sombre dans un faubourg de Réonde. Elle se retint de frapper ses cornes contre un mur, désirant laisser sa colère s’échapper.
— Ils sont en route, transmit-elle mentalement.
Elle cherchait à se libérer vers le seul Elfe disposé à l’écouter actuellement. C’était également l’Elfe le moins doué pour le réconfort qu’elle connaissait. Un petit silence passa avant que la voix hésitante de Wakami lui réponde :
— Je m’en doute, Touma. Nous avons encore beaucoup de choses à faire.
Une autre personne que la Cornide aurait pris sa remarque pour de l’insensibilité, mais elle ne s’y trompa pas : son ami lui offrait sa sympathie et sa rage, à sa manière.
*
Calib mena Kalan et Nessan jusqu’à l’entrepôt au nord de la cité. Là, il leur offrit de quoi se nourrir durant leur trajet. Une charrette tirée par deux chevaux et remplie de diverses marchandises les attendait. Un Hypnotique les accueillit en grognant. Aucun d’entre eux ne sut saisir son nom. Les jumeaux comprirent que cela n’aurait aucune importance puisque le marchand n’avait pas l’intention de leur parler durant le trajet. L’Hypnotique leur montra leur place à l’arrière de l’attelage, soit deux petits tonneaux de vin qui leur serviraient de siège. Il leur tendit également une lettre cachetée à la cire rouge.
— Recommandation du chef, grogna leur cocher.
Ainsi, les frères n’auraient même pas à parler à cet Armekin, ils n’auraient qu’à lui donner la lettre de Derken pour être engagés. Rien n’était aussi impersonnel dans la Ceinture. Peut-être la différence était due à la cohabitation des trois races elfiques ? Ou au grand nombre d’Elfes qui devait se trouver à Réonde ? Ou bien la vie dans les cités était plus anonyme ? Dans tous les cas, ils remercièrent poliment le marchand bougon et s’installèrent sur leur tonneau. Nessan sortit une couverture afin de rendre leurs sièges plus confortables puis déclara dans un sourire que Kalan savait forcé :
— Calib, merci pour ton aide. On n’a pas eu le temps de se connaitre, mais ta gentillesse nous a touchés.
Kalan opina et le remercia également.
— C’est le moins que je puisse faire, assura le mari de Touma. Je vous souhaite une bonne route et toute la force nécessaire pour travailler sous les ordres d’Armekin.
— Bonne route à vous aussi, où que vous alliez, murmura Kalan en pensant au départ mystérieux de la famille de Cornides.
Le marchand ne leur laissa pas le temps pour des adieux plus émouvants et claqua des rênes. Calib, un air coupable plaqué sur le visage, leur adressa un dernier signe de main, puis il disparut derrière les remparts de la cité. En regagnant la steppe, l’Hypnotique fit trotter ses chevaux. Les deux frères recevaient de violentes secousses dans tout le corps, la route étant loin d’être lisse. Le trajet ne se résuma qu’à un combat pour être le moins inconfortable possible, pour ne pas se mordre la langue (ils avaient décidé d’arrêter de parler après quelques tentatives douloureuses) et pour prendre leur mal en patience. Le marchand n’avait aucune empathie pour ses passagers, de vulgaires marchandises, ni pour ses chevaux qu’il menait au trot malgré la chaleur et sur une distance d’une pénible longueur. Il ne passa au pas qu’un court instant avant de trouver un puits, probablement installé là pour faciliter les trajets entre Geld et Réonde. Les deux pauvres bêtes burent plusieurs seaux. Elles n’eurent pas le luxe de se reposer, le marchand leur fit reprendre une cadence effrénée en direction de Réonde. Kalan souffrait bien qu’il n’ait pas d’effort à fournir et qu’il soit abrité du soleil par la toile recouvrant la charrette. Le trajet lui parut déjà durer une éternité. Chaleur, inconfort, choc dans tout le corps, la vue des herbes sèches à répétition. Tenir, respirer, souffrir encore et encore. Il n’osait imaginer ce que vivaient les pauvres équidés écumants. Le jeune Sombre comprenait mieux que Derken et son marchand les traitent comme des moins que rien en voyant l’attitude réservée aux chevaux. Il était peiné d’imaginer ces deux animaux finissant leurs vies attachés à ce harnais. Kalan trouva tout à coup qu’il était chanceux d’être un Sombre de la Ceinture et non un cheval d’attelage de Derken. Il était pourtant encore loin de réaliser ce qu’était la véritable cruauté. Grâce au trot rapide des chevaux, il le découvrit plus rapidement que prévu. Ils arrivèrent dans les faubourgs de Réonde en fin de journée. Nessan passa la tête à l’extérieur de la calèche et écarquilla les yeux avant de faire signe à Kalan qui jeta un œil au paysage. Réonde lui parut immense derrière ses murailles et l’activité autour de la capitale semblait s’étendre à l’infini. Il s’agissait probablement des faubourgs, terres de ces propriétaires riches et puissants. Kalan n’avait jamais vu de si grandes surfaces habitées ou exploitées par des Elfes. Le lac d’Onde au bord duquel était bâtie la capitale était également gigantesque. Tout à l’ouest, Kalan le savait, se trouvait la rivière Nueuse qui quittait le lac pour se jeter ensuite dans la Tèbre, mais ils étaient bien trop loin pour l’apercevoir. Le marchand de Derken fit passer ses chevaux au pas et Kalan se rassit sagement sur son tonneau de vin. Il n’avait pas envie d’être remarqué et les premiers Elfes des faubourgs commençaient à leur apparaitre. Nessan dut partager son sentiment, car il sembla enfoncer sa tête entre les épaules. Ils longèrent plusieurs quartiers qui paraissaient devenir de plus en plus laids. La vue laissa bientôt place à des champs qui s’étendaient sans fin devant eux. Les deux frères n’avaient jamais vu un tel paysage. Plus surprenant encore, les espaces semblaient être répartis selon la plante cultivée. Champs de haricots, champs de pommes de terre, petits pois… aucun ne semblait se mélanger. À Montet et dans les villages qu’ils avaient traversés, les haricots poussaient aux côtés des fraises et des salades. Jamais ils n’avaient vu d’étendues cultivées aussi grandes. Mais les divers modes de culture ne les intriguèrent pas longtemps. Ils entrèrent bientôt dans une zone remplie de bétails. Des cochons étaient cloisonnés à leur droite et des poules à leur gauche. Kalan n’avait jamais vu d’élevage dépassant les cinq bêtes. Ici, il ne parvint même pas à compter le nombre de têtes. Les enclos étaient bien trop petits pour accueillir autant d’animaux et l’odeur était pestilentielle. Mais la stupeur de Kalan ne s’arrêta pas là. Un char rempli de provisions comme ils en avaient vu venir à Montet pour la taxe royale s’arrêta devant l’enclos des cochons. Là, deux Sombres vidèrent son contenu aux pieds des gorets et les vivres tombèrent dans la boue mêlée de déjections. Kalan et Nessan échangèrent un regard surpris, mais ils n’osèrent s’exprimer. De toute manière, Kalan pouvait comprendre que son frère partageait la même pensée que lui : « on nous prend nos biens, les produits de nos terres, on nous laisse mourir de faim si les taxes nous dépassent et tout ça pour quoi ? Pour engraisser leurs porcs ? Dire que certains Sombre de Montet étaient fiers de leurs magnifiques pommes de terre et s’imaginaient le Roi les gouter… Et bien non, mes amis ! Vos magnifiques pommes de terre sont un festin pour de pauvres porcelets qui eux peut-être seront bouffés par notre cher Grand Roi. » Kalan était révolté par la manière dont étaient traités les Sombres de son village et les animaux entassés sous son nez. Il réalisa que les champs vastes et les animaux d’élevage signifiaient des repas riches, variés et de viande au quotidien pour les membres de la capitale. Les banquets devaient servir de quoi se sustenter à profusion. Ce qui signifiait que… « Il n’y a plus aucune raison d’enfermer les Sombres de la Zone pour trahison lors de famines ! » pensa Kalan. « C’était peut-être vrai à l’époque, mais aujourd’hui, les Elfes de Réonde n’ont aucun risque de mourir de faim. Bien au contraire, tout le monde doit être gras et bien portant. » Il regarda Nessan dans les yeux et articula silencieusement la Zone. Son frère réfléchit quelques instants puis contracta les mâchoires. Il hocha la tête, signifiant qu’il avait suivi son raisonnement. Rarement Kalan avait vu une telle colère dans les yeux de son jumeau. Malgré sa petite taille et sa gentillesse, il trouva la lueur de son regard effrayante. Ils restèrent muets, contemplant l’horreur de l’endroit où ils allaient vivre. L’endroit où ils allaient vivre… Le cœur de Kalan se serra à cette idée. Ils avancèrent encore longtemps entre toutes ces atrocités et ces cultures sans fin. La zone de production autour de Réonde s’étalait à perte de vue. Finalement, la charrette s’arrêta, mais les frères ne bougèrent pas. Leur cocher apparut au côté d’un élégant Hypnotique bien en chair et de petite taille. Il avait de beaux cheveux roses et une barbichette de la même couleur. Tous les Sombres étaient imberbes et Kalan trouva son bouc fascinant, mais la marque orangée relativement large de son front rappela le jeune Sombre à l’ordre qui redressa ses barrières mentales en le voyant approcher.
— Je suis Armekin, annonça l’Hypnotique. Le marchand de Derken me dit que mon ami vous a envoyé à moi pour travailler. Est-ce exact ?
— C’est exact, Monsieur, déclara Nessan qui lui tendit la lettre. Il nous a remis ceci en guise d’explication. Je m’appelle Nessan et voici mon frère Kalan.
— Vous êtes bien jeunes pour venir vers moi, mais soit. Vous avez déjà travaillé ?
— Aux champs de nos parents, oui. On est très bien coordonnés.
— Bien, répondit-il en lisant la lettre. Je vais donc vous installer aux cultures. Toi là-bas, cria-t-il à un Sombre affairé à ranger une pile de bûches. Va me chercher Loudina. Il se retourna vers les jumeaux pour poursuivre : elle travaille aux champs également et vous montrera votre logement.
Les deux frères prirent leur sac et descendirent de la charrette. Ils étaient devant un grand entrepôt de marchandises. À l’extrémité se trouvait une bâtisse plus petite où une pancarte annonçait « Bureau d’échange ». C’était probablement là qu’Armekin tirait profit des biens de son territoire. Jamais les jumeaux n’avaient vu de lieux aussi laids. Comment les Elfes nobles de la capitale toléraient de vivre à côté d’un tel endroit ? Kalan fut tiré de ses réflexions par une Sombre qui arriva à leur rencontre au pas de course. De taille moyenne, elle dépassait les jumeaux d’une demi-tête. Ses habits étaient recouverts de terre plus ou moins fraiche. Elle se tint droite devant Armekin. Kalan avait l’impression d’apercevoir l’Énergie bouillir dans tout son corps. Les muscles toniques, bien bâtie, les cheveux dorés coupés courts, elle semblait taillée pour les travaux physiques.
— M’sieur Armekin, vous m’avez d’mandé, s’exprima-t-elle.
— Loudina, merci pour ta rapidité, lui répondit le propriétaire. Voici tes nouveaux camarades. Ils vont travailler aux champs, je compte sur toi pour les guider les premières semaines. J’aimerais que tu les conduises jusqu’à la chambre numéro 112, c’est bien la chambre pour deux de ta bâtisse ?
Loudina opina du chef.
— Parfait, vous partagerez donc la cuisine ainsi qu’avec… l’autre Sombre vivant avec toi. Les Elfes chargés des rapports d’efficacité me donneront leur avis sur eux. Vous pouvez disposer.
L’engagement avait été rapide, comme escompté. Armekin recevait probablement beaucoup de monde sur ses terres et ne prenait pas le temps de connaitre chacun de ses employés. Kalan se demanda ce que signifiaient ces rapports d’efficacité, mais n’osa pas questionner le propriétaire. L’Hypnotique leur fit signe de s’en aller et retourna à ses affaires.
— Bienvenue dans l’faubourg d’Armekin, moi c’est Loudina, se présenta la Sombre.
— Je m’appelle Nessan et voici Kalan. Merci pour ton accueil.
— Z’êtes jumeaux ? J’en avais jamais rencontré. Z’êtes un peu jeunes pour venir ici.
— On est petits, on a l’air plus jeunes qu’on ne l’est. Tu peux nous en dire plus sur ce faubourg ? On vient de débarquer à Réonde, poursuivit Nessan en espérant qu’elle cesserait de poser des questions sur leur vie personnelle.
— C’est l’plus grand des quartiers privés et l’plus loin d’l’entrée d’la cité. On est à côté d’la prison, c’est pour qu’nos élevages et qu’leurs prisonniers gênent pas les Hypnotiques d’Réonde. Vers l’entrée principale, y a d’jolis faubourgs.
— Qu’est-ce qu’il y a dans ces faubourgs ? demanda Kalan.
— T’vas vite le découvrir en travaillant pour Armekin. L’plus spécial c’est celui à l’entrée d’Réonde, y font pousser de fleurs ! De vrai ! Ça a l’air bête, mais ces fleurs elles décorent tout l’palais et y font des bouquets pour n’importe quelle fête. En plus, ces fous d’Hypnotiques paient le propriétaire pour qu’l’entrée d’la capitale soit jolie. Y en a même qu’ont des jardins privés et qu’engagent des Sombres pour… ben j’sais pas trop, faire pousser des fleurs j’pense. Bref, ça fait joli, ça a du succès, même si j’comprends pas l’intérêt.
Ainsi Réonde avait la vue sur des hectares de fleurs à l’ouest et sur le somptueux lac d’Onde au sud. Les Elfes y vivant devaient probablement éviter de regarder du côté de chez Armekin. En se retournant, Kalan découvrit effectivement que la muraille était plus grande de ce côté-ci, ne laissant voir aucune bâtisse de la capitale. La séparation entre les bonnes gens de la cité et les esclaves des champs ou leurs voisins les prisonniers était ainsi clairement établie. Il plissa les yeux en direction des geôles et aperçut au loin différentes tours qui pouvaient bien abriter des cellules remplies de bandits en tout genre.
— Armekin nourrit à lui seul toute la capitale et les faubourgs ? questionna Kalan.
— Entre ses terrains et son troc, ouaip. Et j’vous dis pas quand y a des banquets ! En plus des cultures, on doit s’cravacher pour trier les légumes les plus jolis. Et à l’abattoir, y doivent tuer beaucoup d’bestioles. C’est des moments d’merde, mais vous verrez bien.
En passant devant un entrepôt, un chien âgé les aboya férocement. Il était enchainé au mur et semblait garder la porte. Malgré ses quelques poils gris et ses yeux légèrement voilés, il était encore plein de fougue et Kalan n’aurait pas eu l’idée de l’approcher.
— Ce chien n’a pas l’air sympa, commenta-t-il.
— C’vieux garde l’entrepôt d’Armekin. Aucun Sombre y a jamais mis les pieds. Les quatre types qu’vous voyez là, postés autour, c’est les gardes du truc. Le chien, lui, c’est pour qu’les gardes entrent pas, 'fin pas sans s’faire mordre. Mais d’toute façon les gardes d’Armekin sont plus fidèles qu’le toutou ! Pt’être parce qu’il a toujours un lien mental avec eux, à c’qu’on dit.
— Tu sais ce qu’il y a là-dedans ? demanda Kalan.
— L’Indigo qu’y nous r’file, c’est même pas un s’cret, répondit la Sombre avec un petit rire. On sait qu’si on approche, Armekin et la garde rappliquent illico.
Kalan se retint d’envoyer un regard avide à Nessan, même s’ils n’avaient aucune chance de pénétrer dans l’entrepôt. Les gardes en faction étaient immenses et armés, même à deux contre un, les jumeaux n’avaient pas la moindre chance, sans compter les renforts. Les deux frères marchèrent un long moment derrière leur guide, découvrant des bâtisses de briques ternes se succéder, des chemins terreux et un manque de vie déconcertant. Il y avait bien quelques enfants qui couraient parfois, mais les pauvres étaient sales et habillés de haillons, Kalan en eut pitié. Pourtant, petit, il courait dans la boue dans de vieux habits rapiécés. C’était un peu différent pour ces enfants, Kalan était certain qu’on ne leur avait pas offert un bain depuis longtemps et que leurs habits n’avaient jamais été autre chose que des bouts de tissus troués pour laisser passer la tête et les bras. Tout dans ce lieu l’écœurait. Il se demanda comment ces Sombres étaient arrivés là, s’il s’agissait de la descendance des travailleurs et travailleuses de longue date qui n’avaient jamais hérité du moindre terrain. Si c’était comme dans la Ceinture, personne n’avait le droit de s’installer sur des terres inhabitées, d’y construire une maison et d’en cultiver le sol sans accord du Roi. Loudina s’arrêta soudain et déclara en pointant du doigt :
— Latrines et salles d’eau derrière l’angle à droite. Et voici vot’ nouveau chez vous.
Elle leur sourit en désignant l’entrée d’une bâtisse de deux étages. Bien que l’aspect n’enchantât pas les frères, ils lui rendirent son sourire et la suivirent à l’intérieur. Ils arrivèrent dans une petite cuisine avec un escalier raide qui donnait probablement sur les chambres. Le lieu n’était pas accueillant, mais il ferait l’affaire.
— Mampo ! héla Loudina. Y a deux nouveaux qu’viennent vivre avec nous.
Le dénommé Mampo, un Sombre aux cheveux cuivrés et aux marques en forme d’étoile descendit. Il n’avait pas l’air bien réveillé.
— Mampo, enchanté, se présenta-t-il en bâillant.
— Voici Nessan et Kalan, introduit Loudina.
— Z’allez prendre la chambre pour deux ? Vous m’semblez bien jeunes, j’suis désolé qu’vous soyez d’jà seuls, confia-t-il.
— Mampo, pas d’cafard, y sont tombés avec nous, c’est d’jà pas mal.
— C’est vrai qu’on est tranquilles, on s’entre-aide et on cafte pas tout au chef. Allez, v’nez, je vais vous montrer vot’ chambre. Après, on pourra partager not’ repas. Avec Loudina, on va vous montrer où acheter d’la nourriture pour vot’ première paie. Elle tombe toutes les deux semaines, z’aurez bientôt plus besoin d’nous. Vous pourrez payer l’repas la prochaine fois. C’est qu’on roule pas sur l’or…
— On sera plus à l’aise de taper dans vos réserves en sachant qu’on vous les remboursera, assura Nessan.
— Bien. Allez, j’pense qu’vous voulez poser vos sacs et vous r’poser. Z’avez pas l’air dans vot’ assiette.
— Le voyage en chariot était dur, expliqua Kalan. C’est vrai qu’on se poserait bien un moment.
« Et on essaierait bien d’oublier dans quel trou on est tombés. Je vivrais mille trajets avec le marchand de Derken pour fuir cet endroit. J’aimerais ne pas avoir à rester ici. Ne pleure pas, Kalan, surtout ne pleure pas », s’encouragea-t-il mentalement. Il suivit Mampo, les yeux parfaitement secs. Une fois dans leur chambre, les frères le remercièrent puis fermèrent la porte. La pièce contenait deux petits lits installés sous la pente du toit. Il faisait chaud, mais les jumeaux devraient s’y faire. Kalan s’affala sur un des lits.
— Je ne me suis jamais senti aussi peu chez moi, je n’aime pas cet endroit, murmura-t-il à Nessan.
— Moi non plus, mais enfin, on est là où on doit être pour l’instant.
— Peut-être… peut-être…, répondit Kalan d’un air absent.
En réalité, il se sentait loin de là où il aurait dû se trouver. Aux côtés d’Ahia, de Touma ou peut-être ailleurs, il n’en savait rien. Il lui paraissait évident que jamais il ne s’était senti aussi éloigné du chemin qu’il voulait emprunter.
Je trouve que le contraste avec leur village natal est bien décrit. Comme eux on a envie ici de retourner en arrière, retourner dans le temps aussi, loin de ce monde moderne irrespectueux de tout et de tous.
"À Montet et dans les villages qu’ils avaient traversés, les haricots poussaient aux côtés des fraises et des salades." -> vive la permaculture ;)
La scène du chariot de provision est forte aussi.
Concernant les nouveaux personnages, celui qui me plaît et m'intrigue le plus c'est Armekin. Je suis partagé entre le dégoût qu'il m'inspire à cause de son mode de vie et de ce qu'il cautionne, et en même temps il m'a surprise sur plusieurs aspects. Je le trouve respectueux quand il s'adresse à Loudina, il a l'air d'avoir de l'estime pour elle. Il connaît les bâtisses de ses "esclaves", jusqu'au numéro des chambres et leurs spécificités ; il sait d'emblée où placer les jumeaux pour qu'ils soient le mieux possible (il aurait aussi bien pu les séparer par cruauté, les intimider ou leur faire du chantage...) Mais il ne s'agit peut-être que d'un beau vernis !
Hâte d'en découvrir plus sur lui et sur les deux colocataires des jumeaux.
Merci pour ton retour :)