10: Enflammé

Me suis levé.
Me revois, flamboyant, tout neuf, enflammant mes pages de toute ma vigueur. Et de mon courage. Aveugle. Me revois écrire « Non », tout lynx. La revois, caressant ma joue langoureusement, ses cheveux tombant en cascade châtaine, hypnotique. La revois me dire que c’est beau, que c’est romantique, que c’est osé, un peu. Mais je continuais à écrire « Non » tout calmement, insolemment.  On pouvait pas aller plus loin, dans ces horreurs que personne ne semblait vouloir voir. Admettre. Alors me suis levé.

 

Me s’rais pelotonné, aurais ronronné, tout gentiment, personne m’aurait rien dit. Après, un peu, peut-être. Mais on aurait oublié, vite. On oublie, souvent, que les lâches ont été lâches. Peut-être parce qu’on l’est tous un peu…  

Et je l’aurais gardée, elle. Et ma joue, aussi. J’aurais pas vu les grelots, pas entendu son masque rouge sombre et noir brillant. Doré et blanc sale aussi, un peu.  

J’aurais pas senti la démangeaison du rire nerveux remonter le long de l’échine, forcer son passage, émerger douloureusement par la gorge. Presque grognement. J’aurais pas brûlé de liberté.  

J’aurais eu mal, aussi. Mais plus doucement.

 

Noé. L’a sorti un cahier, après trente secondes de silence. Le comble avec ces mots à lui, ce silence.  

Dans un cahier cuir, tanné par un souffle régulier. Pas vu plus loin que l’bout d’la rue, j’parie. Lui manque le grain, la poussière. Le crépuscule sans certitude de l’aube.  

L’a pas vu que j’le regardais, l’gamin. Laisse traîner ses yeux dans l’vide, happe un détail, le rature, affine. Taille ses mots.  

Les ai échangés contre des plus rugueux, moi, mes mots faons. Des plus râpeux. À liberté j’ai dû préférer survie. Sur vent choisi cendre. Sur sourire, grimacer.

 

— Qu’est-ce que tu racontes, là-dedans ?

 

Sursaute comme un môme surpris un doigt dans l’pot à confiture. Me tend le cahier, tout tremblant. Yeux un peu honteux, lèvres cherchant une petite validation.  

Prends dans les mains. Tout doux, sur mes mains rougies par les morsures du froid. Presque chaud. Écrit joli, au moins. Tout rond, calme, loin de l’urgence. Je commence.

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Rouky
Posté le 18/08/2025
Petite mention aux noms des chapitres qui enchaînent l'idée de la douleur, c'est très bien choisi !
J'aime aussi beaucoup comment, d'un chapitre à l'autre, on peut avoir une narration très différente. Le début avait un cadre narratif onirique, avec des mots "nobles", de longues et jolies phrases, et là on passe plutôt sur une narration entrecoupée, des phrases qui ne comportent même pas de sujets, comme si ce narrateur était épuisé, n'avait plus envie de faire d'effort. On sent vraiment la dualité narrative ! ^^
Attention tout ça c'est dans le bon sens du terme ah ah ! Personnellement j'aime bien les changements comme ça dans la narration :-)
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