Elle perfore ma joue. Rocailleuse. Charognarde. Elle me consumera, un jour, me réduira à un tas de braises presque chaudes. Changera pas des masses… Elle tâte, fouille, malaxe ma chair semi-durcie d’un peu d’espoir. Me rudoie. Me pourrit. Ma douleur.
— Comment c’est, d’avoir mal à ce point ?
Il me ballotte, doucement, dans ses yeux bleus-verts. Une secousse. Me retient. Me semble qu’il pleure presque, tient en haut ses larmes, par respect.
— On est tout seul. Les autres peuvent que deviner, et se tromper… Personne peut imaginer se faire grignoter de l’intérieur comme ça, personne… Et on ne peut voir, dans le brouillard chaud, que la prochaine heure, la prévoir, un peu. On connaît le rituel, la tortionnaire, à force… On sait que lorsqu’elle nous laisse attendre, tout anxieux, c’est pour revenir nous percer, nous pourfendre. Rapière.
L’autre semble se sentir presque coupable. T’as rien fait, gamin. Rien du tout. Ma plaie tremble. Fuse.
— Qui t’a fait ça ? Qui ?
— Des types en blanc, dans des salles vides de toute lumière. Ils brillaient, presque, tous plus anonymes les uns que les autres. Des masques de théâtre vissés à leur visage plat, un costume uniforme, le même pour tous. Tout blanc. J’me souviens, oui… Y’avait quelqu’chose de presque comique, à se faire trifouiller la joue par un arlequin espiègle, avec les grelots qui tintinnabulaient sans cesse. Dois bien lui avoir ri au nez, une fois ou deux, à ce type-là, devait pas en croire ses yeux, derrière son espèce de camouflage bariolé. Je pense que j’riais d’douleur, aussi. Pour décharger. Oublier, un peu. M’ont pris pour taré, j’pense, après un moment, à m’voir rire nerveusement comme ça. Et les tarés, ils sortent. Sont mauvais pour le moral du personnel...
— Et t’es sorti ? C’était comment ?
Son écharpe tressaille un peu, ses mains tremblent. Un tout petit souffle passe entre nous deux.
— Le soleil m’a fait mal. Trop de chaleur, d’un seul coup… Étais presque aveuglé, voyais plus rien. Et là, j’ai senti brûler. Suis tombé à genoux, me suis agrippé la joue. Sentais plus, là-dedans, dans le noir. Et là, on sonnait l’olifant en moi, tout vibrait, depuis là-haut. Me suis traîné, à l’ombre d’un arbre. Poirier. Et j’ai dormi. Longtemps.
Je le vois, il hésite, il veut demander quelque chose. On dirait un jeune chat qui vient se frotter, repart, revient quémander des caresses, saute loin, effarouché, dès qu’on veut lui en donner. Il se lance, finalement :
— Pourquoi ils t’ont fait ça ? T’as fait quoi, au juste ?
Le soleil brille fort, là-haut. Des pots de géraniums rouges aux balcons ouvragés. Je ne les avais pas remarqués. Beaux.
— T’as fait quoi, Íker ?
Il vise juste. Trop juste.
— Qu’est-ce que tu as fait ?
— Me suis levé, gamin. Me suis levé.
J'aime aussi la façon de parler d'Iker, ça casse le rythme de la narration poétique mais dans le bon sens du terme, c'est très symbolique. On retrouve beaucoup le thème du feu dans ce chapitre, on en ressent presque de la chaleur en le lisant !
Tu choisis très bien tes mots, on peut facilement s'imaginer la scène, limite ressentir la douleur du personnage et comment il a été éprouvé par la situation !