Des crampes. Je me réveillai le corps recroquevillé pour endiguer les vagues de douleurs. Ce n’était plus un murmure à présent, mais une tempête qui faisait rage à l’intérieur de moi. Je me mordis le poing pour m’empêcher d’émettre un seul son audible. Pas question qu’ils rappliquent pour me retrouver dans cet état. Je devais leur cacher ces changements, un pressentiment profondément ancré dans mon esprit. J’endurais péniblement cette crise lorsque les verrous grincèrent, m’annonçant leur arrivée. Instantanément, le processus cessa, comme mis sur pause. Je fermai les yeux pour feindre le sommeil. Cela ne les empêchait pas de m’amener à la salle d’opération. Ils étaient réglés comme des horloges.
Ils durent me croire vraiment assoupie, tromper par le calme apparent que je m’imposais. Durant ce temps, ils me laissaient tranquille. Pour une fois que les conseils du psy portaient leurs fruits. Je faillis lâcher un rire nerveux. Le pauvre n’imaginait certainement pas que je mettrais en pratique ces techniques de relaxation dans un hangar désaffecté, enchaînée à une table de métal, aux mains des responsables de mon état psychotique.
— On aurait dû penser plus tôt au coup des parents.
Je prêtai soudain l’oreille à leur conversation.
— Ils se sont bien planqués. On a eu du mal à remonter leur piste.
Les pièces du puzzle se mettaient en place. Tout était connecté.
— Trop facile de faire passer ça pour un accident. Les autorités sont si faciles à berner.
Le sang rugit à mes oreilles, obstruant tout son aux alentours. Il y eut comme un déclic en moi, un mécanisme qui se déclencha alors que la fureur m’envahissait. Ils les avaient tués. Ce constat implacable chassa la peur primaire qui me glaçait depuis qu’ils m’avaient emmenée dans leur espèce de laboratoire. Je sentis mes muscles se bander, tendant les liens enserrant mes poignets et mes chevilles.
— Eh, elle se réveille. Tu crois qu’il faut lui injecter un sédatif ?
Des bruits de pas. Ils partaient le prévenir certainement. Je continuai d’exercer une pression intense sur les lanières de cuir. J’interceptai le bruit discret annonçant qu’elles allaient céder. Une minute à peine, le Décoloré entrait, seul.
Alors qu’il se penchait juste au-dessus de mon visage, m’envoyant son haleine saturée de tabac, j’ouvris soudain les yeux, vrillant mon regard rempli de haine au sien. Il sursauta, reculant d’un pas. La peur, voilà ce que je sentais. Une odeur douceâtre couvrant les habituels relents de nicotine. Je profitai de l’effet de surprise pour donner le coup de grâce à mes liens puis bondir hors de la table. Le plateau métallique vacilla avant de se renverser, créant une barrière temporaire entre lui et moi. Je ne disposais que d'une poignée de secondes avant qu’il ne me tombe dessus. Fuir n’était pas envisageable. Une unique porte de sortie donnait directement sur ses deux complices. Mon regard affolé tomba sur une arme. Trop sûrs d’eux, ils avaient baissé leur garde, me croyant inoffensive, comme moi quelques instants avant. J’entrevoyais à présent les raisons de leur méfiance. Une rage sourde coulait en moi, me transfigurant. Je me saisis prestement de l’objet qui traînait, surprise par sa lourdeur.
Les doigts engourdis, j’armai le pistolet. Avoir visionné des séries servait finalement dans la vie réelle. Je tentai de réguler ma respiration alors que tout mon corps n’était que tremblements. Pointer, viser. Non, ce n’était pas si simple. Une vie humaine, voilà ce que je m’apprêtais à prendre. Ni plus ni moins, même si ce type était le dernier des salauds. Je luttai contre la nausée. La sensation de ces mains sur moi me comprimait encore l’estomac, faisait courir des fourmillements intolérables sur ma peau.
Un ricanement me sortit de ma transe. Interloquée, je le dévisageai. Il riait. Non, sans blague, l’enfoiré se marrait ! Je secouai la tête, incrédule, tout en agrippant plus fort mon arme. Dérisoire bouclier alors qu’il avait conscience de mon incapacité à tirer. Pourtant… Il n’avançait pas, se doutant du risque. Risque que je craque, que le coup parte soudain. Il suffisait d’une seule pression. S’il poussait trop…
Il pencha la tête, me narguant de son demi-sourire de sadique. Entre ses doigts se consumait toujours sa cigarette. Il la porta à sa bouche d’un mouvement nonchalant et sans me quitter des yeux, il tira dessus.
— Laisse tomber.
J’exhalai un soupir estomaqué. Il ne manquait pas d’air.
Le mégot fut jeté puis il s’avança. J’esquissai un pas en arrière avant de me ressaisir. Pas question de fuir. Cette fois, j’avais l’avantage. Il haussa un sourcil, peu convaincu.
— Tu n’as jamais tué, reprit-il de sa voix éraillée. Tu ne le feras pas aujourd’hui.
Il me narguait. Il me jugeait. Il avait tué mes parents…
Il ne te connaît pas.
Je redressai les épaules, un sentiment étrange de confiance m’envahissant au son de cette voix intérieure. Elle savait, me connaissait par cœur. Parce qu’elle faisait partie de moi, partie immergée de l’iceberg.
Le canon changea de position. Il tiqua face au changement de cible. Son pied amorça un mouvement, à peine perceptible. Il ne m’échappa pas. La détonation éclata, emportant brièvement une partie de mon audition. Instinctivement je portais mes mains à mes tympans, lâchant l’arme.
Les yeux écarquillés, encore surprise de mon geste, j’observais avec une fascination détachée le lieu d’impact. En plein dans la cuisse droite. Il se la tenait à deux mains, les dents serrées, les traits tordus par la douleur. M’abaissant sans le quitter des yeux, je cherchais le pistolet à tâtons. Alors que mes doigts se refermaient dessus, quelque chose me percuta l’arrière du crâne. Je m’écroulais.
*
La porte s’ouvrit dans un bruit de verrous claquant contre la tôle. Je me redressais vivement sur ma couche, les yeux éblouis par la soudaine clarté qui envahit la pièce. Déboussolée, je portais mes doigts à mes tempes douloureuses.
Mettant ma main en visière, je vis l’un des sbires du décoloré entrer avec un plateau. Le repas de la condamnée, pensais-je avec une ironie morbide. Le dernier peut-être. Il referma derrière lui, à clé, notais-je. Son chargement fut posé à terre, sans qu’il me quitte des yeux une seule seconde. Son regard me mit mal à l’aise. Une lueur féroce y brillait mêlée à autre chose. Quand il me détailla de haut en bas, je compris ses intentions, mes traits se crispant de dégoût.
— On est calmée ? Avec la dose qu’il t’a refourguée, tu devrais y réfléchir à deux fois avant de reproduire ton petit exploit. C’est qu’il a bien morflé le patron quand même. M’étonne qu’il ne t’ait pas piqué pour de bon.
Je sentais son souffle de fumeur me balayer le visage, luttant contre les haut-le-cœur. Les derniers évènements me revenaient en mémoire, une tentative ratée de sortir de ce cauchemar. Sa main rude saisit mes cheveux avant de me forcer à lui faire face.
— J’ai eu la permission de m’amuser un peu avec toi, susurra-t-il tout en approchant jusqu’à me frôler. Ne prends pas cet air dégoûté. Quelqu’un comme toi ne peut pas se permettre de me repousser.
Avec une horreur grandissante, je le vis se pencher vers mes lèvres. La bête gronda en moi et avant que je n’en prenne conscience, je lui flanquai mon poing sous le menton. Le coup le fit reculer, grognant de douleur. Ébahie, je fixai un instant mon bras, incrédule, avant de reporter mon attention sur l’homme qui se relevait. Mon sang se glaça face à la fureur qui inondait ses traits. J’allais passer un sale quart d’heure, c’était le moins que je pouvais dire, alors que je reculais jusqu’au mur.
— Tu n’aurais pas dû faire ça, éructa-t-il tout en se frottant le menton.
Il sortit une chaîne d’acier qu’il lia à mes poignets avant de m’agripper sauvagement le cou, me plaquant la tête contre le mur.
— Maintenant on fait moins la maligne.
Affolée, je sentis la pression autour de mon larynx s’accroître, bloquant le moindre souffle d’air. La bouche ouverte sur un cri muet, je vis ma dernière heure arriver. Voilà, j’allais mourir dans ce lieu sordide, étranglée par un psychopathe, seule. J’en venais à regretter de ne pas avoir sauté dans ce lac. Si seulement il arrivait pour me sauver… encore une fois… Mais on n’était pas dans un conte de fées. La réalité était loin d’être aussi arrangeante.
Ça y est, je reprends ! ^^
Deux remarques me sont venues à la lecture de ce chapitre :
1) Au début, elle est enchaînée, mais elle parvient à se libérer. Ça ne la surprend pas de réussir à briser des chaînes ? Parce que moi ça m'a étonne qu'elle y parvienne, donc je me dis qu'elle doit être dotée d'une force un peu surnaturelle, mais comme elle ça ne la surprend pas... Je m'interroge.
2) "Avoir visionné des séries servait finalement dans la vie réelle." -> Ça fait un peu justification je trouve. Je pense que ça serait mieux qu'elle tâtonne, voire essaye et tire par hasard dans le vide et découvre ainsi comment ça marche... Il faudrait ajuster la suite mais ça me semblerait mieux. C'est juste un avis !
Sinon, dur, la scène final. C'est une punition vraiment sadique. Au début j'ai plutôt supposé qu'ils ne devaient pas trop la toucher, mais là, visiblement les choses changent.
Aller, j'enchaîne.
Ce chapitre est riche en rebondissements , j'ai bien crue qu'elle arriverait à sortir, mais je me suis trompée. Au final, elle a tiré, mais sur sa jambe pour ne pas le tuer, sinon elle aurait une mort sur la conscience. J'espère que quelqu'un va venir la sauver.
Bonne continuation !