Une détonation éclata dans la pièce. Au bord de l’asphyxie, je voyais déjà des taches sombres brouiller ma vision quand la pression autour de mon cou fut relâchée brutalement. Je tombai au sol, à demi inconsciente. Respirant avidement, je tentai de faire le point sur ce qui m’entourait. La première chose que je discernai fut le corps sans vie de mon agresseur, une tache rouge s’élargissant sur sa poitrine. Essayant de reprendre mes esprits, je reportai mon attention vers le fond de la pièce, à l’opposé.
Arenht. Une hallucination ? Pourtant, le corps à mes pieds était on ne peut plus réel. Il était venu me chercher. Je n’en crus pas mes yeux quand je reconnus sa silhouette se dessiner à contre-jour devant moi. La gorge encore douloureuse, je ne pus prononcer aucun son, alors que des milliers de mots se bousculaient aux portes de mes lèvres. Comment avait-il su ? Pourquoi était-il venu ? Mais surtout qui était-il vraiment ? Je ne savais rien de lui, le mystère l’entourant restait aussi opaque que les lunettes de soleil qu’il arborait. Pourtant il était là pour moi, et cela, à ce moment précis, était tout ce qui m’importait. Sortir de ce cauchemar, être libre à nouveau. Il restait une énigme, mais j’avais confiance en lui.
Petit à petit le soulagement m’envahit, par vague. Mes muscles se relâchèrent et malgré moi, des larmes coulèrent en même temps que la tension s’en allait de mon corps. Avant d’avoir pu essuyer mes pleurs ridicules, je me retrouvai dans ses bras. Instinctivement je me serrai contre lui, agrippant les pans de sa veste. J’avais un besoin douloureux de sentir que tout cela n’était pas le fruit de mon imagination, qu’il était bien réel, à mes côtés.
La radio du garde grésilla soudain, me faisant sursauter.
— Allez, viens. Il ne faut pas traîner ici.
M’agrippant la main, il me remit sur pieds. J’enjambai mon agresseur puis franchis la porte à sa suite.
Sortant du bâtiment, il m’entraîna entre les conteneurs et les préfabriqués. Le pas sûr, il semblait avoir repéré le terrain avant d’agir. L’alerte avait été donnée rapidement, on se mettait déjà à notre recherche. Un édifice à étage nous servit de refuge avant qu’ils nous surprennent. Il barricada l’entrée à l’aide d’une armoire métallique. Celle-ci sembla ne rien peser quand il la déplaça, pourtant elle était imposante. Le système ne tiendrait pas longtemps, mais nous laisserait suffisamment d’avance.
— Par-là, m’indiqua-t-il en pointant l’escalier menant au toit.
Je m’y engouffrai à sa suite, sans poser de question. Je m’en remettais totalement à lui. La surface du toit n’offrait aucune échappatoire autre que sauter. On en était réduit à cette extrémité. Reculer n’était plus une option envisageable. L’appréhension initiale devait disparaître. Un dernier regard échangé avant de se lancer dans le vide. Je m’avançai, le pied à quelques centimètres à peine du rebord du toit. La chaîne enserrant mes poignets cliqueta à mon mouvement.
— Tu es sûr que ça va aller ? lui demandai-je, la peur faisant trembler ma voix.
— Fais-moi confiance. C’est notre seule chance.
Il regarda rapidement les alentours.
— Personne de ce côté, c’est le moment où jamais.
Comme pour appuyer ses dires, des coups martelant la porte d’en bas nous parvinrent.
Nous sautâmes, d’un mouvement d’un seul, sans un regard en arrière. Impression fulgurante de perdre pied, attraction irrésistible de nos corps vers le sol. Le bruit du vent dans les oreilles ne masqua pas le craquement sinistre du bois qui cédait sous la pression ainsi que les coups de feu résonnant au-dessus de nos têtes. Soudain, l’impact du sol sous mes pieds. Mes genoux fléchirent pour amortir le choc. Je me relevai, indemne. Par je ne savais quel miracle, je ne m’étais pas rompu le cou. Levant les yeux vers l’endroit dont nous avions sauté, je n’en revenais toujours pas. Arenht me saisit le bras. Ce n’était pas le moment de traîner dans les parages. Slalomant entre les préfabriqués, nous nous arrêtions fréquemment, jugeant de la position de leurs hommes aux cris et martèlements de leurs pieds dans la cour. Concentré, mon compagnon scrutait les environs avant de nous mener vers l’abri précaire d’autres blocs. Ce manège se répéta plusieurs fois sans que nous nous fassions prendre, la prudence d’Arenht nous ouvrant la voie hors de cet enfer.
Il s’arrêta soudain près d’un bâtiment délabré, à l’extrémité de la zone désaffectée. Alors que j’allais lui demander pourquoi nous attendions sur place, des grattements retentirent contre la tôle. Me revint le souvenir des bruits entendus la nuit précédente, les hurlements d’une bête que la plupart craignaient ici. Arenht se colla contre le mur avant d’effectuer une série de tapements brefs sur celui-ci. Le grattement s’interrompit, comme en réaction au petit manège d’Arenht.
— Sheren ? C’est moi mon pote. Ça va là-dedans ?
En réponse, des bruits sourds et des craquements se firent entendre. L’appréhension me saisit à la gorge. Que se passait-il dans cet entrepôt ? Y’avait-il quelqu’un avec la bête ?
Arenht ne semblait pas inquiet, il s’attaquait à présent aux verrous qui cadenassaient la porte. Ceux-ci ne résistèrent pas longtemps. Alors que je scrutais les environs pour voir si nos poursuivants ne s’approchaient pas, il s’était introduit dans le bâtiment plongé dans le noir. Hésitante, je restai sur le pas de la porte, essayant de distinguer quelque chose dans cette pénombre. Un souffle haletant retentissait à l’intérieur, me faisant courir un frisson dans le dos. Tout à coup, une voix rauque retentit.
— Arenht ?
— Oui c’est moi. Ce n’était pas facile de te dénicher.
Un petit rire lui répondit.
— Ouais, ils deviennent bons à ce petit jeu les enfoirés. Ça fait plaisir de te voir.
Arenht émergea à la lumière du jour accompagné d’un homme à l’allure dépenaillé, une barbe ombrant la moitié de son visage. Celui-ci me dévisagea, me scrutant de son regard acéré.
— C’est elle ?
Je saisis l’échange de regard entre les deux hommes. Arenht se contenta de hocher la tête.
— Sheren, Aylyn. Ne traînons pas ici. On aura le temps de discuter une fois hors de cet enfer.
Il me saisit la main, puis s’élança vers la haute barrière délimitant la zone désaffectée. Des cris percèrent le calme relatif nous entourant. Ils allaient bientôt nous débusquer, ce n’était plus qu’une question de temps. Nous accélérâmes le pas autant que possible. Le dénommé Sheren boitait légèrement, mais forçait l’allure pour rester à notre hauteur. Devant nous se profilait le grillage surmonté de fils barbelés, toile de fer nous emprisonnant dans ses filets. Comment allions-nous passer à travers ? Affolée, je voyais l’instant où nous allions être pris au piège. Arenht continuait sur sa lancée, nullement freiné par la vision de la frontière de fer. Une fois arrivé au pied de celle-ci, il agrippa à mains nues le grillage et tira violemment dessus pour le déchirer. Je doutais qu’il puisse y arriver, mais qu’elle ne fût pas ma surprise quand une brèche se dessina, suffisante pour nous laisser passer. Interloquée, je restai interdite devant ce spectacle. Comment avait-il fait ? Sheren se tourna vers moi.
— Bon, princesse c’est quand tu veux. Je n’ai pas trop envie de m’éterniser ici. L’accueil n’est pas super ici et la bouffe n’en parlons pas.
— Oui, je… j’arrive, bégayai-je en me remettant en marche.
Arenht écartait les pans du grillage arraché quand des bruits de pas martelèrent le macadam à un rythme infernal. L’air se chargea de tension alors qu’ils débouchaient dans l’espace faisant face à nous. Sheren se positionna face à eux, les traits sombres, les muscles bandés, Arenht à ses côtés. Quatre hommes nous encerclèrent, pointant leur arme vers nous. Arrêt sur image. La liberté était à notre portée, un pas à faire pour être hors de cet enfer. Tenter le coup et risquer d’être abattu ou finir de nouveau entre leurs mains pour subir leurs tortures… Le choix semblait vite fait. Arenht et son ami avaient dû aboutir à la même conclusion. Ils esquissèrent un pas en arrière, sans quitter nos ennemis des yeux.
— À trois, faufilez-vous par le trou, le plus vite possible, murmura Arenht. C’est notre seule option.
La panique m’empêcha de sortir un son.
— Aylyn ?
— Oui, murmurai-je. À trois.
Nos poursuivants continuaient de se rapprochaient, lentement bizarrement, comme s’ils redoutaient quelque chose. Ils n’avaient pas peur de nous quand même ? C’était incompréhensible !
— Un… deux...
Je me préparai à fuir, les membres tremblants d’anticipation. Le soleil me faisait cligner des yeux alors qu’il nous surplombait.
— Trois !
L’image se remit en route. Arenht sortit son arme et la braqua sur l’homme le plus proche de nous. Sheren me poussa vers la sortie. Nous y étions presque. Le bruissement du vent dans le feuillage de la forêt de l’autre côté était comme une invite irrésistible. Avant d’enjamber le grillage, je jetai un dernier coup d’œil vers Arenht. Mes yeux s’écarquillèrent d’horreur. Un des hommes venait de se glisser dans l’angle mort d’Arenht, s’approchant lentement mais sûrement de lui avant de le viser.
Non ! hurlai-je mentalement en voyant l’arme braquée sur lui. Sans réfléchir, je m’élançai pour l’écarter de la trajectoire de la balle, bousculant Sheren qui essayait de me retenir.
L’impact qui me toucha me propulsa au sol. Explosion de douleur au milieu de la débandade. Il ne l’avait pas touché lui, c’était tout ce qui comptait pensai-je avant de m’écrouler, des taches rouges et noires dansant devant mes pupilles. Un juron retentit à mes oreilles, des bras se glissèrent sous moi avant de m’emporter, puis je sombrai, inconsciente, une sorte de grondement sourd en toile de fond.
Remarques :
- "L’alerte avait été donnée rapidement, on se mettait déjà à notre recherche." -> quelle alerte ? Comment le sait-elle ? Y a-t-il un bruit qui retentit de toute part ? Des cris ? Autre chose ?
- Je ne comprends pas pourquoi ils passent par un toit pour s'enfuir... Ça ne leur fait que perdre du temps, au final. Je comprends que tu en profites pour montrer le côté surhumain de leurs capacités, mais je suis un peu dubitative sur l'intérêt.
- "Me revint le souvenir des bruits entendus la nuit précédente, les hurlements d’une bête que la plupart craignaient ici" -> c'est qui, "la plupart" ?
- Elle est plus étonnée de voir Arenht ouvrir un grillage à mains nues que de sauter d'un toit ? (bon, tu n'as pas précisé la hauteur du toit, mais bon)
- "lentement bizarrement" -> à la suite je trouve que c'est un peu lourd
Sinon, je trouve que la tension est bien maîtrisée sur ce chapitre. Malgré mes petites remarques, ça monte graduellement, et j'avoue que je ne m'attendais pas à ce qu'elle prenne une balle à la fin !
Ce chapitre est très mouvementés et émotionnel. Arenht ma l'air très fort, et sur de lui. Je me demande quel mystère se cache derrière Aylyn. En tout cas, c'était incroyable et bien écrit.
Bonne continuation !