10 février 2022 : Un rejet

Par Liné

Un café. Un café de famille. Ça pourrait s’appeler de toutes les manières mais non : c’est le Bistrot de la gare. Pathétique. Banal. J’en vomirais d’ennui. A ce bistrot de fin de campagne, de fin de vie, je souhaite le feu.

Ma mère qui passe le torchon sur le comptoir, qui violente le tissu sans que rien ne bouge, sans que rien ne crie, sans autre bruit que la radio défectueuse… Si elle pouvait seulement aller se la soigner une bonne fois pour toutes, sa luxation de l’épaule, et si elle pouvait seulement arrêter d’y travailler, dans ce café familial, et si elle pouvait seulement vivre, vivre, penser à elle, partir, être folle oui, folle, pas de ces folies qui enferment mais de celles qui sauvent, qui créent des voltiges, des… A cette mère je souhaite l’étouffement.  

Et mon père qui la regarde faire, un œil sur le comptoir toujours propre, l’autre sur ses cahiers de comptes, qui la surveille de derrière ses lunettes tombantes, par-dessus ses cernes dégoulinantes… Ce serait pourtant si simple, arrêter de loucher, de lorgner, regarder quelque part de fixe, voir ou peut-être même, si ce n’est trop demander, contempler la beauté qu’il a toujours sous le nez, profiter, je ne sais pas moi, des journées ensoleillées, des musiques qui passent à la radio et qu’il adore en secret, des efforts que fait ma mère pour lui plaire, ce serait si simple, si salvateur, si… A ce père je souhaite l’aveuglement.

Qu’ils aillent au diable. Au moins ce sera réglé.

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Hortense
Posté le 08/11/2022
Le regard que l'on pose sur ses parents est souvent cruel et dénué de concessions. C'est avec ce regard que se construit la personnalité : ce que l'on voudrait pour soi, ce que l'on ne veut surtout pas devenir, ce que l'on déteste plus que tout. Ici ce n'est pas tant les parents que l'univers qui les entoure, qui les enferme, qui les annihile. Cet univers auquel le personnage veut échapper : être et ne pas être.
J'aime beaucoup !
Hortense
Posté le 08/11/2022
Le personnage veut être et ne pas être.... je crois que je n'étais pas très claire !
Liné
Posté le 08/11/2022
Ton commentaire est très clair, Hortense ! Merci encore !
Tu touches juste : ce n'est pas véritablement à l'égard les parents que le narrateur/la narratrice est en colère, mais contre l'univers qui les emprisonne, et dont il est tellement dur de se défaire.
A bientôt !
Tac
Posté le 07/11/2022
Yo !
J'ai l'impression que tu me mets tes petites claques, là. Je reconnais ton style, tes thèmes, sauf qu'au lieu de les diluer dans des textes plus longs '(quoi que tu as la ""fâcheuse"" manie de les rendre très angoissants si tu vois ce que je veux dire), ils sont ici condensés et je me les prends en pleine poire. Pas parce que je vais à contresens de toi, mais juste parce que.. bah c'est toi qui tiens la raquette et qui envoie la balle, quoi, et moi je suis en face bien gentiment !
Bref.
Bravo pour ces petits exercices d'écriture !
Plein de bisous !
Liné
Posté le 08/11/2022
Hey, toi ! T'ai-je dis que j'ai fait du tennis pendant mon adolescence ? Après, j'étais ni nulle ni douée, alors bon...

Merci beaucoup pour ton commentaire ! Je n'avais pas forcément en tête que sur des formats courts, mes petites claques étaient plus resserrées et présentées un peu plus brusquement : mais ça a complètement du sens. Ce que je veux dire reste là, raconté rapidement ou pas.

Merci beaucoup, Tac ! A très vite !
Edouard PArle
Posté le 06/11/2022
Coucou !
Dans le même registre que les textes précédants, on retrouve un certain fil conducteur. Ca ne me choquerait pas que tous aient été inscrit du pdv de Claire.
L'idée de parents perdus dans une vie banale incapable de se révolter est très parlante. J'ai trouvé les scènes décrites très visuelles malgré le peu de mots.
Un plaisir,
A bientôt !
Liné
Posté le 08/11/2022
Tiens, je n'avais pas imaginé que tout ait pu être écrit par Claire, mais ça a du sens...
Merci de ton passage sur ce recueil, et à bientôt !
Pluma Atramenta
Posté le 22/10/2022
Salut !

Un texte très court, percutant. Je vois bien la narratrice (le narrateur?) écrire ces mots avec rage, frénésie - quelque part dans un journal ou sur une nappe. En tout cas, son agacement en débordement est très bien retranscrit. J'aime la manière dont tu as dépeint l'ambiance de ce bistrot, à travers deux personnages "morts du dedans", et des yeux de leur enfant en colère. J'aime les nombreuses énumérations, accumulations de virgules - comme si la narratrice (je persiste à la voir comme une adolescente) parlait et débitait sa rage à perte de souffle...

« Ma mère qui passe le torchon sur le comptoir, qui violente le tissu sans que rien ne bouge, sans que rien ne crie, sans autre bruit que la radio défectueuse… » Je trouve cette phrase très « visuelle ». Je me suis représentée la scène avec beaucoup de détails : efficace, vraiment !

« (…) si elle pouvait seulement vivre, vivre, penser à elle, partir, être folle oui, folle, pas de ces folies qui enferment mais de celles qui sauvent, qui créent des voltiges » La répétition de vivre est géniale. J'aime beaucoup, aussi, l'idée des folies qui sauvent <3 C'est presque une image réconfortante...

L'image des "cernes dégoulinantes" est très bien trouvée !
Pourtant, j'ai l'impression qu'il manque quelque chose, quelque chose de minuscule... Une description plus approfondie du lieu ? ça alourdirait le texte. Davantage de détails ? Pareillement. Hum... En fait, je crois que je n'ai pas eu ma dose de Liné de la journée. En route vers le prochain chapitre !
Liné
Posté le 25/10/2022
Je comprends qu'un côté frénétique se dégage à la lecture, puisque j'ai écrit le texte assez rapidement, en me laissant un peu porter par la colère et l'agacement du narrateur/narratrice (comme je suis une femme, les voix dans ma tête ont tendance à être féminines). J'ai aimé jouer avec cette rapidité, cette nervosité qui se ressent jusque dans la ponctuation.
Je suis contente d'avoir su insuffler autant d'images et d'interprétations avec un texte aussi court !
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