10. La ligne A

Le sniper le plus proche tira. Sa balle atteint le carreau d'une fenêtre, autrement dit, à environ 10cm de ma tête. Je vois la balle fuser vers l'autre mur, qui l'arrête, n'ayant pas la vitesse assez forte pour le transpercer. Une autre balle arrive. Elle transperce le mur et serait impeccablement logée dans le crâne de Zack si celui-ci ne s'était pas écarté in-extremis. Brenna est en train de manipuler quelque chose sur sa tablette. Je ne voyais pas ce qu'elle faisait, mais vu l'air qu'elle affichait, cela devait être important. Tobias sortit un pistolet de sa poche, le chargea et tira sur la petite ouverture (je suis sûre que c'était fait exprès pour) dans le coin du mur. Moi, je ne savais pas trop quoi faire. Entre Tobias qui semblait un tireur d'élite, Brenna qui devait être à un haut niveau en informatique, et Zack qui semblait attendre un signal pour courir je-ne-sais-pas-où, je me sentais bien inutile. Alors je me redressai, ayant encore un mal de crâne après ma sorte de possession, et tenta d'aider Brenna en calculant en même temps combien de minutes il me restait à vivre.

Soudain, Brenna leva le nez de sa tablette et appuya sur un bouton. Les murs, le sol, le plafond, ne recevaient plus aucune balle. Les volets se rouvrirent, les portes aussi, etc... Mais les tireurs dehors étaient toujours là. Et ils tiraient des balles...Dans le vide. Une sorte de champ de force invisible entourait désormais la maison. Je n'avais qu'une chose à dire : Vive l'informatique ! Mais je vis que l'informatique n'était pas seul dans le coup. Les impacts des balles se refermèrent soudainement comme s’il ne s'était rien passé. Tobias rangea son pistolet et Brenna regarda à nouveau sa tablette.

- Je crois que ça devrait les retenir un petit moment...Le temps qu'ils percutent...commença Brenna.

- Tu es en train de dire qu'ils sont cons à ce point ? demandais-je

- Oh oui, renchérit Tobias. Tu crois vraiment qu'ils n'ont ne serait-ce qu'1% de chance de trouver là où nous seront ?

- Là où nous seront ? C'est à dire...

- Qu'on va partir, dit Brenna. Et maintenant.

Quoi ? Comment ça partir ?! Alors là, si je m'attendais à ça...Je me doutais bien qu'on ne pouvait pas rester ici, mais quand même ! Je cherchais mon frère du regard, mais il fit comme si tout était normal. Le portable de Tobias vibra et il dit :

- Le prochain train part pour Paris part demain à 9h, soyez là une heure avant si possible. Je vais demander à Erwan de vous ramener à Londres.

- Stop ! m'exclamais-je. J'ai environ un million de questions à vous poser, mais là je pense que les plus appropriées sont : Pourquoi on va à Paris ? Vous croyez vraiment que les agents du JT vont rester plantés là jusqu'à demain ? C'est quoi Erwan ?

Les trois adolescents me fixèrent sans rien dire, en se demandant pourquoi je pose ces questions maintenant, alors que c'est clairement pas celles que j'ai envie de poser en premier, mais si je continue à suivre des gens sans savoir même où je vais, je pense que je vais devenir dingue ! Mais comme d'habitude, il se détournent de moi et retournent à leurs occupations, sauf Zack, qui me dit :

- Viens, on va chercher nos affaires.

Je n'en pouvais plus. Je. Voulais. Des. Réponses. Mais vu que la situation m'en empêchait (encore !), je suivis mon frère sans broncher. Mais au dernier moment, il se retourna vers Tobias et Brenna et demanda :

- Au fait, elle a raison : C'est quoi Erwan ?

Tobias, qui s'était assis sur son fauteuil favori et commençait à lire un Comics, tourna la tête dans notre direction et nous répondit avant même que Brenna, en train de redescendre l'escalier en toute vitesse pour faires ses propres bagages, commença à dire un son.

- Erwan, c'est le passe murail gothique qui t'a demandé tes papiers sur la ligne A avant que tu ne montes dans le train, Zack.

- Ah, lui...dit Zack avec une mine de dégoût

Nous montâmes dans l'ascenseur bizarre et nous redescendîmes jusqu'à la fameuse ligne A. En poussant la porte et en descendant l'escalier métallique je dus fermer à moitié les yeux pour ne pas me faire éblouir pas la clarté qu'offrait la station et le train. Tout était blanc, propre, éclairé comme pas possible, et désinfecté à fond. Les portes du train s'ouvrirent, et Erwan apparut.

- Tu as besoin de savoir si j'ai l'autorisation, passe muraille gothique ? demanda ironiquement Zack

Erwan esquissa un sourire, puis lui répondit :

- Non, merci voyageur débile. Vous pouvez passer.

Je ne pus m'empêcher de pouffer de rire. J'ignorai le regard réprobateur de mon frère et je montai dans le train. Avec le chauffage et la climatisation mêlés ensembles, la température était très agréable. Je m'assis sur l'un des sièges les plus confortables desquels j'ai pu m'asseoir au cours de mon existence et regarda par la fenêtre le joli mur blanc qui disparut aussitôt que le train démarra.

*

Une vingtaine de minutes plus tard, le train arriva à son premier arrêt. Bien que le temps fût long, ce ne se fut pas vraiment désagréable de pouvoir se reposer un peu. Oui, je m'étais endormie sans m'en rendre compte. Mon frère me réveilla en me secouant brutalement l'épaule. Lorsque nous nous levâmes, je ne pus m'empêcher de lui poser une question :

- Au fait, pourquoi la ligne A ? Il y a vingt-six autres possibilités de lettres, non ?

Ce fut Erwan qui me répondit :

- Ligne A pour ligne abandonnée. (Il poussa la porte du train) Regarde.

La noirceur de la station faisait contraste avec la luminosité du train. Une horrible station fantôme...Je comprenais maintenant pourquoi elle s'appelait la ligne abandonnée. Est-ce que toutes les stations de cette ligne étaient-elles aussi bien entretenues que celle-là ? J'imagine. Mais mon regard dériva vers une phrase taguée avec de la peinture blanche : "Ceux qui attendent le train perdent leur temps, ceux qui cherchent l'aventure montent dedans." Comprenant le sens de la phrase, je me dis qu'il fallait avoir de la chance pour trouver l'aventure, et vouloir vraiment la chercher, il ne fallait pas attendre qu'elle vienne. Cela m'était arrivé comme ça. C'est moi qui avais décidé de suivre Tobias dans ses problèmes, et lui avait eu la chance de me trouver pour échapper à l'homme au costume noir. Mais avant, en lisant mes romans, j'avais toujours attendu que ce soit l'aventure qui vienne à moi. Zack se rendit compte que je souriais. Il me regarda avec incrédulité, puis me demanda :

- Quoi ? Qu'est-ce qu’il y a ? Il commença à froncer les sourcils puis ajouta : C'est Erwan qui se moque encore de moi c'est ça ?

J'éclatai de rire. Mon frère me suivit et Erwan qui était resté collé à la vitre fit un clin d'œil bizarre à mon frère, qui lui tira la langue. Le train repartit, nous laissant tous les deux dans la station obscure. Zack et moi sortîmes notre lampe torche et nous éclairâmes la station. On se croyait dans une salle de spectacle avec des projecteurs cherchant l'artiste à travers le sol et les murs. J'éteignis ma lampe pour voir à quoi ressemblait la salle dans l'obscurité. Zack poussait déjà la porte métallique. Je me retrouvai alors seule au beau milieu de l'obscurité. La peinture blanche luisait. C'était magnifique. Je me rendis compte que je souriais toujours. D'habitude, dans le noir, sans aucune source de lumière, sans aucun réconfort, j'avais un sentiment d'oppression constant. Mais là, je me sentais en sécurité. Peut-être parce que je me trompais depuis le début. Je croyais les créatures nocturnes (d'ailleurs il faudrait vraiment leur donner un nom parce que là...) dangereuses et mortelles, mais elles étaient inoffensives. Je croyais la nuit dangereuse, mais en réalité elle émanait une délicieuse odeur d'aventure. Je n'avais plus peur. Et je compris une chose : Il fallait que je découvre mes réponses par moi-même, au lieu d'attendre que Tobias, Zack ou Brenna me réponde. Je souris de plus belle. Mais j'entendis un bruit à ma gauche. Alors je tournai vite la tête dans cette direction. Je vis une créature un peu différente de celles que j'avais l'habitude de voir. Son corp était bleu nuit avec quelques taches blanches sur son dos. Elle avait la forme combinée d'une panthère et d'un tigre. Elle avait des yeux de chat jaunes, comme les autres créatures, mais celle-ci m'observait calmement, puis dès qu'elle vit que je l'avais vue, elle paniqua et traversa le mur de la station.

C'est le moment que choisit Zack pour revenir (en poussant donc la porte métallique rouillée brusquement avec le crissement horrible qui me fit sursauter. Un frisson me parcourut l'échine. Je lui criai :

- Mais t'es malade ! Ça ne va pas de faire peur aux gens comme ça ?!

Il rigola discrètement et me glissa :

- Dépêche-toi de venir si tu espères dormir avant de prendre le train demain. Allez, grouille ! Moi, contrairement à toi je ne me suis pas endormie dans un métro avec un croque mort chelou qui me fixait.

Je m'avançai vers lui et il referma la porte. Je remarquai qu'on était sur des rails. J'allais exprimer ma surprise et ma peur de me faire percuter par un wagon à tout moment quand il me fit signe de me taire. Nous montâmes sur le quai désert de la ligne N. Après être montés dans le train puis descendus de celui-ci une heure plus tard, nous remontâmes enfin à la surface. La lune était bien haut dans le ciel, avec son côté droit visible. Je ne l'admirai pas longtemps et suivit mon frère qui faisait exprès de courir pour me distancer en accélérant le pas. Nous rentrâmes chez nous. Je pensai tout au long de mon sommeil où je comptais aller, quelle voie j'allais suivre, qu'est-ce qui m'attendait.

J'étais prête à vivre l'aventure. Celle que j'avais toujours attendue.