10- La Vaste Taverne

Par Dédé

— Tu vois, je savais qu’on y arriverait ! triomphe Xander.

Rien d’étonnant à ce qu’il râle et qu’il boude sur la route pour s’enthousiasmer une fois arrivé à destination. J’y suis déjà presque habituée. Je n’y prête aucune attention.

J’ai seulement hâte de rencontrer d’autres personnes de ma taille, à l’intérieur de cette Vaste Taverne.

— Avant de rentrer, m’avertit mon camarade, oublie pas que je suis là. Parle à personne sans mon accord. Et, attention si tu bois quelque chose…

— Je ne compte pas boire quoi que ce soit, Xander.

— Véra, je t’ai pas dit de pas boire. Juste de faire attention. Il va falloir boire un peu si tu veux te fondre dans la foule.

Sa voix résonne comme une sentence.

Au moins, je me satisfais de constater qu’il a retrouvé son audition.

Après une profonde inspiration pour me donner du courage, je rentre dans l’établissement. Je prends Xander par la main. Son plissement oculaire me laisse à penser que son voile est revenu.

La salle est remplie de tonneaux autour desquels parlent et s’abreuvent plusieurs groupes d’hommes. Je remarque avec horreur que je suis la seule femme à l’intérieur. Je saisis un peu mieux les recommandations de Xander. Je vais faire bien attention et rester sur mes gardes.

— Allons commander notre verre ! s’extasie mon ancien patron. Sans oublier de nous mélanger aux autres pour relever des informations sur de potentiels Ornikar. Ouvrons yeux et oreilles !

Au bar, je demande une petite bière parfumée à la fraise des bois. Lui, tapant du poing sur la table, réclame un grand verre de whisky bien fumant.

En attendant son précieux liquide, il se recoiffe. Quelques mèches de ses cheveux bruns sont venus s’égarer sur son front. Nous sommes trop proches du tavernier et des autres clients pour que je lui rappelle qu’il y a des géants endormis, dehors, à cause de sa fâcheuse musique. Il ne faut pas oublier de trouver une solution pour les réveiller...

— T’éloigne pas trop, Véra. Reste dans mon champ de vision. Ainsi, je garde un œil sur toi.

Je ne peux m’empêcher de noter l’ironie dans ses propos. Il n’a pas l’air de s’en amuser. Ces jeux de mots sont de purs accidents linguistiques. Pour quelqu’un qui a un rideau oculaire… Il veut que je reste dans son champ de vision, m’avoir à l’œil… Au moins, cela me distrait de tout ce qui me tracasse.

— Si tu sens que le danger te guette, tu cries, me prévient-il. J’ai du papier calque sur les yeux, pas des bouchons de vin dans les oreilles.

Heureusement pour moi, je n’ai pas attendu son intervention pour différencier la cécité de la surdité.

Je m’empare de ma bière. Le whiskey de Xander est encore en cours de préparation. Avant qu’il ne veuille m’apprendre à compter jusqu’à cinq ou à lire des monosyllabes, je m’éloigne vers une tablée de trois clients.

Ils ont l’air dans leur état normal malgré l’odeur alcoolisée qui émane d’eux. Rapidement, alors que je m’approche de leur table, en prenant soin de ne pas renverser mon verre plein, l’un d’eux me remarque :

— Hey ! Mademoiselle ! Tu sais que tu es belle avec ton verre ?

— Euh… non… Je ne savais pas… euh… Merci.

Je sens le regard de Xander posé sur moi. Cela me rassure vraiment.

Les clients me font une place autour du tonneau. Je m’y installe avec prudence.

L’homme qui m’a interpelé n’insiste pas davantage. Il me fixe un petit peu comme si je l’avais envoûté. Rien qui ne me mette vraiment mal à l’aise.

J’essaie de me détendre. Je n’en oublie pas ma mission. Enquêter pour trouver des Ornikar à la Vaste Majuscule. Quelque part ailleurs. N’importe où. N’osant pas poser la question directement, je fixe du regard mon verre de bière à la fraise des bois.

— C’est d’vin hémoglobineux qu’vous b’vez, mad’moisel’ ?

Il est vrai que ma boisson ressemble à s’y méprendre à du sang.

Depuis cette remarque, je sens une once de crainte dans leur regard. Je choisis donc de ne rien contredire et de profiter de cet avantage.

— La m’dam’ est un’ dur’à cuir’, s’extasie un autre de mes compagnons de tonneau.

Pour me sentir intégrée, je tente de rire à chacune de leurs plaisanteries.

Les questions fusent sur les raisons de ma visite. Ce n’est un secret pour personne que je suis une touriste. Je perds le contrôle de la discussion. Normalement, c’est à moi de les interroger.

— Tu n’bois pas, mad’moisel’ ?

Du coin de l’œil, je constate qu’en effet, je n’ai pas encore touché à ma bière.

Je crois que je repousse ce moment, tant l’appréhension me gagne. Je vois que ces clients attendent que je la goûte. Leurs regards se figent sur moi. J’approche mes lèvres du verre et j’en prends une gorgée.

Ce n’est pas ma tasse de thé mais la fraise des bois atténue cette autre saveur que je n’aime pas. Peut-être y a-t-il davantage de bière que de fraise des bois. Trop de bière… Pour autant, je fais mine d’adorer ma boisson et de me régaler durant ma dégustation. Ils semblent me respecter à cause de ma boisson. Je n’ai pas envie de briser cette image qu’ils ont de moi.

Cette fois, je prends mon courage à deux mains pour les interroger. J’entends Xander qui m’interpelle depuis le bar :

— Véra ! Véra ! Viens voir qui connaît un Ornikar !

Je me précipite jusqu’à lui et j’en oublie mon verre, soigneusement posé sur le tonneau autour duquel les clients me regardent d’un drôle d’air. Ils n’ont pas compris pourquoi j’ai quitté la table, ni ce que me veut l’étrange client accoudé au bar, et encore moins ce qui me pousse à négliger ma bière.

Xander, au contraire, est enjoué, voire euphorique. Je ne l’ai jamais vu ainsi. Est-ce à cause du fait qu’il est heureux d’avoir déniché un Ornikar ou de son verre de whisky fumant ?

— Mac m’a dit… hic… qu’il y a qu’un Ornikar connu en ville… hic.

Je fronce les sourcils.

Entre ses deux crises de hoquets, je reste bloquée sur l’identité de ce fameux Mac. Je peine à saisir ce qu’il me raconte.

— L’Ornikar du Vaste… hic… Conseil… hic… est le seul Ornikar Majusculiste. L’Ornikar auquel je pensais… hic… devait être un touriste… hic.

Le tavernier se penche vers nous :

— Mac, enchanté ! se présente-t-il. Je confirme ce que dit le malzieutant. Il n’y a qu’un seul Ornikar référencé en ville. Il mesure dix mètres, vous ne pouvez pas le rater.

Les vapeurs chaudes de whisky émanant du verre de Xander me grattent les narines. Je manque d’éternuer quand Mac me tourne le dos, retournant à ses occupations professionnelles.

Désireuse d’avoir davantage d’informations, je crie à travers le vacarme ambiant de la taverne :

— Monsieur… euh… Mac ? Savez-vous où trouver d’autres Ornikar ?

Il ne m’entend pas. Je décide de le laisser tranquille.

Il n’y a donc que l’Ornikar du Vaste Conseil, à la Vaste Majucule. Je ne sais même pas si je désire prendre la peine de le rencontrer. Il est sans doute sympathique mais certainement pas mon âme sœur. Peut-être qu’il connaît d’autres Ornikar et qu’il faut que j’échange avec lui. Je dois être sûre qu’il n’est pas l’homme que Madame Brillance m’a destiné.

Plongée dans mes pensées, je mets du temps pour m’apercevoir que Mac s’est retourné à nouveau vers nous.

— Où peut-on trouver les membres du Vaste Conseil aujourd’hui ? l’interroge Xander.

— Au Tribunal de Vaste Instance, la plupart du temps. Sinon, en promenade en ville, nous informe Mac.

Horrifiée, je repense aux géants que mon ancien patron a endormi avec sa flûte. Il se peut donc qu’Ornikar soit l’un d’eux.

— Euh… Xander, soufflè-je, prise de panique.

— Je sais, Véra… Je sais…

Il se mordille la lèvre inférieure, en transpirant à nouveau.

Mac s’éloigne pour s’occuper d’un nouveau client.

— Les géants endormis… Il faut les réveiller… Maintenant.

Je suis surprise du ton impératif que j’emploie.

Cet incident me préoccupe énormément. Je serai soulagée quand tout sera rentré dans l’ordre. Le plus vite sera le mieux.

— Si Ornikar a été endormi… Quand il va savoir ce qu’on a fait… Quand ils vont tous savoir que nous les avons endormis… Non d’un Bescherelle ! Ils vont nous en vouloir ! Même pire, ils risquent de nous chasser de la ville !

L’angoisse me paralyse.

Ma respiration s’accélère.

De grosses gouttes de sueur viennent se perler sur ma robe à pois.

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Raza
Posté le 14/11/2024
Hello! Oui, aujourd'hui je dois prendre un bus alors j'enchaîne.
J'aime bien la partie ambiance taverne bizarre, je pense que tu peux aller plus loin (bah oui tu m'as habitué à un haut niveau donc je deviens exigeant), même si c'est déjà bien. Typiquement les voix bizarres, tu as quelque chose, pousse un peu et ça sera magique <3
Le fait que Ornikar est un géant (en tous les cas celui qui est cherché) est déjà connu, donc je n'ai pas compris pourquoi c'est une surprise pour Véra ?
Sinon la fin, j'ai adoré cette force. Le "tin tan tiiiiin" que j'ai entendu dans ma tête...
A bientôt et merci pour le partage <3
Dédé
Posté le 14/11/2024
La surprise, c'est surtout qu'il soit endormi... Pour les voix dans la taverne, c'est une idée que je risque de retenir ! Genre en mangeant des lettres, un peu dans le style "jargon d'ivrogne".

J'aime bien ton "tu m'as habitué à un haut niveau donc je deviens exigeant". Je ne sais pas si je dois être ému ou inquiet...

Je ne m'attendais pas à de tels commentaires. C'est tombé à point nommé. J'ai pris beaucoup de plaisir à les lire (notamment car journée pas très géniale...). Merci tout plein ! :3
Raza
Posté le 14/11/2024
Pour la surprise, ce que je voulais dire c'est qu'avant d'aller à la taverne, Véra sait que Ornikar est peut-être un géant, mais elle ne réalise qu'il pourrait être un géant endormi uniquement après l'arrivée à la taverne, comme si elle "réapprenait" qu'il était un géant. ;)
ému, ému, bien sûr ! Pas de pression ;)
et de rien, ça me fait vraiment plaisir de commenter cette belle histoire <3
Dédé
Posté le 14/11/2024
Oui, c'est peut-être maladroit... Il faudrait que j'insiste sur le fait qu'elle n'a pas fait le lien avant, qu'Ornikar pourrait être un des géants endormis.

D'accord, je suis donc ému ! :) Le plaisir est tellement partagé !
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