10- L'effluve d'une baliverne aux épices

Notes de l’auteur : Maeleg est apparu à Emrys avant que celui-ci ne succombe.
Est-il mort comme il l'espérait ou son périple ne fait-il que commencer ?

Ce chapitre est l'avant-dernier avant une pause de quelques semaines, car je souhaite répondre à un appel à texte qui va me demander toute mon attention.
Merci encore à celles et ceux qui lisent cette histoire !
Merci pour les commentaires ici et ailleurs qui me permettent de rectifier certains points du récit et de l'améliorer.

En terre de Bretagne vivait un personnage étrange.

La légende racontait qu’un incube abusa de sa mère et qu’une grossesse résultat de cette union maléfique. Par crainte du démon, on se refusa d’exécuter la jeune femme. Bien entendu, pour la cacher du monde, on enferma la pauvre victime dans un donjon où elle donna elle-même naissance à un enfant repoussant. Des poils recouvraient l’ensemble de son corps, tant et si bien que l’on eut dit un animal. Dès ses premiers jours, le nourrisson prédit à sa maman qu’il la protégerait du danger qui la menaçait. Doté de parole et d’esprit, le rejeton infernal choisit lui-même son nom et s’appela Myrddin. De son père, il hérita de pouvoirs à nul autre pareil. Il changeait d’aspect à volonté. Il se transformait en vieillard, en gamin, en oiseau, en loup ou en cerf. On disait de lui qu’il pouvait prédire l’avenir, voyager aux quatre coins du temps et commander les dragons. Il devint une légende dont le récit se perpétua à travers les siècles.

 

Un beau matin d’avril, la forêt bretonne s’éveilla en douceur. La rosée léchait encore les feuilles de chênes, de hêtres et de fougères quand une bête surnaturelle atteignit la berge d’un ruisseau. Elle suivit son cours musical vers l’amont qui menait jusqu’à une clairière, domaine de la seule maison qui l’occupait. Sous une toiture de roseaux, ses épais murs en torchis gardaient secrètes les activités du propriétaire des lieux. Déterminée, la créature avança en direction de la porte d’entrée. D’allure presque humaine, elle roulait des muscles sous son pelage rugueux. Ses longs bras touchaient le sol sur lequel ils prenaient appui lors de ses courses effrénées à travers les bois. Ses pattes ressemblaient à celles du loup et sa gueule à celle d’un sanglier. À mesure qu’elle foulait l’herbe, elle se transforma en un individu dont la nudité révéla de nombreuses cicatrices. Celui-ci ouvrit le loquet de son logis et allait pénétrer dans la bâtisse quand une voix grave l’interpela :

– Bonjour Myrddin.

Il se retourna, éternua et prit l’apparence d’un vieillard vêtu d’une aube brune dont l’épaisse ceinture en cuir serrait la taille. Il leva les yeux au ciel pour s’adresser à l’immense arbre à tête de cerf qui trônait dans son jardin.

– Tu marches sur mes plants de tomates, grogna le vieux au travers de sa longue et hirsute barbe blanche.

– Oh, pardon ! s’excusa Cernunnos en s’écartant avec précautions du jardin potager sur lequel ses énormes racines empiétaient de leur maladresse.

– Bonjour, mon oncle ! l’accueillit Myrddin sur un ton joyeux.

Le caractère de l’enchanteur passait souvent d’un extrême à l’autre, parfois lors d’une même phrase.

– Sois le bienvenu ! Qu’est-ce que tu me veux, arbre de mauvais augure ? demanda-t-il l’air sombre.

– Je t’apporte des nouvelles de ton père, répondit la divinité qui connaissait à la perfection le comportement de son neveu. Il a encore fait des siennes !

– J’ai un frère ou une sœur ? s’enquit le magicien.

– Euh, non… rien de tout cela, rassure-toi. Ce n’est pas demain la veille qu’il exécutera des prouesses sexuelles ! Figure-toi que Dieu l’a transformé en lapin, s’esclaffa Cernunnos. En lapin avec une paire de gonades, mais sans vît !

Tous deux rirent de bon cœur.

– Eh bien, voilà une bonne nouvelle ! s’écria le vieillard. J’ai trois brosses à dents ! J’ai un clic-clac et quatre fers à friser !

Avec tendresse, le dieu psychopompe observa le silence et Myrddin. Son neveu cumulait de sérieux troubles psychologiques depuis sa plus tendre enfance. Hériter de pouvoirs que l’on ne maîtrise pas est un calvaire pour un gamin qui se construit. Dès l’âge de quatre ans, une simple crise de hoquet le métamorphosait en vieille dame, en cochon de six cents livres, en homme de forte stature, en chat, en libellule ou en jouvencelle. Chaque hiver, il attrapait un rhume et ses transformations suivaient le rythme de ses éternuements. À l’adolescence, il connut toutes les peines du monde à se définir garçon ou fille tant ses mutations le désorientaient. Il choisit d’adopter un peu des deux, au gré du moment qui le rendait le plus heureux. À cela s’ajouta une digestion compliquée. Le moindre pet le précipitait dans les méandres du temps, du passé le plus obscur au futur le plus effrayant. À son vingtième anniversaire, il ne mesurait plus son âge véritable, ne comptait plus ses avatars ni les époques traversées. Des cauchemars le hantaient et il se réfugia dans cette forêt où, isolé du monde, il s’adonna à la méditation, à l’étude de la nutrition positive et à l’onanisme. Il dompta ainsi ses incommensurables capacités. Malgré cela, atteint d’une folie incurable, il tenait souvent des propos incompréhensibles.

– As-tu vu, mon oncle, comment les herbes de la garrigue ont ratiboisé les merveilleuses sphères des catacombes enneigées ? demanda Myrddin.

– Oh, oui ! Je me suis dit que tu leur avais joué du piano, improvisa Cernunnos.

– Exactement ! J’ai emprunté un caillou à une chèvre, conclut le vieillard satisfait. Tu parlais de mon père ?

L’arbre prit sa tête de cerf la plus grave :

– Oui, Zébub prépare un mauvais coup ! Il a obtenu de Thanatos l’immortalité d’un Celte qui s’appelle Emrys. J’ignore comment il l’a découvert, mais son choix s’est porté sur le plus fabuleux guerrier de tous les temps. Entends par-là que l’humanité court un grand danger. Il est évident qu’il projette de l’utiliser dans son affrontement contre Dieu. Pour tenter de le contrer, Brigit a imaginé que chacune de ses résurrections l’enverrait à une époque et à un endroit de manière aléatoire. Tu es bien placé pour savoir comment sa psyché en subira l’impact.

– Je n’en ai rien à foutre ! s’écria l’enchanteur. Vas-y, continue. Ce que tu m’annonces est terrible, je t’écoute et je relance de dix-neuf boulettes de viande. Pas n’importe lesquelles, celles rangées avec du sable.

– Je n’en attendais pas moins de ta part, Neveu ! poursuivit Cernunnos. Si ce guerrier perd l’esprit et se déshumanise, il deviendra alors un golem au service de qui le contrôlera. Ce fléau n’obéira qu’à Zébub, mais je doute que Dieu ne cherche à s’en emparer sitôt qu’il connaîtra son existence. Dans un cas comme dans l’autre, nous devons prévenir les conséquences de cet événement désastreux.

La discussion donna soif à Myrddin. Il fit apparaître une chope d’ale dans sa main et un tonneau de vin rouge pour son oncle. Ils trinquèrent à leur association :

– Que puis-je faire puisqu’il est hors de question que je t’aide ? s’enquit le vieillard.

Il rota et se transforma en jeune femme potelée.

– Eh bien, j’ai affublé Emrys de l’un de mes torques. Ce n’est pas un moyen infaillible, mais cela me permet de savoir à peu près où il se situe. Je l’ai repéré dans les environs. Tu ne devrais pas avoir de mal à le trouver avant qu’il ne meure et disparaisse. Tu dois le trouver et faire tout ce qui est en ton pouvoir pour le guider. Cependant, fais attention à toi. Les circonstances et sa terrible apparence l’ont déboussolé et c’est un sacré costaud.

– Ah, oui ? À quoi ressemble-t-il ?

Cernunnos décrivit Emrys, sa schizophrénie et le hamster. L’enchanteur en avala le fond de sa bière de travers. Il toussa cinq fois d’affilée et se transforma en poule, en chevalier, en pilote de Formule 1, en bruit qui court et en grain de poussière. Il éternua et se métamorphosa en garçon de quatorze ans.

– Mon oncle, déclara Myrddin d’une voix prépubère et discordante, j’ai bien peur de l’avoir rencontré pas plus tard que cette nuit ! Je me suis changé en sanglougarou.

Cernunnos cracha son vin par les narines.

– Bah ! Je l’ai tué et, ton bonhomme-là, il a disparu dans un nuage de vapeur. Ça a fait « pouf ! », un peu comme un églantier qui caresserait le sac à main d’une navette spatiale, conclut-il.

 

#

 

Emrys ouvrit les yeux.

Il gisait sur l’humus d’une forêt dont les arbres énormes le surplombaient. Ils dépassaient tous ceux qu’il avait vus durant sa vie. On aurait dit des hêtres disproportionnés. Il se releva sur ses coudes et considéra le vert pétant de fougères, elles aussi gigantesques. La végétation dense et démesurée chatoyait et d’étranges sons émanaient de l’endroit. Aucun chant d’oiseau que l’on puisse identifier, mais des sortes de roucoulements, de claquements et, parfois, de longs sifflements animaux. Il faisait chaud et humide.

Chose sauta devant lui. Ses poils blanc et caramel agités révélèrent qu’il avait attendu son réveil avec impatience.

– Qu’est-ce qui s’est passé ? l’interrogea le géant.

Bien sûr, le rongeur ne répondit pas et tremblait. Son œil droit tourna vers l’intérieur de sa tête.

– Comment il fait ça ? demanda Maeleg qui apparut à son tour.

Sa silhouette de fumée de charbon flottait dans l’air. Le hamster émit un « couic » et des spasmes le secouèrent.

– On dirait qu’il va chier des noix ! Il va pas vomir au moins ? s’enquit le spectre au moment où la bestiole hoqueta.

Sa pupille revint vers l’avant et l’autre glissa vers son museau.

– L’est vraiment bizarre, cette chose.

Le cousin fantomatique racla le fond de sa gorge et cracha sur le côté.

– Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda une nouvelle fois Emrys.

– Ben, un gamin s’est transformé en loup à tête de sanglier et il t’a démonté la gueule, répondit l’ectoplasme.

Le grand gaillard se mit debout et s’observa. Il ne portait aucune trace de blessure. Sa chair demeurait noire et il voyait encore son squelette au travers. Étrangeté supplémentaire, tous ses os étaient désormais recouverts de motifs floraux.

– Voilà autre chose ! lâcha Maeleg. Tu ressembles à la vieille mère de Briccos le barde.

– J’en ai aussi sur le visage ? demanda le géant.

– J’sais pas.

– Comment ça, tu ne sais pas ? Tu me vois, non ?

– Ouais, mais j’peux pas dire. J’en sais rien.

– J’en ai ou je n’en ai pas ? s’impatienta Emrys.

– Hé, ho ! Tu t’en prends pas à moi, d’accord ? cracha l’esprit fumeux. C’est pas d’ma faute si chaque fois que tu claques, on arrive j’sais pas où !

Il avait raison. Après leurs retrouvailles, les deux cousins reprirent conscience dans un bosquet aux abords d’un étrange domaine. Sur les chemins qui menaient à une grande maison, allaient et venaient des monstres en fer de différentes tailles. À plusieurs reprises, des gens entraient dans leurs joues ou en sortaient ! Il y avait même des enfants. La cacophonie écrasait cet endroit puant. Un écriteau, illuminé par quelque sombre magie, indiquait Station-service. Maeleg émit l’idée de fuir par une route qui déboucha sur une autre, plus large que celle construite entre Argentoratum et Tres Tabernæ. Là, de prodigieux animaux de métal couraient à une vitesse folle. L’un d’entre eux beugla et les percuta de plein fouet. « POUF ! »

 

Emrys, Maeleg et Chose s’éveillèrent alors au bas d’une immense tour blanche d’où partaient des tentacules énormes et des structures de ferraille. Cet édifice maléfique fumait, œuvre d’une civilisation inconnue. À en croire les inscriptions, elle était dédiée à une déesse du nom de спутник[1]. Une voix braillait dans l’air :

– Pyat', chetyre, tri, ikh, a[2] !

Un déluge de flammes couvrit les dernières paroles et emporta les trois compagnons. « POUF ! »

 

Ils hurlaient encore de terreur quand ils ouvrirent les yeux. Une pluie battante et gelée les cinglait d’une force incroyable. Sur le pont d’un gigantesque navire, ils virent une montagne de glace s’approcher d’eux. Elle ébranla le bâtiment et lâcha un énorme bloc sur un canot marqué RMS Titanic qui écrasa Emrys contre le bastringue. « POUF ! »

 

Ils virent un pauvre type maigrelet supplicié sur une croix érigée dans le sol. Un soldat romain lui planta son pilum dans les côtes et, de cette manière, acheva ses souffrances. Dès qu’il les aperçut, le légionnaire fonça sur Emrys décontenancé. Avant qu’il ne l’atteigne, un centurion vint par-derrière et décapita le Gaulois d’un coup de gladius. « POUF ! »

 

Alors, la chaleur du terrible Belenos accabla le colosse, son cousin fantôme et le hamster. Perdus au beau milieu de montagnes de sable, ils marchèrent durant des jours brûlants et des nuits glaçantes avant de mourir de soif. « POUF ! »

 

Des cris et un brouhaha les extirpèrent des ténèbres. Vive Dieu Saint-Amor ! Allahu akbar ! Deux puissantes cavaleries se percutèrent à l’endroit exact où se tenait le trio. Tout juste avaient-ils eu le temps d’apercevoir des chevaliers vêtus de blanc et arborant des croix rouges. « POUF ! »

 

Un froid extrême enfonça ses crocs au plus profond de leur chair.

À peine dix minutes d’un vent polaire eurent raison d’eux. « POUF ! »

 

Enfin, ils connurent un peu de répit au milieu d’une paisible clairière. Ils se précipitèrent vers le ruisseau qui la traversait et y burent à le tarir. L’enfant arriva à ce moment-là :

– Qu’est-ce que tu fais chez moi ? Tu as soufflé à l’intérieur d’un double vitrage et lancé huit pépins de poulet ? avait-il demandé.

Ils n’avaient eu le temps de comprendre ses propos que le gamin se transforma en un monstre mi-homme, mi-loup et ce qui restait en tête de sanglier. Il grogna, bondit sur eux et les lacéra avec sauvagerie. « POUF ! »

– Ha ! Tu vois que c’est pas d’ma faute ? demanda Maeleg comme s’il avait lu dans les souvenirs douloureux d’Emrys.

Il avait raison. Depuis son réveil sur le champ de bataille où il était mort, le Gaulois vivait des événements inexplicables. Tant de questions l’assaillaient qu’il ne parvenait pas à les trier. Il mourait dans d’affreuses conditions et revenait sans cesse à la vie. Maintenant, voilà qu’il bourgeonnait comme la mère de Briccos. Cette vieille femme aimait tant les fleurs qu’elle s’en mettait partout, des cheveux à l’intérieur du nez. Il observa une nouvelle fois les tiges et les pétales qui parsemaient ses os. Il compara ses membres et y constata une certaine symétrie graphique entre la gauche et la droite de son corps. Il plia un bras et tâta ses muscles, gonflés et durs. Si son enveloppe ne présentait plus l’apparence de son vivant, elle en avait conservé les attributs.

– Faudrait qu’tu penses à t’habiller, quand même ! intervint Maeleg en tirant des coups de glaviots sur des fougères. J’croyais que t’étais mieux membré, mon vieux.

Il s’esclaffa. Prude, Emrys détestait que l’on évoque son intimité et ses mensurations lui convenaient, merci bien ! Il observa son entrejambe et constata que sa verge pendait, aussi noire que le reste de sa chair.

– Au moins, enchaîna le fantôme, c’est pratique cette couleur quand tu…

– Tu ne peux pas la fermer ? On a autre chose à faire que de parler de mon sexe.

– Ah… et de quoi tu veux causer ?

– Chut ! coupa Emrys.

Un son puissant retentit au loin, porté par l’écho : « POOOOO ! »

– Un carnyx ! s’exclama Emrys. Ha, ha ! Nous sommes arrivés dans l’Autre Monde, Cousin !

Sitôt suivi par ses deux comparses, il se précipita dans la direction du chant, faisant fi de la végétation luxuriante. Quand ils atteignirent la lisière de la forêt, le paysage qui s’offrit à leur vue les subjugua. Un plateau s’étendait à n’en pas finir, ses herbes hautes ondoyaient sous une brise de printemps. En contrebas, on apercevait des rivières qui sillonnaient des plaines verdoyantes et des maquis touffus. À l’horizon, les sommets de très grandes montagnes étaient coiffés de nuages d’un blanc éclatant.

– Je n’ai jamais vu un lieu pareil…

– Tu crois qu’on est dans l’Aut’Monde ? Elles sont où les gonzesses ? demanda Maeleg qui glissa dans l’air tout en lâchant un mollard. Si déjà t’es à poil, autant en profiter tout d’suite.

« POOOOO ! », la corne résonna une nouvelle fois, plus proche.

Le colosse courut alors comme un dératé emporté par l’espoir. Soudain, il se vautra dans un obstacle mi-mou, mi-dur, le traversa et roula sur lui-même.

– Qu’est-ce tu fous ?

– Je me suis ramassé là-dedans, répondit Emrys en s’essuyant le visage et en montrant du doigt un très gros tas d’excréments.

Des morceaux le collaient un peu partout.

– Ouf ! lâcha le fantôme. J’aimerais pas voir l’état de la vache qu’a débondé ça ! Oh, et puis tu refoules, mon vieux !

Chose sortit la tête de l’amas fécal, un œil vers le ciel et le second vers sa bouche souillée de gringuenaudes. Il se lécha les babines et, d’un bond gourmand, replongea dans le monticule.

« POOOOO ! » le son s’approcha et un groupe de gigantesques bestiaux surgit entre les arbres à proximité. Leur longueur excédait celle d’une colonne d’au moins cinquante hommes et leur hauteur dépassait celle de six autres ! Leur encolure semblait aussi interminable que leur queue. La terre trembla au rythme des pas de ces énormes quadrupèdes. Il y avait une vingtaine d’adultes et, à en juger par la taille, trois fois plus de petits : « POOOOO ! »

– Bordel de fils de Romaine ! Qu’est-ce que c’est qu’ça ?

Emrys n’eut pas le temps d’échafauder de théorie et, quand bien même il l’aurait eu, diplodocus ne faisait pas partie de son vocabulaire. Un autre animal surprenant fit irruption entre les arbres, non loin de lui. Moins grand que les précédents, il impressionnait tout autant, voire plus. Un large cou soutenait sa tête massive et aplatie. À sa gueule, on se doutait qu’il ne mangeait pas de l’herbe. Ses bras paraissaient minuscules en comparaison des deux grosses pattes musculeuses sur lesquelles la bête se tenait debout. Elle s’inclina comme une poule et ses yeux dilatèrent leur pupille en apercevant les trois compagnons. Sa gorge vibra en une sorte de roucoulement inattendu pour sa physionomie.

– C’est un drôle lézard, releva Maeleg. Ça chante comme un pigeon.

– Rouh, rouuuh ?

– C’est trop gros pour un lézard. Un jars, peut-être ?

– Rouuuuuuuh rouh…

– Nan, l’a pas d’plumes, cracha le fantôme. Tu t’souviens du marchand phénicien qui apportait des animaux pas possibles ? C’est p’t’être un de ces dromadaires.

Ce n’était pas un dromadaire, mais comment un Gaulois reconnaîtrait-il un allosaure ? À son époque, les descendants de théropodes ressemblaient plus à des gallinacés qu’à des monstres féroces. Le carnassier se tourna vers lui et poussa un cri guttural à glacer le sang. Avec une étonnante rapidité pour sa corpulence, il fonça sur le petit groupe.

– FUYEZ !! hurla Emrys en se carapatant aussi vite qu’il put.

Deux autres hideuses créatures surgirent de la forêt et prirent part à la chasse. Elles couraient à vive allure et l’une d’elles becqueta Chose qui, « pouf ! » réapparut sans cesser de galoper, « pouf ! » encore une fois, « pouf ! » et « pouf ! ». La bestiole entra dans une colère noire et, sans prévenir, fit volte-face et attaqua le prédateur. Elle s’agrippa à l’une de ses pattes et mordit dans un tendon. L’animal s’écroula et poussa un cri de détresse qui alarma tant ses deux congénères qu’ils abandonnèrent leur course poursuite. Ils se précipitèrent vers le combat engagé entre le dinosaure et le hamster. L’énorme bête ne put se relever, fouettant le sol de sa queue et tentant de se libérer du rongeur qui le chopa à la carotide. Un geyser de sang épais éclata comme un feu d’artifice célébrant sa victoire. Un œil en haut à droite et l’autre à la perpendiculaire, Chose se campa sur ses pattes pour faire face aux deux mastodontes qui le chargeaient. Emrys et Maeleg, qui avaient cessé de fuir, restèrent cois d’incrédulité. Le hamster poussa un cri strident à claquer du cristal.

– J’te dis qu’elle est pas normale cette taupe.

– Ce n’est pas une taupe. C’est… c’est une chose…

Ivre d’une rage meurtrière, la petite boule au pelage blanc, caramel et carmin, s’élança vers les allosaures. Le premier tenta de la happer, mais ses dents claquèrent dans le vide. D’une culbute suivie d’un salto, Chose se propulsa vers l’un de ses naseaux et disparut à l’intérieur. Il traversa le crâne massif dans une gerbe d’hémoglobine, de cervelle et d’éclats d’os. Il slaloma entre les coups de patte du dernier théropode quand Emrys entendit deux roucoulements distincts derrière son dos. Il n’eut pas le temps de se retourner que deux nouveaux carnassiers s’abattirent sur lui. Chacun lui attrapa un membre, dont un nettement plus petit que les autres. Ils le dévorèrent vivant et ses  hurlements couvrirent la folie sauvage du hamster. « POUF ! »

 

Emrys s’éveilla et brailla d’horreur tout en précipitant ses mains sur son entrejambe. Le souvenir des mâchoires était encore vif, mais son zizi était bien à sa place. L’épouvante le saisit quand il constata qu’il ne voyait rien ! Il baignait dans l’obscurité la plus totale.

– Maeleg ? cria-t-il affolé.

– J’suis là, répondit celui-ci. Fait noir comme dans l’cul d’une barrique, ici !

– Tu me rassures. J’ai pensé que j’étais devenu aveugle.

– Meuh, nan ! Ou alors, on est deux ! rigola Maeleg en éjectant un vilain mollard qui coula sur le menton d’Emrys.

– Hé !

– Oups, pardon. J’vois que dalle.

– Je me suis fait bouffer par des monstres géants ! Tu ne crois pas que ça suffit comme ça, non ? Il faut qu’en plus tu me craches dessus ?

– Ouais, des putains de monstres gros comme des…

– Je sais !

– Ouais. Pis, ils t’ont chopé la…

– La ferme !

– Oh ! Ça va, hein. C’est toi qui m’as appelé ! Toi-même, écrase si t’es pas content !

– Qu’est-ce que c’est ? se demanda Emrys.

Sa main buta contre un objet dur et métallique. À quatre pattes dans le noir, il tâtonna alentour pour découvrir de quoi il s’agissait. Il devina deux très longues barres de fer qui couraient sur le sol, fixées sur des lattes en bois.

– Je sens aussi des cailloux, remarqua-t-il en s’éloignant.

« Poc ! » Sa tête percuta violemment un mur. Les mains sur le front, il jura tout son vocabulaire et un peu celui de son cousin. Incapable de se repérer dans son exploration à l’aveugle, il ne pouvait compter sur l’aide de l’ectoplasme. Cet imbécile déblatérait une théorie fumeuse au sujet de ces barres de fer qu’il identifia comme le cerclage d’une gigantesque barrique au fond de laquelle on les aurait jetés.

« Poc ! »

– Aïe !

– Fais gaffe, y a encore un mur, commenta Maeleg. J’t’ai dit, on voit pas tripette ici. Fait noir comme dans l’cul d’une barrique !

Il cracha par terre, saisit un caillou et le jeta de toutes ses forces. Le projectile ricocha sur une paroi et percuta Emrys au visage.

« Poc ! Paf ! »

– Aïe ! Mais t’es con ou quoi ? cria-t-il.

– Ben, je voulais vérifier s’il y avait des murs partout. Je crois que ça résonne. Vas-y, gueule un coup pour voir.

– Quoi ?

« POC ! PAF ! »

– AÏE !

« AÏE-AÏE-AÏE-AÏe-Aïe-Aïe-aïe-a… »

– Ouais. Ça résonne.

L’écho avait répercuté le cri d’Emrys. Son crâne lui faisait un mal de chien, deux murs et deux lancers de cailloux sur la tronche malmenaient son niveau de langage. Il insulta tous les dieux et ces connards de Romains.

– Calme-toi, Cousin. J’te parie mes burnes qu’on n’est pas dans une barrique.

– Sans blague ?

– Ouais ! On est dans une caverne ! conclut le génie de lampe éteinte.

– Couic ?

– Hé, Taupe ! T’es là, toi aussi ? demanda-t-il.

– Ne lui donne pas ce nom ! Ce n’est pas une taupe.

– C’est quoi alors, s’te plaît ?

– C’est Chose !

– C’est complètement con, Chose.

Le rongeur émit un feulement de réprobation.

– Laisse-le parler pour ne rien dire, intervint Emrys. Tu t’es battu comme un… un…

Il cherchait comment complimenter le hamster pour avoir massacré les dinosaures.

– Tu t’es battu comme un Chose ! lâcha-t-il en souriant.

– Tiens, y a une luciole qui se balade, remarqua Maeleg au moment où une petite étincelle apparut dans l’obscurité.

Elle oscillait et on n’aurait su mesurer où elle se situait. Soudain, un bruit progressa vers eux jusqu’à devenir un grondement qui envahit l’espace de toute la caverne. L’insecte brillant se transforma en une lueur de plus en plus intense. Emrys et Maeleg plissèrent des paupières, le hamster ouvrit grand les siennes. Le fracas les assourdit et tout trembla autour d’eux.

– MMMMAAIIISS QQQU’EEST-CEEE QUIII SSSE PAAAAASS…

La lumière les aveugla et se refléta sur le sol, dessinant un chemin de fer au milieu duquel ils se tenaient. Parti de la côte Est des États-Unis le 8 mai 1869 en direction de Sacramento, le train inaugural de la ligne transcontinentale leur passa dessus, « SPROATCH ! » « POUF ! » Il siffla trois fois en sortant du plus long tunnel sur son parcours.

 

Quand il ouvrit les yeux sur l’espace intersidéral, Emrys mourut aussitôt.

On ne respire pas sur la Lune. « POUF ! »

 

Des cris d’effroi le tirèrent de sa torpeur. Dans une très grande pièce rectangulaire et grise, des femmes nues se tenaient à bonne distance de lui. Décharnées, épuisées, certaines se traînaient par terre pour le fuir.

– J’t’avais dit de t’habiller, commenta Maeleg.

– Elles sont presque mortes ! s’écria Emrys avec horreur.

Il lut dans leur regard toute la détresse du monde et la terreur que lui-même inspirait. Il voulut les rassurer et, des mains, fit signe qu’il ne leur ferait aucun mal. Elles se serraient les unes contre les autres, se protégeaient de leurs bras maigres et tatoués d’un numéro. Une voix sourde gueula au-delà des murs :

– Sende das Gas !

Les grilles de conduits diffusèrent une fumée âcre. Sous ses yeux emplis d’effroi, Emrys assista à la souffrance terrible de ces femmes qui hurlaient et s’arrachaient la peau de leurs ongles. Soudain, une brûlure s’empara de ses poumons et il devint comme fou de douleur. On le dévorait de l’intérieur. « POUF ! »

 

Pour une fois, Maeleg resta silencieux. Chose tremblait, ses petites oreilles rabattues traduisirent la profonde tristesse qu’il éprouvait. Emrys le serrait contre lui et pleurait. Jamais il ne ressentit tant de désespoir. Il voulait mourir et ne plus se réveiller.

– Quels sorciers de malheur peuvent faire ça à des femmes ? À des gens ? balbutia le grand Gaulois. Tu as vu leurs yeux ?

– Bois un coup, Cousin, conseilla le fantôme avec douceur. Bois un coup…

Éclairés par des néons nocturnes, ils gisaient au rayon des alcools forts d’un supermarché. Emrys se leva avec peine et saisit la première bouteille à portée de main. Il tenta de la déboucher par un geste maladroit qui, par chance, en dévissa la capsule. Il en but le contenu jusqu’à la dernière gorgée. Il vida ainsi trois litres de whisky. En titubant, il déambula entre les allées du magasin.

Tout à coup, un vent violent emporta avec lui toute sorte de denrées en tornade. Une boule lumineuse apparut, des éclairs foudroyèrent les étagères et la structure du supermarché. La lueur s’évapora pour laisser place à un grand gaillard nu comme un ver. Les trois compagnons n’eurent pas le temps de s’habituer à l’obscurité soudaine, l’individu se tenait déjà face à eux :

– Sarah Connor ? demanda-t-il sur un ton germain.

– Toi-même, connard ! répondit Maeleg.

Le Teuton chopa la tête d’Emrys et la claqua dans un tour à trois cent soixante degrés, « crac ! », « POUF ! »

 

Il ouvrit les yeux, sitôt aveuglé par des lumières multicolores. Une musique tonitruante se mêlait aux cris d’une foule en délire.

« Bom-bom-bom ! Let’s go party ! Let’s go party ! Bombombobmbomboooooooom ! »

Comme pris de folie, des gens dansaient autour de lui. Un jeune homme grand, fin et à la figure peinte s’avança vers lui en souriant. Il saisit son visage entre ses mains, lui fourra sa langue dans la bouche et y glissa une graine amère. Le type prononça des mots incompréhensibles à son oreille puis s’éloigna en agitant les bras et en ondulant du bassin. Abasourdi, Emrys déglutit et avala la pilule d’ecstasy.

Il y avait trop de monde pour qu’il trouve Maeleg et Chose. Il crut apercevoir le hamster entre les pieds des danseurs, mais ce n’était qu’un petit nuage de vapeur. Soudain, sa tête implosa. En l’espace d’une seconde, des milliers d’images surréalistes assaillirent son cerveau et il voulut se déshabiller. C’était super, car il était déjà nu. Le rythme des basses l’envahit en un irrépressible besoin de sauter partout et d’agiter les bras dans tous les sens. Il se sentit bien et enfin libre ! Alors, il tourna, s’élança, pivota, bondit, virevolta, plongea, tournoya, retourna, se relança, repivota, rebondit, revirevolta, replongea, retournoya. Il recommença plusieurs fois et la musique s’arrêta.

Le rire d’Emrys couvrait les gémissements d’une centaine de personnes qu’il avait frappées sans s’en apercevoir et qui gisaient par terre. Celles qui avaient conservé leur mâchoire avaient perdu des dents, d’autres un œil ou deux. Plus tard, on dénombra avec difficultés les luxations, les fractures ouvertes de membres inférieurs, les mains et les pieds écrasés. Les forces de l’ordre thaïlandaises ne s’encombrèrent d’aucune sommation.

La presse évoqua un attentat. « POUF ! »

 

#

 

Étendu dans l’herbe fraîche, Emrys écoutait les clapotis d’un ruisseau. La répétition de ses renaissances en position allongée l’épuisait. Il savoura cet instant de calme comme si rien ne pouvait lui arriver. Depuis son premier décès qu’il appelait ma première fois, il ne cessait de mourir et de revenir à la vie. Il s’incarnait en des endroits inconnus où un malheur ne manquait pas de l’envoyer ailleurs à la résurrection suivante. La notion du temps n’était plus qu’un vague souvenir et il ne s’en souciait plus. Il avait abandonné toute tentative d’explication à son état.

Le hamster bondit sur son torse et Maeleg apparut. Ça aussi, il s’en lassait. Il aurait voulu ne plus jamais ouvrir les yeux.

– Cousin, on est où ? demanda le fantôme.

Comme à chaque réveil, le colosse se redressa. Observer le lieu où il se situait et en déceler l’irrémédiable danger faisaient désormais partie d’un rituel. Il était fatigué. Il vit le ruisseau qui parcourait la clairière et une maison en torchis au toit de roseaux. Cela lui disait vaguement quelque chose. Une voix dodécaphonique l’interpela :

– Tu es l’œuf avec une truelle de kangourou ?

Il se retourna et vit un enfant au visage qu’une ostentatoire puberté parsemait. Il portait un t-shirt marqué Eurockénnes de Belfort 1-2-3 juillet 94 et un baggy qui tombait autant sous son slip que sur ses pieds nus. La réponse d’un silence décontenancé ne convint pas au gamin qui émit un râle guttural :

– C’est toi qu’on appelle Emrys, précisa-t-il en fouillant son nez.

– Tu me connais ? s’étonna celui-ci.

L’impatience et l’agacement luirent dans le regard du môme. Il gratta ses bras avec nervosité et poussa un grognement caverneux.

– Tu découpes des pneus de mauvais augure ! s’écria-t-il. Si je le savais, crois-tu que je te demanderais si tu es Emrys ?

– Hé ! Ho ! P’tit pouilleux, tu veux qu’je te claque la gueule ? rétorqua Maeleg en lui balançant un mollard sur le front.

Chose trembla, une pupille sur le ruisseau et un œil vers le garçon qui gronda de plus belle. Il poussa d’une tête quand ses vertèbres craquèrent. Une canine de sanglier émergea entre ses lèvres et quelques poils épais surgirent çà et là sur sa peau.

– Oui, c’est moi ! Je suis Emrys ! intervint-il quand le souvenir de l’adolescent déferla dans sa mémoire en d’horribles images.

– Atchaa ! Sois le bienvenu, mon ami ! répondit celui-ci subitement métamorphosé en vieillard à aube brune. Je m’appelle Myrddin. Et toi ?

– Ben, Emrys.

– Bienvenue Emrys, infâmes bretelles à poivre ! Viens avec moi, je vais te servir un autobus à patchouli et on verra bien si les cigognes tracent des baleines à l’envers.

Il tourna les talons et se dirigea vers la maison.

– J’comprends rien à c’que dit ce druide, commenta Maeleg en crachant dans l’herbe. Pis, je l’aime pas.

– Moi non plus. Il a l’air chafouin, dit Emrys à voix basse, évitons de le contrarier. Je n’ai pas envie qu’il me lacère et me bouffe le bide comme la dernière fois.

– La dernière fois ?

– Tu n’as pas remarqué que nous sommes déjà venus ici ?

– Tu veux manger ? lança l’enchanteur qui s’était retourné.

– Oh, oui ! Je meurs de faim !

– Si tu meurs, tu vas disparaître ! Attends au moins que je t’aie cousu la catapulte.

– Cousin, si s’transforme en sanglier, pète-lui sa gueule. Après, on l’cuira.

– Fais-moi confiance, je l’ai à l’œil.

Il rejoignit Myrddin qui avait atteint l’entrée de la chaumière. Sur son invitation, il choisit l’un des deux transats apparus en même temps qu’une glacière et un barbecue au gaz.

– Avec alcool, je suppose ? demanda le magicien.

Le conteneur à boisson s’ouvrit et, après s’être décapsulée seule, une bouteille de bière se versa dans un verre. Il flotta dans l’air jusqu’à Emrys qui en savoura la première gorgée.

– Comment me connais-tu ? répéta-t-il.

– C’est à cause d’une lampe de taxi qui danse des claquettes au Brésil, répondit l’autre. Cernunnos est venu me voir pour me demander de t’aider.

Il raconta tout ce que son oncle lui avait rapporté à son sujet. Suivre son récit s’avérait compliqué quand on n’a pas l’esprit habitué aux choses fantastiques. Le comprendre n’était pas plus simple, car le magicien distillait des propos incohérents en guise d’incises. L’accablement gagna Emrys au fur et à mesure qu’il entendait les révélations du vieillard.

– Et te voilà ! conclut celui-ci en se levant de son transat.

Le barbecue s’ouvrit sur d’imposantes côtes de bœuf cuites et assaisonnées à la perfection. Une table se matérialisa. Des pommes de terre sautées et des légumes cuisinés apparurent entre le couvert dressé pour trois, deux adultes et un hamster.

– Merci Merdeux, balbutia le colosse qui prenait place.

– Myrddin ! rétorqua l’autre un peu vexé. Raconte-moi tes voyages dans le temps.

Emrys éprouva du mal à en rassembler les souvenirs. Les événements qu’il avait traversés prenaient l’allure de cauchemars lointains. Il évoqua ses successives résurrections du mieux que possible quand le magicien lui coupa la parole :

– Tu as écouté le tracteur des bruyères gonfler dans l’océan ?

– Pardon ?

– Tu as vu un homme sur une croix et qu’on tuait d’un coup de lance dans le flan ? C’est bien ce que tu as dit ?

– Je crois, oui…

Le magicien plongea dans un silence de réflexion. Mille questions vinrent à Emrys perdu dans toute cette histoire.

– Vas-y ! l’encouragea Maeleg. Demande z’y comment on fait pour t’envoyer dans l’Aut’Monde une bonne fois pour toutes.

Il allait s’exécuter quand Myrddin lâcha un rot et se transforma en Freddy Mercury. Un pet retentit et, « prout ! » il disparut.

– V’là aut’chose ! s’exclama l’ectoplasme. Chose ! Arrête de bouffer !

Le hamster avait profité de l’inattention générale pour manger le barbecue dont la bonbonne de gaz explosa dans son estomac. Après un « POUF ! », il s’attaqua au torchis de la maison. Emrys ne bougea pas de sa chaise, ses orbites noires fixant droit devant lui. Si tout se mélangeait dans son esprit, il prenait conscience d’être le jouet de forces supérieures contre lesquelles il était impuissant. Sentant son désarroi, le rongeur grimpa sur lui, se lova dans son cou et ronronna pour le consoler.

« Prout ! » Myrddin revint sous son apparence de vieux bonhomme à barbe hirsute, mais vêtu en snowboardeur.

– Ah, quel ride ! s’exclama-t-il tout sourire. Bon ! J’ai une idée qui va peut-être te tirer d’affaire et régler toute cette histoire ! Alors, bien sûr, cela cultivera des pistons à élucubration aux parfums d’huile de coude. Mais, je pense que cela vaut la peine d’essayer.

S’il avait pu écarquiller les yeux, Emrys en aurait lâché ses globes oculaires dans son assiette :

­– Merdeux le chanteur, dit-il d’un ton solennel, je ferai tout ce que tu me diras. Je t’écoute.

Myrddin ne put réprimer un grondement. Il raconta au colosse l’histoire de Jésus et s’arrêta au moment où Longinus acheva le Messie d’un coup de lance entre les côtes.

– Cette arme, poursuivit-il, est imprégnée du sang du Christ. C’est devenu un artéfact divin très puissant. Je suis persuadé qu’il te permettrait de tuer Zébub et de mettre fin à ton calvaire.

Le guerrier, s’il souhaitait se venger du lapin, ne comprenait pas le raisonnement.

– Ce n’est pas lui qui m’a directement rendu immortel, je me trompe ?

– Ta, ta, ta, ta, ta ! On commencera par lui. Après, tu t’occuperas des autres.

Il fit apparaître un sac de cuir à bandoulière. L’objet sentait fort.

– Voici, Saque ! Je l’ai confectionné avec la peau du roi des boucs. Il te suivra partout où tu iras. À part toi, personne ne pourra l’ouvrir ou le porter. C’est le meilleur virage qu’on ait écrasé avec des rognons !

Cela avait l’air vrai, tant le visage de l’enchanteur exprimait l’autosatisfaction. Il tendit la besace à Emrys qui en souleva le rabat.

« Bêêêêêêê ! »

– Ah, oui. C’est un système antivol que j’ai installé il y a longtemps. Par contre, je ne me souviens plus du code pour le désactiver.

D’une de ses poches, Myrddin sortit un masque de Lucha Libre bleu électrique et décoré de flammes jaune et orange.

– Quand tu le mettras sur la tête, tu recouvreras ton aspect humain. Ça évitera qu’on auditionne la machine aux spéculoos.

Emrys l’enfila et en serra le laçage à l’arrière. Aussitôt, son squelette et sa chaire noire disparurent sous une peau à l’apparence ordinaire. Son assiette se transforma en miroir et, en apercevant son visage, il pleura.

– Tiens, mets un slip ! lança l’enchanteur. Tu ne peux pas te promener à poil à travers le monde.

Il lui tendit et, le Gaulois ne connaissant pas l’usage des sous-vêtements, il mima comment le porter.

– Et voilà ! Tu es prêt à partir !

– Pour aller où ?

– Eh, bien ! Tu vas chercher la lance de Longinus, pardi !

– Tu vas m’envoyer directement au bon endroit ? s’enquit le colosse qui avait un drôle d’air avec son sac en bandoulière et qui ne parvenait pas à détacher son regard du miroir. Il était heureux de se retrouver.

– Merci mille fois, Merdeux le chanteur !

Un grognement profond et animal lui répondit. Il leva les yeux sur Myrddin transformé en sanglougarou. Fou de rage, le monstre hybride lui sauta à la gorge, le lacéra et lui bouffa le bide.

« POUF ! »

 

 

 

 

[1] Sputnik

[2] Cinq, quatre, trois, deux, un !

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Roxane Berg
Posté le 13/05/2021
Salut!

Top, ça manquait de fous XD

"je t’écoute et je relance de dix-neuf boulettes de viande" ah ça sent l'influence d'Astier ou de Kamoulox ça, c'est bon c'est bon !

Par contre, je suis retournée au chap 8 pour relire cette soit-disant mort d'Emrys par Myrddin. On passe de cerunnos avec le collier à planté sur une branche, où est passé le gamin, tu n'en fais pas mention dans le chap 8. T'aurais pas oublié un paragraphe? [plus tard... : aaaaaaaaaaaaah okaaaaaaaaaay! Ok, ok, bien joué!]

Génial cette visite de toutes les grandes époques! Avec la vision d'Emrys, tout en gardant la narration omnisciente.

"Chose" contre les dinosaures est génial XD

Son "zizi"? Mmh. Son "sexe" serait moins étrange.

Le passage de Freddy Mercury a terminé de me tuer XD

Merci pour cet excellent (excellent!) chapitre, je sais pas ce que t'as pris pour rédiger celui-là, mais c'était de la bonne! Tu m'auras encore bien fait rire ^^
FabrysBesson
Posté le 18/05/2021
Hello !

Depuis de nombreuses années, j'ai la plupart des scènes de résurrection en tête. Il y en a d'autres à venir avec pour objet de dévoiler des aspects encore inconnus au sujet d'Emrys.

Pour le zizi, j'ai voulu utiliser quelque chose d'enfantin, mais je note ta remarque.

Merci pour tes compliments !
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