10. Orientation (2)

Après le repas, Kalan se promena jusqu’à un grand rocher plat, chauffé par le soleil. Alentour, il n’y avait que fleurs de montagne, herbes aromatiques, insectes et oiseaux chanteurs. Il s’allongea, se tortillant jusqu’à trouver une place confortable. Il somnola un long moment, se laissant bercer par l’air frais et les odeurs de l’été émergeant. Lorsqu’il s’éveilla, le soleil l’avait revigoré.

Plein d’énergie, il prit la direction du terrain d’entrainement. Avant de percevoir ce qui se déroulait sur la place, il entendit des cris et des exclamations. Intrigué, il s’approcha jusqu’à découvrir la scène qui mettait tant de monde en émois. De nombreux Elfes formaient un cercle autour d’un des trois terrains qui servaient à s’entrainer. Kalan se fraya une place dans cet attroupement pour découvrir ce qu’il s’y déroulait en son centre.

Nekoline était en posture de combat, mains nues, contre trois Sombres équipés d’épées de bois. Fylen faisait partie de ses adversaires. Après un regard entendu, elle chargea en même temps que ses deux camarades. Nekoline ne se précipita pas, elle agissait naturellement avec une rapidité gracieuse. Elle trouva la faille dans la garde d’un de ses assaillants, un Sombre fin et grand. Elle se glissa dans son dos, évitant en même temps les épées de bois qui s’abattaient là où elle se tenait l’instant d’avant. Elle désarma le Sombre et fit semblant de lui trancher la gorge. Celui-ci leva les bras et s’éloigna du champ de combat, admettant sa défaite. Nekoline jeta l’arme factice et se repositionna, mains nues, face aux deux adversaires restants.

Cette fois-ci, les Sombres n’attaquèrent pas en même temps. Fylen plongea sur la Gardienne, l’obligeant à esquiver. L’autre Sombre tenta de la prendre à revers, mais Nekoline évita sa lame en s’accrochant à son bras. Elle profita de son élan pour l’obliger à finir sa course dans les flancs de Fylen. Si la lame avait été réelle, il aurait transpercé sa camarade qui se poussa sur le côté.

Il ne resta donc plus qu’un Sombre en face de Nekoline. Cette fois, la foule se tut, attendant la prochaine attaque. Nekoline ouvrit elle-même les hostilités. Elle chargea son adversaire qui l’accueillit d’un coup de sabre sifflant dans les airs. Il ouvrit de grands yeux en apercevant la Gardienne sauter en cloche par-dessus lui et lui accrocher les épaules. Elle se glissa dans son dos et lui prit la tête entre les mains.

— Et là, je pourrais t’énuquer, je pense donc que j’ai gagné la partie, annonça Nekoline

Un silence accueillit ses paroles.

— C’était incroyable ! s’exclama Fylen, toujours assise par terre, à bout de souffle.

La foule amassée se mit à applaudir et à s’écrier de stupeur face à un si beau combat. Kalan avait vu Fylen en action, ce n’était pas une débutante, Nekoline devait vraiment être hors catégorie. Il se sentit tout à coup moins sûr de son choix.

— Dire qu’elle a eu cinq bons adversaires à mains nues ! On sentait qu’ils fatiguaient sur la fin, cet affrontement a duré vraiment longtemps, commenta quelqu'un proche de Kalan.

Les deux Sombres qui accompagnaient Fylen s’étalèrent en effet au sol, trempés de sueur.

— Kalan ! Qu’est-ce que tu fais là ? s’écria la Gardienne, pleine de joie et d’énergie.

Il ne l’avait jamais vue aussi rayonnante. Depuis le jour où Holl leur avait présenté la méditation, il l’avait même vu la mine plus obscure que jamais. Quelque chose chez Nekoline avait changé et il s’en réjouissait. En revanche, que tout le monde les fixe lui plaisait moins. Ces regards achevèrent de gêner Kalan et de le faire douter.

— Je… C’est-à-dire que…

— Il aimerait apprendre à manier une arme, pour protéger la vie de sa sœurette, annonça Wakami qui arrivait d’un pas tranquille, les mains dans les poches, aucunement affecté par l’agitation alentour.

— Merci de me balancer, marmonna Kalan.

— Tout le plaisir est pour moi, assura le Coloris d’un ton humble.

— Excellent ! s’enthousiasma Nekoline. Tu vas voir, c’est une activité fabuleuse !

— Une activité fabuleuse ? Si ces armes n’avaient pas été en bois, j’aurais appelé ça un massacre.

— C’est moins drôle quand des gens meurent, c’est vrai. Mais utiliser sa Force au combat, c’est grisant ! Je reviens, je dois faire un retour rapide à mes adversaires ! 

Kalan l’entendit expliquer que leurs coups étaient trop prévisibles, le reste fut trop technique pour lui. Il se tourna vers Wakami :

— Qu’est-ce que tu fais là ? Tu n’es pas au sanctuaire avec mon frère ?

— Il n’a plus besoin de moi, il a compris qu’il pouvait faire confiance à Isfan. Je peux donc m’entraîner, pour le jour où je retournerais sur le terrain. 

Kalan aurait dû se réjouir que le traitement de Nessan avançait bien, mais il était obnubilé par la présence incongrue du Coloris sur le terrain d’entrainement.

— Je ne savais pas que tu te battais au corps-à-corps, avoua Kalan.

— Disons que ce n’est pas mon point fort, les Sombres entraînés sont trop avantagés par leur Force, mais je m’améliore. Nous essayons tout de même d’avoir de bonnes bases en combat, ce qui nous a sauvé la dernière fois, quand Touma a assommé ce sale Erok sans trembler. 

Cela semblait logique, exposé ainsi, ce qui n’empêcha pas Kalan de maudire le Coloris intérieurement, car il aurait souhaité s’entrainer discrètement.

— Alors comme ça tu veux t’entraîner ? demanda Fylen qui avait fini de discuter avec Nekoline. J’ai été l’instructrice de Wakami, je pourrais t’apprendre.

— Si ça ne te dérange pas, mais je n’ai aucune expérience en combat.

— Je m’en doute ! Wakami, tu lui serviras d’adversaire, ce sera une bonne remise en route pour toi. Allez prendre une arme en bois ! 

Kalan se sentit déjà perdu face à cette première épreuve. Wakami choisit un faux sabre, comme sa mentor. Kalan ne trouva rien qui lui fasse écho, il choisit donc une épée simple. Ils se positionnèrent ensuite sur un des terrains.

— Bien, placez-vous face à face, saluez et… Allez-y ! Je vous donnerai des conseils au fur et à mesure. 

Ils s’exécutèrent. Kalan attendit que Wakami ouvre les hostilités, n’ayant aucune idée de ce qu’il devait faire. Le Coloris bondit et le frappa sur le côté, un coup sans risque, mais douloureux.

— Ne me casse pas de côtes, s’il te plait, je suis enfin sur pieds.

— Je ne frapperai pas si fort, rassure-toi. 

Fylen vint lui donner des conseils sur sa posture défensive et le maintien de son épée. Ils recommencèrent l’échange maintes fois, mais Wakami le dominait constamment. Kalan parvenait parfois à parer une ou deux de ses attaques mais il ne put rien faire pour le mettre en danger. Il aurait volontiers usé de l’excuse du manque d’Énergie, mais le Coloris n’en possédait pas non plus au service de la Force. De toute façon, Kalan était incapable d’employer correctement celle qu’il possédait pour attaquer. Il donnait des coups puissants, mais son adversaire les évitait. Après plusieurs assauts, il demanda une pause, éreinté et humilié.

— Ce n’est que ton premier essai, tu t’en sortiras de mieux en mieux, l’encouragea Fylen.

— J’ai des doutes, j’ai l’impression de ne rien comprendre, se plaignit Kalan. Je n’aurais pas dû venir ici, je ne comprends rien au combat.

— Si tu ne le sens pas, il ne faut pas te forcer. Mais n’abandonne pas si vite ! 

Le jeune Sombre sentait sa gorge se serrer, le découragement semblait l’avoir clouer au sol. Il était médiocre, il ne pourrait jamais venir en aide à qui que ce soit. Ce choix de défendre les personnes qu’il aime de ses mains avait été stupide. Cependant, il n’osa pas exprimer tout son accablement à Fylen.

— J’y réfléchirais, oui, souffla-t-il.

— Fylen, si ça ne te gêne pas, j’aimerais beaucoup le prendre comme élève, intervint Nekoline.

Kalan avait remarqué sa présence, mais il était trop gêné de sa prestation pour regarder la reine du terrain.

— Bien entendu, Nekoline ! Tu as remarqué quelque chose qui m’échappe ? demanda Fylen, avide de conseils.

— Kalan est vraiment petit.

— Formidable ! Je ne peux pas changer ma taille, se plaignit-il.

— Il ne dominera pas par la force brute, mais quand il sera remis, il sera rapide, endurant et agile, poursuivit la Gardienne comme si elle n’avait pas été interrompue. 

— Ça veut dire que la Force des Sombres ne me servira pas ? demanda-t-il, dépité.

— Oh si, elle va te servir ! Tu seras encore plus rapide et plus insaisissable grâce à elle ! Tout le monde ne se bat pas comme des brutes épaisses. Tu as l’impression que j’ai gagné mon combat comme on gagne un bras de fer ? 

— Non, tu avais plutôt l’air insaisissable, mais je n’ose pas me comparer à toi.

— Tu n’as pas été élevé et… traité comme moi. Tu ne m’égaleras donc jamais, mais tu as une nervosité qu’il faut exploiter et je peux t’aider. Reviens demain, j’aurais un cadeau pour toi.

— Je… Très bien, merci, répondit Kalan.

— Fylen, nos deux élèves pourront s’affronter à nouveau d’ici un mois !

— Avec ou sans le recours à l’Énergie ? questionna Fylen.

— Sans ! Si ton élève a le droit d’utiliser l’Hypnose, le mien n’a aucune chance.

— Il pourrait apprendre à consolider son esprit.

— C’est possible ? s’étonna Kalan.

— Bien sûr, mais c’est du boulot, surtout pour tenir tête à Wakami.

— Alors je veux apprendre ! On combattra en recourant nos dons.

— Tu es sûr de toi ? Wakami fait partie de l’élite, il n’y a qu’Epoline qui puisse un jour se prétendre sa rivale, prévint la Gardienne.

— Tu es si fort que ça ? s’étonna Kalan.

— Ne sois pas si surpris ! s’indigna l’intéressé. Ça ne se voit pas ? Je domine les Élus, l’élite des Hypnotiques d’Esli.

— Comment se fait-il qu’Erok t’ait mis en difficulté, si ce n’est pas indiscret ?

— Ça l’est, mais je vais quand même te répondre puisque tu ne te gêne pas. Je devais gérer plus d’adversaires Sombres que lui et je pense qu’il avait pris de l’Indigo.

— Je vois… Encore cette saleté.

— Oui. Tu es sûr de vouloir m’affronter avec nos dons ? Je te domine déjà au corps à corps.

— Si j’échoue lamentablement et que le duel ne dure qu’une fraction de seconde, on essayera les deux ! 

— Si ça t’enthousiasme autant, allons-y.

Le Coloris rangea son sabre en bois et rentra en direction du village.

— Il ne dit jamais au revoir ? demanda Nekoline.

— Quand il n’oublie pas et qu’il est prêt à gaspiller sa salive pour le faire, ça lui arrive, s’esclaffa Fylen. Je vous propose de le suivre, je suis morte de faim et il me faut un bain après la raclée que Nekoline nous a mise.

— Je te suis ! répondit la Gardienne. Kalan, tu viens ?

— Allez-y, je vais ranger mon épée, je vous rattrape. 

Il ne les rattrapa pas tout de suite, constatant qu’il était bien trop fatigué pour leur courir après. Les deux Sombres échangeaient entre elles en souriant et Kalan observa Nekoline. Fine, svelte, gracieuse, elle semblait danser là où les autres se mouvaient de manière tout à fait ordinaire. Kalan se demanda si Omèle l’avait aidée en quoique ce soit, car la Gardienne semblait encore mieux… habiter son corps, c’était le seul terme qu’il lui venait à l’esprit. On aurait dit que chaque geste était empreint de fluidité et exécuté de manière parfaitement consciente. Elle avait toujours été impressionnante, mais avant leur arrivée, elle donnait plutôt l’impression d’être une arme. Aujourd’hui, elle était une Sombre et un corps empli de vie et de grâce. Finalement, si le chemin du combat amenait Kalan à la suivre, cette voie était plutôt attirante. Il constata avec sérénité qu’il était en accord avec son choix.

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