Kalan eut plus de peine à se lever le lendemain, fatigué par l’entrainement de Fylen, mais il se réveilla bien avant le groupe de méditation. Ce qu’il considérait d’abord comme une corvée matinale était devenu un plaisir : les enseignements de Maître Holl étaient d’une bienveillance et d’une ouverture d’esprit apaisante. Il constata que Popi était déjà parti de son côté et comme escompté, Kalan le retrouva au sanctuaire. Le chiot effectuait sa tournée en compagnie d’Orielle.
— Orielle ! Je ne m’attendais pas à te voir ici, admit Kalan.
— Je remplace Isfan, il n’était pas bien ce matin et ses collègues sont déjà bien assez occupés.
— Oh je vois. Il ne soignera pas Nessan aujourd’hui ?
— Si justement, il se repose pour traiter les patients les plus fragiles. Je n’ai fait que les tâches à ma portée, aidée par Popi, souligna-t-elle en caressant le chiot.
— Tu connais bien Isfan ? Il doit te faire sacrément confiance pour te laisser ses tâches.
— Pour sûr ! déclara-t-elle. C’est un ami d’enfance, nos parents étant eux-mêmes amis. Nous avons eu la chance de naitre ici, à Mérin et nous avons commencé à utiliser nos dons d’Hypnose ensemble. Au fil des ans, j’ai développé plus d’intérêt pour la protection des esprits que pour leur guérison. J’étais trop fâchée de voir dans quel état était revenue ma mère de mission… Elle s’en est sortie, mais ça a été long ! C’est pour empêcher ce qui leur est arrivé, à elle et à Nessan, que j’ai décidé de partir en mission avec Fylen et Rahib, un Cornide que tu n’as pas encore rencontré il me semble.
— En effet, son nom ne me dit rien. Je ne savais pas que ta mère avait subi des violences psychiques.
— Oui, c’était il y a longtemps… En tout cas, j’ai quelques connaissances qui me permettent de travailler ici, mais c’est minime. Je suis bien contente qu’Isfan s’occupe des personnes de ce sanctuaire ! Il est doué et dévoué, ce Coloris est une perle, vraiment.
— On croirait m’entendre quand je parle d’Ahia, remarqua Kalan.
— Il faut croire que nous avons tous les deux la chance d’avoir trouvé des personnes formidables, répondit-elle avec un clin d’œil. Bien, Popi et moi n’avons pas fini notre tournée. À plus tard, Kalan !
Elle entra dans une chambre un peu plus loin et le chiot la suivit, branlant énergiquement de la queue. Les semaines passant, il ressemblait de plus en plus au molosse qu’il allait devenir et Kalan s’amusa de le voir jouer son rôle de soutien moral. Quand il entra dans la chambre de Nessan, celui-ci dormait comme à son habitude. L’équipe de soin ne le réveillait que deux fois par jour, sous la surveillance d’Isfan afin qu’il puisse manger, boire et aller se soulager. Il lui avait été déconseillé de le visiter durant cette heure-là, car son frère ressemblait à un mort vivant. Quand il s’approcha il fut surpris de découvrir une boule de poils noire lovée à la tête de son frère. Ahia en chatte leva la tête à son arrivée, se déroula et entreprit de s’étirer de tout son long.
— Tu as dormi jusqu’à présent ? s’étonna Kalan.
— Tu es bien placé pour me faire la morale !
— Je suis encore en convalescence, je te rappelle.
— C’est vrai, moi, j’ai juste veillé tard. Après ton départ, nous avons encore discuté longtemps avec Epoline, Nekoline, Ehiro, Isfan, Orielle et Wakami.
— Je vois qu’on s’amuse bien pendant que je dors, regretta Kalan.
— Ne sois pas jaloux ! Wakami n’a pas fait tard, tu n’as maqué presque aucune occasion de l’embêter.
— Et alors ? J’aimerais quand même bien apprendre à connaître les autres.
— Isfan est parti peu de temps après également, sentant qu’il n’était pas très bien. Tu apprendras à les connaitre ne t’en fais pas. Surtout Nekoline : elle nous a encore raconté comment elle imaginait ton entrainement une fois que tu étais parti te coucher. C’est là que Wakami a commencé à décrocher et s’est rentré. Elle a l’air très enthousiaste, je ne la savais pas capable de développer tant d’émotions.
— Je suis enthousiaste aussi, même si j’appréhende un peu.
— Elle a l’air de savoir ce qu’elle fait et de t’avoir bien cerné.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Elle a dit qu’une fois d’aplomb, il te faudrait un entrainement pour petit nerveux impulsif et non pour gros colosse tempéré.
— Je dois admettre que c’est un exploit qu’elle m’ait si bien cerné dans mon état actuel ! À sa place je me serais jugé petit, faible et sans énergie.
— Tu exagères ! Mais oui, elle a l’œil. Elle nous a décrit chacun de tes gestes dans ton combat face à Wakami et ce que ça signifiait. Je n’y ai rien compris, tu penses bien.
— Peut-être qu’elle disait n’importe quoi ?
— Nekoline ne parle pas souvent, je doute qu’elle ouvre sa bouche pour dire n’importe quoi, elle.
— Tu insinues que je ne suis pas comme ma future maîtresse d’arme ? s’amusa Kalan.
Ahia lui répondit en frottant sa tête contre le bras qu’il avait posé sur le lit et en ronronnant.
— En tout cas, je ne l’ai jamais vue aussi rayonnante et passionnée qu’en parlant de ton entrainement. Je crois qu’elle aime le combat comme j’aime… Non je ne sais même pas à quoi je peux comparer ça !
— Je vois. Je te raconterais comment se passent mes leçons.
Les deux camarades restèrent un moment auprès de Nessan et Kalan lui parla de ses journées. Ahia reprit sa forme d’hybride et s’habilla avant de se rendre auprès de Holl.
Le Maître les accueillit comme à son habitude, mais Ahia transmit à Kalan :
— Étrange, je sens une pointe de nervosité inhabituelle chez Holl.
Kalan fronça les sourcils. Il était rare que son amie lui parle dans sa tête lorsqu’elle pouvait user de la parole. Elle devait être vraiment perplexe de l’état émotionnel du Visionniste. Son cours commença pourtant comme d’habitude, avec un moment de calme et de centration sur soi.
— Pour la suite, j’aimerais continuer sur le thème de la bienveillance à travers un nouvel exercice, expliqua-t-il.
Il les encouragea à penser à une personne qui éprouvait de la bienveillance et de l’estime pour eux. Kalan pensa aussitôt à Ahia qui lui avait offert amour et bienveillance dès leur première rencontre. Holl leur demanda ensuite de porter ce même regard sur soi-même et Kalan sentit un certain malaise chez le Visionniste, qui lui fit ouvrir un œil. Wakami en face de lui fulminait, serrant les poings sur ses cuisses de toutes ses forces. Au bout d’un moment, il ne tint plus en place. Il se leva et, furieux, il déclara :
— Foutaises tes exercices débiles ! Comme si je n’avais pas compris où tu voulais en venir !
Le Coloris s’en alla d’un pas rageur. Tout le monde le regarda partir avec de grands yeux ronds sauf Holl qui soupira. Ahia regarda le Visionniste d’un air compatissant.
— Quelle tristesse, chuchota-t-elle.
Kalan sentit le sang lui monter à la tête. Tout le monde était en train de profiter d’un moment pour s’offrir du réconfort intérieur et il fallait que Wakami vienne tout gâcher. Savait-il que d’autres personnes ici avaient des sentiments et des envies ? Qu’Ahia ressente de la tristesse pour Holl fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase.