Accompagnée vers l’extérieur du bâtiment central par Sa’d, chef d’équipe de gardiens, je raconte mon échange avec Pavel. Tout y passe : où il se trouve actuellement, ce que je sais désormais avec certitude concernant son implication de l’heure sombre, le moindre détail mémorisé.
Je tiens vraiment à ce qu’ils prennent sa vie. Mon cœur bouillonne encore. Qu’importe les discours et belles paroles qu’il compte me conter, jamais je ne pardonnerai son acte, et encore moins son silence. Dire que pendant longtemps il m’a appris à gérer ces moments où mon corps se tétanisait à l’entente d’un bruits trop fort ou à la vue d’un feu. Peut-être voyait-il une façon de prouver un semblant d’humanité dans son âme ? Apprendre à la personne dont on a détruit la vie à se battre en l’incitant à se venger relève presque de l’ironie.
Alors que nous nous éloignons du bâtiment, Sa’d m’emmène directement à l’intérieur du café vidé de tous ses clients.
« Tu prends toujours du café fort ? » me demande le chef d’équipe en se dirigeant vers le comptoir.
Derrière, Sven prépare deux grandes tasse qu’il glisse sous sa machine fumante.
« Oui.
— Avec un petit remontant en bonus, » rajoute Sa’d lorsqu’il dépose les récipients sur la table.
Je le remercie d’un simple geste de la tête, mes mots pour exposer le réel soutien qu’il m’apporte refusent de trouver leur voie dans mes cordes vocal. Le regard perdu sur la mousse beige de cette boisson noire au relent de rhum, une vague de chaleur parcourt mon échine. Dans mon esprit se rejoue sans cesse cette scène avec Pavel, ces années passées à le côtoyer, et comment j’aurais dû agir depuis tout ce temps : le tuer. Le brûler vif dans un festival de flammes, le tout dans une lente agonie qu’il ressente un semblant de la souffrance qu’il a propagé.
Depuis l’autre bout de la pièce me parvient la voix de Sa’d donnant des consignes à ses subordonnés, et un compte rendu régulier à Sérafino. Cible introuvable, Jacob embarqué. Voilà tout ce que je retiens. Le premier connaît chaque recoin de la ville, possède des contacts dans toutes les rues les plus malfamées, et dispose d’une technologie dont il se réserve l’exclusivité de l’utilisation. Plus pour longtemps. Toutefois pourquoi vouloir le gouverneur ? Depuis quand nous permettons-nous d’arrêter des politiciens ?
« Tempérance ? J’aurais quelques questions à te poser, » m’annonce Sa’d en se posant sur la chaise face à moi. « Ça concerne ton travail au sein de la ville, et tout particulièrement ton enquête de ce matin. Tu vas pouvoir gérer si je te les pose maintenant ?
— Oui. »
Incapable de prononcer plus. Ma gorge s’enflamme au moindre passage de son.
« Est-ce que tu sais si le gouverneur a contacté des gens de l’extérieur ?
— Pardon ? »
Pour la première fois depuis que je suis assise, ma tête se relève sèchement vers mon interlocuteur.
« Actuellement à l’entrée de la ville, Sérafino parle avec un manager de Tseipru. Selon ses dires, ils sont en affaire avec Jacob. Tu as des informations concernant ça ? »
À aucun moment mon ordre de mission concernait un quelconque business. Pas dans mes souvenirs. Autant être sûre avant de répondre quoique ce soit.
Mes doigts glissent dans la poche de mon pantalon où mon téléphone… ne se trouve plus. Forcément, il a été pris. Sur le moment je ne pensais pas du tout à le savoir avec moi.
« Ça ne me dit rien. Par contre je ne peux pas en avoir la certitude. Je n’ai pas mon téléphone.
— Je comprends. Connecte toi sur le mien. »
Tandis qu’il pianote d’une main sur son appareil, il en dépose un second sur la table que je m’empresse de saisir.
« Pas mal de gens de ton corps de métier vivent ici, » rajoute-t-il pendant que je note mon identifiant. « Est-ce que tu sais pourquoi il t’a choisi spécifiquement ? Et pendant ton enquête, tu as pu relevé des détails particuliers ?
— Je suppose qu’il voulait mon point de vue en particulier, il pensait peut-être que le fait que Pavel m’a enseigné énormément de choses me pousserait à m’appliquer. Et concernant ce qui aurait pu attirer mon attention ? À part le fait que j’ai trouvé un rapport qui implique le vieux dans l’attaque de l’heure sombre ? Non. Rien. Les nettoyeurs sont venus faire leur travail après mon départ. Zééva sur place préparait un programme…
— Quel type de programme ?
— J’en sais rien ! Je lui ai pas demandé.
— Bien. J’en ai terminé. Tu peux y aller. »
Sans en dire plus, il arrache de mes mains son téléphone et ressort du café. Surprise par ce revirement soudain, quelques longues secondes s’écoulent avant que mes esprits se remettent en place.
Mes données sur mon espace, il y a accès.
Retour brusque à la réalité. Je me relève à sa poursuite dans la rue, et le rattrape en le saisissant par l’épaule.
« Je ne me suis pas déconnectée, » lui annoncé-je le doigt pointé vers l’appareil. « Tu n’as pas besoin de tous les éléments.
— Tu entrave mon travail Tempérance. Emmenez la ! »
Avant même de prononcer quoique ce soit, mon visage se retrouve plaqué contre un mur alors qu’une voix me dicte des consignes qui n’atteignent pas mon attention.
« Sa’d ! »
Un coup dans mes côtes expulse mon restant de souffle. Et un tissu vient englober ma tête me ramenant dans l’obscurité.
Journée de merde.