11 - Zééva

Par Joxan

Toujours personne. Ni le convoi de gardiens, ni Melvin depuis une poignée d’heures.

Mérédith me conte sa vie avant et pendant la capsule dans laquelle sa conscience, ou âme, patientait. Enfermée des décennies plus tôt, coupable d’avoir participer à une rébellion. Dans une époque où les autorités préféraient condamner à un enfer artificiel plutôt qu’à la mort. Trop juste selon eux.

Ramenée en de rares occasions parmi les vivants, Pavel lui portait les nouveautés de notre monde. Et même si à chaque retour peu de choses changeaient, elle prenait plaisir à respirer un air frais bien réel. Avant de retourner pour une durée indéterminée dans un monde entier contenu dans seulement quelques disques durs. Le tout géré par un système d’exploitation bien spécifique, grâce à une puissance de calcul phénoménale. Tellement bien optimisé, une toute nouvelle réalité dans un cycle d’électrons.

Pendant tout son monologue, je restais silencieuse et à l’écoute. Au début réticente à l’entendre parler, son histoire m’a finalement captivée.

 

Venue au monde durant la grande famine, toute sa vie ne demeurait qu’une succession de batailles. Contre la faim, l’autorité en place, la fatigue, les pillages, enlèvements et meurtres, sans parler du cannibalisme devenu un quotidien pour certains. En bref, une époque sombre, restée gravée dans les mémoires. Si aujourd’hui ça recommençait, bon nombre de personnes abritées dans leur tour dorée ne passeraient pas une semaine en restant entier.

 Devenue orpheline avant de savoir écrire, Mérédith fut recueillie par une organisation motivée par le bien-être d’autrui. Toutefois, un confort se paie au prix fort.

Bien que la nourriture ne manquait pas, sans non plus débordait des placards. La grande majorité des terres cultivables ne perdait peu à peu leur nutriments. En quelques décennies, la production suffisait à nourrir l’humanité, mais plus le bétail. Pour préserver la vie et la continuité de la vie des élites, un monopole des terrains de culture mis en place par les têtes pensantes, a été délivré à des multinationales agro-alimentaire privées. Avec une hiérarchie de distribution : les badges d’or pouvaient avoir tout ce qu’ils demandent. Les badges d’argent, ce qui restait. Les badges de bronze pouvaient demander une mise de côté sous réserve de disponibilité. Et tant pis pour les sans badge.

Ainsi, durant de longues années de lutte, l’organisation menait une bataille sans merci pour quelques légumes.

Durant une nuit de pillage de routine d’un entrepôt, un groupe chargé de la protection attendait l’équipe de Mérédith. Aucune sommation, une salade plus importante qu’une vie humaine. Une balle moins chère qu’une aubergine.

Elle ne sut pas tout de suite pour son décès. Alors qu’elle se trouvait devant un étalage de carottes, le monde autour cessa d’exister. Comme dans un rêve, ou un mauvais cauchemar, ses pieds foulaient désormais le sol d’une cellule parfaitement cubique. Sans porte, sans fenêtre, sans source de lumière, mais sans être pour autant plongé dans les ténèbres.

Pendant ce qui paraissait un mois, absolument rien. Son ventre vide criait famine, sa gorge sèche réclamait au moins un filet d’air humide. Une faim qui tournait ses entrailles qui ne pouvait être combler. Une soif qui ne pouvait être étanchée. Chaque seconde à espérer voir la mort, une éternité à vivre.

Après son mois de silence, une personne en visite se tenait face à elle dans sa cellule. Toujours sans porte, sans fenêtre, sans lit ni toilette. Juste quatre murs, un sol, et un plafond.

Un  visage caché par une épaisse paire de lunettes de soleil, portant un tee-shirt de sport bleu, un short blanc, et une paire de tong, souriait à Mérédith. Sa tenu vestimentaire peu courante resta, depuis ce moment, gravée dans ses souvenirs.

Dans la cellule résonna sa voix, qui lui annonça ainsi ce qu’elle faisait ici. Elle mourut cette nuit dans cet entrepôt. Son esprit fut ensuite chargé dans la manufacture d’âme, où les condamnés vivraient jusqu’à l’obtention d’une solution à la famine. Une nouvelle condamnation pourrait ensuite se négocier pour payer la dette de ses crimes. En attendant, elle resterait là. En attente d’un nouveau corps.

Juste avant de laisser sa place au vide, cette personne compara le goût de la chaire de Mérédith à de la viande rouge de piètre qualité.

Elle voulu lui sauter à la gorge, se battre au sang, mais des liens la maintenait immobile.

 

« Voilà ce que représente la boîte, » conclu-t-elle une tasse de café entre ses doigts. « Je te laisse deviner ce que contenait le coffre. »

Ma voix ne trouvait plus d’air porteur pour livrer une parole. Mérédith me voyant ne rien faire, continu encore sa mésaventure.

« J’ignore s’il est toujours vivant. J’ignore son nom. J’ignore si je le trouverai un jour. Mais si ça arrive, je le démembrerai et lui ferait bouffer ses entrailles. »

Violent. Mais compréhensible.

« Le directeur, Pavel, il sait où le trouver.

— Monsieur Hakl est…

— Je me doute qu’il n’est pas dans sa meilleure forme. Mon cerveau contient une carte qui enregistre les données de son cœur. C’est pour ça que je suis là. Il m’a conçu ce corps, et une activation en cas de nécessité. À la base je  devais le protéger, et servir d’arme. »

Cette information n’est mentionnée nulle part. Pavel a donc agi dans le dos des autres. Toujours plus, qu’a-t-il pu faire d’autres encore dans le dos du monde ?

« Maintenant que je t’ai raconté ce que tu as besoin de savoir, je m’en vais faire mon travail. Pavel est d’ailleurs sur le chemin, dans le sous-terrain qui relie le stand de tir à la ville et au château. »

Le fameux château de Märkinen. En ruine depuis bien avant ma naissance.

« Où se trouve l’entrée ?

— En bas. Derrière l’étagère de trophées. »

La voilà qui s’y dirige. Du sang va couler. Devrais-je l’arrêter ? Ou continuer ce que je dois faire en laissant Mérédith semer la mort sur son passage ?

Je n’ai aucune attache là-bas si des dommages collatéraux arrivent. Et puis, je me trouve ici pour préparer la protection de Niras. Je dirai que je ne l’ai pas vu, j’espère qu’elle jouera le jeu.

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