11 — Le Tribunal

Par Rouky

Faîtes Tuer l’Accusé

 

Le tribunal d’Ossenoir, bâtiment austère aux colonnes rongées par le temps, était rarement fréquenté. Les affaires y étaient rares, les litiges minimes. Clément Droitel, jeune greffier, y passait ses journées à classer des dossiers jaunis et à errer dans les couloirs vides où résonnaient les courants d’air.

Un après-midi pluvieux, alors qu’il explorait une salle d’archives interdite, il découvrit un dossier à la reliure noire, sans nom sur la couverture. La poussière le recouvrait entièrement. En l’ouvrant, il lut les premières lignes :

Affaire n° 47 - Victor Ravène - Ouverte en 1965 - Non close.

Clément parcourut les pièces, fasciné par la noirceur des accusations : six meurtres. Deux jeunes femmes étranglées dans une ruelle. Un libraire empoisonné avec du mercure. Un gendarme poignardé dans le dos. Et deux enfants retrouvés noyés dans la fontaine de la Grand-Place.

La procédure s’interrompait brutalement. Aucune trace de jugement. Pas de décision finale.

Par curiosité, Clément enregistra officieusement la réouverture du dossier.

Le lendemain, en arrivant au tribunal, il remarqua que la grande salle d’audience était éclairée. Chose inhabituelle. Il poussa la porte.

Des dizaines de personnes étaient assises sur les bancs, toutes vêtues de manière ancienne : robes victoriennes, redingotes sombres, hauts-de-forme et voiles funèbres. Leurs visages étaient blafards, leurs yeux fixés sur lui. Certains grimaçaient, d’autres murmuraient des imprécations dans une langue ancienne. Une tension viscérale flottait dans l'air, à la limite de l'émeute.

— Le juge est arrivé, murmura une voix sèche. À vos places.

Pris de panique, Clément voulut fuir, mais ses jambes l’emmenèrent malgré lui jusqu’à la place du magistrat. Il s’assit derrière le pupitre. Une malle d’archives était posée devant lui.

Un huissier spectral annonça l’ouverture de la séance.

— Tribunal d’Ossenoir, 30 octobre 1965. Procès de Victor Ravène. Chef d’accusation : Meurtres multiples avec circonstances aggravantes.

Un homme fut amené, enchaîné, à la barre. La trentaine. Le visage ravagé par l’angoisse. Il tremblait comme une feuille, les yeux injectés de sang. Ses mains trituraient nerveusement ses poignets, comme s’il cherchait à s’arracher ses propres liens.

Il n’était pas vêtu comme les autres. Il portait un costume rouge, et ses cheveux étaient gominés. L’affaire datait de 1965, alors pourquoi le public était-il habillé si... anciennement ?

— Je... je n'ai pas voulu faire tout ça. Quelque chose... quelque chose en moi... me contrôlait. Une entité... Je l'entendais dans ma tête ! Elle riait. Elle commandait. Je ne pouvais rien faire ! Je supplie la clémence de cette cour... Je veux vivre ! Je vous en supplie, je n'étais qu'un pantin !

La foule gronda. Certains se levèrent d’un bond. Une femme jeta son mouchoir au sol en criant : « Qu’il brûle ! Qu’il pourrisse comme les autres ! » Un vieillard montra ses mains tordues : « Ma fille étouffée ! Et il pleurniche ! TUEZ-LE ! »

L’avocat de l’accusation se leva. Un homme à la peau grisâtre, les yeux comme deux trous de charbon. Sa voix était aussi froide que la mort.

— Des histoires pour échapper à la corde. Il veut l'asile, pas le gibet. Mais les faits sont là. Des femmes étranglées à mains nues, les orbites retournées vers l’intérieur. Un libraire empoisonné par des pages imbibées de mercure, dévoré de l’intérieur. Un gendarme lacéré jusqu’à l’os, dont on a trifouillé les organes. Deux enfants noyés, les jambes nouées ensemble avec des cordelettes. Est-ce cela l’œuvre d'un possédé ? Non. C'est celle d'un monstre. Lucide. Et sadique.

Un long silence. Puis tous se tournèrent vers Clément Droitel.

Il voulut parler. Sa gorge se serra. Il voulait dire : « Non coupable ». Il voulait expliquer qu’il n’était pas un juge, qu’il n’avait pas toutes les clés en main, qu’il avait peur. Peur de ces regards avides, de cette foule prête à lyncher l’accusé. Peur de se tromper. Peur de mourir.

Mais ses lèvres bougèrent sans son accord. Son corps se redressa lentement. Et une voix rauque, antique, grondante, s'échappa de sa bouche.

Grave. Vieille. Déchirée par la haine.

— Coupable. Par le sang versé, par les cris des enfants, par la terreur laissée dans les rues... Je condamne Victor Ravène à mort.

Le prisonnier hurla, supplia. Il tomba à genoux, implorant la foule, crachant ses larmes et sa terreur.

— NON ! J’implore votre clémence, ayez pitié ! Il me hante ! Il me parle la nuit ! Ce n'est pas moi, je vous en supplie, c'était LUI !

Mais les policiers spectres l’empoignèrent et l’emmenèrent de force. Ses cris s’éteignirent au fond du couloir.

Clément se sentit aspiré en arrière.

Il se réveilla, haletant, dans la salle des archives. Le dossier était encore ouvert devant lui.

Puis il entendit des bruits. Des cris.

Des cris de souffrance, de gorges étouffées. Et la voix de Ravène : « Non ! Non, je vous en supplie ! Pitié, c’était LUI ! »

Clément s'enfuit en courant du tribunal, poursuivi par l'écho des lamentations du passé, le froid collé à sa peau comme une sentence invisible.

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Talharr
Posté le 02/07/2025
Hello,
Je continue la lecture aha
Revoilà notre meurtrier et il aurait été contrôlé. De plus en plus intriguant.

Rien à dire pour le rythme, ... on est dedans.

Je continue. Savoir qui ou quoi rend fou Ossenoir.
Rouky
Posté le 02/07/2025
Salut ! ^^

Hé oui, de plus en plus de détails vont arriver sur le pourquoi du comment !
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