12. Découverte

Par Aylyn

Près de moi se tenait un loup à la fourrure noire et aux yeux d’ambre. La tête inclinée sur le côté, il me dévisageait de son regard hypnotique. La forêt bruissait autour de nous, myriades de sons étranges comme autant de battements de cœurs. Il fit un pas vers moi alors que je restais immobile. Ses poils ondulaient au rythme de sa démarche souple. Étrangement j’étais attirée par lui. Ma main se tendit pour le toucher. La vision me laissa ébahie. À la place de mon bras se trouvait une patte. Une patte de loup aux poils couleur argentés. Je voulus crier, mais seul un jappement sortit de ma bouche… ou plutôt de ma gueule. Tournant sur moi-même, j’examinai avec effarement ma silhouette. J’étais une louve ! Mon cerveau n’arriva pas tout de suite à assimiler l’information. Déboussolée, je reculai jusqu’à me retrouver acculée à un arbre gigantesque. Le loup continuait d’avancer vers moi, à pas de velours sur le tapis de feuilles mortes. Puis je me sentis maintenue. Par réflexe, je me débattis.

 

 

— Oh, mais c’est qu’elle a de la force la petite ! s’exclama une voix goguenarde à mon oreille.

— Attention, elle va se faire mal, tiens-lui le bras. Doucement quand même.

— Elle n’a pas encore subi la…

Ouvrant les yeux, le spectacle qui s’offrit à moi semblait encore plus étrange que mon rêve. Allongée sur une table d’opération, j’étais maintenue par Arenht et Sheren alors que deux autres personnes discutaient avec animation.

— Qu’est-ce qui se passe ? arrivai-je péniblement à articuler, ma gorge semblant en feu.

La peur faisait trembler ma voix. Surpris, les deux inconnus stoppèrent leur conciliabule pour s’approcher de la table. La pression autour de mes bras disparut.

—  Ne t’inquiète pas Aylyn, tout va bien.

 Je tournai la tête vers Arenht, plongeant dans son regard inquiet. Je me détendis légèrement, même si la panique restait, latente en considérant le lieu où je me trouvais. Une table d’opération, encore. Qu’avais-je fait dans une vie antérieure pour mériter un tel karma ?  Il m’avait sauvé, me répétais-je. Je ne craignais rien avec lui. Repensant à notre évasion, je me rendis compte que j’ignorais comment nous avions réchappé de cet enfer.

— Comment nous…

— Tu as été blessée, j’ai tiré plusieurs coups et dans la pagaille nous nous sommes enfuis, répondit-il.

Sa réponse semblait un peu trop préparée, comme un texte récité par cœur. Un bref échange de regard avec le dénommé Sheren accentua l’impression qu’il ne me disait pas tout.

— Où…

Peut-être était-ce la première question que j’aurai dû poser, mais dans mon état il n’y avait plus vraiment de place pour la logique.

— En sécurité, répondit Arenht.

Pour autant, ses traits trahissaient un tourment. Que me cachait-il ? Je me redressai tant bien que mal. Je le sentis esquisser un geste vers moi avant de se reprendre. Il gardait ses distances et cela me blessa. Il était mon seul repère au milieu de ces inconnus.

— Nous sommes au cœur du parc d’Algonquin, précisa l’homme me faisant face. Dans notre maison. Tu es ici comme chez toi. Je m’appelle Declan et voici Doc, qui a soigné ta blessure. Tu connais déjà Arenht et Sheren.

Je relevai la tête vers lui, intimidée par sa stature. Le leader c’était lui, sans nul doute possible. Il dégageait une aura palpable, une autorité naturelle inspirant immédiatement du respect voir de la crainte. 

— Merci, réussis-je à articuler.

— Nous allons t’installer ici pour ce soir. Je pense qu’une bonne nuit de sommeil te fera du bien après tout ce que tu as enduré. Demain nous répondrons à toutes tes questions.

Il se tourna vers les deux hommes derrière lui. Arenht détourna les yeux, faisant mine d’examiner le tas de papiers posé sur sa droite. Doc me sourit légèrement comme pour me rassurer.

— Je m’occupe de tout ça, chef, affirma le jeune homme en s’approchant de moi.

Je masquai ma déception du mieux que je pus, tout en lançant un coup d’œil à celui qui m’avait sauvé. Il quittait déjà la pièce à la suite de son chef. Ma gorge se noua alors que mon seul repère disparaissait sans dire un mot. Je me sentis abandonnée alors qu’il ne me devait rien. Une main se posa sur mon épaule, canalisant aussitôt mes pensées. Les tremblements avaient repris, comme en réaction à la soudaine absence d’Arenht à mes côtés. Je rencontrai le regard franc et doux de Doc. Je tentai de lui répondre d’un sourire. Il s’assit à mes côtés. Juste une présence, pas de question indiscrète ni de conversation forcée. Me surprenant moi-même, je laissai ma tête se poser sur son épaule, envahie par la fatigue.

—  Je… J’ai l’impression de nager en plein cauchemar, murmurai-je comme à moi-même. Depuis que mes parents…

Je butai sur les mots, encore sous le choc de cette vérité.  Les larmes affleurèrent et j’essayai vainement de les retenir.  Le jeune homme à mes côtés me tendit un mouchoir.

— Je ne peux qu’imaginer la douleur que tu ressens. Sache que tu es en sécurité ici. Nous veillerons sur toi. Maintenant, essaye de te reposer.  Si tu as besoin, je suis dans l’infirmerie, la salle au bout du couloir. Ça va aller ?

Sa sollicitude m’émut. A l’intérieur de moi, aucun signal d’alarme. Au contraire, une vague de sérénité me parvint, comme si je me trouvais là où je devais être.  La fatigue me rattrapait à présent et je le rassurai sur mon état avant de m’allonger. Il sortit doucement.  Dès qu’il eut franchi la porte, le sommeil m’emporta.

 

*

 

L’arôme riche et puissant du café s’insinua dans mes narines, remuant une nostalgie douce-amère. Mon père en buvait un semblable. Le souvenir des dimanches matin où je me réveillais grâce à cette odeur particulière embaumant la maison s’imposa à mon esprit. Je me passai une main sur le visage, repoussant l’avalanche d’images engendrées par ce simple stimulus olfactif. J’allais éviter de commencer cette journée en éclatant en sanglots. Je pris une profonde inspiration avant de franchir la porte de la grande cuisine. Doc se tenait de dos, se servant une tasse. Je m’éclaircis la gorge pour annoncer ma présence avant de lancer un bonjour timide. Il se tourna vers moi, un sourire amical aux lèvres.

— Bonjour Aylyn. Bien dormi ?

— Mieux que les nuits précédentes, éludai-je.

Il n’avait pas besoin de savoir que les cauchemars m’avaient tenu compagnie. Au moins je m’étais réveillée à chaque fois en sécurité et non dans une pièce sordide attentive aux moindres bruits derrière la porte.

— Un café ?

Sa proposition me ramena à l’instant présent, refoulant dans l’ombre les démons de la nuit. Je déclinai l’offre d’un sourire un peu gêné. Apparemment ils fonctionnaient tous au café ici.

— On a du thé si tu préfères.

 Dans un flash, je me revis dans ce café routier face à Arenht. J’opinai, peinant à me détacher des souvenirs envahissant mon esprit. La réaction d’Arenht la veille me perturbait encore. Il avait tout fait pour ne pas rester plus longtemps en ma présence.

 

Lorsque celui-ci pénétra dans la pièce, je luttais encore avec mes émotions, le nez dans ma tasse pour garder contenance. J’attendais de voir comment il allait se comporter. Continuerait-il de garder ses distances ou retrouverais-je le jeune homme entraperçu lorsqu’il m’avait sauvé ce soir-là ?

Il lança un salut à son ami puis je sentis glisser son regard vers moi. J’essayais de ne pas me tasser sur moi-même, un frémissement d’anticipation courut le long de mon échine.

— Aylyn.

Je réprimai un frisson en l’entendant prononcer mon nom, mon enthousiasme vite douché par le ton neutre employé. J’étais fixée au moins. Je balbutiai un bonjour avant de replonger vers mon thé. J’étais vraiment pitoyable songeais-je. Il fallait que je me sorte de mes rêveries. On était dans la réalité. Il m’avait sauvé la vie, plusieurs fois même. Point. Il avait fait son job, ni plus ni moins.

 

Il se servit une tasse de café, la buvant debout. Quand Doc s’assit en face de moi, je coupai le contact visuel, me sentant rougir. J’essayai maladroitement de faire abstraction de la présence d’Arenht.

— Réunion dans dix minutes, annonça celui-ci en posant sa tasse dans l’évier.

Doc eut juste le temps de répondre un « OK », sa silhouette disparaissait déjà dans le couloir.

— Ne fais pas attention, il n’est pas du matin, m’expliqua-t-il.

Je me contentai de hocher la tête, incapable d’articuler un mot. La distance qu’il mettait entre nous me blessait. Je n’étais pas capable de me protéger contre les émotions qu’il déclenchait en moi.

— Ne stresse pas pour cette réunion, reprit-il, se méprenant sur l’origine de mon mal-être. On va juste parler et répondre à tes questions surtout.

— Je déteste être le centre d’attention, soufflai-je.

Je laissais un petit sourire m’échapper en avisant la grimace s’affichant sur son visage.

— Je m’excuse d’avance, mais pour le coup, ça va être difficile de faire autrement. Ce n’est pas tous les jours qu’une jeune femme se trouve parmi nous. Ne t’inquiète pas, je suis là.

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Cléooo
Posté le 05/08/2024
Remarques :

"Puis je me sentis maintenue." -> j'ai un peu de mal à avoir l'image.
"Il avait fait son job, ni plus ni moins." -> j'ai du mal à comprendre comment elle en parvient à cette conclusion. Moi en tout cas, de mon point de vue de lectrice, il n'était pas clair dans ma tête qu'il exécutait un "job" et je n'ai pas vu ce qui amenait Aylyn à penser comme ça.

Sinon on sent que la tension redescend et qu'elle se trouve dans un environnement safe à présent, et c'est bien, on sent que les premières explications arrivent, mais je trouve que tu montres beaucoup de choses via ses pensées/la narration, et ce sont des choses qui semblent tomber sous le sens alors qu'il manque des informations au lecteur.
Le chef, on apprend qu'il est le chef parce qu'elle pense que c'est le cas et ça devient une évidence.
Arenth : ne lui parle pas cinq minutes donc elle en conclut qu'il a fini son job.
Tu vois ce que je veux dire ? En tout cas c'est juste mon avis personnel, en espérant que ça te soit utile :)

Je viens bientôt lire la suiiiite !
Bonne soirée.
Aylyn
Posté le 07/08/2024
Coucou, tes remarques sont toujours utiles 😊. Je prend note. Je sais que cette partie de l' histoire mérite d'être retravailler pour être plus cohérente. Tant mieux si tu as envie de continuer à la lire ☺️
Anis chan
Posté le 26/07/2024
Salut !
J'aime bien ce chapitre, je suis contente que Aylyn sen soit sortit. Je me demande pourquoi Arenth est distant avec elle, j'ai hâte de le savoir ! Je me demande aussi ce qu'est le mystère qui entoure Aylyn. En tout cas, c'est un très bon chapitre et bonne continuation !
Aylyn
Posté le 27/07/2024
Coucou,
Contente que le chapitre te plaise 😊.
Tu auras bientôt les réponses à tes questions, très bientôt même 😉.
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